Importante statue Hawaienne de style kona, circa 1780-1820, représentant le dieu de la guerre, ku ka’ili moku
Hawaiian figure, kona style, circa 1780-1820, representing the god of war, ku ka ’ili moku
Importante statue Hawaienne de style kona, circa 1780-1820, représentant le dieu de la guerre, kū ka’ili mokuHawaiian figure, kona style, circa 1780-1820, representing the god of war, kū ka ’ili moku

Circa 1780-1820

Details
Importante statue Hawaienne de style kona, circa 1780-1820, représentant le dieu de la guerre, ku ka’ili moku
Hawaiian figure, kona style, circa 1780-1820, representing the god of war, ku ka ’ili moku

Circa 1780-1820
Hawaii, Polynésie
Bois (ohi’a-lehua [metrosideros collina])
53 cm. (21 in.)
Provenance
Pierre Vérité, acquise d'après la tradition familiale auprès de Marie-Ange Ciolkowska, dans les années 1940
Collection Pierre et Claude Vérité, Paris
Literature
Brigham W. T., Old Hawaiian Carvings, Memoires du Bernice P. Bishop Museum of Polynesian Ethnology and Natural History, vol. II,
no. 2, pp. 167-181
Buck P. (Te Rangi Hiroa), Arts and Crafts of Hawaii, vol. XI, Bernice P. Bishop special publication 45, Honolulu, réimprimée en 1964
Lord Byron M. G., Voyage of H.M.S. Blonde to the Sandwich Islands in the years 1824 – 1825, London, 1826
Claerhout A., Two Non-authentic Hawaiian War God Images, Baessler-Archiv, Neue Folge, vol. XXIX, 1981, pp. 67-107
Cox J.H. and Davenport W., Hawaiian Sculpture, Honolulu, 1974
Ellis W., A Narrative of a Tour through Hawaii, or Owhyhee ; with Remarks on the History, Traditions, Manners, Customs and Language of the Inhabitans of Sandwich Islands, reimprime en 1827 a Londres, Honolulu, 1917
Kaeppler A., Eleven Gods Assembled, An Exhibition of Hawaiian Wooden Images, Bernice P. Bishop Museum, Honolulu, 6 avril –10 juin 1979
Kaeppler A., Genealogy and Disrespect : A study of Symbolism in Hawaiian Images, RES : Anthropology and Aesthetics, No. 3, 1982, pp. 82-107
Kaeppler A., “L’Aigle” and HMS “Blonde”. The use of History in the Study of Ethnnography, Hawaiian Journal of History, vol. 12, 1978, pp. 28-44
Kaeppler A., Rudall P., Starzecka D., Wood Analysis and historical Contexts of Collecting Hawaiian Wooden Images : A Preliminary Report, in Dark Ph., Rose R.G. (eds.), Artistic Heritage in a Changing World, Honolulu, 1993, pp. 41-46
Macrae J., With Lord Byron at the Sandwich Islands in 1825, reimpression, Honolulu, 1922
Malo D., Hawaiian Antiquities, trans. by Dr. N.B. Emerson, Honolulu, 1898
Rose R., Reconstructing the Art and Religion of Hawaii, review article, The Journal of the Polynesian Society, vol. 87, no. 3, 1978, pp.
267-278
Seaton S.L., The Hawaiian Kapu Abolition of 1819, American Ethnologist, vol. 1, no. 1, 1974, pp. 193-206

Brought to you by

Chloé Beauvais
Chloé Beauvais

Lot Essay

Avant-Propos
Les sculptures figuratives hawaïennes sont extrêmement rares. Cette statue, conservée précieusement dans la collection Vérité depuis près d’un siècle, est une authentique découverte. Concomitante avec l'apogée de la production artistique hawaïenne – âge d’or – cette figure représentant le dieu de la guerre Ku-ka’ili-moku, fut créée dans l’efflorescence du remarquable style Kona il y a plus de deux cents ans.

Manifestation du génie polynésien, cette œuvre spectaculaire domine par la férocité de son expression, la puissance de son modèle,
la monumentalité de ses proportions.

Le visage est taille avec un extrême raffinement. Empreint d’une grande agressivité, il semble disproportionne par rapport au reste du corps. Les yeux aux formes dissociées sont comme absorbes sous le volume vertigineux de la coiffe. Sous les narines dilatées, la bouche grimaçante et taillée en forme de huit s’impose par l'intensité de son expression. Les dents et la langue sont habilement signifiées, l'agressivité du personnage maintes fois soulignée. A la virtuosité des traits du visage répond la puissance de la posture. Le corps se découpe en divers cylindres remarquablement imbriques. Les lignes sont nerveuses, dynamiques, le sculpteur jouant avec éloquence sur les volumes et les courbes. L’attention est principalement portée sur les zones de ruptures, les articulations, créant ainsi un rythme brutal, vibrant. Les bras sont dégages du corps accentuant ainsi la position de force du dieu. Les épaules et les pectoraux sont symbolises par un remarquable jeu d’aplats. Cette simplification des formes, cette monumentalité primitive ne sont pas sans évoquer Homme nu assis (1908-1909) de Pablo Picasso. La puissance de cet objet, l’eurythmie de ses lignes et de ses volumes font de cette œuvre une pièce maitresse de la culture hawaïenne.

Entre Dieux et Hommes : Contextes Religieux et Social de l’Art Hawaïen
Durant des siècles, et avant l’abolition du système du kapu en 1819, l’art classique hawaïen représentait un élément essentiel du
système social et religieux en place. C’est a travers ces liens intrinsèques, ces complémentarités, ces enjeux symboliques, qu’il se définit et se distingue des autres sociétés polynésiennes.

A cette époque, la société traditionnelle hawaïenne était hautement hiérarchisée. Reposant sur des règles de primogéniture, elle se divisait en trois classes différentes : les ali’i formait la classe aristocratique, les maka’ainana la classe intermédiaire et les kauwa la strate la plus basse, asservie. La noblesse représentait une classe sacrée, ses membres supposes descendants directs des plus grandes divinités (akua) : Ku, Kane, Lono et Kanaloa. L’ensemble de la société était codifie selon le système dit du kapu. Chaque
rang social était associe a des droits de propriété, des attitudes sociales et des comportements religieux particuliers.

Aboli en 1819, le kapu était un système de droit religieux, mais aussi une forme de contrôle politique et social. Cette correspondance
complexe et hiérarchisée entre les attentes socio-religieuses de l’aristocratie dirigeante et leur réalisation artistique définissent l’art
hawaïen comme un ensemble unique.

≪ Les sculpteurs des grandes effigies érigées dans les temples, et probablement d’autres de plus petites dimensions, n'étaient pas des artisans : ils appartenaient à l'élite des kahuna kalai, c’est-a-dire des prêtres sculpteurs. Bien qu’aucune source n’indique comment ils étaient choisis et formes, nous pouvons supposer qu’il s’agissait d’une procédure hautement réglementée comme c'était le cas pour les autres classes kahuna comme la médecine, la religion, la danse et la navigation. Les sculpteurs appartenaient vraisemblablement à une classe kahuna hereditaire, désignant les apprentis au sein de familles déjà établies dans ce domaine. L’apprentissage commençait tôt, les jeunes aidant leurs aines en prenant soin des outils, en observant et en reproduisant les habitudes et les techniques de leurs maitres ≫ (Cox et Davenport 1974, p. 33). Dans son livre Hawaiien Antiquités, David Malo (historien hawaïen devenu ministre du culte aux temps de Kamehameha I) nous fournit de précieuses informations sur l'élaboration des heaiu (temples) : ≪ Ensuite des hommes étaient sélectionnés parmi ceux qui mangeaient a la table du roi – les aialo – et les chefs. L’acheminement du bois ohia pour le lana-nuumamao et l'élaboration des idoles elles-mêmes pouvaient alors commencer. Ce travail était toutefois assigné à des chefs particuliers ≫ (David Malo, Hawaiian Antiquities, 1898, p. 213). Cet extrait témoigne du lien direct qui existait entre la virtuosité technique que présupposait la décoration d’un temple et la commande artistique qui était hautement codifiée, reflétant les obligations socio-religieuses auxquelles les chefs de hauts rangs devaient se soumettre pour honorer le roi et les dieux.

Le Style Kona, Kamehameha I et la Sculpture Comme Instrument de Pouvoir
Au sein de la sculpture hawaïenne, seul le style Kona a pu être documente géographiquement. Possédant des caractéristiques iconographiques singulières, il s’est développé sur la cote de Kona, située a l’ouest de l’ile d 'Hawaï ; il est étroitement lié à la personnalité de Kamehameha I et a la représentation artistique de son dieu personnel de la guerre Ku-ka’ili-moku . Toutes les effigies
de “style Kona” répertoriées présentent des traits identiques : un visage disproportionne couronne d’une coiffe très élaborée, a laquelle se mêlent des yeux proéminents, des narines dilatées et une bouche prognathe grimaçante soulignée de plusieurs lignes parallèles symbolisant la barbe. Les membres représentes sous forme de volumes elliptiques ou coniques sont rythmes par des traces successives d’herminette. Les parties du corps sont clairement définies, distinctes. Les genoux sont fléchis, les mollets muscles.

En 1790, Kamehameha I, nomme initialement kahu, c’est a dire gardien du dieu de la guerre Ku-ka’ili-moku, prit le contrôle d’une grande partie des iles d 'Hawaï et de Maui. Puis, afin d'étendre son pouvoir, il décida de mener des expéditions guerrières envers les iles voisines. En 1810, après une suite de combats acharnes, l’ensemble de l’archipel fut unifie sous son égide. Durant cette période de guerre civile et de violence continue, Kamehameha I chercha a assurer le succès de ses expéditions militaires en construisant de nombreux luakini heiau (temples consacres a la divinite personnelle d’un chef) dans le district de Kona. Son dieu personnel Ku-ka’ili-moku, ou Ku-le-mangeurd’ile, fut déclaré principale divinité du royaume et de nouveaux temples furent consacres en son honneur. ≪ Ku-ka’ili-moku (Ku, le mangeur de terre) devint alors le dieu de la guerre le plus célèbre de l'histoire. Il est fort probable que les grandes effigies, considérées alors comme des réceptacles pour le dieu, furent toutes sculptées durant le règne de Kamehameha I a l’aide d’outils métalliques. Au cours des guerres civiles qui suivirent, Kamehameha et Ku-ka’ilimoku devinrent plus puissants. L’un des
événements dramatiques qui accrut le plus leur influence fut le sacrifice en 1791 du cousin de Kamehameha, Keoua, dans un heiau dedie à Ku-ka’ili-moku, nouvellement construit à Pu’ukola. A partir de ce moment, le pouvoir de Kamehameha et Ku-ka’ili-moku ne cessa de croitre, éclipsant celui des autres chefs, la grandeur de l’un se mesurant a celle de l’autre. La puissance de cet éblouissant binôme se ressentait alors dans la démesure des représentations du dieu : taille colossale des œuvres placées dans le heiau et mépris symbolisée par l'agressivité de la bouche. ≫ (Kaeppler 1982, p. 99-100).

Ainsi, l’unification politique et la concentration de la production dans une zone relativement restreinte, réalisée par un nombre limite de
sculpteurs kahuna, ont entraine la création d’un style artistique homogène : le style Kona. ≪ C’est l'archétype de la sculpture hawaïenne, et son influence a certainement été ressentie par les autres sculpteurs. Des similitudes dans la posture, l’articulation des formes et le traitement des surfaces apparaissent en effet dans plusieurs figures akua ka’ai et aumakua ainsi que sur les statues sur piédestaux. ≫ (Cox et Davenport 1974, p. 78). Les artistes de la région de Kona représentaient toujours les yeux comme des triangles abstraits se mêlant ingénieusement a des coiffes somptueuses et se terminant en pointe (voir les croquis de Choris). Par rapport a l’aspect épure, schématique des statues polynésiennes, les figures hawaïennes dites ‘Kona’ interpellent le spectateur. Leurs visages déformés, méprisants, leurs mâchoires grimaçantes, taillées en saillie dans un remarquable geste de supériorité voire de défi, leur donnent une expressivité fascinante. Leur position agressive évoquant celles des lutteurs (épaules massives, bras séparés du torse, coudes pousses vers l'arrière, poitrine athlétique, genoux fléchis et pieds écartés) accentue ce sentiment. Tous ces éléments se combinent pour créer une tension remarquable, empreinte d‘une grande agressivité.
Mais l'élément le plus frappant est que, contrairement aux autres œuvres polynésiennes, les statues hawaïennes sont rythmées par de multiples traces d’herminette. ≪ Les surfaces des sculptures hawaïennes sont achevées par abrasage, polissage ou par un
traitement en facettes (laissant les traces d’herminette apparaitre). On retrouve cette technique sur toutes les effigies, mais également sur d’autres sculptures comme des piliers, des outils ou sur les équipements des canoës. Cette technique exigeait une grande maitrise de la part du sculpteur. Ces facettes, ces multiples traces parallèles, n'étaient pas réalisées par un seul coup d’herminette ou par un mouvement programme, mais plutôt par une série contrôlée de petits tapotements qui faisaient virevoltes les éclats du bois
méticuleusement. En achevant son travail ainsi, le sculpteur exprimait sa dextérité et sa virtuosité… L’utilisation de cette méthode sur les sculptures de petite taille, sur lesquelles il aurait été plus facile de façonner une surface lisse, indique que le traitement en facettes n'était pas toujours lié à un facteur temps et été parfois délibérément choisi. ≫ (Cox et Davenport 1974, page 48).

Les Différents Types de Figure et Leurs Fonctions
On distingue quatre types de représentations parmi les sculptures figuratives hawaïennes. Les figures de temple sont d’une taille considérable et peuvent ainsi être distinguées des sculptures akua ka’ai (divinites personnelles), généralement plus petites, et
aumakua (figures de sorcellerie). Les dimensions des figures de temple varient. Les plus grandes servaient vraisemblablement
d’effigies centrales dans la cour des heiau. Nommées akua mo’i, elles étaient placées au centre d’un groupes de sculptures face à
l’autel. De ce type, seules trois œuvres colossales subsistent : Bishop no. inv. 7654, Salem no. inv. E12071 & BM no. inv. 1839-4-26-8 La plupart des figures de temple avaient quant à elles généralement une fonction secondaire ou auxiliaire. Elles étaient disposées a cote des statues mo’i ou devant une porte, contre une palissade ou contre les parois du temple, ayant alors un rôle décoratif : ≪ Chacune devait être désignée par un nom spécifique. Elles avaient probablement une fonction particulière à jouer durant les cérémonies ou servaient à délimiter des espaces rituels ≫ (Cox et Davenport 1974, p. 60).

Contrairement aux sculptures akua ka’ai et aumakua, les figures de temple intervenaient lors de rituels très importants et devaient être
sculptées rapidement. Cela expliquerait la différence de patine entre les figures de temple et les autres ; les sculptures akua ka’ai et
aumakua présentant généralement une surface polie. Les figures de temple sont ainsi les seules à posséder des traces d’herminette,
caractéristiques qui leur donnent indéniablement un profond dynamisme. Cet élément est aujourd’hui devenu la marque emblématique de la sculpture hawaïenne.

La statue Vérité reposait à l’origine sur un pilier qui a été scie. On peut en déduire que la statue était beaucoup plus grande à l’origine. Le fait qu’elle soit plutôt une effigie sur piédestal qu’une sculpture autonome nous permet de la distinguer des aumakua.

Il est envisageable que la statue Vérité ait servi de gardien d’autel. Comme nous pouvons le remarquer sur le dessin du Reverend William Ellis (dessin ci-dessus), il existait une grande variété de statues figuratives. Sa description très détaillée, rédigée en 1823, de l'intérieur et de l'extérieur du temple de Hale-o-Keawe est très intéressante :

≪ A Honaunau, nous trouvîmes un lieu d’une importance considérable, qui servit de résidence pour les rois d 'Hawaï durant plusieurs
générations. Les monuments et les vestiges de l’ancienne idolâtrie dont ce lieu abondait avaient, pour des raisons qui nous étaient inconnues, été épargnés durant la destruction générale des idoles, qui fit suite a l’abolition du aitabu, à l'été 1819.

La chose qui attira le plus notre attention fut le Hare o Keave (la Maison de Keave), un lieu sacre ou l’on déposait les ossements des rois et des princes décédés. C’est un bâtiment étroit, vingt-quatre pieds sur seize, construit dans un bois résistant et couvert de feuillages. Plusieurs effigies rudimentaires, représentant des hommes et des femmes, étaient placées à l'extérieur de l’enceinte ; certains sur des petits piédestaux… et d’autres sur de grands poteaux fixes sur des rochers. Un certain nombre était disposé sur la palissade de façon aléatoire ; mais la plupart de ces affreuses représentations de divinités se trouvaient à l'extrême sud-est de l’enclos ou douze d’entre elles formaient un demi-cercle, comme si elles étaient les gardiennes éternelles de “puissants défunts” qui
reposaient dans une maison attenante. Elles se tenaient debout sur de petits piédestaux, de trois ou quatre pieds de hauteur, certaines étant toutefois dressées sur des piliers de huit ou dix pieds, sculptées de manière curieuse… En poussant les planches qui obstruaient une porte placée un petit peu en retrait, nous virent de nombreuses effigies de grande taille, très travaillées… ≫ (W. Ellis 1827, p. 124-126).

Comme la description et le croquis de William Ellis semblent le suggérer, il existait une grande variété de figures servant à la fois à l'intérieur et à l'extérieur des temples. Une paire de statues provenant du Hale-o-Keawe heiau de Honaunau est documentée comme ayant servi de ‘gardiens’ devant un autel intérieur : l’une est au Bishop Museum 7883, l’autre se trouve au Musée d’Histoire Naturelle de Chicago 272689. Toutes deux furent collectées en 1825 par Andrew Bloxam lors du voyage de la HMS Blonde.

En revanche, les figures de grande taille sont très peu documentées, il est par conséquent difficile de savoir précisément à quoi elles
servaient. Comme A. Kaeppler le souligne, les fonctions des statues hawaïennes étaient multiples, interchangeables et donc difficiles à déterminer rétrospectivement en dépit de nos standards de classification :

≪ Ce que nous savons sur les effigies hawaïennes, de quels dieux elles étaient les manifestations visuelles, qui les utilisaient et
comment elles étaient classées sur le plan culturel et linguistique, n’est pas clair. Tous ces aspects ont évidemment change avec le temps et étaient loin d'être uniformes d’une ile, voire d’une famille a l’autre. En effet, il est probable qu’une effigie ait pu être utilisée à des fins multiples et ait pris des attributs différents selon le moment et le rang de la personne qui l’utilisait. ≫ (A. Kaeppler, Eleven Gods Assembled, 1979, p. 5).

Kaeppler considère que la classification des œuvres hawaïennes doit être flexible. Il est par exemple difficile de distinguer catégoriquement les figures de temple et les grandes statues akua ka’ai. En effet, ces deux types de représentation se ressemblent,
reposant toutes deux sur des sortes de poteaux. En outre, certaines akua ka’ai sont d’une taille considérable et parfois même plus
grandes que les figures classées comme des figures de temple.

Comparaisons Stylistiques et la Statue de Tyerman et Bennett (BM LMS 223)
Au moment ou Cox et Davenport publiaient leur liste exhaustive des sculptures hawaïennes, huit figures de temple et sept figures akua ka’ai étaient connues et classées sous le style Kona. Leur rareté s’explique en grande partie par le fait que la plupart des statues de ce style furent détruites par une vague d’iconoclasme en 1819, suite a l’abolition du système kapu. Depuis cette publication, seules quelques ajouts ont été apportes au corpus (voir lot 32 dans la prochaine vente de divers amateurs, Christie’s Paris, 22 novembre 2017). Sans aucun doute, la figure Vérité est l'œuvre la plus remarquable et la plus importante qui puisse rejoindre ce corpus très
sélectif.

A part quelques exceptions (par exemple la statue du British Museum collectée par les révérends Tyerman et Bennett en 1822 dans un heaiu situé à Kawaihae, Hawaï), l’origine de la plupart des figures Kona demeure inconnue. Pourtant, les témoignages des explorateurs et les dessins, plus irréfutables, des artistes qui visitèrent la cote de Kona, tels Louis Choris (1816) ou le révérend William Ellis (1823), établissent clairement que ce style était florissant au début des années 1800 et que les statues sculptées selon ses canons esthétiques, abondaient en grande variété durant le règne de Kamehameha. Voir le dessin de L. Choris (fig. 1). Au total, 53 sculptures, de taille variable, représentant des formes humaines, sont désignées comme originaires de l’ile d 'Hawaï (voir tableau établi par R. Rose 1978, p. 277). Moins de 20 sont sculptées dans le style Kona et seulement trois (British Museum LMS 223, Bishop Museum 9067 et 9068) ont une taille comparable à celle de Vérité. Des liens peuvent ainsi être établis entre ces quatre sculptures. Comme référence, on peut également ajouter la BM OC. AUBEPINE. 74 (voir fig) sculptée dans un style Proto-Kona - sa caractéristique la plus éloquente étant sa bouche proéminente taillée en forme de huit dans le pur style Kona – engendrant probablement des évolutions stylistiques. Des similitudes dans la taille, l’articulation des formes et le traitement des surfaces les réunissent.

≪ Bien qu’il soit possible que les sculptures ‘Kona’ forment un ensemble stylistique homogène, j'hésiterais à le catégoriser comme
un style local, compte tenu du petit nombre de figures qui possèdent une provenance ou une histoire connue. La proximité esthétique de ces statues peut-être due a l’influence d’un sculpteur principal - tout aurait pu en effet être sculpte par un seul et même sculpteur ≫
(Kaeppler 1979, page 7). Cette idée est difficile a prouver. Néanmoins, on peut idéalement envisager l'idée d’une continuité artistique,
suivie par une lignée de sculpteurs entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle. Cette éventualité prend tout son sens compte tenu du fait que les artistes appartenaient a une classe élitiste, très sélective, celle des kahuna, comme nous l’avons explique précédemment.

Dans ce contexte, il est alors frappant d’observer les similitudes qu’affichent la sculpture de Tyerman et Bennett BM LMS 223 et celle de la collection Vérité non seulement en termes de technique sculpturale, mais aussi en termes de proportions volumétriques et de
mouvements. Leur taille est inferieure a celle des plus grandes figures ‘Kona’, la première mesurant 74,5 cm et la seconde 53,5 cm.
Comme nous l’avons déjà évoqué, leurs dimensions suggèrent que ces figures étaient présentées dans un temple auxiliaire, qu’elles
n'étaient pas statiques et pouvaient être déplacées selon les besoins.

Cet élément, associé à la férocité du visage grimaçant, aux yeux proéminents et à la virtuosité de la coiffe, rapprochent la statue Vérité et celle du British Museum de deux autres sculptures conservées au Bishop Museum ( no. inv. 9067 et 9068). Bien que ces dernières ne présentent pas exactement la même force visuelle, les similarités concernant les modèles du corps sont frappantes : poitrine puissante, épaules massives taillées tout en rondeur, bras muscles, coudes pousses vers l'arrière, jambes athlétiques et genoux fléchis. On remarque également une façon quasi identique de rythmer la cuisse verticalement, des hanches aux genoux, par une courbe nette. De plus, certains détails, ainsi par exemple la façon dont l’artiste a sculpte la surface sous le menton et autour du cou, laissant apparaitre les traces de son herminette, suggèrent que le même savoir-faire, technique et artistique, ait été employé pour la statue Vérité et celle du British Museum.

Cette idée est également soutenue par Kaeppler, Cox et Davenport dans leurs études : ≪ Curieusement, un certain nombre de statues hawaïennes étaient produites par paires. Ce n’est pas simplement une coïncidence si deux pièces sont stylistiquement proches. Les paires étaient sans aucun doute sculptées par un seul artiste et étaient destinées à être utilisées ensemble. Au moins une dizaine de ces ‘binomes’ ont subsiste jusqu’a nos jours ≫ (Cox et Davenport, p. 36). Dans chaque paire, on constate des asymétries que ce soit dans les détails, comme la position des mains, ou dans leurs proportions

Histoire de collection
La statue Vérité aurait fait l’objet d’un échange entre Marie-Ange Ciolkowska et Pierre Vérité dans les années 1940. Malheureusement, aucune information détaillée sur sa provenance antérieure n’est référencée. Ce n’est pas une surprise, car peu de sculptures ‘Kona’ ont une histoire documentée. La plupart ayant suivi une trajectoire erratique furent découvertes aléatoirement tout au long du XIXe et XXe siècle.

Parmi les grands voyages européens, il convient de mentionner le voyage de la HMS Blonde au cours duquel de nombreux artefacts hawaïens furent collectes.

Le navire quitta l’Angleterre en 1824 en direction du Pacifique pour ramener les corps du roi Liholiho (Kamehameha II) et de la reine Kamamalu, décédés de la rougeole à Londres. le 15 juillet 1825, Lord Byron, les membres de son équipage et le naturaliste Andrew Bloxam, visitèrent le heiau de Hale-o-Keawe, dans la baie de Kealakekua, située dans la région de Kona, a l’ouest de l’ile d 'Hawaï. Il s’agit du même temple que celui précédemment visite et décrit par le Reverend William Ellis en 1823. Il était alors intact et contenait encore la plupart des sculptures qui le décoraient.

≪ L’apparence extérieure du bâtiment lui-même ne diffère pas de celle des habitations des chefs indigènes ... La cour, délimitée par une palissade, est remplie d’images grossières en bois de toutes formes et dimensions, dont les traits grotesques et les visages horribles présentent un spectacle extraordinaire ... [Le chef Karaimoku] avait autorise les officiers anglais à prendre quelques-uns des anciens dieux et d’autres articles présents dans le morai, pour montrer en Grande-Bretagne ce qui avait été le culte et les coutumes de leurs frères hawaïens ; les gardiens de l’endroit devant leur permettre de s’accaparer tout ce qu’ils aimaient ≫ (Byron 1826, p. 201).

Lord Byron et ses compagnons furent ainsi autorises à prendre des artefacts ≪ et la Blonde reçut rapidement à bord presque tout ce qui restait des anciennes divinités des iles ≫ (Byron, 1826, p. 202). James Macrae, qui accompagnait également le navigateur, visita le heiau de Hia-o-Keawe le lendemain. Apres avoir constate que l'équipage avait récupéré ≪ tout ce qui pouvait être pris ≫ la veille, il remarqua qu’ “au milieu (du heiau) se trouvaient plusieurs effigies de chefs décédés. Elles étaient attachées à des ensembles de tapa qui contenaient les os des personnes représentées. La plupart était en bois, mais celle qui représentait le défunt Tamahamaah avait été agrémentée d’un masque de facture européenne et était plus finement habillée que les autres. Lord Byron et ses équipiers avaient pris tous les souvenirs du morai qui pouvaient être emportes. Nous demandâmes alors au vieux prêtre si nous pouvions également prendre une partie des figures érodées qui se trouvaient a l'extérieur ≫ (J. Macrae, With Lord Byron at the Sandwich Islands in 1825, ed. 1922, p. 72).

Suite a cette lecture, il pourrait être tentant d’attribuer une provenance ‘Bloxam’ ou ‘Byron’ a l’effigie Vérité, mais il faut rester prudent en l’absence de documentation précise. Cependant, on ne peut exclure que la figure Vérité soit l’une de celles recueillies lors de leurs passages dans le temple de Hale-o-Keawe. Il faut garder à l’esprit que Lord Byron possédait une grande collection d’objets, non documentes, qu’il présenta sans doute a divers collectionneurs. Ces objets sont depuis passés entre de nombreuses mains. Nous avons également peu d’informations sur les objets que collectèrent James Macrae et ses compagnons.

Donnees Techniques : Test au C14, OHI’A-LEHUA (Metrosideros Collina), Analyses du bois & des Pigments

Metrosideros collina alias Ohi’a lehua

D'après l’analyse au carbone 14, l’essence du bois de la statue Vérité date du XVIIIe-XIXe siècle. Ce résultat est parfaitement compatible avec ce que nous savons de la tradition sculpturale hawaïenne. Cette information est également corroborée par le fait qu’elle soit sculptée dans un bois appelé Metrosideros collina (ohi’a lehua en langue vernaculaire).

Cet arbre était traditionnellement employé pour la plupart des réalisations artistiques, son utilisation s 'avérant cruciale dans l'élaboration des sculptures religieuses, comme l’expliquent Cox et Davenport l’ohi’a-lehua était perçu comme une manifestation des dieux majeurs, Kane et Ku, et possédait par conséquent un grand mana. Cela peut s’expliquer par la présence de fleurs rouges (considérées comme sacrées pour Pele) à la floraison ou par la couleur rougeâtre du bois, semblable à celle de la viande crue, évoquant ainsi la vie et peut-être indirectement les sacrifices humains qui précédait dans certains cas l'élaboration d’une statue. (p. 25).

David Malo fut le premier à s'intéresser à l’importance de ce bois : ≪ dans la montagne lointaine pousse l’ohia (comme le lehua), un arbre de grande dimension… Il était très utilise pour fabriquer des idoles, ainsi que pour les piliers et les chevrons des habitations ou pour les enceintes des temples ≫ (David Malo, HA, p. 41). Un poème cité par Malo confirme l’importance sacrée que l’on conférait a l’arbre d’Ohia :
O Ku, dieu de l’autel sacré !
O Ku assemblé du bois Ohia !
O Ku sculpté de l’ohia-lehua !
O Ku de l’ohia-ha florissante !
O Ku du bois d’ohia assaisonné d’eau !
O Ku, descendez du ciel !
O Ku, dieu de la lumière !
O Ku, souverain du monde !
O magnifique arbre d’ohia !
O Ku de l’arbre d’Oki sculpté par un roi,
le seigneur des dieux ohia !
(David Malo, HA, p. 232)

D'après Kaeppler, il est réducteur de penser que toutes les idoles étaient obligatoirement sculptées dans l’ohi’a-lehua (Kaeppler A., Rudall P., Starzecka D., Wood Analysis and historical Contexts of Collecting Hawaiian Wooden Images : A Preliminary Report, in Dark Ph., Rose R.G. (eds.), Artistic Heritage in a Changing World, Honolulu, Hawaii, 1993, pp. 41-46).

L’analyse d’une vingtaine d'œuvres a démontré que l’ohi’a lehua était plutôt utilisé pour les sculptures de petites dimensions, comme par exemple les deux statues du Bishop Museum 9067 et 9068. La statue du British Museum LMS 223 est également sculptée dans l’essence de l’ ohi’a lehua.






More from Collection Vérité : Arts d'Afrique, d'Océanie et d'Amérique du Nord

View All
View All