Lot Essay
Cette console attribuée au plus important ébéniste du règne de Louis XIV, André-Charles Boulle, fait partie d’un rare corpus de consoles mis au point par lui.
TYPOLOGIE DES CONSOLES D’ANDRE-CHARLES BOULLE
Le modèle de console à bustes de femmes présenté dérive de celui créé par André-Charles Boulle à têtes de faunes, vers 1700-1710, dont on connait plusieurs exemplaires notamment à la Wallace Collection de Londres. La première console de ce type pour laquelle Boulle utilise des pieds intermédiaires fuselés venant interrompre la ligne des quatre pieds de biche semble avoir été créé pour le financier Paulin Pondre. Deux dessins attribués à Boulle nous montrent le principe de pieds fuselés et de pieds galbés utilisés sur la même console. Le premier est un dessin à la sanguine conservé au musée des Arts décoratifs de Paris, réalisé vers 1701 et illustrant une table en console à quatre pieds (inv. 723.C4). Un autre projet de console à l’encre noire et au lavis, cette fois-ci à six pieds, est également au musée des Arts décoratifs (inv. 723.B1). C’est très probablement de ce dessin qu’est issue la gravure du célèbre recueil de dessins de Boulle gravé par Mariette intitulé « Nouveaux Desseins de meubles et ouvrages de bronze et de marqueterie ». La planche 5 illustre en effet une « Grande Table » à six pieds et masques de satyre.
Sur notre modèle issu de la collection Castellane-Gould, plus large que celui aux satyres d’environ 15 cm., des bustes de femmes remplacent les têtes de faunes. On trouve également trois tiroirs dont un tiroir médian avec un contour en arbalète orné en son centre d’une palmette, parfois remplacée d’un masque féminin. Plusieurs rares exemplaires du modèle sont recensés.
Un premier en contre-partie à incrustations de nacre et corne polychrome ainsi qu’au motif en soleil au centre et sur les côtés est estampillé par Séverin et ses bronzes portent le poinçon au C couronné. Cette console provient de la collection de Lady Salmond, puis est passée par la Galerie Aveline et la collection Roussel (vente Sotheby’s, Monaco, 22 juin 1986, lot 554). Elle a plus récemment été revendue sur le marché de l’art (collection Léon Lévy, Sotheby’s, Paris, 2 octobre 2008, lot 6).
Une autre console, également avec incrustations de nacre et corne polychrome sur fond de marqueterie en première partie est ornée d’un masque féminin au centre de la ceinture (collection de la comtesse de Craven ; Sotheby’s, Londres, 15 décembre 1961, lot 170).
Une paire à dessus de marbre avec un masque de Bacchus au centre de la ceinture a fait partie de la collection du comte de Harrington (Sotheby’s, Londres, 22 novembre 1963, lot 69). Un autre exemplaire en contre-partie à trois tiroirs est aujourd’hui conservé au Mobilier national, placé au Palais de l’Elysée (A. Pradère, « L’Ameublement de l’Elysée », in Connaissance des Arts, Hors Série n. 72, 1995).
Notons que le plateau de notre console porte le décor dit du Char à bœufs en première partie. Il est en tout point identique à celui de la console à six pieds (dont quatre surmontés de têtes de satyre) conservée à Weimar (Residenzschloss, inv. 33/64 a et b). On retrouve en effet des putti sous un baldaquin transporté par deux bœufs marchant vers la droite dans un encadrement de rinceaux, vrilles et agrafes feuillagées. La même scène est représentée sur le plateau de la console d’une paire de la Wallace Collection mais les bœufs marchent vers la gauche et les rinceaux à chaque extrémité du plateau sont en contre-partie (inv. F424). Une empreinte à l’encre et à la sanguine sur papier de ce décor au Char a été réalisée au début du XVIIIe siècle et est aujourd’hui conservée au Museum of Fine Arts de Boston (inv. 1931.31.1243.2). J.-N. Ronfort en attribue le dessin central à Jean-Philippe Boulle, lui-même influencé par Cornelis Bos et son estampe du Char fantastique de 1550, et les rinceaux l’encadrant à André-Charles. Peut-être faut-il voir ici une collaboration du père et du fils qui, très tôt au début du XVIIIe siècle, travaillent au sein du même atelier.
LES COLLECTIONS HARENC DE PRESLE ET ROBIT
On trouve une console de ce modèle, présentant les mêmes dimensions et la même description avec trois tiroirs, décrite dans la première vente de la collection de François-Michel Harenc de Presle, le 16 avril 1792 :
« 410. Idem [MEUBLES DE BOULE]. Une table à six pieds, dont les deux de devant triangulaires à consoles, sabots & bustes de femmes de ronde bosse ; ouvrant à trois tiroirs, le dessus en marqueterie et en quart de rond de bronze, avec entre jambes. Haut. 30 pouces [81 cm.], largeur 50 [135 cm.], profondeur 19 [51,3 cm.] ».
La console à six pieds ornait le grand cabinet en damas vert de Harenc de Presle au premier étage de son hôtel de la rue du Sentier, comme le laisse penser la description du guide de Thiery en 1783 qui mentionne dans cette pièce des vases posés sur des « consoles de Boule ».
D’origine hollandaise, Harenc de Presle est le fils d’un banquier parisien. Banquier à son tour, il fait l’acquisition d’une charge de secrétaire du Roi en 1743 et commence à collectionner dans ces mêmes années. Client de marchands-merciers et notamment de Lazare Duvaux, il se fournit également auprès de Charles Cressent. Un important ensemble de meubles de Boulle et d’après Boulle est ainsi constitué, certainement grâce à l’aide des marchands Julliot qui lui livrent plusieurs meubles dont l’importante paire de cabinets estampillée Dubois (vente Harenc de Presle, 16 avril 1792, lot 411, puis le 30 avril 1795, lot 259, collection van Hoorn, puis Ephrussi, puis Guerlain, Galerie Segoura, vente Christie’s, Paris, 16 décembre 2008, lot 2).
En 1792, Harenc décide de son vivant de disperser sa collection. La vente d’avril 1792 fut toutefois annulée, peut-être en raison des temps troublés, et reportée au 30 avril 1795. Notre console figure avec la même description que dans le catalogue de la vente avortée de 1792, mot pour mot (les pouces convertis en centimètres), sous le lot 258. Retirée alors de la vente, la console fut cédée, comme une bonne partie de la collection Harenc et dans des conditions inconnues, au collectionneur François-Antoine Robit (v.1762-1815).
Ancien marchand-drapier, Robit avait fait des affaires immobilières à Paris, achetant notamment un hôtel, 4 rue du Bouloy, et s’était constitué une importante collection de tableaux, meubles et objets d’art, en profitant des occasions offertes par la Révolution. Robit commença à connaître des difficultés financières dès le début des années 1800 et dut mettre en vente ses collections.
La console fut alors décrite dans les mêmes termes qu’auparavant dans le catalogue de la 1ère vente de Robit, initialement prévue le 15 Frimaire An 9 (6 décembre 1800) dans la salle de vente de Le Brun rue de Cléry :
« 299. Une table à six pieds, dont les deux de devant triangulaires à consoles, sabots et bustes de femmes de ronde bosse, ouvrant à trois tiroirs, le dessus en marqueterie, et en quart de rond de bronze avec entre jambes. Haut. 80cm, larg. 1m34cm, profond. 51cm ».
La vente fut annulée, les objets étant réengagés au Mont-de-Piété, et reportée au 11 mai 1801. Elle eut lieu au Mont-de-Piété, rue Vivienne, avec Paillet et Delaroche pour experts. La console fut alors décrite ainsi :
« 327. Une belle table à six pieds, dont les deux de devant triangulaires et à consoles sont décorés de bustes de femmes en ronde bosse ; l’entablement à trois tiroirs : le tout avec ornements de fonte dorée de bon genre et bien distribuée…200 F, Gamba (sur folle enchère à 275F de Le Brun l’Aîné) »
Ce n’est que plus de cent cinquante ans plus tard qu’on retrouve sa trace, dans l’inventaire après décès d’Anna Gould en 1961. Notons que deux numéros pourraient cependant convenir pour notre console puisque qu’Anna Gould eut deux consoles de ce modèle dans son Palais Rose de l’avenue Foch. La première décrite est, sous le numéro 692 une « Console en marqueterie, travail des Boulle du XVIIIe à trois tiroirs. Elle pose sur six pieds, dont quatre galbés ornés de cariatides, et deux à colonnettes, sur le plateau décor d'après Bérain, présentant le Triomphe de l'Amour (18,000 francs) » tandis que le numéro suivant précise « n. 693 - Autre console plus petite que la précédente, mais de même travail. Garnitures de bronzes différentes. Début du XVIIIe siècle (12,000 francs) ».
TYPOLOGIE DES CONSOLES D’ANDRE-CHARLES BOULLE
Le modèle de console à bustes de femmes présenté dérive de celui créé par André-Charles Boulle à têtes de faunes, vers 1700-1710, dont on connait plusieurs exemplaires notamment à la Wallace Collection de Londres. La première console de ce type pour laquelle Boulle utilise des pieds intermédiaires fuselés venant interrompre la ligne des quatre pieds de biche semble avoir été créé pour le financier Paulin Pondre. Deux dessins attribués à Boulle nous montrent le principe de pieds fuselés et de pieds galbés utilisés sur la même console. Le premier est un dessin à la sanguine conservé au musée des Arts décoratifs de Paris, réalisé vers 1701 et illustrant une table en console à quatre pieds (inv. 723.C4). Un autre projet de console à l’encre noire et au lavis, cette fois-ci à six pieds, est également au musée des Arts décoratifs (inv. 723.B1). C’est très probablement de ce dessin qu’est issue la gravure du célèbre recueil de dessins de Boulle gravé par Mariette intitulé « Nouveaux Desseins de meubles et ouvrages de bronze et de marqueterie ». La planche 5 illustre en effet une « Grande Table » à six pieds et masques de satyre.
Sur notre modèle issu de la collection Castellane-Gould, plus large que celui aux satyres d’environ 15 cm., des bustes de femmes remplacent les têtes de faunes. On trouve également trois tiroirs dont un tiroir médian avec un contour en arbalète orné en son centre d’une palmette, parfois remplacée d’un masque féminin. Plusieurs rares exemplaires du modèle sont recensés.
Un premier en contre-partie à incrustations de nacre et corne polychrome ainsi qu’au motif en soleil au centre et sur les côtés est estampillé par Séverin et ses bronzes portent le poinçon au C couronné. Cette console provient de la collection de Lady Salmond, puis est passée par la Galerie Aveline et la collection Roussel (vente Sotheby’s, Monaco, 22 juin 1986, lot 554). Elle a plus récemment été revendue sur le marché de l’art (collection Léon Lévy, Sotheby’s, Paris, 2 octobre 2008, lot 6).
Une autre console, également avec incrustations de nacre et corne polychrome sur fond de marqueterie en première partie est ornée d’un masque féminin au centre de la ceinture (collection de la comtesse de Craven ; Sotheby’s, Londres, 15 décembre 1961, lot 170).
Une paire à dessus de marbre avec un masque de Bacchus au centre de la ceinture a fait partie de la collection du comte de Harrington (Sotheby’s, Londres, 22 novembre 1963, lot 69). Un autre exemplaire en contre-partie à trois tiroirs est aujourd’hui conservé au Mobilier national, placé au Palais de l’Elysée (A. Pradère, « L’Ameublement de l’Elysée », in Connaissance des Arts, Hors Série n. 72, 1995).
Notons que le plateau de notre console porte le décor dit du Char à bœufs en première partie. Il est en tout point identique à celui de la console à six pieds (dont quatre surmontés de têtes de satyre) conservée à Weimar (Residenzschloss, inv. 33/64 a et b). On retrouve en effet des putti sous un baldaquin transporté par deux bœufs marchant vers la droite dans un encadrement de rinceaux, vrilles et agrafes feuillagées. La même scène est représentée sur le plateau de la console d’une paire de la Wallace Collection mais les bœufs marchent vers la gauche et les rinceaux à chaque extrémité du plateau sont en contre-partie (inv. F424). Une empreinte à l’encre et à la sanguine sur papier de ce décor au Char a été réalisée au début du XVIIIe siècle et est aujourd’hui conservée au Museum of Fine Arts de Boston (inv. 1931.31.1243.2). J.-N. Ronfort en attribue le dessin central à Jean-Philippe Boulle, lui-même influencé par Cornelis Bos et son estampe du Char fantastique de 1550, et les rinceaux l’encadrant à André-Charles. Peut-être faut-il voir ici une collaboration du père et du fils qui, très tôt au début du XVIIIe siècle, travaillent au sein du même atelier.
LES COLLECTIONS HARENC DE PRESLE ET ROBIT
On trouve une console de ce modèle, présentant les mêmes dimensions et la même description avec trois tiroirs, décrite dans la première vente de la collection de François-Michel Harenc de Presle, le 16 avril 1792 :
« 410. Idem [MEUBLES DE BOULE]. Une table à six pieds, dont les deux de devant triangulaires à consoles, sabots & bustes de femmes de ronde bosse ; ouvrant à trois tiroirs, le dessus en marqueterie et en quart de rond de bronze, avec entre jambes. Haut. 30 pouces [81 cm.], largeur 50 [135 cm.], profondeur 19 [51,3 cm.] ».
La console à six pieds ornait le grand cabinet en damas vert de Harenc de Presle au premier étage de son hôtel de la rue du Sentier, comme le laisse penser la description du guide de Thiery en 1783 qui mentionne dans cette pièce des vases posés sur des « consoles de Boule ».
D’origine hollandaise, Harenc de Presle est le fils d’un banquier parisien. Banquier à son tour, il fait l’acquisition d’une charge de secrétaire du Roi en 1743 et commence à collectionner dans ces mêmes années. Client de marchands-merciers et notamment de Lazare Duvaux, il se fournit également auprès de Charles Cressent. Un important ensemble de meubles de Boulle et d’après Boulle est ainsi constitué, certainement grâce à l’aide des marchands Julliot qui lui livrent plusieurs meubles dont l’importante paire de cabinets estampillée Dubois (vente Harenc de Presle, 16 avril 1792, lot 411, puis le 30 avril 1795, lot 259, collection van Hoorn, puis Ephrussi, puis Guerlain, Galerie Segoura, vente Christie’s, Paris, 16 décembre 2008, lot 2).
En 1792, Harenc décide de son vivant de disperser sa collection. La vente d’avril 1792 fut toutefois annulée, peut-être en raison des temps troublés, et reportée au 30 avril 1795. Notre console figure avec la même description que dans le catalogue de la vente avortée de 1792, mot pour mot (les pouces convertis en centimètres), sous le lot 258. Retirée alors de la vente, la console fut cédée, comme une bonne partie de la collection Harenc et dans des conditions inconnues, au collectionneur François-Antoine Robit (v.1762-1815).
Ancien marchand-drapier, Robit avait fait des affaires immobilières à Paris, achetant notamment un hôtel, 4 rue du Bouloy, et s’était constitué une importante collection de tableaux, meubles et objets d’art, en profitant des occasions offertes par la Révolution. Robit commença à connaître des difficultés financières dès le début des années 1800 et dut mettre en vente ses collections.
La console fut alors décrite dans les mêmes termes qu’auparavant dans le catalogue de la 1ère vente de Robit, initialement prévue le 15 Frimaire An 9 (6 décembre 1800) dans la salle de vente de Le Brun rue de Cléry :
« 299. Une table à six pieds, dont les deux de devant triangulaires à consoles, sabots et bustes de femmes de ronde bosse, ouvrant à trois tiroirs, le dessus en marqueterie, et en quart de rond de bronze avec entre jambes. Haut. 80cm, larg. 1m34cm, profond. 51cm ».
La vente fut annulée, les objets étant réengagés au Mont-de-Piété, et reportée au 11 mai 1801. Elle eut lieu au Mont-de-Piété, rue Vivienne, avec Paillet et Delaroche pour experts. La console fut alors décrite ainsi :
« 327. Une belle table à six pieds, dont les deux de devant triangulaires et à consoles sont décorés de bustes de femmes en ronde bosse ; l’entablement à trois tiroirs : le tout avec ornements de fonte dorée de bon genre et bien distribuée…200 F, Gamba (sur folle enchère à 275F de Le Brun l’Aîné) »
Ce n’est que plus de cent cinquante ans plus tard qu’on retrouve sa trace, dans l’inventaire après décès d’Anna Gould en 1961. Notons que deux numéros pourraient cependant convenir pour notre console puisque qu’Anna Gould eut deux consoles de ce modèle dans son Palais Rose de l’avenue Foch. La première décrite est, sous le numéro 692 une « Console en marqueterie, travail des Boulle du XVIIIe à trois tiroirs. Elle pose sur six pieds, dont quatre galbés ornés de cariatides, et deux à colonnettes, sur le plateau décor d'après Bérain, présentant le Triomphe de l'Amour (18,000 francs) » tandis que le numéro suivant précise « n. 693 - Autre console plus petite que la précédente, mais de même travail. Garnitures de bronzes différentes. Début du XVIIIe siècle (12,000 francs) ».