HENRI MATISSE (1869-1953)
No VAT will be charged on the hammer price, but VA… Read more La danse et les danseurs ont été d'importance capitale pour Henri Matisse, sa vie durant. Il n'a eu de cesse d'y revenir, choisissant la danse comme thème de ses projets les plus risqués et les plus ambitieux, s'identifiant à ses danseurs transformés, en quelque sorte, en doublures ou en alter ego de l'artiste lui-même. "C'est que je vis davantage dans la danse: mouvements expressifs, rythmiques, musique que j'aime bien, dit-il en guise d'explication, à la fin de sa longue vie. Elle était en moi, cette danse"1. En mars 1938, alors qu'il était dans sa soixante-dixième année, il créa Le Danseur, petit personnage rouge expressif, qui faisait partie des dessins préparatoires conçus pour le ballet L'Etrange Farandole2. La farandole était l'air dont Matisse disait: "C'était en moi comme un rythme qui me portait"3. L'air le hantait depuis le temps où, encore étudiant, il fréquentait avec d'autres jeunes peintres les ouvriers de Montmartre - avec lesquels ils partageaient le fait d'être mal payés, quand ils n'étaient pas au chômage, et de ne pas manger tous les jours à leur faim; malgré tout, tous se retrouvaient le soir dans les bals du Moulin de la Galette, laissant enfin libre cours à leur rage et à leur impuissance, tournant et sautant aux rythmes endiablés de la farandole. C'était encore l'air qu'il chantait et sifflait en 1910, en peignant l'immense panneau mural dont le collectionneur moscovite, Sergei Shchukin, lui avait passé commande: La Danse (Musée de L'Hermitage, Saint-Petersbourg) avec son cercle de silhouettes rouge sang, plus grandes que nature, qui, parfois, allaient jusqu'à effrayer Matisse lui-même. En 1931, c'est le même air qu'il se mit à nouveau à siffloter, en travaillant sur un second panneau mural aux dimensions gigantesques, appelé également La Danse (The Barnes Foundation, Philadelphie) pour le collectionneur américain, Albert Barnes. Dans les deux cas, Matisse a expliqué que la farandole faisait sortir les images de lui, à son insu, et qu'elles se matérialisaient, apparemment toutes seules, au bout de son pinceau ou de son fusain4. Ce fut Léonide Massine, l'un des premiers à voir l'oeuvre murale de Barnes achevée, qui supplia Matisse de le recréer comme décor de ballet pour Les Ballets russes de Monte Carlo5. Quand plusieurs années plus tard le peintre donna, enfin, son accord, il travailla à sa conception (comme il l'avait fait auparavant pour La Danse de Barnes) à l'aide de papiers de couleur découpés. Le Danseur appartient à une série de collages expérimentaux qui fonctionnent en autonomie, plutôt que comme chutes jetées pendant le processus de création. Pour la première fois, Matisse sculptait directement la couleur, technique qu'il allait utiliser pour les grandes gouaches découpées pendant les dernières années de sa vie, époque dont il disait que les ciseaux qu'il tenait en main étaient devenus plus sensibles que le pinceau ou le crayon6. Mais au tout début, les ciseaux montraient une certaine hésitation. La façon gauche dont il s'en sert est, en grande partie, ce qui donne à ce petit danseur trapu et compact une charge émotionnelle inattendue, comme si quelque chose de puissant, mais d'incohérent, était en train de prendre forme et remontait brutalement des profondeurs de l'imagination de son créateur. A y regarder de plus près, la première impression de fluidité et de spontanéité se dissout pour laisser apparaître tâtonnements et hésitations. Presque tous les contours de la figure en papier rouge sont rafistolés avec des bouts de papier déchirés ou coupés, collés par dessus, ou dépassant par en-dessous, pour affiner la jonction musculaire des jambes et du torse, réduire les contours de la hanche et du dos, souligner l'hésitation du bras gauche et la façon dont la jambe droite penche à angle droit en traînant vers l'arrière. Tous ces ajustements accentuent la vulnérabilité et l'isolation de la figure centrale, à l'étroit dans un cadre rectangulaire de bandes de papier peint, grises, pourpres, blanches et bleues. La superposition et l'assemblage, les petites entailles faites par les ciseaux et les taches de colle à peine visibles que l'on peut voir à l'oeuvre dans ce patchwork en papier qui a pour titre Le Danseur, nous montrent de très près le processus de création chez Matisse: à la fois le premier grand balayage au stade de la conception, et le travail qui s'ensuit, lent, précis, difficile, d'élaboration et de réalignement. Ebauche de ce qui allait, finalement, devenir le rideau du ballet L'Etrange Farandole, Le Danseur annonce, également, le thème central du ballet: "la lutte entre le côté esprit, et le côté charnel de l'homme"7, l'éternel conflit, dans l'oeuvre de Matisse, entre ligne et couleur, inhibition et instinct, la discipline impitoyable et la passion qu'elle contrôle et libère à la fois. Le ballet a dramatisé cette lutte à travers, ce que Matisse a appelé, "une musique de couleurs"8: des danseurs massés et en mouvement, rouges, bleus, jaunes, noirs et blancs, déployés sur un sol blanc architectural. C'est son autoportrait que propose Matisse, dans l'aspect gauche, pesant, de ce danseur par trop humain, qui exprime, de façon si touchante, la douleur et le poids de l'effort discipliné qui sous-tend l'entrain et la grâce, apparemment faciles, de l'artiste: entrain et grâce incarnés par l'oiseau blanc qui prend son envol dans le rectangle de ciel bleu, et son pendant noir - oiseau ou banderole en apesanteur - dans la partie supérieure de la toile. Le Danseur, collage parmi d'autres, fait partie d'un ensemble complet, produit en 1938, d'études de personnage, toutes librement inspirées d'une peinture à l'huile, de petites dimensions, du peintre italien du quinzième siècle, Antonio del Pollaiolo: Hercule et Antée (fig. 1). Ce tableau d'une extrême violence a hanté Matisse à la fin des années 1930, quand il s'est mis à craindre de ne bientôt plus pouvoir peindre à l'huile9. L'artiste, en effet, transfère peu à peu la violence du coup de grâce qu'assène Hercule à son adversaire dans la peinture de Pollaiolo, aux études qu'il conçoit pour le ballet, transformant le brutal meurtrier en personnage qui combat pour se libérer. La position agressive d'Hercule devient, somme toute, plus défensive dans Le Danseur. Une seconde ébauche, Petit danseur sur fond rouge (Collection particulière, France), développe la pose dans une courbe serpentine vigoureuse, arabesque de forme humaine vivifiante. Dans Deux Danseurs, "Rouge et Noir" (fig. 2), étude plus élaborée pour le rideau du ballet, et de très loin la plus travaillée de toute la série, les formes qui s'élèvent dans Le Danseur, se fondent pour devenir une ballerine aérienne et libérée. C'est un peu comme si les dessins prémonitoires du ballet que Matisse a faits en 1938, annonçaient un processus de renouveau de l'imagination qui, en définitive, a donné des fruits étranges. Le Danseur, inversé et retravaillé dans l'oeuvre Le Clown (fig. 3), est devenu en 1947 le frontispice de Jazz, l'un des livres imprimés les plus audacieux et les plus somptueux du vingtième siècle, où pour la première fois, Matisse a utilisé du papier découpé, peint au préalable, pour explorer le monde radieux de la lumière et de la couleur qu'il allait s'approprier, de façon magistrale, dans les grandes gouaches découpées de la dernière décennie de sa vie. 1 D. Fourcade, Henri Matisse. Ecrits et propos sur l'art, Paris, 1972, p. 63. 2 C'est le nom original du ballet présenté à Monte Carlo le 11 mai 1939, et au Palais de Chaillot à Paris le 5 juin 1939 (il a été rebaptisé Le Rouge et le Noir, plus tard, pour sa présentation à New York en 1940). Pour la date de l'oeuvre Le Danseur, voir L. Delectorskaya, L'Apparente Facilité Henri Matisse, Peintures 1835-1939, Paris, 1988, p. 271. 3 D. Fourcade, op. cit., pp. 151-152. 4 D. Fourcade, op. cit., p. 151. 5 P. Courthion, Conversations avec Henri Matisse, ouvrage non publié, Getty Center, Los Angeles, p. 88; quant au ballet, Matisse a collaboré, avec Léonide Massine, au scénario, à la chorégraphie et au choix de la musique. 6 Voir H. Spurling, Matisse the Master. A Life of Henri Matisse, 1909-1954, Londres, 2005, vol. II, pp. 429 et 494, no. 15. 7 Lydia Delectorskaya en conversation avec l'auteur, Paris, 1995. 8 D. Fourcade, op. cit., p. 154. 9 Voir L. Delectorskaya, op. cit., p. 272; et voir H. Spurling, op. cit., vol. II, pp. 353-355, 358 et 385. (fig. 1) Antonio del Pollaiolo, Ercole e Anteo, vers 1478. Galerie des Offices, Florence. (fig. 2) Henri Matisse, Deux Danseurs, vers 1937-1938. Musée National d'Art Moderne, Centre Georges Pompidou, Paris. (fig. 3) Henri Matisse, Le clown, 1943. Illustration de la couverture de Jazz.
HENRI MATISSE (1869-1953)

Le Danseur

Details
HENRI MATISSE (1869-1953)
Le Danseur
signé des initiales 'HM.' (en bas à droite)
gouache, traces de mine de plomb et papiers découpés sur papier
74.9 x 62.2 cm. (29½ x 24½ in.)
Exécuté en 1937-38
Provenance
Galerie Bayeler, Bâle.
Galerie Tarica, Paris (acquis auprès de celle-ci).
Acquis auprès de celle-ci par Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, mai 1982.
Literature
J. Guichard-Meili, Les gouaches découpées de Henri Matisse,
Paris, 1983, pl. 1 (illustré en couleur).
"La passion de l'Art: Yves Saint Laurent", in Du, no. 10, octobre 1986, p. 41 (illustré en couleur; daté '1937').
Exhibited
Paris, Musée des Arts Décoratifs, Henri Matisse: Les grandes gouaches découpées, mars-mai 1961, p. 42, no. 2 (daté '1938'). Albi, Musée Toulouse-Lautrec, Palais de la Berbie, Exposition Henri Matisse 1869-1954, juillet-septembre 1961, no. 169 (titré 'Figure de ballet').
New York, The Museum of Modern Art; The Art Institute of Chicago et The San Francisco Museum of Art, The Last Works of Henri Matisse, Large Cut Gouaches, octobre 1961-avril 1962, no. 1 (daté '1938').
Washington, D.C., National Gallery of Art; The Detroit Institute of Arts et The Saint Louis Art Museum, Henri Matisse Paper Cut-Outs, septembre 1977-mars 1978, p. 91, no. 6 (illustré).
Madrid, Fondación Juan March, Matisse: Oleos, dibujos, gouaches découpées, esculturas y libros, octobre-décembre 1980, no. 53. Hiroshima, Musée d'Art Préfectoral; Nishinomiya, Musée Otani; Kumamoto, Musée d'Art Préfectoral; Tokushima, Maison de la Culture Régionale et Kobe Shimbun, Matisse et ses amis, mars-juin 1981, no. 164 (illustré, pl. 119).
Paris, Fondation Pierre Bergé Yves Saint Laurent, Yves Saint Laurent, dialogue avec l'art, mars-octobre 2004, p. 23 (illlustré en couleur, p. 22).
Special Notice
No VAT will be charged on the hammer price, but VAT payable at 19.6% (5.5% for books) will be added to the buyer’s premium which is invoiced on a VAT inclusive basis ''For lots subject to the artist''s resale right, and marked with the ''Artist''s Resale Right symbol'' will collect from the buyer, on behalf of and in the name of the seller, a sum equal to the resale right payable on the lot. Christie''s will pay this sum on to the collecting agency, or if applicable, directly to the artist.''
Further Details
'THE DANCER'; SIGNED WITH INITIALS LOWER RIGHT; GOUACHE, TRACES OF PENCIL AND PAPER CUT-OUT ON PAPER.

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Lot Essay

Madame Wanda de Guébriant a confirmé l'authenticité de cette oeuvre.


Dance and dancers meant a great deal to Henri Matisse throughout his life. He returned to the dance again and again, choosing it as the subject of his riskiest and most ambitious projects, identifying with his dancers who became in some sense stand-ins or alter egos for the artist himself. "I feel more alive in the dance: its expressive, rhythmic movements, its music which I love," he explained towards the end of his long life. "It was inside me, that dance"1. He was in his seventieth year when he made the small, expressive, red Danseur in March, 1938, as part of his preliminary designs for the ballet called L'Etrange Farandole2.

The farandole was the tune that Matisse said was inside him, "like a rhythm that carried me along"3. It had haunted him since his student days when he and other young painters joined hands with the working people of Montmartre - all of them ill-paid and undernourished, the artists among them not only unemployed but unemployable - in an anarchic line of dancers who released their rage, misery and impotence by leaping round the floor of the Moulin de la Galette in the plunging rhythms of the farandole. He sang and whistled the tune in 1910 as he painted the huge wall panel commissioned by the Moscow collector, Sergei Shchukin: the Danse (Hermitage Museum, Saint-Petersbourg) with its ring of blood-red, leaping, larger-than-lifesize figures that sometimes frightened even Matisse himself. In 1931 he whistled the same tune again while working on a second immense wall painting, also called the Danse (The Barnes Foundation, Philadelphia), for the American collector, Albert Barnes. Matisse said that in each case the farandole drew the images out of him without conscious intent so that they materialised apparently of their own accord at the tip of his brush or stick of charcoal4. It was Lénide Massine, one of the first people to see the completed Barnes mural, who begged Matisse to recreate it as a ballet décor for Les Ballets Russes de Monte-Carlo5. When the painter finally agreed after a gap of several years, he worked out his design (as he had done for Barnes' Danse) with the help of coloured paper cut-outs.

Le Danseur is one of a series of experimental collages that function independantly in their own right, rather than as disposable off-cuts of the working process. For the first time Matisse was carving directly into colour as he would do in the majestic cut-paper constructions of his last years, by which time he said that scissors in his hands had become more sensitive even than brush or pencil6. But at this early stage his scissors were still relatively hesitant. Their clumsiness is in large part what gives this chunky, compact little Danseur an unexpected emotional charge, as if something powerful but incoherent were taking shape and thrusting its way upwards from the depths of its creator's imagination. A first impression of fluidity and spontaneity is modified on closer inspection by gropings and fumblings. Nearly all the outlines of the red paper figure have snippets of torn or cut paper glued on top, or protruding from underneath, to sharpen the muscular junction of legs and torso, narrow the contours of hip and back, emphasise the tentative left arm and the backward-dragging slant of the geometrical right leg. All these adjustments accentuate the vulnerability and isolation of the central figure, boxed in by a rectangular frame of grey, purple, white and blue strips of painted paper. The layering and piecing, the snick marks of scissors and the faint glue stains in this paper patchwork Danseur bring us very close to Matisse's creative process, both the first broad sweep of conception and the subsequent slow, precise, hard labour of afterthought and realignment.

A rough sketch for what eventually became the curtain of L'Etrange Farandole, Le Danseur is also an initial statement of the ballet's central theme, "the struggle between man's spiritual side and his carnal side"7, the perennial conflict in Matisse's work between line and colour, inhibition and instinct, relentless discipline and the passion it both controls and liberates. The ballet dramatised this struggle through what Matisse called "the music of colours"8, massed and moving red, blue, yellow, black and white dancers deployed against an architectural white ground. The artist portrays himself in the clumsy, earthbound aspect of this all-too-human Dancer, who expresses so touchingly the pain and weight of disciplined effort that lie behind the performer's apparently effortless bouyancy and grace, embodied by the white bird soaring against a rectangle of blue sky, and its black counterpart - bird or weightless streamer - in the top part of the canvas.

This is one of a whole set of collage figure studies produced in 1938, all loosely based on a small oil painting by the fifteenth-century Italian Antonio del Pollaiuolo, Ercole e Anteo (fig. 1), an image of extreme violence that increasingly preoccupied Matisse in the late 1930s when he feared that his ability to paint in oils was beginning to desert him9. The main thrust of Pollaiuolo's painting, which showed Hercules crushing the life out of his opponent, was gradually transferred in Matisse's ballet studies from the brutal killer to the figure struggling to cut free. Hercules' aggressive stance becomes altogether more defensive in The Danseur. A second sketch, Petit danseur sur fond rouge (Private collection, France), elaborates the pose into a vigorous serpentine curve, a life-giving arabesque in human form. In Deux danseurs, "Rouge et Noir" (fig. 2) - a more elaborate study for the ballet curtain, which is by far the most densely worked of this whole series - the soaring shapes from Le Danseur coalesce into a liberated, air-borne ballerina. It is as though the premonitory ballet designs Matisse made in 1938 chart a process of imaginative renewal that would eventually bear strange fruit. Le Danseur, reversed and reworked as Le Clown (fig. 3), became in 1947 the frontispiece to Jazz, one of the twentieth century's boldest and most sumptuous printed books, where for the first time Matisse used cut-and-painted paper to explore the world of radiant light and colour which he would make triumphantly his own in the great cut-paper collages of his final decade.

Notes:

1 D. Fourcade, Henri Matisse. Ecrits et propos sur l'art, Paris, 1972, p. 63.
2 The original name of the ballet, which opened in Monte Carlo 11 May, 1939, and at the Palais de Chaillot in Paris on 5 June, 1939 (it was renamed Le Rouge et le Noir only for the New York opening in 1940). For the date of Le Danseur, see L. Delectorskaya, L'Apparente Facilité Henri Matisse, Peintures 1835-1939, Paris, 1988, p. 271.
3 D. Fourcade, op. cit., pp. 151-152.
4 D. Fourcade, op. cit., p. 151.
5 P. Courthion, 'Conversations avec Henri Matisse', unpublished thesis, Los Angeles, p. 88; Matisse collaborated with Massine on the ballet's scenario, choreography and the choice of music.
6 See H. Spurling, Matisse the Master. A Life of Henri Matisse 1909-1954, London, 2005, vol. II, pp. 429 & 494, no. 15.
7 L. Delectorskaya , Lydia Delectorskaya in conversation with the author, Paris, 1995, p. 272.
8 D. Fourcade, op. cit., p. 154.
9 See L. Delectorskaya, ibid, p. 272; and see H. Spurling, ibid, pp. 353-355, 358 & 385.

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