Lot Essay
Nous remercions Monsieur Jean-Marie Cusinberche pour les informations qu'il nous a aimablement communiquées sur cette oeuvre.
A l'occasion de la 'FIAC 89' au Grand Palais, Georges Mathieu reçut l'invitation, à 68 ans, d'une exposition particulière par une galerie parisienne. Mais ce serait au premier étage et il n'y aurait pas de catalogue édité pour célébrer l'événement.
Qu'à cela ne tienne ! L'artiste releva la proposition à sa manière, c'est à dire en présentant exclusivement des oeuvres récentes, comme un triple défi :
- prouver qu'il était toujours actif - nombre de galeries l'avaient déjà exclu de leurs cimaises ;
- montrer que sa Peinture était toujours révolutionnaire, en ce Bicentenaire - nombre de critiques enseignaient que l'Abstraction Lyrique était une page de notre Histoire de l'Art dépassée, tournée, pliée ;
- crier encore ce qu'il avait à dire - nombre de commissaires, ne comprenant ni le sens ni l'intérêt des titres de ses oeuvres, les remplaçaient dans leurs ventes ou leurs expositions par l'appellation plus consensuelle de 'composition', voire de 'sans titre'.
C'est donc à plus d'un titre, qu'au cours du mois précédent l'accrochage, Mathieu réalisa treize toiles pour ce que le guide officiel mentionna comme un 'one man show'. Treize tableaux peints selon les quatre critères qu'il avait définis lors de la naissance de l'Abstraction Lyrique, en 1947, dont il se fit le promoteur et demeure le hérault.
1. PRIMAUTE ACCORDEE A LA VITESSE D'EXECUTION :
Je n'ai pas peint vite par manque de temps ou pour battre des records, mais simplement parce qu'il ne fallait pas plus de temps pour faire ce que j'avais à faire et qu'au contraire, un temps ralentissant les gestes, introduisant des doutes, auraient porté atteinte à la pureté des traits, à la cruauté des formes, à l'unité de l'oeuvre.
2. AUCUNE PREEXISTENCE DES FORMES
En supprimant les trois références majeures à la nature, à une esthétique et à une esquisse, la peinture allait permettre une plus grande rapidité d'exécution.
3. ABSENCE DE PREMEDITATION DES GESTES :
Tous mes gestes s'enchaînent et je ne peux ni les expliquer ni les modérer. Ils ont pour aboutissement une sorte d'écriture inspirée, réalisée sans aucune préméditation.
4. NECESSITE D'UN ETAT SECOND DE CONCENTRATION :
Je ne peux pas travailler quand je sais que j'ai huit mois pour faire quelque chose. C'est à la dernière minute que survient la concentration totale. Seule la concentration peut faire naître l'inédit, le sublime, l'émouvant, l'exceptionnel.
Deux, parmi les toiles exposées, sont de dimensions monumentales. L'une d'elles est titrée L'IMMORTALITE RUINEE. Elle fut peinte, dans son atelier, le 5 septembre 1989. C'était un mardi - Martis Dies - jour du dieu antique de la Guerre. C'est tout dire !
Sur un fond rouge qui exalte les couleurs de la vie, c'est-à-dire du combat pour la vie, de lourdes masses sombres et malignes viennent obscurcir le tableau comme autant de nuages d'orage et de tourmente. L'on aperçoit, cà et là, des signes bleus et jaunes couverts et recouverts, tandis qu'une écriture, couleur de sang, tente de marquer le terrain et reprendre la main. Elle trace des éclairs, catapulte des taches, fixe les lignes, inscrit toujours des signes violents et tente d'organiser la composition.
L'on imagine, lorsque le vent aura chassé les masses noires qui auront passé comme des nuages, que l'on découvrira, enfin, l'oeuvre que l'on pensait dépassée, enterrée, remplacée. Même les batteries de signes blancs - souvent couleur royale qui compte au nombre des mythes de l'artiste - qui pourraient affirmer quelque autorité, au moins une espérance, semblent ici mises à mal par les forces contraires.
L'on se souvient que le 7 mai 1975, Georges Mathieu fut le premier peintre abstrait à être élu à l'Académie des Beaux-Arts et qu'il avait déclaré, alors, l'espoir qu'il mettait à se battre au côté des Immortels...
Mais l'affaire tourna court.
Malgré une ultime Supplique à l'Académie qu'il souhaitait vivante, active, dynamique, combative, c'est par un silence glacé qu'elle accueillit le bien-fondé de ma colère, de mes contestations, de mes protestations, de mes propositions.
L'artiste considéra qu'en ruinant ses propres voeux sur le rôle que l'Académie des Beaux-Arts pourrait jouer afin de faire, du besoin absolu de Culture, la base de toute activité européenne de production, elle ruinait l'immortalité dont elle se prévalait depuis sa création royale.
Il quitta la partie, choisissant de chevaucher encore à l'avant-garde, loin de l'académisme. La toile peinte par Mathieu, L'IMMORTALITE RUINEE 1989, n'en est-elle pas un témoignage ?
Jean-Marie CUSINBERCHE
A l'occasion de la 'FIAC 89' au Grand Palais, Georges Mathieu reçut l'invitation, à 68 ans, d'une exposition particulière par une galerie parisienne. Mais ce serait au premier étage et il n'y aurait pas de catalogue édité pour célébrer l'événement.
Qu'à cela ne tienne ! L'artiste releva la proposition à sa manière, c'est à dire en présentant exclusivement des oeuvres récentes, comme un triple défi :
- prouver qu'il était toujours actif - nombre de galeries l'avaient déjà exclu de leurs cimaises ;
- montrer que sa Peinture était toujours révolutionnaire, en ce Bicentenaire - nombre de critiques enseignaient que l'Abstraction Lyrique était une page de notre Histoire de l'Art dépassée, tournée, pliée ;
- crier encore ce qu'il avait à dire - nombre de commissaires, ne comprenant ni le sens ni l'intérêt des titres de ses oeuvres, les remplaçaient dans leurs ventes ou leurs expositions par l'appellation plus consensuelle de 'composition', voire de 'sans titre'.
C'est donc à plus d'un titre, qu'au cours du mois précédent l'accrochage, Mathieu réalisa treize toiles pour ce que le guide officiel mentionna comme un 'one man show'. Treize tableaux peints selon les quatre critères qu'il avait définis lors de la naissance de l'Abstraction Lyrique, en 1947, dont il se fit le promoteur et demeure le hérault.
1. PRIMAUTE ACCORDEE A LA VITESSE D'EXECUTION :
Je n'ai pas peint vite par manque de temps ou pour battre des records, mais simplement parce qu'il ne fallait pas plus de temps pour faire ce que j'avais à faire et qu'au contraire, un temps ralentissant les gestes, introduisant des doutes, auraient porté atteinte à la pureté des traits, à la cruauté des formes, à l'unité de l'oeuvre.
2. AUCUNE PREEXISTENCE DES FORMES
En supprimant les trois références majeures à la nature, à une esthétique et à une esquisse, la peinture allait permettre une plus grande rapidité d'exécution.
3. ABSENCE DE PREMEDITATION DES GESTES :
Tous mes gestes s'enchaînent et je ne peux ni les expliquer ni les modérer. Ils ont pour aboutissement une sorte d'écriture inspirée, réalisée sans aucune préméditation.
4. NECESSITE D'UN ETAT SECOND DE CONCENTRATION :
Je ne peux pas travailler quand je sais que j'ai huit mois pour faire quelque chose. C'est à la dernière minute que survient la concentration totale. Seule la concentration peut faire naître l'inédit, le sublime, l'émouvant, l'exceptionnel.
Deux, parmi les toiles exposées, sont de dimensions monumentales. L'une d'elles est titrée L'IMMORTALITE RUINEE. Elle fut peinte, dans son atelier, le 5 septembre 1989. C'était un mardi - Martis Dies - jour du dieu antique de la Guerre. C'est tout dire !
Sur un fond rouge qui exalte les couleurs de la vie, c'est-à-dire du combat pour la vie, de lourdes masses sombres et malignes viennent obscurcir le tableau comme autant de nuages d'orage et de tourmente. L'on aperçoit, cà et là, des signes bleus et jaunes couverts et recouverts, tandis qu'une écriture, couleur de sang, tente de marquer le terrain et reprendre la main. Elle trace des éclairs, catapulte des taches, fixe les lignes, inscrit toujours des signes violents et tente d'organiser la composition.
L'on imagine, lorsque le vent aura chassé les masses noires qui auront passé comme des nuages, que l'on découvrira, enfin, l'oeuvre que l'on pensait dépassée, enterrée, remplacée. Même les batteries de signes blancs - souvent couleur royale qui compte au nombre des mythes de l'artiste - qui pourraient affirmer quelque autorité, au moins une espérance, semblent ici mises à mal par les forces contraires.
L'on se souvient que le 7 mai 1975, Georges Mathieu fut le premier peintre abstrait à être élu à l'Académie des Beaux-Arts et qu'il avait déclaré, alors, l'espoir qu'il mettait à se battre au côté des Immortels...
Mais l'affaire tourna court.
Malgré une ultime Supplique à l'Académie qu'il souhaitait vivante, active, dynamique, combative, c'est par un silence glacé qu'elle accueillit le bien-fondé de ma colère, de mes contestations, de mes protestations, de mes propositions.
L'artiste considéra qu'en ruinant ses propres voeux sur le rôle que l'Académie des Beaux-Arts pourrait jouer afin de faire, du besoin absolu de Culture, la base de toute activité européenne de production, elle ruinait l'immortalité dont elle se prévalait depuis sa création royale.
Il quitta la partie, choisissant de chevaucher encore à l'avant-garde, loin de l'académisme. La toile peinte par Mathieu, L'IMMORTALITE RUINEE 1989, n'en est-elle pas un témoignage ?
Jean-Marie CUSINBERCHE