Lot Essay
L'art de René Magritte a ceci de singulier qu'il se plaît à dénoncer les conventions d'une tradition picturale, où son oeuvre fonctionne moins par ce qui est donné à voir, que par ce qui est donné à penser. Les tableaux de Magritte ne jouent pas sur l'émotion mais sur une forme d'indifférence visuelle, de sur-réalisme, par lequel il assume la condamnation platonicienne de l'image-leurre. La peinture n'est donc plus une fenêtre ouverte sur le monde mais un monde peint sur une fenêtre.
"Le ciel. L'on n'a pas encore poussé fort loin l'analyse de cet objet considérable. Il conviendrait d'écrire une histoire humaine du ciel, de débrouiller au cours des temps ce curieux entrelacs d'impressions, d'excitations et d'illuminations naïves (Le silence éternel), de physiques plus ou moins exactes, de minces constructions religieuses. Ici, les révélations des peintres sont rares. Et banales; que l'on ouvre une encyclopédie de la peinture. Magritte, cependant, fait exception" écrivait le poète et premier propriétaire de La Malédiction Paul Nougé en 1947 (P. Nougé, "Les points sur les lignes", in Exposition Magritte, Galerie Dietrich, Bruxelles, 1948).
Dès les années vingt, Magritte inclut dans plusieurs de ses compositions des peintures de ciel. Cette thématique se retrouvera également dans des oeuvres plus tardives. Par contre, il faudra attendre 1931, avant de trouver une oeuvre qui reprend cette thématique en soi. Dans le catalogue raisonné, rédigé par David Sylvester, l'on apprend que notre oeuvre est la seconde version de La Malédiction, peinte par Magritte vers 1936, la première ayant été exécutée par l'artiste pour son ami Claude Spaak, directeur de la Société Auxiliaire des Expositions du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, en 1931.
Dès 1928, l'on voit apparaître des panneaux représentant un ciel dans des oeuvres telles que L'usage de la parole, L'idée fixe (Staatliche Museen Preussischer Kulturbesitz, Berlin) et Au seuil de la liberté (Museum Boymans-van Beuningen, Rotterdam). Des peintures dans les peintures montrant le ciel 'encadré' apparaissent à la même époque dans des oeuvres telles que La vie secrète et Le salon de Monsieur Goulden. D'autre part, Magritte semble avoir voulu peindre un groupe d'images de ciels, semblables à ceux représentés comme "des peintures dans une peinture" quand il crée les quatre panneaux des Perfections célestes en 1930. Dans ce travail, tout comme dans La Malédiction, on éprouve le sentiment qu'un certain élément de l'univers propre à Magritte a traversé la frontière de la toile. Ou, à l'inverse, que nous sommes entrés au royaume de Magritte.
De cette toile, remplie de ciel, se dégage une absurdité discrète. Le monde qui entoure ce ciel manque cruellement de système de référence. Si le ciel, qui constitue par ailleurs une thématique courante dans l'histoire de l'art, a souvent été peint par de nombreux artistes, sur des plafonds par exemple, et faisant partie d'une plus grande composition, Magritte, quant à lui questionne la représentation du ciel comme nous le faisons avec des marines ou des paysages. Intrigué, le spectateur se torture l'esprit à imaginer ce qu'il y a à voir dans ce ciel manifestement vide. Ici, le sens du tableau réside moins dans la résolution de l'énigme, que dans l'exercice mental qu'il propose au spectateur. Cet exercice mental ne peut être une expérience rétinienne exclusivement, mais suscitera également l'intérêt de la matière grise, notre appétit de compréhension. La Malédiction ne serait-elle pas celle qui condamne notre regard à la quête sempiternelle d'un au-delà de la surface des choses?
René Magritte's art is marked by a desire to reject the conventions of pictorial tradition. The power of his work lies not so much in what it shows, but in the thoughts it provokes. Magritte's painting does not aim to arouse emotion but a form of visual indifference, sur-realism, through which it assumes the Platonic condemnation of the image-illusion. The painting is therefore no longer an open window on the world but a world painted on a window.
"The sky. Analysis of this considerable object has still not advanced very far. A human history of the sky should be written, to untangle over the course of time this curious labyrinth of impressions, provocations and nave insights (The eternal silence), more or less exact physics, slender religious constructions. Here, revelations by painters are rare. And banal if you look through an encyclopaedia of painting. Magritte, however, is an exception," wrote the poet and first owner of La Malédiction (The Curse), Paul Nougé, in 1947 (P. Nougé, "Les points sur les lignes", in Exposition Magritte, Galerie Dietrich, Brussels, 1948).
Magritte included painting of the sky in several of his compositions during the 1920s. He would also return to the theme in later works. But it was not until 1931 that a painting focused entirely on this theme. In the Catalogue raisonné drawn up by David Sylvester, we learn that our work is the second version of La Malédiction, painted by Magritte in around 1936, the first having been produced by the artist for his friend Claude Spaak, director of the Société Auxiliaire des Expositions for the Palais des Beaux-Arts in Brussels, en 1931.
In 1928, panels began to appear representing a sky in works such as L'usage de la parole (Use of Speech), L'idée fixe (The Fixed Idea; Staatliche Museen Preussischer Kulturbesitz, Berlin) and Au seuil de la liberté (On the Threshold of Freedom; Museum Boymans-van Beuningen, Rotterdam). Paintings-within-paintings showing the sky 'framed' occurred around this time in works including La Vie Secrète (The Secret Life) and Le Salon de Monsieur Goulden (Mr Goulden's Drawing Room). And Magritte then appears to have chosen to paint a group of sky-pictures similar to those featuring as paintings-within-a-painting in those two works, when he created the four-panelled Les Perfections Célestes (Celestial Perfections) in 1930. In that work, as in La Malédiction, there is the implication that some element from within Magritte's own universe has leapt into our dimension, has crossed the boundary of the canvas. Or, instead, that we have entered Magritte's realm.
From this canvas, full of sky, emanates a discreet absurdity. The world surrounding the sky desperately lacks any system of reference. Although the sky, an ongoing theme in the history of art, has been painted often by many artists, on ceilings for example, and as part of a larger composition, Magritte questions how the sky is represented in seascapes and landscapes. Intrigued, the spectator strives in vain to imagine what there is to be seen in this manifestly empty sky. Here, the painting's meaning lies less its resolution of the enigma, as in the mental exercise it sets the spectator. This mental exercise cannot be an exclusively visual experience, but will also involve the grey matter, our desire to comprehend. From this perspective, isn't La Malédiction a reference to The Curse which condemns our gaze to perpetually seek what lies beyond the surface of things?
"Le ciel. L'on n'a pas encore poussé fort loin l'analyse de cet objet considérable. Il conviendrait d'écrire une histoire humaine du ciel, de débrouiller au cours des temps ce curieux entrelacs d'impressions, d'excitations et d'illuminations naïves (Le silence éternel), de physiques plus ou moins exactes, de minces constructions religieuses. Ici, les révélations des peintres sont rares. Et banales; que l'on ouvre une encyclopédie de la peinture. Magritte, cependant, fait exception" écrivait le poète et premier propriétaire de La Malédiction Paul Nougé en 1947 (P. Nougé, "Les points sur les lignes", in Exposition Magritte, Galerie Dietrich, Bruxelles, 1948).
Dès les années vingt, Magritte inclut dans plusieurs de ses compositions des peintures de ciel. Cette thématique se retrouvera également dans des oeuvres plus tardives. Par contre, il faudra attendre 1931, avant de trouver une oeuvre qui reprend cette thématique en soi. Dans le catalogue raisonné, rédigé par David Sylvester, l'on apprend que notre oeuvre est la seconde version de La Malédiction, peinte par Magritte vers 1936, la première ayant été exécutée par l'artiste pour son ami Claude Spaak, directeur de la Société Auxiliaire des Expositions du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, en 1931.
Dès 1928, l'on voit apparaître des panneaux représentant un ciel dans des oeuvres telles que L'usage de la parole, L'idée fixe (Staatliche Museen Preussischer Kulturbesitz, Berlin) et Au seuil de la liberté (Museum Boymans-van Beuningen, Rotterdam). Des peintures dans les peintures montrant le ciel 'encadré' apparaissent à la même époque dans des oeuvres telles que La vie secrète et Le salon de Monsieur Goulden. D'autre part, Magritte semble avoir voulu peindre un groupe d'images de ciels, semblables à ceux représentés comme "des peintures dans une peinture" quand il crée les quatre panneaux des Perfections célestes en 1930. Dans ce travail, tout comme dans La Malédiction, on éprouve le sentiment qu'un certain élément de l'univers propre à Magritte a traversé la frontière de la toile. Ou, à l'inverse, que nous sommes entrés au royaume de Magritte.
De cette toile, remplie de ciel, se dégage une absurdité discrète. Le monde qui entoure ce ciel manque cruellement de système de référence. Si le ciel, qui constitue par ailleurs une thématique courante dans l'histoire de l'art, a souvent été peint par de nombreux artistes, sur des plafonds par exemple, et faisant partie d'une plus grande composition, Magritte, quant à lui questionne la représentation du ciel comme nous le faisons avec des marines ou des paysages. Intrigué, le spectateur se torture l'esprit à imaginer ce qu'il y a à voir dans ce ciel manifestement vide. Ici, le sens du tableau réside moins dans la résolution de l'énigme, que dans l'exercice mental qu'il propose au spectateur. Cet exercice mental ne peut être une expérience rétinienne exclusivement, mais suscitera également l'intérêt de la matière grise, notre appétit de compréhension. La Malédiction ne serait-elle pas celle qui condamne notre regard à la quête sempiternelle d'un au-delà de la surface des choses?
René Magritte's art is marked by a desire to reject the conventions of pictorial tradition. The power of his work lies not so much in what it shows, but in the thoughts it provokes. Magritte's painting does not aim to arouse emotion but a form of visual indifference, sur-realism, through which it assumes the Platonic condemnation of the image-illusion. The painting is therefore no longer an open window on the world but a world painted on a window.
"The sky. Analysis of this considerable object has still not advanced very far. A human history of the sky should be written, to untangle over the course of time this curious labyrinth of impressions, provocations and nave insights (The eternal silence), more or less exact physics, slender religious constructions. Here, revelations by painters are rare. And banal if you look through an encyclopaedia of painting. Magritte, however, is an exception," wrote the poet and first owner of La Malédiction (The Curse), Paul Nougé, in 1947 (P. Nougé, "Les points sur les lignes", in Exposition Magritte, Galerie Dietrich, Brussels, 1948).
Magritte included painting of the sky in several of his compositions during the 1920s. He would also return to the theme in later works. But it was not until 1931 that a painting focused entirely on this theme. In the Catalogue raisonné drawn up by David Sylvester, we learn that our work is the second version of La Malédiction, painted by Magritte in around 1936, the first having been produced by the artist for his friend Claude Spaak, director of the Société Auxiliaire des Expositions for the Palais des Beaux-Arts in Brussels, en 1931.
In 1928, panels began to appear representing a sky in works such as L'usage de la parole (Use of Speech), L'idée fixe (The Fixed Idea; Staatliche Museen Preussischer Kulturbesitz, Berlin) and Au seuil de la liberté (On the Threshold of Freedom; Museum Boymans-van Beuningen, Rotterdam). Paintings-within-paintings showing the sky 'framed' occurred around this time in works including La Vie Secrète (The Secret Life) and Le Salon de Monsieur Goulden (Mr Goulden's Drawing Room). And Magritte then appears to have chosen to paint a group of sky-pictures similar to those featuring as paintings-within-a-painting in those two works, when he created the four-panelled Les Perfections Célestes (Celestial Perfections) in 1930. In that work, as in La Malédiction, there is the implication that some element from within Magritte's own universe has leapt into our dimension, has crossed the boundary of the canvas. Or, instead, that we have entered Magritte's realm.
From this canvas, full of sky, emanates a discreet absurdity. The world surrounding the sky desperately lacks any system of reference. Although the sky, an ongoing theme in the history of art, has been painted often by many artists, on ceilings for example, and as part of a larger composition, Magritte questions how the sky is represented in seascapes and landscapes. Intrigued, the spectator strives in vain to imagine what there is to be seen in this manifestly empty sky. Here, the painting's meaning lies less its resolution of the enigma, as in the mental exercise it sets the spectator. This mental exercise cannot be an exclusively visual experience, but will also involve the grey matter, our desire to comprehend. From this perspective, isn't La Malédiction a reference to The Curse which condemns our gaze to perpetually seek what lies beyond the surface of things?