Emile-Jacques Ruhlmann (1879-1933) pour André Tardieu (1876-1945)
EMILE-JACQUES RUHLMANN ET LE BUREAU 'TARDIEU' L'année 1929 est une année charnière pour les arts décoratifs français, témoin de la scission officielle entre les 'Modernistes' et les tenants de la Tradition. Cette même année Emile-Jacques Ruhlmann et son neveu Alftred Porteneuve sont les organisateurs délégués du Salon, tandis que Djo-Bourgeois est membre du comité chargé de son architecture. Choix de personnalités qui à elles seules suggèrent des frontières peut-être plus perméables, qu'elles ne sont communément admises, entre ces deux univers. L'ensemble que Ruhlmann présente dans le cadre de ce XIXème Salon est emblématique de l'évolutionde son style à la fin des années 1920. Il apprend que le jeune prince héritier indien Yeswant Rao Holkar Bahadur, futur maharadjah d'Indore, est en voyage en Europe, à la rencontre des architectes et décorateurs, auxquels il confiera la conception et l'aménagement de son palais 'Manik Bagh', dès l'année suivante en 1930. Formé et éduqué en Europe, c'est un fervent adepte de la modernité occidentale. Ruhlmann va concevoir un projet qui lui est virtuellement destiné, le 'Studio-Chambre du prince héritier d'un vice roi des Indes à la Cité Universitaire'. Dans un vaste espace très haut de plafond, dominé par une immense carte géographique des Indes, Ruhlmann surprend en mettant en scène un mobilier innovant, à la pureté des lignes et des surfaces soulignée par la monochromie d'une laque cellulosique Duco noire, que seuls les reflets contrastés des éléments et accessoires en bronze chromé et verre animent. Il renonce ici à tout placage de bois rare, de marqueterie d'ivoire ou de matériau précieux propres à une conception classique du mobilier. Ce studio, complété d'une chambre, organisé en zones spécifiques dédiées à l'étude, au repos, à la lecture, à la conversation, à la musique, tend à répondre à tous les besoins d'un jeune homme de la condition d'un prince moderne. Majestueuse pièce maçtresse de cet ensemble, le bureau, placé devant une large rotonde vitrée, témoigne, au même titre que l'ensemble des pièces exposées - dont la remarquable chaise longue (lot 18) mécanisée montée sur skis - de l'inspiration moderniste du décorateur à ce stade de sa carrière. Ruhlmann fait preuve d'une impressionnante capacité à se renouveler, à s'adapter à l'évolution de son temps, sans rien abandonner de ce qui fait sa marque : raffinement, sens du détail, sophistication, alliant brillamment principe de fonctionnalité et élégance naturelle. Il démontre qu'il est conscient des besoins de l'homme moderne, équipant son bureau de façon tout aussi confortable que pratique : le plateau porte une lampe à bras articulé, des casiers à courrier, des encriers, le tout intégré ; une corbeille à papier pivotante est suspendue à l'un des caissons de tiroirs ; un repose-pieds chauffant contribue au confort de l'usager. Le piétement du fauteuil est équipé quant à lui d'un système de suspension de voiture, qui lui confère également confort, souplesse et maniabilité, tout en devenant un élément plastique à part entière. La critique réservera un accueil favorable à Ruhlmann. René Chavance, dans son article dédié au XIXème Salon des Artistes Décorateurs, dans 'Art et Décoration', juillet 1929, remarque que ses dernières créations conservent les qualités d'élégance et de justesse des proportions si caractéristiques du décorateur. Le jeune prince héritier d'Indore commandera le modèle de bureau et son fauteuil, ainsi qu'une bibliothèque à caissons, exécutés en placage d'ébène de Macassar. Quant à notre exemplaire de bureau et son siège, ceux-là mêmes exposés au Salon des Artistes Décorateurs de 1929, ils seront acquis par André Tardieu (1876-1945), figure politique et sociale de la France de l'entredeux guerres. EMILE-JACQUES RUHLMANN AND THE 'TARDIEU' DESK 1929 was a pivotal year in the story of the applied arts in France, evidenced in the formal rupture between the Modernists and those who clung to tradition. In that year Emile-Jacques Ruhlmann and his nephew Alfred Porteneuve were entrusted with the organisation of the Salon, while Djo-Bourgeois was the committee member responsible for its architecture. These contrasting appointments would suggest that the boundaries between partisans of the two camps were somewhat more fluid than is generally acknowledged. Ruhlmann's exhibit for this XIXth Salon was emblematic of the evolution within his approach towards the close of the decade. He had heard of the travels in Europe of the young Indian prince Yeswant Rao Holkar Bahadur, the future Maharadja of Indore, and of his desire to locate the architects and designers to whom he could entrust the design and furnishing of his palace, Manik Bagh, on which work was to start the following year. Educated in Europe, the prince was a fervent admirer of western Modernism. As if with the prince in mind, Ruhlmann created his 'Studio-Chambre du prince héritier d'un vice roi des Indes à la Cité Universitaire'. In a vast and lofty space, with one wall taken up by a giant map of India, Ruhlmann installed a surprising suite of furniture - innovative is its purity of line and its sleekness of surface, a dramatic simplicity emphasised by the black Duco lacquer against which the only counterpoint was the chromed metal and glass of fittings and accessories. Here, he had turned his back on rare woods, ivory inlays or exotic materials traditionally associated with fine furniture. This suite, complemented by a room with areas dedicated to specific functions - study, sleep, reading, conversation or music - endeavoured to satisfy all the potential needs of a modern prince. The majestic piece that dominated this scheme was the great desk, set before a broad glazed rotund and epitomising - together with all of this furniture and notably the mechanized chaise longue on skis (lot 18) - the Modernist thinking that infused the artist's work at this point in his career. Ruhlmann demonstrated an impressive ability to renew his approach, ever in tune with the times yet never compromising the instinctive refinement and sophistication, nor the subtle eye for detail that defined him, and brilliantly synthesizing functionalism and elegance. He proved his sensitivity to contemporary expectations, ensuring that his desk was as practical as it was comfortable, fitting it with an articulated lamp, letter trays, inkwells, a waste-paper basket swivelling from one of the plinths of drawers and a heated foot-rest. The desk chair pivots freely on an exposed mechanical spring joint that allows flexibility while adding a sculptutal punctuation mark. Critics reacted positively to Ruhlmann's designs. René Chavance, reviewing the XIXème Salon des Artistes Décorateurs in Art et Décoration, July 1929, observed that these new creations preserved all the qualities of elegance and fine proportion associated with the designer. The young prince, heir to Indore, ordered a desk and chair and a set of storage caminets in Macassar ebony. The present desk and its chair, the very pieces shown in the Salon des Artistes Décorateurs in 1929 were acquired by André Tardieu (1876-1945), a significant political and social figure in France between the wars.
Emile-Jacques Ruhlmann (1879-1933) pour André Tardieu (1876-1945)

BUREAU ET SON FAUTEUIL 'TARDIEU', 1929

Details
Emile-Jacques Ruhlmann (1879-1933) pour André Tardieu (1876-1945)
Bureau et son fauteuil 'Tardieu', 1929
En laque noire et bronze chromé, le bureau à plateau semi-circulaire, agrémenté d'une lampe à rotule articulée, aménagé d'un écritoire rectangulaire gainé de cuir brun-orangé, d'un porte-stylo en creux flanqué de deux encriers en marbre et de cinq casiers rayonnants amovibles en padouk massif fermés d'une plaque de verre, reposant sur deux caissons latéraux formant pieds, les faces internes dotées de deux supports téléphoniques, ouvrant à gauche par cinq tiroirs, les poignées en bronze chromé, une corbeille à papier ajourée attenante et pivotante le long de l'arête avant gauche, le caisson de droite muni d'un casier ouvrant par une porte-rideau et d'un tiroir à la partie inférieure, les bases en décroché serties de bronze chromé, réunies par un chauffe-pieds à bascule en demi-lune ; le fauteuil pivotant, entièrement gainé de cuir noir, reposant sur un pied à mécanisme en métal patiné noir, la base circulaire en laiton chromé
Le bureau : Hauteur : 76,3 cm. (30 1/8 in.) ; Longueur : 266 cm. (104¾ in.) ; Largeur : 150 cm. (59 1/8 in.)
Le fauteuil : Hauteur : 82 cm. (32¼ in.) ; Largeur : 60 cm. (23 5/8 in.) ; Profondeur : 54 cm. (21¼ in.)
Le bureau signé 'Ruhlmann' au fer dans la laque au revers du plateau avec la marque de l'atelier 'B' cerclée vers un caisson ; le fauteuil portant la marque de l'atelier 'B' à l'arrière de l'assise, sur l'élèment en bois laqué noir reposant sur le mécanisme
Provenance
M. André Tardieu, 1929 ;
Collection privée, France ;
Collection privée, États-Unis ;
Galerie DeLorenzo, New York ;
Vente Christie's, New York, Important 20th Century Decorative Arts, 8 décembre 2000, lots 107 et 108.
Literature
René Chavance, Le XIXème Salon des Artistes Décorateurs dans Art et Décoration, janvier-juin 1929, id., p. 10, pour une vue in situ dans le 'Studio pour un prince héritier' exposé au Salon des Artistes Décorateurs ;
G. Rémon, Le XIXème Salon des Artistes Décorateurs dans Mobilier et Décoration, janvier-juin 1929, id., p. 214, pour la photographie sus-citée ;
Decorative Art, Yearbook, 1930, id., pour une plubicité des Ateliers Ruhlmann illustrant la photographie sus-citée ;
Bureaux dans L'Architecture d'Aujourd'hui, janvier 1939, n. 1, Boulogne-sur-Seine, p. 1 pour un détail de la photographie sus-citée ;
Florence Camard, Jacques-Emile Ruhlmann, éditions Monelle Hayot, Saint-Rémy-en-l'Eau, 2009, p. 281.
Exhibited
Studio-Chambre du prince héritier d'un vice roi des Indes à la Cité Universitaire, Salon des Artistes Décorateurs, Paris, 1929.
Further Details
The 'Tardieu' desk and chair, the desk of black-lacquered wood and with chromed bronze mounts, the semi-circular top with adjustable desk lamp, inset leather writing surface, pen-tray, marble inkwells, and with five radiating compartments, the whole resting on two pedestals, fitted with five drawers and a tambour-shuttered compartment, one pedestal with applied waste-paper basket; the revolving and adjustable armchair upholstered in black leather, on chromed brass platform, by Emile-Jacques Ruhlmann, for André Tardieu, 1929, the desk with branded designer's mark and encircled atelier 'B' mark to underside of top, the chair with encircled atelier 'B' branded mark to underside of seat, the desk accompanied by the original certificate of garantee i

This design is registered as 1517 (current reference) in the Ruhlmann archives, Musée des Années Trente, Boulogne-Billancourt.
Président du Conseil des Ministres for three successive years between 1929 and 1932 through the Presidencies of Gaston Doumergue and Paul Doumer, André Tardieu was also President of the Artistes Décorateurs at this time. In addition to the desk, he also bought the bed, commode and pair of bedside tables exhibited by Ruhlmann, each a prototype in black Duco lacquer. A strong and very Parisian personality, André Tardieu was known for his taste for luxury and the modern, characteristics that earned him the label 'Fabulous' from Léon Daudet.

These purchases were most likely intended for the Modernist house that he had instructed architect Pierre Patout to design in 1928 in a style that evoked the look of a liner. Patout had collaborated in 1926 on the fitting of the Ile de France, then on the Atlantique in 1928, and appears to have drawn on these for inspiration in the deck-like lines of the large white house. Patout had also, between 1927 and 1928, created his friend Ruhlmann's rue de Lisbonne premises. Surviving accounts suggest that much of the furniture for the Tardieu property, known as 'The Captain's Head', matched the self-deprecating humour with which André Tardieu is credited.

We know that Ruhlmann created a dining-room suite with three-legged chairs that seem to correspond to the model 'SAD29' or 'Manqbéton' that featured in Ruhlmann's exhibit. Ruhlmann made a number of versions of this desk, differing in materials and proportions to suit specific commissions. For his own use in the rue de Lisbonne he made one in Macassar ebony like that for the Maharaja, and made a third in this wood for a Mr Fricotelle. A number of clients were taken by the model. Textile manufacturer Paul Rodier ordered one in pale oak. Three smaller versions were made for the Paris appartments of two established clients of Ruhlmann, a Mr Axelson and a Mr Van Beuninggen, the other for an Argentinian client, Mr Hotschild. An industrialist by the name of Sulzer ordered a variant with rolling shutters for the drawer units. And finally, just one year before his death, Ruhlmann made a large rectangular desk on the same principle in rosewood for the architect André Granet, who commissioned the furnishings for his offices in 1931-1932.

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Lot Essay

Cf. : G. Rémon, Les Nouveaux bureaux de MM. Rodier dans Mobilier et Décoration, janvier 1931, n. 1, id., p. 11 pour un modèle similaire ;
Ruhlmann, Genius of Art Deco, catalogue d'exposition, Musée des années 30, Boulonge-Billancourt, 15 novembre 2001-17 mars 2002, The Metropolitan Museum of Art, New-York, 10 juin-5 septembre 2004, The Montreal Museum of Fine Arts, Montréal, 30 septembre-12 décembre 2004, p. 263 pour l'exemplaire sus-cité

Le bureau référencé sous le numéro 1517 (Nouveau Référencier) dans les archives Ruhlmann, conservées au Musée des Années Trente, Boulogne-Billancourt.

Ce lot est vendu avec la facture originale du bureau.


Par trois fois Président du Conseil des Ministres entre 1929 et 1932, sous les Présidences de Gaston Doumergue et Paul Doumer, André Tardieu est aussi Président des Artistes Décorateurs à cette époque. Il achète encore le lit, la commode et les tables de chevets présentés sur le stand, autres prototypes en laque Duco noire, qui porteront aussi son nom. Personnalité au caractère trempé, très 'parisienne', André Tardieu est aussi connu pour son goût du luxe et de la modernité, qui lui vaudra d'être qualifié de 'Mirobolant' par Léon Daudet.

Il destine très probablement ses acquisitions à la maison moderniste qu'il commande à l'architecte Pierre Patout en 1928, sur les hauteurs de Menton, dans un style qui reflète l'esthétique des paquebots. Patout qui collaborera en 1926 à l'aménagement de 'L'Ile de France', puis à celui de 'L'Atlantique' en 1928, s'en inspire manifestement pour créer une vaste maison blanche à coursives. C'est aussi lui qui aménagera, à la même époque, les bureaux et les ateliers de son ami Ruhlmann, rue de Lisbonne entre 1927 et 1928. Il est probable - d'après les témoignages qui nous sont parvenus - qu'il créera une grande partie du mobilier de cette propriété dénommée 'La tête du commandant', reflétant manifestement l'humour et le sens de la dérision dont André Tardieu est crédité.

Nous savons que Ruhlmann concevra notamment la salle à manger, dont les chaises tripodes, pourraient correspondre au modèle 'SAD29' ou 'Manqbéton', exposé sur son stand en 1929.

Ruhlmann déclinera plusieurs exemplaires de ce bureau dans des matériaux et proportions différents, adaptés à la demande du commanditaire. Il l'adopte pour son propre bureau, rue de Lisbonne, en ébène de Macassar, à l'image de celui du maharadjah d'Indore, et en réalise encore un autre exemplaire dans cette même essence de bois pour monsieur Fricotelle. Le modèle séduira plus d'un d'amateur. Paul Rodier, industriel du textile, en commande un exemplaire en chêne clair. Trois exemplaires de proportions plus modestes sont réalisés respectivement pour les appartements parisiens de messieurs Axelson et Van Beuningen, clients réguliers de Ruhlmann, ainsi que pour un amateur argentin, monsieur Hotschild. L'industriel Sulzer en commande une variante aux caissons de tiroirs fermés par des portes-rideaux. Enfin Ruhlmann en adaptera encore le principe à un grand bureau droit en palissandre pour l'architecte André Granet, qui lui commande l'aménagement de ses bureaux en 1931-1932, un an avant sa disparition.

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