LOUISE BOURGEOIS (1911-2010)
LOUISE BOURGEOIS (1911-2010)

Seamstress, mistress, distress, stress

Details
LOUISE BOURGEOIS (1911-2010)
Seamstress, mistress, distress, stress
signé des initiales, titré et daté 'SEAMSTRESS MISTRESS DISTRESS STRESS LB.97' (sur la base)
acier, vêtements, caoutchouc, verre et os
281.9 x 190.5 x 190.5 (111 x 75 x 75 in.)
Réalisé en 1997.
Provenance
Cheim & Read Gallery, New York
Galerie Thaddaeus Ropac, Paris
Acquis auprès de celle-ci par le propriétaire actuel
Exhibited
Salzbourg, Max Gandolph Bibiliotek, Positionen, juillet-août 2000.
Further Details
'SEAMSTRESS, MISTRESS, DISTRESS, STRESS'; SIGNED WITH INITIALS, TITLED AND DATED ON THE BASE; STEEL, CLOTH, RUBBER, GLASS, AND BONE.

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Alexandre Carel
Alexandre Carel

Lot Essay

Cette oeuvre est enregistrée dans les archives Louise Bourgeois sous le No. BOUR-3883.


Seamstress, Mistress, Distress, Stress fait partie d'un ensemble de dix oeuvres magistrales réalisées par l'artiste entre 1996 et 1997, dont un exemplaire (Pink Days and Blue Days) figure dans les collections du Whitney Museum of American Art de New York. L'oeuv re est à la fois une synthèse des réflexions menées par l'artiste depuis ses débuts, et préfigure les quelques dix années de création intense qui suivront. Sa verticalité rappelle en effet les totems longilignes en pierre ou en bois réalisés par l'artiste dans les années d'immédiat après-guerre, tandis que l'usage du tissu est quant à lui caractéristique des travaux postérieurs, notamment les personnages rembourrés et cousus à la main, ainsi que les broderies des années 2000.

Par sa composition, Seamstress, Mistress, Distress, Stress s'inscrit dans la tradition de la sculpture contemporaine américaine d'après-guerre, et ce même si Louise Bourgeois a toujours revendiqué son indépendance vis-à-vis des principaux courants artistiques du XXe siècle. D'une part, le caoutchouc mou employé par l'artiste, ainsi que le recours au vêtement suspendu et abandonné à sa propre gravité, participe des recherches sur l'informe initiées dès le début des années 1960 par Claes Oldenburg et poursuivies par Morris Louis et ses Felt Pieces. Louise Bourgeois fait sien cet héritage qui inclut par ailleurs les premières sculptures en caoutchouc de Richard Serra et, peut-être davantage encore, les travaux d'Eva Hesse qui introduisent une dimension charnelle et sensuelle à des recherches qui, jusqu'alors, demeuraient essentiellement formelles. D'autre part, l'équilibre des masses à l'oeuvre dans Seamstress, Mistress, Distress, Stress rappelle les stabiles d'Alexander Calder: comme eux, la sculpture de Louise Bourgeois déploie ses formes dans l'espace et, ce faisant, réussit le tour de force de rendre aérienne une lourde structure d'acier.

Fidèle à son vocabulaire plastique, l'artiste réalise à travers Seamstress, Mistress, Distress, Stress une oeuvre métonymique, exhumant quelques fragments d'existence - vêtements, objets divers accumulés au cours de sa vie (parmi lesquels un coeur sur lequel figure le prénom Louise),oblongue forme phallique en caoutchouc rose - qui renvoient à la constellation familiale de l'artiste, et plus précisment aux trois pôles qui la structurent: la mère, le père et la maîtresse de celui-ci. Le titre de l'oeuvre (que l'on retrouve dans un dessin réalisé à la même époque) fait lui aussi écho à cette généalogie et au traumatisme qu'il incarne pour l'artiste. Seamstress ("la couturière" en anglais) est une évocation de la mère, que Louise Bourgeois, enfant, avait l'habitude de voir réparer des tapisseries dans l'entreprise familiale de restauration. Qu'elle soit Fée couturière ou qu'elle emprunte les traits d'une araignée tissant sa toile protectrice, la figure maternelle réapparaît de façon constante au travers de l'oeuvre de l'artiste. L'irruption de la maîtresse, Sadie, et l'inquiétante présence de l'élément phallique, introduisent une tension délétère au coeur du foyer familial. Prise en étau entre ces éléments, l'accumulation d'objets paraît bien frêle et renvoie aux angoisses de Louise Bourgeois face au drame qui se trame devant ses yeux d'enfant.

Le vêtement se fait ici témoin: il imprime un souvenir, fige une odeur et ravive des sensations enfouies. Sa présence diaphane suggère un temps passé que l'artiste cherche à retrouver. Sa fonction commémorative est ici accentuée par la présence de l'os, venu se substituer au cintre de métal. Faisant le lien entre ces reliques, la structure en acier suggère une présence squelettique, celle de l'artiste devenue adulte, et qui se met littéralement à nu en exécutant cette sculpture (on retrouve ici la façon dont Man Ray s'était, déjà, amusé à figurer le corps féminin en porte-manteau dans Coat Stand, introduisant une réflexion sarcastique quant à la représentation de la femme dans la société). Dès lors, à mi-chemin entre tragédie intime et drame universel, Seamstress, Mistress, Distress, Stress fait figure de memento mori, traquant les traces d'un passé enseveli au travers d'objets quotidiens, qui nous remémorent ce que nous avons été, pour mieux saisir ce que nous sommes devenus. "On peut refaire l'histoire de sa vie en ne retenant que les formes, les couleurs et le poids des habits qu'on a dans son placard. C'est comme le temps qu'il fait ou l'océan - ça change tout le temps" (Louise Bourgeois citée in M.-L. Bernadac et J. Storsve, Louise Bourgeois, Paris, 2008, p. 306).

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