Lot Essay
Cette oeuvre est enregistrée dans les archives Serge Poliakoff sous le No. 953016.
"Quand il arrive en France, en 1923, cet exilé de Russie qui attendit quarante ans pour se faire naturaliser Français, fréquente comme nombre de ses compatriotes Montparnasse où se rencontrent encore les 'grands' de l'École de Paris d'avant-guerre. Poliakoff, ce n'est pas un secret, gagne sa vie en jouant de la guitare dans des cabarets russes ou des films... mais la peinture le passionne et, après quelques années d'études à Paris et à Londres, la rencontre de Kandinsky, de Robert et Sonia Delaunay, de Freundlich, l'amène peu à peu à l'abstraction vers 1938.
C'est après la guerre surtout que son style si personnel se développe et s'approfondit. Il y allie une très grande sensibilité de la matière, traitée par touches superposées qui donnent à ses couleurs - mates le plus souvent - une densité et une vibration intérieure puissante, à des formes amples qui ne relevaient pas de la géométrie et pourtant ne devaient rien au monde connu. Totalement inventées, semble-t-il (et cependant il m'est arrivé souvent en les contemplant de songer aux murs incas), ces formes simples, presque primaires...mais leur assemblage, sans cesse renouvelé, leur aspect de puzzle éternel auquel l'artiste semblait s'être voué-ce jeu d'échecs avec soi-même-leur donnait invinciblement une dimension métaphysique que le spectateur, même non prévenu, ne pouvait pas ne pas ressentir. Un langage plastique, certes, et des plus originaux-son oeuvre reste unique dans la création de cette époque: un Poliakoff se reconnait à une lieue, il ne peut être confondu avec aucune autre peinture et c'est là la marque des meilleurs. Mais aussi un contenu intérieur, une vibration sourde, inexplicable, qui me faisait écrire en 1954 que dans ces oeuvres 'on découvre une présence, non seulement une personnalité, mais une personne.' La nécessité de cette vibration, Poliakoff en avait eu la confirmation en 1952 lorsqu'il vit pour la première fois le fameux Carré blanc sur fond blanc de Malévitch: 'Il m'a démontré une fois de plus le rôle capital de la vibration de la matière. Même s'il n'y a pas de couleur, un tableau où la matière vibre reste vivant.'
Peu de peintres ont, comme lui, suscité l'attention des critiques les plus divers et l'allégeance inconditionnelle (trop inconditionnelle parfois) des amateurs et des marchands. Dès ses premières expositions 'abstraites', il est remarqué et reçoit en 1947 le prix Kandinsky. Ses envois aux Réalités Nouvelles puis au Salon de Mai sont attendus et commentés. Il poursuivra imperturbablement son chemin sans se soucier des oppositions qu'il suscite parmi les abstraits 'durs' et l'assurance de sa démarche peut se résumer en cette phrase capitale qui résonne étrangement dans notre époque de plagiaires éhontés: 'Si j'étais resté toute ma vie dans une cave, j'aurais peint les mêmes tableaux.'" (G. Bonnefoi, Les années fertiles 1940-1960, Paris, 1988, p. 168-169.)
"Quand il arrive en France, en 1923, cet exilé de Russie qui attendit quarante ans pour se faire naturaliser Français, fréquente comme nombre de ses compatriotes Montparnasse où se rencontrent encore les 'grands' de l'École de Paris d'avant-guerre. Poliakoff, ce n'est pas un secret, gagne sa vie en jouant de la guitare dans des cabarets russes ou des films... mais la peinture le passionne et, après quelques années d'études à Paris et à Londres, la rencontre de Kandinsky, de Robert et Sonia Delaunay, de Freundlich, l'amène peu à peu à l'abstraction vers 1938.
C'est après la guerre surtout que son style si personnel se développe et s'approfondit. Il y allie une très grande sensibilité de la matière, traitée par touches superposées qui donnent à ses couleurs - mates le plus souvent - une densité et une vibration intérieure puissante, à des formes amples qui ne relevaient pas de la géométrie et pourtant ne devaient rien au monde connu. Totalement inventées, semble-t-il (et cependant il m'est arrivé souvent en les contemplant de songer aux murs incas), ces formes simples, presque primaires...mais leur assemblage, sans cesse renouvelé, leur aspect de puzzle éternel auquel l'artiste semblait s'être voué-ce jeu d'échecs avec soi-même-leur donnait invinciblement une dimension métaphysique que le spectateur, même non prévenu, ne pouvait pas ne pas ressentir. Un langage plastique, certes, et des plus originaux-son oeuvre reste unique dans la création de cette époque: un Poliakoff se reconnait à une lieue, il ne peut être confondu avec aucune autre peinture et c'est là la marque des meilleurs. Mais aussi un contenu intérieur, une vibration sourde, inexplicable, qui me faisait écrire en 1954 que dans ces oeuvres 'on découvre une présence, non seulement une personnalité, mais une personne.' La nécessité de cette vibration, Poliakoff en avait eu la confirmation en 1952 lorsqu'il vit pour la première fois le fameux Carré blanc sur fond blanc de Malévitch: 'Il m'a démontré une fois de plus le rôle capital de la vibration de la matière. Même s'il n'y a pas de couleur, un tableau où la matière vibre reste vivant.'
Peu de peintres ont, comme lui, suscité l'attention des critiques les plus divers et l'allégeance inconditionnelle (trop inconditionnelle parfois) des amateurs et des marchands. Dès ses premières expositions 'abstraites', il est remarqué et reçoit en 1947 le prix Kandinsky. Ses envois aux Réalités Nouvelles puis au Salon de Mai sont attendus et commentés. Il poursuivra imperturbablement son chemin sans se soucier des oppositions qu'il suscite parmi les abstraits 'durs' et l'assurance de sa démarche peut se résumer en cette phrase capitale qui résonne étrangement dans notre époque de plagiaires éhontés: 'Si j'étais resté toute ma vie dans une cave, j'aurais peint les mêmes tableaux.'" (G. Bonnefoi, Les années fertiles 1940-1960, Paris, 1988, p. 168-169.)