SERGE POLIAKOFF (1900-1969)
SERGE POLIAKOFF (1900-1969)

Composition abstraite

Details
SERGE POLIAKOFF (1900-1969)
Composition abstraite
signé 'SERGE POLIAKOFF' (en bas à droite)
huile sur panneau
60 x 73 cm. (23 5/8 x 28¾ in.)
Peint en 1949.
Provenance
Galerie Denise René, Paris
Galerie Ariel, Paris
Galerie Mathias Fels, Paris
Galerie Darga & Lansberg, Paris
Literature
G. Durozoi, Monographie, Vol I 1900-1954, Paris, 2005 (illustré en couleurs p. 247).
A. Poliakoff, Serge Poliakoff, Catalogue Raisonné 1922-1954, Paris, 2004, No. 49-06 (illustré en couleurs p. 321).
Exhibited
Paris, Salon des Réalités Nouvelles, 1949.
Further Details
'COMPOSITION ABSTRAITE'; SIGNED LOWER RIGHT; OIL ON PANEL.

Brought to you by

Alexandre Carel
Alexandre Carel

Lot Essay

Un certificat d'authenticité de M. Alexis Poliakoff sera remis à l'acquéreur.
L'oeuvre est inscrite aux Archives Serge Poliakoff sous le No. 950008.
La peinture de Serge Poliakoff est le résultat d'une longue maturation - amorcée dès son arrivée à Paris, en 1932 - qui trouve sa pleine expression à partir de 1948, ne cessant cependant d'être perpétuellement discutée par l'artiste. La période de formation du peintre est marquée par plusieurs rencontres déterminantes au cours de son apprentissage, notamment un premier contact avec l'abstraction à travers Kandinsky qui l'encourage à poursuivre ses recherches. Néanmoins, Poliakoff ne se sent pas proche de cette peinture qu'il juge trop froide et scientifique et se trouve plus d'affinités avec une autre figure de l'abstraction, Otto Freundlich, dont la peinture fondée sur une juxtaposition de plans colorés relevant la fois de l'organique et du géométrique le touche de façon plus intense. Ainsi, dès 1937, à l'image de Bandes colorées, il s'intéresse à la couleur et semble progressivement vouloir rompre avec la figuration classique. Pour autant, ce n'est que vers 1946 qu'il franchit le pas décisif de l'abstraction sans retour possible. Cette année-là, une critique de Charles Estienne parue dans Combat et qui souligne l'aspect décoratif de sa peinture, parlant de "folklore pictural", le pousse à une profonde remise en cause et à recentrer son travail, à l'épurer, allant jusqu'à une quasi monochromie. La rupture est cruciale mais récompensée puisqu'il reçoit en 1947 le Prix Kandinsky et rentre pour la première fois dans des collections publiques en 1948, le Musée de Grenoble s'étant porté acquéreur d'une de ses toiles.
L'année 1949 marque une accélération dans le processus de reconnaissance du peintre, présent depuis 1948 chez Denise René, où plusieurs expositions lui sont consacrées. Par ailleurs, il obtient sa première exposition personnelle à l'étranger, à la Galerie Tokanten de Copenhague, et est exposé au Musée d'Art Moderne de Sao Paulo, à l'initiative de Léon Degand. Surtout il participe au Salon des Réalités Nouvelles où Composition abstraite est présentée pour la première fois. Son oeuvre atteint une maturité, renonçant à l'abstraction géométrique "froide" et trouvant un langage pictural propre qu'il ne va cesser d'approfondir par la suite. "Je sentais que la géométrie n'est pas bonne pour ma peinture", confie-t-il ainsi à Gindertael, "le moment était venu de m'exprimer dans un langage de couleurs".
Composition abstraite est emblématique de cette recherche constante d'aller à l'essentiel du sujet, de la forme ou de la matière. Poliakoff rejette toute forme d'inspiration liée à l'observation du monde au profit d'une inspiration intérieure, qu'il estime fondamentale. Ce refus de la nature révèle sa détermination à trouver sa propre voie, en répondant à une impulsion face à la toile. Il fait le choix d'aller vers son propre univers, comme il l'a expliqué: "Beaucoup de gens disent que dans la peinture abstraite il n'y a rien. Quant à moi, je sais que si ma vie était trois fois plus longue, elle n'aurait pas suffi à dire tout ce que je vois". La construction de sa composition passe, par conséquent, par la résolution de la forme - trame de la toile - qui se trouve ici la fois organique et géométrique, comme "coupée aux ciseaux".
Poliakoff établit la composition en partant des angles de la toile et chaque plan de couleur ainsi réalisé va déterminer le plan d'à côté, dans une construction tournée vers l'intérieur du tableau. Composition abstraite offre une composition centrée sur les deux formes principales, l'une rouge, l'autre bleu-gris, qui s'imbriquent entre elles et vers lesquelles semblent converger l'ensemble des autres formes du tableau. L'équilibre entier de la construction repose sur cet emboîtement naturel des formes dont se dégage comme une tension apaisée. Poliakoff pense en effet que "quand un tableau est silencieux, cela signifie qu'il est réussi [...], une forme doit s'écouter et non pas se voir". Pour John Russell, cette spécificité de la construction du tableau chez l'artiste est peut-être à rechercher du côté de l'enfance de celui-ci, alors qu'il contemplait de manière presque quotidienne les icônes des églises. Le fond doré de celles-ci a tendance à écraser la forme centrale et à découper une succession de formes qui oblitèrent la figure centrale au profit des champs de couleurs. Quoiqu'il en soit, il est indéniable que la lumière de ces icônes nous renvoie à la lumière de la couleur de Poliakoff.
La recherche picturale de celui-ci est considérable si l'on prend en compte le travail accompli pour parvenir à produire une telle intensité dans ses couleurs. Poliakoff avait l'habitude de créer les siennes, jouant sur les pigments et les liants afin de parvenir à la tonalité souhaitée, celle qui parvient à produire "le silence" recherché. Il s'applique à faire voisiner des teintes claires, ici les tons de jaune et d'orange, avec des teintes plus intenses, notamment le rouge, pour créer un effet de lumière, de rayonnement qui part du centre de la toile. Cette luminosité de la surface est obtenue grâce à l'emploi d'une couche sous-jacente qui transparaît par endroits et vient animer la toile, créant une vibration palpitante sur l'ensemble du tableau. Par cette richesse exceptionnelle de la matière, chaque couleur est féconde et s'équilibre. Ainsi, à la puissance du rouge répond le calme du bleu-gris des deux formes centrales emboîtées. Comme l'a écrit Françoise Brütsch, "toutes les couleurs d'un tableau de Poliakoff semblent intimement apparentées, comme si elles irradiaient d'une même couleur fondamentale." (F. Brütsch, Serge Poliakoff, 1900-1969, Neuchâtel, 1993, p. 42).
Poliakoff parvient ainsi à établir ses propres règles picturales, tel un code de conduite, une ligne à suivre dans la conception de sa peinture. La dimension spirituelle de son oeuvre est indéniable et il l'a lui-même revendiquée: "Tout ce que je veux peindre est image divine et je dois être en elle, auprès d'elle, avec elle. Vers elle me haussant pour devenir en elle". Cette conception essentielle de son oeuvre traduit toute l'exigence avec laquelle il conçoit sa propre peinture et pose tout l'enjeu qu'elle sous-tend, à savoir la permanente remise en question de soi à travers son art :

"C'est bien lorsqu'un peintre a l'esprit occupé par un problème et qu'il le développe peu à peu, sa vie durant. Si ce problème est juste, il sera sans fin: il y a toujours quelque chose à ajouter au tableau."

Serge Poliakoff

More from Art Contemporain (Vente du soir)

View All
View All