Lot Essay
Nous remercions Monsieur Jean-Marie Cusinberche pour les informations qu'ils nous a aimablement communiquées sur cette oeuvre.
À la question : 'Pourquoi peignez-vous si souvent des batailles ?', Georges Mathieu avait répondu :
- Peindre une bataille correspond à mon essence, car il s'agit de forces et de conflits.
C'est dire les tensions, la fureur et la virulence qui se trouvent au sein de la vie et de l'oeuvre de l'artiste.
Il ne faut donc pas s'étonner de la manière dont il répondit à une journaliste qui l'avait ainsi interrogé : 'Vous avez maintes fois jeté l'anathème sur la civilisation grecque. Quelles sont vos raisons d'une telle attitude ?
-Ce n'est pas la civilisation grecque à l'époque où elle vit le jour que je m'en prends, mais au fait que l'on continue, en 1967, à considérer que c'est l'exemple le plus extraordinaire d'une civilisation que l'on doit encore suivre. En agissant ainsi, on tient à l'écart tous les apports de l'Orient antique, de l'Afrique égyptienne, des civilisations scythes et celtiques et des plus féconds courants de spiritualités barbares, judéo-chrétienne et islamique.
Depuis la fin du Moyen-âge, tout l'Occident s'est laissé envahir par la pensée hellénique qui voulait le cosmos à la mesure de l'homme.'
Un jour d'avril 1952, au cours d'un déjeuner à Paris, entre Stéphane Lupasco et Georges Mathieu, le philosophe demanda : 'Mais d'où, vous peintre, tenez-vous cet intérêt pour les aventures de la science ?'
Et Mathieu de répondre :
-Sans doute, parce que je ne suis pas que peintre. Je pense aussi.
C'est je crois René Guénon qui m'a révélé par ses ouvrages une véritable aversion pour la Grèce, ce petit peuple borné qui n'a pas cru devoir écouter les prodigieuses illuminations des pré-socratiques, qui n'a entrevu dans l'art que l'anthropomorphisme et dont la vision du monde réduisit la civilisation aux seuls éléments purement humains : la raison et les sens.
Il est temps de barrer de mille traits rouges tout ce que l'antiquité grecque classique a pu nous léguer sur les rapports de l'inspiration et de la poétique.
C'est dans cet état d'esprit qu'en 1958, Mathieu peignit une vingtaine de toiles en hommage aux philosophes et savants pré-socratiques (XÉNOPHANE, HÉRACLITE, PYTHAGORE, ZÉNON) dont les 'prodigieuses illuminations' éclairent encore le monde.
Notons, ici, un propos de l'artiste :
-Les titres de mes tableaux sont de simples indications qui n'ont aucune signification littérale.
THALÈS. 1958 porte le nom du plus ancien philosophe grec (vers 625 av.J.-C-vers 547 av.J.C.) auquel on attribua la démonstration du célèbre théorème qui porte son nom.
Dans le fond ténébreux, le peintre a laissé une ouverture qui fait jour et éclaire les sinusoïdes évanescentes courant en bleu électrique, à travers la toile, comme les traces de l'intensité de ses émotions.
Puis vient s'intercaler et se superposer une autre écriture, rouge, directement avec le tube, accompagnant la précdente, qui la réveille, la provoque et la révèle à la vie. 'Il y a quelque chose de vasculaire dans le tube, écrit Patrick Grainville, comme une artère qui s'ouvre et saigne sur la toile.'
Vers la gauche, sous la lucarne, un signe s'impose, impétueux, composé d'une barre écarlate, à l'horizontal et de sa base serpentine donnant naissance à cette courbe qui engendre le monde, pour révéler l'universalité du message. Est-ce celui de Thalès de Milet ? Est-ce celui de Mathieu, héraut de l'Abstraction Lyrique ? Assurément, les deux.
Le peintre a mis des forces en présence : la tache blanche en réserve et le signe plein, le bleu et le rouge, l'ensemble sur un fond noir. Les oppositions ont fait naître un conflit. Georges Mathieu affirmait que, dans les faits, chaque tableau était pour lui une bataille. Il remporta celle-ci.
Jean-Marie CUSINBERCHE
To the question 'Why do you so often paint battles?', Georges Mathieu answered:
-Painting a battle corresponds to my essence, since it is about forces and conflicts.
In other words, tension, the frenzy and passion present in the artist's life and work.
It should therefore come as no surprise that he responded to a journalist who asked him: 'You have insulted Greek civilisation many times. What are your reasons for this attitude?'
-It is not Greek civilisation as it was during its existence I object to, but the fact that we continue, in 1967, to believe that it is the most extraordinary example of a civilisation that we should still emulate. By acting in this way, we ignore all the contributions made by the Ancient Orient, Egyptian Africa, the Scythian and Celtic civilisations, as well as the most productive currents of Barbarian, Judeo-Christian and Islamic spirituality.
Since the end of the Middle Ages, the whole Western world has let itself be overtaken by Hellenistic thought which saw the cosmos on human scale.
One day in April 1952, during a lunch in Paris between Stéphane Lupasco and Georges Mathieu, the philosopher asked: 'But why do you, a painter, have this interest in questions of science?'
And Mathieu answered:
-Undoubtedly because I am not only a painter. I think as well.
I think it was René Guénon who revealed to me through his works a real aversion to Greece, this insular little people who felt it appropriate to reject he prodigious illuminations of the Presocratics, who saw in art only anthropomorphism and whose vision of the world reduced civilisation to only purely human elements: reason and sense.
It is time to strike a thousand red lines through everything traditional Greek Antiquity delegated to us in relation to inspiration and poetry.
This was the state of mind in which Mathieu, in 1958, painted around 20 canvases in tribute to Presocratic philosophers and scholars (XENOPHANES, HERACLITUS, PYTHAGORAS, ZENON, etc.) whose 'prodigious illuminations' still enlighten the world.
We should note at this point the artist's declaration that:
-The titles of my paintings are simple indications which have no literal significance.
THALÈS. 1958 bears the name of the most ancient Greek philosopher (circa 625 B.C.-547 B.C.) who is credited with the famous theorem which bears his name.
In the shadowy background, the painter has left an opening which lets in daylight and lights up the fleeting sine waves running in electric blue across the canvas, like marks of the intensity of his emotions.
Another writing then inserts and superimposes itself, red, straight from the tube, accompanying the previous curve which sets it off, provoking it and revealing its life. 'There is something vascular in the tube,' wrote Patrick Grainville, 'like an artery opening and bleeding onto the canvas.'
To the left, beneath the skylight, a symbol suddenly appears, made up of a horizontal scarlet bar and its serpentine base, creating this curve which gives rise to the world, revealing the universality of the message. Is this the message of Thales of Miletus? Or of Mathieu, pioneer of Lyrical Abstraction? Undoubtedly both.
The painter has brought his forces to the fore: the white stroke standing out against the dark background and the solid symbol, the blue and the red, all against a black background. The oppositions spawn conflict. Georges Mathieu declared that he saw each painting as a battle. A battle which he won.
Jean-Marie CUSINBERCHE
À la question : 'Pourquoi peignez-vous si souvent des batailles ?', Georges Mathieu avait répondu :
- Peindre une bataille correspond à mon essence, car il s'agit de forces et de conflits.
C'est dire les tensions, la fureur et la virulence qui se trouvent au sein de la vie et de l'oeuvre de l'artiste.
Il ne faut donc pas s'étonner de la manière dont il répondit à une journaliste qui l'avait ainsi interrogé : 'Vous avez maintes fois jeté l'anathème sur la civilisation grecque. Quelles sont vos raisons d'une telle attitude ?
-Ce n'est pas la civilisation grecque à l'époque où elle vit le jour que je m'en prends, mais au fait que l'on continue, en 1967, à considérer que c'est l'exemple le plus extraordinaire d'une civilisation que l'on doit encore suivre. En agissant ainsi, on tient à l'écart tous les apports de l'Orient antique, de l'Afrique égyptienne, des civilisations scythes et celtiques et des plus féconds courants de spiritualités barbares, judéo-chrétienne et islamique.
Depuis la fin du Moyen-âge, tout l'Occident s'est laissé envahir par la pensée hellénique qui voulait le cosmos à la mesure de l'homme.'
Un jour d'avril 1952, au cours d'un déjeuner à Paris, entre Stéphane Lupasco et Georges Mathieu, le philosophe demanda : 'Mais d'où, vous peintre, tenez-vous cet intérêt pour les aventures de la science ?'
Et Mathieu de répondre :
-Sans doute, parce que je ne suis pas que peintre. Je pense aussi.
C'est je crois René Guénon qui m'a révélé par ses ouvrages une véritable aversion pour la Grèce, ce petit peuple borné qui n'a pas cru devoir écouter les prodigieuses illuminations des pré-socratiques, qui n'a entrevu dans l'art que l'anthropomorphisme et dont la vision du monde réduisit la civilisation aux seuls éléments purement humains : la raison et les sens.
Il est temps de barrer de mille traits rouges tout ce que l'antiquité grecque classique a pu nous léguer sur les rapports de l'inspiration et de la poétique.
C'est dans cet état d'esprit qu'en 1958, Mathieu peignit une vingtaine de toiles en hommage aux philosophes et savants pré-socratiques (XÉNOPHANE, HÉRACLITE, PYTHAGORE, ZÉNON) dont les 'prodigieuses illuminations' éclairent encore le monde.
Notons, ici, un propos de l'artiste :
-Les titres de mes tableaux sont de simples indications qui n'ont aucune signification littérale.
THALÈS. 1958 porte le nom du plus ancien philosophe grec (vers 625 av.J.-C-vers 547 av.J.C.) auquel on attribua la démonstration du célèbre théorème qui porte son nom.
Dans le fond ténébreux, le peintre a laissé une ouverture qui fait jour et éclaire les sinusoïdes évanescentes courant en bleu électrique, à travers la toile, comme les traces de l'intensité de ses émotions.
Puis vient s'intercaler et se superposer une autre écriture, rouge, directement avec le tube, accompagnant la précdente, qui la réveille, la provoque et la révèle à la vie. 'Il y a quelque chose de vasculaire dans le tube, écrit Patrick Grainville, comme une artère qui s'ouvre et saigne sur la toile.'
Vers la gauche, sous la lucarne, un signe s'impose, impétueux, composé d'une barre écarlate, à l'horizontal et de sa base serpentine donnant naissance à cette courbe qui engendre le monde, pour révéler l'universalité du message. Est-ce celui de Thalès de Milet ? Est-ce celui de Mathieu, héraut de l'Abstraction Lyrique ? Assurément, les deux.
Le peintre a mis des forces en présence : la tache blanche en réserve et le signe plein, le bleu et le rouge, l'ensemble sur un fond noir. Les oppositions ont fait naître un conflit. Georges Mathieu affirmait que, dans les faits, chaque tableau était pour lui une bataille. Il remporta celle-ci.
Jean-Marie CUSINBERCHE
To the question 'Why do you so often paint battles?', Georges Mathieu answered:
-Painting a battle corresponds to my essence, since it is about forces and conflicts.
In other words, tension, the frenzy and passion present in the artist's life and work.
It should therefore come as no surprise that he responded to a journalist who asked him: 'You have insulted Greek civilisation many times. What are your reasons for this attitude?'
-It is not Greek civilisation as it was during its existence I object to, but the fact that we continue, in 1967, to believe that it is the most extraordinary example of a civilisation that we should still emulate. By acting in this way, we ignore all the contributions made by the Ancient Orient, Egyptian Africa, the Scythian and Celtic civilisations, as well as the most productive currents of Barbarian, Judeo-Christian and Islamic spirituality.
Since the end of the Middle Ages, the whole Western world has let itself be overtaken by Hellenistic thought which saw the cosmos on human scale.
One day in April 1952, during a lunch in Paris between Stéphane Lupasco and Georges Mathieu, the philosopher asked: 'But why do you, a painter, have this interest in questions of science?'
And Mathieu answered:
-Undoubtedly because I am not only a painter. I think as well.
I think it was René Guénon who revealed to me through his works a real aversion to Greece, this insular little people who felt it appropriate to reject he prodigious illuminations of the Presocratics, who saw in art only anthropomorphism and whose vision of the world reduced civilisation to only purely human elements: reason and sense.
It is time to strike a thousand red lines through everything traditional Greek Antiquity delegated to us in relation to inspiration and poetry.
This was the state of mind in which Mathieu, in 1958, painted around 20 canvases in tribute to Presocratic philosophers and scholars (XENOPHANES, HERACLITUS, PYTHAGORAS, ZENON, etc.) whose 'prodigious illuminations' still enlighten the world.
We should note at this point the artist's declaration that:
-The titles of my paintings are simple indications which have no literal significance.
THALÈS. 1958 bears the name of the most ancient Greek philosopher (circa 625 B.C.-547 B.C.) who is credited with the famous theorem which bears his name.
In the shadowy background, the painter has left an opening which lets in daylight and lights up the fleeting sine waves running in electric blue across the canvas, like marks of the intensity of his emotions.
Another writing then inserts and superimposes itself, red, straight from the tube, accompanying the previous curve which sets it off, provoking it and revealing its life. 'There is something vascular in the tube,' wrote Patrick Grainville, 'like an artery opening and bleeding onto the canvas.'
To the left, beneath the skylight, a symbol suddenly appears, made up of a horizontal scarlet bar and its serpentine base, creating this curve which gives rise to the world, revealing the universality of the message. Is this the message of Thales of Miletus? Or of Mathieu, pioneer of Lyrical Abstraction? Undoubtedly both.
The painter has brought his forces to the fore: the white stroke standing out against the dark background and the solid symbol, the blue and the red, all against a black background. The oppositions spawn conflict. Georges Mathieu declared that he saw each painting as a battle. A battle which he won.
Jean-Marie CUSINBERCHE