Lot Essay
Août a été peint en 1961, année importante pour Maria-Helena Vieira da Silva puisqu'elle accède à une véritable reconnaissance en obtenant le prix international de peinture de la Biennale de Sao Paulo. Elle décline ici assurément toute la richesse de son langage pictural, qui questionne la manière de voir, associe la mémoire et l'imaginaire à la perception.
Sa peinture, tout en exploitant les moyens plastiques cubistes, s'affranchit de la rigueur péremptoire de la ligne. Ses recherches l'avaient conduite, jusque dans les années 1950, à réinventer les notions de perspective en multipliant les points de fuite et en éclatant les formes. Dans une approche originale et quasi scénographique, Vieira da Silva tisse un réseau de lignes qui anime la surface de la toile. Plusieurs événements semblent avoir forgé son esthétique. En 1913, elle assiste à une représentation de Songe d'une nuit d'été de William Shakespeare: charmée par la magie du décor qui joue sur des métamorphoses optiques, elle conserve durablement en écho dans sa peinture les effets de cette mise en scène. Sa découverte de La nappe à carreaux rouges (1910) de Pierre Bonnard à la Galerie Bernheim-Jeune en 1928 marque également profondément sa mémoire. Vieira da Silva est touchée par les oeuvres du peintre, qui tendent à recréer le réel par les artifices de perspective et le jeu savant des couleurs vibrantes.
Août incarne une évolution importante dans l'art de Vieira da Silva. Sa technique donne naissance à un exemple emblématique de sa vision labyrinthique: 'Je crois que j'ai vécu toute ma vie en labyrinthes. C'est ma manière de concevoir le monde.', confie-t-elle (G. Rosenthal, Vieira Da Silva, 1908-1992: The Quest for Unknown Space, Cologne, 1998, p. 80). L'oeil s'amuse à reconnaître la réalité d'un paysage urbain: le ciel ne se distingue de l'effervescence d'une cité énigmatique que par la largeur des aplats de matière. Bouleversant la perspective, ce paysage architectural aux formes enchevêtrées ouvre sur un espace infini dont la subtile trame laisse libre cours à l'imagination. Cependant, dans la démarche de Vieira da Silva, la peinture n'a d'autre fin qu'elle-même. Elle matérialise l'air et le vide par sa construction aérienne et dynamique, nourrie par la fascination de l'architecture de fer des ouvrages eiffeliens. L'aplat crée la ligne par touches d'un blanc pur révélant la couleur sous-jacente. Par une palette étonnamment réduite, la profondeur n'est pas dictée par les lignes de fuite mais par l'irisage des lignes horizontales.
'Son inspiration est d'ordre musical, ses architectures sont comparables à celles d'une sonate', souligne son ami Jean Grenier (A. G. Nguyen, Vieira da Silva, catalogue d'exposition, Paris, Centre National des Arts Plastiques, 1988, p. 12). Sa relation privilégiée avec la musique se ressent particulièrement dans Août et a sans doute été perçue instantanément par Henri-Georges Clouzot, dont la passion pour la composition musicale a été mise en évidence à travers ses différentes collaborations avec Herbert von Karajan. Selon une trame solidement construite, la composition est rythmée par les couleurs lumineuses qui surgissent par accents légers. Elle joue une partition orchestrale aux harmonies riches et se succédant dans un système de modulation. Pour reprendre Guy Weelen, 'comme un musicien, il s'agit de variations: en transformant formes et couleurs, elle invente chaque fois.' (G. Weelen, Vieira da Silva, Catalogue raisonné, Genève, 1994, p. 326). L'oeuvre de Vieira da Silva trouve ainsi une certaine résonnance dans l'avant-garde musicale d'après-guerre, comme en témoigne Pierre Boulez : 'Dans les toiles de Vieira da Silva, j'ai toujours aimé ces monuments abstraits qui se dégagent de la brume, puis sont noyés sous une couche de blanc quand leur architecture devient trop présente. Cela m'a suggéré l'idée, dans plusieurs pièces, d'effacer des structures évidentes, en les camouflant sous une sorte de brouillage instrumental.' (P. Boulez, Télérama, 8 novembre 2008, No. 3069).
Août was painted in 1961, an important year for Maria Helena Vieira da Silva since it was the first time she achieved real recognition, by winning the international painting prize at the Sao Paulo Biennial. Here she sets out the full range of her pictorial language, which questions the way of seeing, associating memory and imagination with perception. Her painting, while drawing on Cubist painting techniques, freed itself from the strict formality of lines. The research she carried out into the 1950s led her to reinvent notions of perspective by increasing the number of vanishing points and breaking up shapes. In an original and almost stage-designed approach, Vieira da Silva weaves a network of lines across the surface of the canvas. Several events seem to have forged her aesthetic approach. In 1913, she attended a performance of Shakespeare's Midsummer Night's Dream. Delighted by the magic of the set, which played on optical transformations, she long retained an echo of the effects of this stage design in her painting. Her discovery of La Nappe à Carreaux Rouges (1910) by Pierre Bonnard in the Galerie Bernheim-Jeune in 1928 also made a lasting impression on her. Vieira da Silva was affected by paintings, which tend to recreate reality through tricks of perspective and a clever interplay of vibrant colours.
Août embodies an important change in Vieira da Silva's art. Her technique gives rise to an emblematic example of the labyrinthine vision. She confided: 'I believe I have spent all my life in labyrinths. It is my way of conceiving of the world.' (G. Rosenthal, Vieira Da Silva, 1908-1992: The Quest for Unknown Space, Cologne, 1998, p. 80). The eye tries to pick out the reality of an urban landscape: the sky is only distinguishable from the hubbub of an enigmatic city due to the width of the blocks of material. Overturning perspective, this architectural landscape with entangled forms opens onto an infinite space whose subtle grid leaves free reign to the imagination. In Vieira da Silva's approach, however, painting is an end in itself. She materialises the air and the void through her ethereal and dynamic construction, encouraged by the fascination with Eiffel-style iron architecture. The block of colour creates a line with touches of pure white revealing the underlying colour. Using an astonishingly limited palette, depth is not dictated by vanishing lines but through the iridescence of horizontal lines.
'Her inspiration is musical, her architectures are comparable to those of a sonata', says her friend Jean Grenier (A. G. Nguyen, Vieira da Silva, exhibition catalogue, Paris, Centre National des Arts Plastiques, 1988, p. 12). Her special relationship with music can particularly be felt in Aot and was undoubtedly identified immediately by Henri-Georges Clouzot, whose passion for musical composition was demonstrated through his various collaborations with Herbert von Karajan. Based on a solidly constructed grid, the composition is interspersed with luminous colours rising up in light strokes. She plays an orchestral score with rich harmonies following on from each other in a series of modulations. To quote again from Guy Weelen, 'As a musician, these are variations: by transforming shapes and colours, she invents something new each time.' (G. Weelen, Vieira da Silva, Catalogue raisonné, Geneva, 1994, p. 326). Vieira da Silva's work therefore finds a certain resonance with the post-war musical avant-garde, as Pierre Boulez comments: 'In Vieira da Silva's paintings, I have always loved these abstract monuments emerging from the fog, then smothered under a blanket of white when their architecture becomes too visible. This has suggested to me the idea in several pieces of erasing obvious structures by camouflaging them beneath a sort of instrumental fog.' (P. Boulez, Télérama, 8 November 2008, No. 3069).
Sa peinture, tout en exploitant les moyens plastiques cubistes, s'affranchit de la rigueur péremptoire de la ligne. Ses recherches l'avaient conduite, jusque dans les années 1950, à réinventer les notions de perspective en multipliant les points de fuite et en éclatant les formes. Dans une approche originale et quasi scénographique, Vieira da Silva tisse un réseau de lignes qui anime la surface de la toile. Plusieurs événements semblent avoir forgé son esthétique. En 1913, elle assiste à une représentation de Songe d'une nuit d'été de William Shakespeare: charmée par la magie du décor qui joue sur des métamorphoses optiques, elle conserve durablement en écho dans sa peinture les effets de cette mise en scène. Sa découverte de La nappe à carreaux rouges (1910) de Pierre Bonnard à la Galerie Bernheim-Jeune en 1928 marque également profondément sa mémoire. Vieira da Silva est touchée par les oeuvres du peintre, qui tendent à recréer le réel par les artifices de perspective et le jeu savant des couleurs vibrantes.
Août incarne une évolution importante dans l'art de Vieira da Silva. Sa technique donne naissance à un exemple emblématique de sa vision labyrinthique: 'Je crois que j'ai vécu toute ma vie en labyrinthes. C'est ma manière de concevoir le monde.', confie-t-elle (G. Rosenthal, Vieira Da Silva, 1908-1992: The Quest for Unknown Space, Cologne, 1998, p. 80). L'oeil s'amuse à reconnaître la réalité d'un paysage urbain: le ciel ne se distingue de l'effervescence d'une cité énigmatique que par la largeur des aplats de matière. Bouleversant la perspective, ce paysage architectural aux formes enchevêtrées ouvre sur un espace infini dont la subtile trame laisse libre cours à l'imagination. Cependant, dans la démarche de Vieira da Silva, la peinture n'a d'autre fin qu'elle-même. Elle matérialise l'air et le vide par sa construction aérienne et dynamique, nourrie par la fascination de l'architecture de fer des ouvrages eiffeliens. L'aplat crée la ligne par touches d'un blanc pur révélant la couleur sous-jacente. Par une palette étonnamment réduite, la profondeur n'est pas dictée par les lignes de fuite mais par l'irisage des lignes horizontales.
'Son inspiration est d'ordre musical, ses architectures sont comparables à celles d'une sonate', souligne son ami Jean Grenier (A. G. Nguyen, Vieira da Silva, catalogue d'exposition, Paris, Centre National des Arts Plastiques, 1988, p. 12). Sa relation privilégiée avec la musique se ressent particulièrement dans Août et a sans doute été perçue instantanément par Henri-Georges Clouzot, dont la passion pour la composition musicale a été mise en évidence à travers ses différentes collaborations avec Herbert von Karajan. Selon une trame solidement construite, la composition est rythmée par les couleurs lumineuses qui surgissent par accents légers. Elle joue une partition orchestrale aux harmonies riches et se succédant dans un système de modulation. Pour reprendre Guy Weelen, 'comme un musicien, il s'agit de variations: en transformant formes et couleurs, elle invente chaque fois.' (G. Weelen, Vieira da Silva, Catalogue raisonné, Genève, 1994, p. 326). L'oeuvre de Vieira da Silva trouve ainsi une certaine résonnance dans l'avant-garde musicale d'après-guerre, comme en témoigne Pierre Boulez : 'Dans les toiles de Vieira da Silva, j'ai toujours aimé ces monuments abstraits qui se dégagent de la brume, puis sont noyés sous une couche de blanc quand leur architecture devient trop présente. Cela m'a suggéré l'idée, dans plusieurs pièces, d'effacer des structures évidentes, en les camouflant sous une sorte de brouillage instrumental.' (P. Boulez, Télérama, 8 novembre 2008, No. 3069).
Août was painted in 1961, an important year for Maria Helena Vieira da Silva since it was the first time she achieved real recognition, by winning the international painting prize at the Sao Paulo Biennial. Here she sets out the full range of her pictorial language, which questions the way of seeing, associating memory and imagination with perception. Her painting, while drawing on Cubist painting techniques, freed itself from the strict formality of lines. The research she carried out into the 1950s led her to reinvent notions of perspective by increasing the number of vanishing points and breaking up shapes. In an original and almost stage-designed approach, Vieira da Silva weaves a network of lines across the surface of the canvas. Several events seem to have forged her aesthetic approach. In 1913, she attended a performance of Shakespeare's Midsummer Night's Dream. Delighted by the magic of the set, which played on optical transformations, she long retained an echo of the effects of this stage design in her painting. Her discovery of La Nappe à Carreaux Rouges (1910) by Pierre Bonnard in the Galerie Bernheim-Jeune in 1928 also made a lasting impression on her. Vieira da Silva was affected by paintings, which tend to recreate reality through tricks of perspective and a clever interplay of vibrant colours.
Août embodies an important change in Vieira da Silva's art. Her technique gives rise to an emblematic example of the labyrinthine vision. She confided: 'I believe I have spent all my life in labyrinths. It is my way of conceiving of the world.' (G. Rosenthal, Vieira Da Silva, 1908-1992: The Quest for Unknown Space, Cologne, 1998, p. 80). The eye tries to pick out the reality of an urban landscape: the sky is only distinguishable from the hubbub of an enigmatic city due to the width of the blocks of material. Overturning perspective, this architectural landscape with entangled forms opens onto an infinite space whose subtle grid leaves free reign to the imagination. In Vieira da Silva's approach, however, painting is an end in itself. She materialises the air and the void through her ethereal and dynamic construction, encouraged by the fascination with Eiffel-style iron architecture. The block of colour creates a line with touches of pure white revealing the underlying colour. Using an astonishingly limited palette, depth is not dictated by vanishing lines but through the iridescence of horizontal lines.
'Her inspiration is musical, her architectures are comparable to those of a sonata', says her friend Jean Grenier (A. G. Nguyen, Vieira da Silva, exhibition catalogue, Paris, Centre National des Arts Plastiques, 1988, p. 12). Her special relationship with music can particularly be felt in Aot and was undoubtedly identified immediately by Henri-Georges Clouzot, whose passion for musical composition was demonstrated through his various collaborations with Herbert von Karajan. Based on a solidly constructed grid, the composition is interspersed with luminous colours rising up in light strokes. She plays an orchestral score with rich harmonies following on from each other in a series of modulations. To quote again from Guy Weelen, 'As a musician, these are variations: by transforming shapes and colours, she invents something new each time.' (G. Weelen, Vieira da Silva, Catalogue raisonné, Geneva, 1994, p. 326). Vieira da Silva's work therefore finds a certain resonance with the post-war musical avant-garde, as Pierre Boulez comments: 'In Vieira da Silva's paintings, I have always loved these abstract monuments emerging from the fog, then smothered under a blanket of white when their architecture becomes too visible. This has suggested to me the idea in several pieces of erasing obvious structures by camouflaging them beneath a sort of instrumental fog.' (P. Boulez, Télérama, 8 November 2008, No. 3069).