Lot Essay
Madame Maya Widmaier-Picasso a confirmé l'authenticité de cette oeuvre.
Monsieur Claude Picasso-Ruiz a confirmé l'authenticité de cette oeuvre.
Tout au long de sa vie, Pablo Picasso entretient avec les objets du quotidien un rapport très particulier. En effet, il démontre un attachement aux choses qui n'est pas à confondre avec un quelconque instinct matérialiste, bien étranger à sa personnalité et à ses inclinations politiques. Il découle plutôt des propriétés inhabituelles qu'il prête à son environnement et aux éléments qui le composent : au-delà de leur caractère familier et rassurant, Picasso voit en eux de véritables talismans, chargés de magie. Ainsi lorsque Françoise Gilot fit cadeau d'un vieux manteau du peintre au jardinier de la propriété que le couple occupe à Vallauris, Picasso assure, furieux, que la dépossession de ce vêtement le transformera en un affreux vieillard. De même, l'accumulation incontrôlée d'objets dans ses différents ateliers témoigne du lien presque fusionnel qui unit Picasso à ses choses. L'auteur et peintre Roland Penrose dira même qu'elles forment alentour une véritable "écorce terrestre" composée d'outils, de toiles, de restes de nourriture, de livres, de lampes...
Il n'est donc pas surprenant que la nature morte ait occupé une place particulièrement importante dans l'oeuvre de l'artiste. Traité à d'innombrables reprises, ce thème est décliné sur tous les supports et par toutes les techniques: peintures, sculptures, dessins, mais aussi gravures et céramiques. La paternité d'une photographie de nature morte à la mandoline (fig. 1) lui est même officiellement attribuée. Si le nombre des oeuvres crées offrent aux natures mortes une place capitale dans le répertoire du peintre, le fait qu'elles représentent plus d'un quart des oeuvres qu'il choisit d'exposer lors des deux grandes rétrospectives de 1932 à Paris et Zurich est quant à lui également révélateur.
Bien que la production de natures mortes ne soit pas constante tout au long de sa carrière - elles sont en effet totalement absentes avant 1907 et après de 1962 - elle demeure néanmoins capitale dans son oeuvre et dans l'histoire de l'art. Comme le souligne le grand biographe de l'artiste John Richardson, ce genre sera exploré par Picasso "de façon plus exhaustive et imaginative que par n'importe quel autre artiste au cours de l'Histoire" (cité in J. Sutherland Boogs, Picasso and Things, catalogue d'exposition, Cleveland, Museum of Art, 1992, p. 13).
De 1937 à 1945, Picasso traverse les années les plus sombres de sa carrière. Si son statut de peintre reconnu lui permet de ne pas trop souffrir des privations qui affament la capitale, il est néanmoins contraint d'abandonner l'appartement qu'il partageait avec Dora Maar rue de la Boétie pour emménager seul dans son atelier de la rue des Grands Augustins. N'ayant jamais quitté Paris, il sortira de la guerre visiblement appauvri et vieilli mais incarnera aux yeux de tous un symbole d'obstination et de combativité dans l'adversité (fig. 2). Durant cette période il produit une grande quantité de natures mortes, explorant à l'infini les relations entre un petit nombre d'objets rudimentaires, à l'exemple du présent tableau. Si le procédé et les compositions peuvent de prime abord paraître simples, les toiles qui en résultent sont en réalité minutieusement étudiées, structurées et porteuses d'une signification pour le peintre. Comme il le confie à Françoise: "Je ne vais pas chercher un objet rare dont personne n'a jamais entendu parler [...]. Cela n'aurait aucun sens pour moi. L'objet le plus quotidien est un vaisseau, un véhicule de ma pensée. Ce que la parabole était pour le Christ" (cité in F. Gilot et C. Lake, Vivre avec Picasso, Paris, 1965, p. 193).
Composé d'un pichet, d'un verre et d'une orange fermement campés sur une table pourtant étroite et apparemment instable, le présent tableau s'inscrit tout à fait dans cette démarche de l'artiste. Peint le 21 juillet 1944, il précède de quelques semaines l'apparition des célèbres plants de tomates (fig. 3), dont les formes charnues et les couleurs vibrantes symbolisent la renaissance des peuples opprimés au lendemain de la Libération de Paris. Verre et pichet allie quant à lui une composition complexe de plans et de lignes, lui imposant une géométrie rigoureuse, aux formes rondes et douces des objets centraux. De ce fait, il nous livre comme un témoignage de l'instant suspendu que vit en ces heures la capitale, entre l'espoir d'un dénouement heureux imminent et le souvenir encore vivace des années sombres. Offert par Picasso au célèbre couple de céramistes Georges et Suzanne Ramié, avec lequel il entretient à partir de 1946 une collaboration étroite et extrêmement fructueuse, le présent tableau a été conservé au sein de leur famille depuis lors.
Throughout his life Pablo Picasso maintained a very particular relationship with everyday objects. He showed a fondness for things which should not be confused with any materialistic instinct, which would be totally contrary to his personality and his political tendencies. This originated from the unusual properties he conferred to his environment and the elements in it: in addition to their familiar and reassuring nature, Picasso saw them as true talismans, loaded with magic properties. Once when Françoise Gilot gave one of his old coats to the gardener of the house where they lived in Vallauris, Picasso was furious and assured her that losing this coat would turn him into a horrible old man. Similarly, the uncontrolled accumulation of objects in his studios is a testimony of the passionate link which united Picasso to his things. The author and painter Roland Penrose even said that they formed around him an "earthly skin", composed of tools, canvases, food scraps, books, lamps...
It is not surprising then, that still lives hold a very central place in the artist's work. He tackled this theme a great number of times, on all media and in all techniques: paint, sculpture, drawing, engraving and ceramic. The photograph of a still life with a mandolin (fig.1) is even officially attributed to him. If the number of works created on the subject gives still lives an essential position in the painter's repertoire, the fact that they represented more than a quarter of the works he himself chose to exhibit in the two major retrospectives of 1932 in Paris and Zurich is also revealing. Although his production of still lives was not constant all along his career - they were totally absent until 1907 and after 1962 - it remained capital to his work as for the history of art. As underlined by the artist's principal biographer, John Richardson, this genre was explored by Picasso "in a more exhaustive and imaginative way than by any other artist in history" (quoted in J. Sutherland Boogs, Picasso and Things, exhibition catalogue, Cleveland, Museum of Art, 1992, p. 13).
Between 1937 and 1945, Picasso experienced the darkest years in his career. His position as a celebrated artist enabled him to avoid much of the deprivations endured in the French capital. However he had to leave the apartment which he shared with Dora Maar on rue de La Boétie, to transfer to his studio on rue des Grands Augustins. He never left Paris, and, althought at the end of the war he appeared visibly older, for many he nevertheless represented a symbol of obstinacy and fighting spirit (fig.2). During this period he produced a large number of still lives, endlessly exploring the relationships between a few basic objects, as in the present work. If the process and the compositions may initially seem simple, the resulting works are in reality carefully studied, structured and bear significance for the painter. As he said to Françoise: "I don't seeck out a rare object that no one has ever heard of [] It would have no meaning for me. The simplest object is a vessel for my thought. As were parables for Christ" (quoted in F.Gilot and C. Lake, Vivre avec Picasso, Paris, 1965, p. 193).
Composed of a jug, a glass and an orange standing firmly on a narrow and apparently unstable table, this painting fully corresponds to the artist's approach. Painted on 21 July 1944, it was executed a few weeks before the famous tomato plants (fig.3), with their fleshy forms and vibrant colours symbolising the rebirth of oppressed peoples after the Liberation of Paris. As for Verre et Pichet (Glass and Jug), it combines a complex composition of lines and planes, imposing a strict geometry, to the rounded and soft shapes of the central objects. Picasso offers a testimony to time suspended as experienced by Paris at that time, between the hope of the impending happy ending and the lasting memory of the dark years. Verre et Pichet was offered by Picasso to the celebrated ceramicist couple, Georges and Suzanne Ramié, with whom he worked closely and very productively from 1946, and it has remained in their family ever since.
Monsieur Claude Picasso-Ruiz a confirmé l'authenticité de cette oeuvre.
Tout au long de sa vie, Pablo Picasso entretient avec les objets du quotidien un rapport très particulier. En effet, il démontre un attachement aux choses qui n'est pas à confondre avec un quelconque instinct matérialiste, bien étranger à sa personnalité et à ses inclinations politiques. Il découle plutôt des propriétés inhabituelles qu'il prête à son environnement et aux éléments qui le composent : au-delà de leur caractère familier et rassurant, Picasso voit en eux de véritables talismans, chargés de magie. Ainsi lorsque Françoise Gilot fit cadeau d'un vieux manteau du peintre au jardinier de la propriété que le couple occupe à Vallauris, Picasso assure, furieux, que la dépossession de ce vêtement le transformera en un affreux vieillard. De même, l'accumulation incontrôlée d'objets dans ses différents ateliers témoigne du lien presque fusionnel qui unit Picasso à ses choses. L'auteur et peintre Roland Penrose dira même qu'elles forment alentour une véritable "écorce terrestre" composée d'outils, de toiles, de restes de nourriture, de livres, de lampes...
Il n'est donc pas surprenant que la nature morte ait occupé une place particulièrement importante dans l'oeuvre de l'artiste. Traité à d'innombrables reprises, ce thème est décliné sur tous les supports et par toutes les techniques: peintures, sculptures, dessins, mais aussi gravures et céramiques. La paternité d'une photographie de nature morte à la mandoline (fig. 1) lui est même officiellement attribuée. Si le nombre des oeuvres crées offrent aux natures mortes une place capitale dans le répertoire du peintre, le fait qu'elles représentent plus d'un quart des oeuvres qu'il choisit d'exposer lors des deux grandes rétrospectives de 1932 à Paris et Zurich est quant à lui également révélateur.
Bien que la production de natures mortes ne soit pas constante tout au long de sa carrière - elles sont en effet totalement absentes avant 1907 et après de 1962 - elle demeure néanmoins capitale dans son oeuvre et dans l'histoire de l'art. Comme le souligne le grand biographe de l'artiste John Richardson, ce genre sera exploré par Picasso "de façon plus exhaustive et imaginative que par n'importe quel autre artiste au cours de l'Histoire" (cité in J. Sutherland Boogs, Picasso and Things, catalogue d'exposition, Cleveland, Museum of Art, 1992, p. 13).
De 1937 à 1945, Picasso traverse les années les plus sombres de sa carrière. Si son statut de peintre reconnu lui permet de ne pas trop souffrir des privations qui affament la capitale, il est néanmoins contraint d'abandonner l'appartement qu'il partageait avec Dora Maar rue de la Boétie pour emménager seul dans son atelier de la rue des Grands Augustins. N'ayant jamais quitté Paris, il sortira de la guerre visiblement appauvri et vieilli mais incarnera aux yeux de tous un symbole d'obstination et de combativité dans l'adversité (fig. 2). Durant cette période il produit une grande quantité de natures mortes, explorant à l'infini les relations entre un petit nombre d'objets rudimentaires, à l'exemple du présent tableau. Si le procédé et les compositions peuvent de prime abord paraître simples, les toiles qui en résultent sont en réalité minutieusement étudiées, structurées et porteuses d'une signification pour le peintre. Comme il le confie à Françoise: "Je ne vais pas chercher un objet rare dont personne n'a jamais entendu parler [...]. Cela n'aurait aucun sens pour moi. L'objet le plus quotidien est un vaisseau, un véhicule de ma pensée. Ce que la parabole était pour le Christ" (cité in F. Gilot et C. Lake, Vivre avec Picasso, Paris, 1965, p. 193).
Composé d'un pichet, d'un verre et d'une orange fermement campés sur une table pourtant étroite et apparemment instable, le présent tableau s'inscrit tout à fait dans cette démarche de l'artiste. Peint le 21 juillet 1944, il précède de quelques semaines l'apparition des célèbres plants de tomates (fig. 3), dont les formes charnues et les couleurs vibrantes symbolisent la renaissance des peuples opprimés au lendemain de la Libération de Paris. Verre et pichet allie quant à lui une composition complexe de plans et de lignes, lui imposant une géométrie rigoureuse, aux formes rondes et douces des objets centraux. De ce fait, il nous livre comme un témoignage de l'instant suspendu que vit en ces heures la capitale, entre l'espoir d'un dénouement heureux imminent et le souvenir encore vivace des années sombres. Offert par Picasso au célèbre couple de céramistes Georges et Suzanne Ramié, avec lequel il entretient à partir de 1946 une collaboration étroite et extrêmement fructueuse, le présent tableau a été conservé au sein de leur famille depuis lors.
Throughout his life Pablo Picasso maintained a very particular relationship with everyday objects. He showed a fondness for things which should not be confused with any materialistic instinct, which would be totally contrary to his personality and his political tendencies. This originated from the unusual properties he conferred to his environment and the elements in it: in addition to their familiar and reassuring nature, Picasso saw them as true talismans, loaded with magic properties. Once when Françoise Gilot gave one of his old coats to the gardener of the house where they lived in Vallauris, Picasso was furious and assured her that losing this coat would turn him into a horrible old man. Similarly, the uncontrolled accumulation of objects in his studios is a testimony of the passionate link which united Picasso to his things. The author and painter Roland Penrose even said that they formed around him an "earthly skin", composed of tools, canvases, food scraps, books, lamps...
It is not surprising then, that still lives hold a very central place in the artist's work. He tackled this theme a great number of times, on all media and in all techniques: paint, sculpture, drawing, engraving and ceramic. The photograph of a still life with a mandolin (fig.1) is even officially attributed to him. If the number of works created on the subject gives still lives an essential position in the painter's repertoire, the fact that they represented more than a quarter of the works he himself chose to exhibit in the two major retrospectives of 1932 in Paris and Zurich is also revealing. Although his production of still lives was not constant all along his career - they were totally absent until 1907 and after 1962 - it remained capital to his work as for the history of art. As underlined by the artist's principal biographer, John Richardson, this genre was explored by Picasso "in a more exhaustive and imaginative way than by any other artist in history" (quoted in J. Sutherland Boogs, Picasso and Things, exhibition catalogue, Cleveland, Museum of Art, 1992, p. 13).
Between 1937 and 1945, Picasso experienced the darkest years in his career. His position as a celebrated artist enabled him to avoid much of the deprivations endured in the French capital. However he had to leave the apartment which he shared with Dora Maar on rue de La Boétie, to transfer to his studio on rue des Grands Augustins. He never left Paris, and, althought at the end of the war he appeared visibly older, for many he nevertheless represented a symbol of obstinacy and fighting spirit (fig.2). During this period he produced a large number of still lives, endlessly exploring the relationships between a few basic objects, as in the present work. If the process and the compositions may initially seem simple, the resulting works are in reality carefully studied, structured and bear significance for the painter. As he said to Françoise: "I don't seeck out a rare object that no one has ever heard of [] It would have no meaning for me. The simplest object is a vessel for my thought. As were parables for Christ" (quoted in F.Gilot and C. Lake, Vivre avec Picasso, Paris, 1965, p. 193).
Composed of a jug, a glass and an orange standing firmly on a narrow and apparently unstable table, this painting fully corresponds to the artist's approach. Painted on 21 July 1944, it was executed a few weeks before the famous tomato plants (fig.3), with their fleshy forms and vibrant colours symbolising the rebirth of oppressed peoples after the Liberation of Paris. As for Verre et Pichet (Glass and Jug), it combines a complex composition of lines and planes, imposing a strict geometry, to the rounded and soft shapes of the central objects. Picasso offers a testimony to time suspended as experienced by Paris at that time, between the hope of the impending happy ending and the lasting memory of the dark years. Verre et Pichet was offered by Picasso to the celebrated ceramicist couple, Georges and Suzanne Ramié, with whom he worked closely and very productively from 1946, and it has remained in their family ever since.