Lot Essay
Cette oeuvre sera reproduite aux addenda du catalogue raisonné actuellement en préparation.
"Il n'y a pas d'abstraction ni de figuration : il n'y a que de l'expression, et s'exprimer, c'est se placer en face des choses. Abstraire, cela veut dire enlever, isoler, séparer, alors que je vise au contraire à ajouter, approcher, lier."
Jean Paul Riopelle
Riopelle fait figure de peintre à part dans le paysage de l'abstraction des années 50. A mi-chemin entre la France, les États-Unis et le Canada dont il tire ses racines, l'artiste tient à sa singularité. En 1954, à maintenant 31 ans, il a délaissé l'automatisme de ses premières années pour une peinture plus construite et qui révèle une maturité nouvelle notamment face aux très grands formats auxquels il s'attaque en cette année charnière. En effet, au cours de l'été, Riopelle trouve un nouvel atelier à Vanves qui lui offre un espace de travail considérablement augmenté. Cette ancienne salle des fêtes d'un HLM possède une hauteur sous plafond très importante et est surtout dotée d'une mezzanine qui lui offre désormais la possibilité de prendre du recul sur ses tableaux aux formats de plus en plus imposants. Parallèlement, sa nouvelle collaboration avec le marchand Pierre Matisse à New York lui ouvre les portes des collections et le place en confrontation directe avec la jeune scène artistique de l'époque formée entre autres par Kline, Gorky, Pollock ou Motherwell. "Les jeunes américains vont sans doute être après votre peau" lui écrit d'ailleurs Matisse (Lettre du 7 janvier 1954 à Jean Paul Riopelle).
C'est ainsi dans ce contexte que Riopelle peint Autriche III, oeuvre emblématique de la création de Riopelle au tournant des années 1954-1955. Il n'est d'ailleurs pas anodin que celle-ci partage son titre avec sa soeur aujourd'hui dans les collections du Musée des Beaux-Arts de Montréal. Conservée pendant longtemps dans l'une des plus importantes collections d'art moderne de l'Après-Guerre, la collection de Berthold et Gigi Urvater situé en Belgique, ce tableau avait été exposé à plusieurs reprises au sein de cette collection avant de trouver sa place dans la maison d'architecte conçue spécifiquement par André Jacqmain pour y recevoir leurs oeuvres.
Dans Autriche III, Riopelle choisit de faire surgir le blanc au milieu de sa peinture. L'importance de cette couleur dans les compositions des tableaux de cette période et plus particulièrement dans celle-ci repose sur une approche à plusieurs niveaux de son travail. En effet, le blanc chez Riopelle comporte dans sa peinture une forme de paradoxe. Ici, il faut avant tout y voir les réminiscences d'un voyage qu'il effectue à l'hiver 1954 dans les Alpes autrichiennes et auquel son titre semble faire écho. L'oeil de l'artiste s'est imprégné de la force visuelle du paysage enneigé et de cette propension du blanc à faire irradier les autres couleurs. Des tonalités de rouge, de jaune, de vert, de bleu ponctuellement disposées sur la toile surgissent ainsi par contraste à ce blanc dont les touches semblent envahir la toile. Riopelle s'appuie ainsi sur des éléments reçus, des sensations perçues pour en tirer la vibration de la couleur et de la lumière qu'il parvient à recréer. De la même manière que Gerhard Richter s'appuie sur le blanc pour souligner par opposition les multiples couches sous-jacentes de sa palette, il trouve dans Autriche III une harmonie rare où l'oeil vibre, conduit de part en part aux grès de touches. Cependant, face à cette dimension monumentale de sa peinture, l'oeuvre possède néanmoins une dimension beaucoup plus intime pour Riopelle. Le blanc, qui éclate et renvoie à la lumière, fait paradoxalement écho au décès de son père à l'automne de 1954. Tout comme chez Joan Mitchell, qu'il rencontrera six mois plus tard, le blanc semble ainsi ambivalent à la fois teinté de la perte des proches et emplie d'une lumière qui vient irradier la série d'oeuvres réalisées en cette fin d'année 1954.
Empreinte de poésie, la peinture de Riopelle se plaît à ne pas donner toutes les clefs de lecture de son oeuvre ou du moins à ne pas s'inscrire dans le seul registre d'un paysagisme abstrait dans lequel on l'a souvent enfermé. "Les voyages, ça fait un peu partie du rêve. Alors on peut se demander si on ne fait pas des tableaux avant d'avoir voyagé. Peut-être qu'on voyage pour trouver des titres aux tableaux qu'on a faits."
"There is no abstraction nor is there representation: there is only expression, and to express oneself is to look at things and face them. To abstract means to remove, to isolate, to separate, while my aim, on the contrary, is to add, to draw near, to bind."
Jean Paul Riopelle
Riopelle stands out as a unique figure in the abstract art scene of the 1950s. A product of France, the USA, and Canada, from whence stem his roots, the artist has retained his singularity. In 1954, aged 31, he abandoned the reflexes of his early years for a more composed style of painting that revealed a new maturity, especially on the very large formats that he tackled in this pivotal year. Indeed, that summer, Riopelle found a new studio in Vanves that provided a significantly larger workspace. The former social housing community centre boasted very high ceilings, as well as a mezzanine that enabled the artist to take a step back to see his paintings on ever larger canvasses. In parallel, his new partnership with the New York dealer Pierre Matisse opened the doors to collections and placed Riopelle in direct confrontation with the young art scene of the time formed by Kline, Gorky, Pollock, and Motherwell, amongst others. "The young Americans will surely go after your skin!", wrote Matisse in a letter to the artist. (Letter dated 7 January 1954 to Jean Paul Riopelle).
This is the context in which Riopelle painted Autriche III, an iconic example of Riopelle's work as 1954 turned into 1955. It is not insignificant that it shares its name with its sister-piece that currently resides in the collection of the Montreal Museum of Fine Arts. Belonging for many years to one of the largest collections of Post-War modern art, the Berthold & Gigi Urvater collection in Belgium, the painting has been exhibited several times as part of this collection before finding its home in a building designed especially by André Jacqmain to accommodate the collection.
In Autriche III, Riopelle has chosen to give prominence to white in the middle of the painting. The importance of this colour in the compositions of paintings of this period, and this one in particular, is based on an approach to painting on different levels. Indeed, for Riopelle, white forms a kind of paradox in his paintings. Here, the first thing that can be seen is the memory of a journey to the Austrian Alps that took place in winter 1954, which the title of the painting seems to evoke. The artist's eye soaked up the visual force of the snowy landscape, and the propensity of white to make other colours radiate outwards. Shades of red, yellow, green, and blue are dotted on the canvas, emerging through contrast with this white whose strokes appear to invade the canvas. Riopelle uses received components and perceived sensations to bring out the vibration of the colour and light that he has just created. Just as Gerhard Richter uses white to underline the multiple underlying layers of his palette through contrast, in Autriche III Riopelle finds a rare harmony where the eye vibrates, guided across the canvas at the whim of the brush strokes. However, in addition to the monumental scale of his painting, the piece also possesses a far more intimate dimension for Riopelle. The white that splinters and reflects light paradoxically also evokes the death of his father in the autumn of 1954. Just like Joan Mitchell, who he would meet six months later, the white seems to be both ambivalent and tinged with loss, and permeated with the light that shone out of a series of pieces painted in late 1954.
Imbued with poetry, Riopelle's painting prefers not to provide all of the keys to its reading, or at least not to limit itself to the single register of abstract landscapes to which it is often consigned. "Travel is part of the dream. I wonder if we don't actually make paintings before we have travelled, or perhaps we travel to find the names for the paintings we've made."
"Il n'y a pas d'abstraction ni de figuration : il n'y a que de l'expression, et s'exprimer, c'est se placer en face des choses. Abstraire, cela veut dire enlever, isoler, séparer, alors que je vise au contraire à ajouter, approcher, lier."
Jean Paul Riopelle
Riopelle fait figure de peintre à part dans le paysage de l'abstraction des années 50. A mi-chemin entre la France, les États-Unis et le Canada dont il tire ses racines, l'artiste tient à sa singularité. En 1954, à maintenant 31 ans, il a délaissé l'automatisme de ses premières années pour une peinture plus construite et qui révèle une maturité nouvelle notamment face aux très grands formats auxquels il s'attaque en cette année charnière. En effet, au cours de l'été, Riopelle trouve un nouvel atelier à Vanves qui lui offre un espace de travail considérablement augmenté. Cette ancienne salle des fêtes d'un HLM possède une hauteur sous plafond très importante et est surtout dotée d'une mezzanine qui lui offre désormais la possibilité de prendre du recul sur ses tableaux aux formats de plus en plus imposants. Parallèlement, sa nouvelle collaboration avec le marchand Pierre Matisse à New York lui ouvre les portes des collections et le place en confrontation directe avec la jeune scène artistique de l'époque formée entre autres par Kline, Gorky, Pollock ou Motherwell. "Les jeunes américains vont sans doute être après votre peau" lui écrit d'ailleurs Matisse (Lettre du 7 janvier 1954 à Jean Paul Riopelle).
C'est ainsi dans ce contexte que Riopelle peint Autriche III, oeuvre emblématique de la création de Riopelle au tournant des années 1954-1955. Il n'est d'ailleurs pas anodin que celle-ci partage son titre avec sa soeur aujourd'hui dans les collections du Musée des Beaux-Arts de Montréal. Conservée pendant longtemps dans l'une des plus importantes collections d'art moderne de l'Après-Guerre, la collection de Berthold et Gigi Urvater situé en Belgique, ce tableau avait été exposé à plusieurs reprises au sein de cette collection avant de trouver sa place dans la maison d'architecte conçue spécifiquement par André Jacqmain pour y recevoir leurs oeuvres.
Dans Autriche III, Riopelle choisit de faire surgir le blanc au milieu de sa peinture. L'importance de cette couleur dans les compositions des tableaux de cette période et plus particulièrement dans celle-ci repose sur une approche à plusieurs niveaux de son travail. En effet, le blanc chez Riopelle comporte dans sa peinture une forme de paradoxe. Ici, il faut avant tout y voir les réminiscences d'un voyage qu'il effectue à l'hiver 1954 dans les Alpes autrichiennes et auquel son titre semble faire écho. L'oeil de l'artiste s'est imprégné de la force visuelle du paysage enneigé et de cette propension du blanc à faire irradier les autres couleurs. Des tonalités de rouge, de jaune, de vert, de bleu ponctuellement disposées sur la toile surgissent ainsi par contraste à ce blanc dont les touches semblent envahir la toile. Riopelle s'appuie ainsi sur des éléments reçus, des sensations perçues pour en tirer la vibration de la couleur et de la lumière qu'il parvient à recréer. De la même manière que Gerhard Richter s'appuie sur le blanc pour souligner par opposition les multiples couches sous-jacentes de sa palette, il trouve dans Autriche III une harmonie rare où l'oeil vibre, conduit de part en part aux grès de touches. Cependant, face à cette dimension monumentale de sa peinture, l'oeuvre possède néanmoins une dimension beaucoup plus intime pour Riopelle. Le blanc, qui éclate et renvoie à la lumière, fait paradoxalement écho au décès de son père à l'automne de 1954. Tout comme chez Joan Mitchell, qu'il rencontrera six mois plus tard, le blanc semble ainsi ambivalent à la fois teinté de la perte des proches et emplie d'une lumière qui vient irradier la série d'oeuvres réalisées en cette fin d'année 1954.
Empreinte de poésie, la peinture de Riopelle se plaît à ne pas donner toutes les clefs de lecture de son oeuvre ou du moins à ne pas s'inscrire dans le seul registre d'un paysagisme abstrait dans lequel on l'a souvent enfermé. "Les voyages, ça fait un peu partie du rêve. Alors on peut se demander si on ne fait pas des tableaux avant d'avoir voyagé. Peut-être qu'on voyage pour trouver des titres aux tableaux qu'on a faits."
"There is no abstraction nor is there representation: there is only expression, and to express oneself is to look at things and face them. To abstract means to remove, to isolate, to separate, while my aim, on the contrary, is to add, to draw near, to bind."
Jean Paul Riopelle
Riopelle stands out as a unique figure in the abstract art scene of the 1950s. A product of France, the USA, and Canada, from whence stem his roots, the artist has retained his singularity. In 1954, aged 31, he abandoned the reflexes of his early years for a more composed style of painting that revealed a new maturity, especially on the very large formats that he tackled in this pivotal year. Indeed, that summer, Riopelle found a new studio in Vanves that provided a significantly larger workspace. The former social housing community centre boasted very high ceilings, as well as a mezzanine that enabled the artist to take a step back to see his paintings on ever larger canvasses. In parallel, his new partnership with the New York dealer Pierre Matisse opened the doors to collections and placed Riopelle in direct confrontation with the young art scene of the time formed by Kline, Gorky, Pollock, and Motherwell, amongst others. "The young Americans will surely go after your skin!", wrote Matisse in a letter to the artist. (Letter dated 7 January 1954 to Jean Paul Riopelle).
This is the context in which Riopelle painted Autriche III, an iconic example of Riopelle's work as 1954 turned into 1955. It is not insignificant that it shares its name with its sister-piece that currently resides in the collection of the Montreal Museum of Fine Arts. Belonging for many years to one of the largest collections of Post-War modern art, the Berthold & Gigi Urvater collection in Belgium, the painting has been exhibited several times as part of this collection before finding its home in a building designed especially by André Jacqmain to accommodate the collection.
In Autriche III, Riopelle has chosen to give prominence to white in the middle of the painting. The importance of this colour in the compositions of paintings of this period, and this one in particular, is based on an approach to painting on different levels. Indeed, for Riopelle, white forms a kind of paradox in his paintings. Here, the first thing that can be seen is the memory of a journey to the Austrian Alps that took place in winter 1954, which the title of the painting seems to evoke. The artist's eye soaked up the visual force of the snowy landscape, and the propensity of white to make other colours radiate outwards. Shades of red, yellow, green, and blue are dotted on the canvas, emerging through contrast with this white whose strokes appear to invade the canvas. Riopelle uses received components and perceived sensations to bring out the vibration of the colour and light that he has just created. Just as Gerhard Richter uses white to underline the multiple underlying layers of his palette through contrast, in Autriche III Riopelle finds a rare harmony where the eye vibrates, guided across the canvas at the whim of the brush strokes. However, in addition to the monumental scale of his painting, the piece also possesses a far more intimate dimension for Riopelle. The white that splinters and reflects light paradoxically also evokes the death of his father in the autumn of 1954. Just like Joan Mitchell, who he would meet six months later, the white seems to be both ambivalent and tinged with loss, and permeated with the light that shone out of a series of pieces painted in late 1954.
Imbued with poetry, Riopelle's painting prefers not to provide all of the keys to its reading, or at least not to limit itself to the single register of abstract landscapes to which it is often consigned. "Travel is part of the dream. I wonder if we don't actually make paintings before we have travelled, or perhaps we travel to find the names for the paintings we've made."