Lot Essay
"D'abord, il n'y a rien, ensuite il y a un rien profond, puis une profondeur bleue."
Yves Klein citant Gaston Bachelard
Conférence à la Sorbonne, L’évolution de l’art vers l’immatériel, 3 juin 1959
Réalisé vers 1955, Monochrome bleu sans titre, (IKB 240) fait partie des premières propositions monochromes réalisées par Yves Klein, au cours d'une année décisive dans la trajectoire artistique de l'artiste: "Aujourd'hui 1955, me voilà à paris, au Select, à la recherche de quelque chose de grand. Je me suis aperu que le plaisir, on peut le trouver dans l'orgueil aussi. Je pense que je suis un génie et pourtant je ne produis rien de sensationnel." (Yves Klein, "Aujourd'hui 1955", Journal, 1954-1955). Sa carrière d'artiste est pourtant sur le point d'éclore: en octobre de cette même année, l'artiste expose pour la première fois ses monochromes au Club des Solitaires à Paris, et cette exposition lui permet de faire une rencontre capitale: celle de Pierre Restany. L'entente entre les deux hommes est immédiate. Comme le résume Nicolas Charlet: "Yves Klein sait intuitivement la profondeur de sa démarche. Il sent la force d'expression de ses tableaux. Il a bien des arguments à avancer, mais sa pensée reste confuse. Tout est en place, seuls le vocabulaire et la grammaire manquent. L'esprit souffle déjà; avec l'aide de Pierre Restany, Yves Klein en fera un brasier." (Nicolas Charlet, Yves Klein, Paris, 2000, p. 54).
Monochrome bleu sans titre, (IKB 240) est un exemple emblématique de ses premières expériences au coeur du monochrome: l'artiste travaille au rouleau, parcourant la surface de la toile appelée à devenir progressivement "un épiderme vivant à mesure que le peintre peint" (Yves Klein, note rédigée sur une feuille volante, in "Yves Klein, Le dépassement de la problématique de l'art et autres écrits", ENSBA, Paris, 2003, p. 415). Les bords et les angles de l'oeuvre sont arrondis, le pigment déborde sur les tranches épaisses de la toile, sans que l'oeil puisse clairement délimiter là où s'arrête le tableau. La césure brutale, habituelle aux oeuvres d'art, entre la surface des toiles et leur environnement extérieur, est ici annihilée: l'oeuvre se fond progressivement dans l'espace, avec une douceur veloutée.
De cette façon, la couleur pure se dilate un peu plus sur la surface de la toile, engendrant un objet que le regardeur ne parvient ni à rattacher tout à fait à une peinture, ni complètement à une sculpture. Cet effet de distorsion est renforcé par l'absence de cadre sur les monochromes d'Yves Klein, voulue par l'artiste: les oeuvres s'offrent nues au spectateur et déploient leur couleur sans contrainte, comme flottant librement sur les murs et engendrant autour d'elles un espace immatériel, invisible, imprégnant tout entier celui qui les contemple. L'expérience esthétique des oeuvres d'Yves Klein tient dès lors autant de la réalité physique et matérielle des monochromes que de leur manifestation immatérielle, leur faon de diffuser dans l'espace leur halo de mystère. Comme le note Yves Klein, "Le tableau physique ne doit son droit de vivre en somme qu’au seul fait que l’on ne croit qu’au visible tout en sentant bien obscurément la présence essentielle d’autre chose, bien autrement plus important, parfois fort peu visible!" (Yves Klein, L’aventure monochrome - Le Vrai devient Réalité ou Pourquoi Pas!, in "Yves Klein, Le dépassement de la problématique de l'art et autres écrits", ENSBA, Paris, 2003, p. 234). Ainsi, le bleu a la propriété de révéler l'ineffable et de rendre sensible l'indéfinissable: "Par le Bleu, la "grande couleur", je cerne de plus en plus "l'indéfinissable" dont a parlé Delacroix dans son Journal comme étant le seul vrai "mérite du tableau"." (Yves Klein, in "Yves Klein, Le dépassement de la problématique de l'art et autres écrits", ENSBA, Paris, 2003, p. 82).
"First there is nothing, then a deep nothingness, and then a blue depth."
Yves Klein quoting Gaston Bachelard
Conférence à la Sorbonne, L’évolution de l’art vers l’immatériel, 3 June 1959
Monochrome bleu sans titre, (IKB 240) is one of the first monochrome pieces produced by Yves Klein throughout a decisive year in his artistic development. "Today in 1955, I'm in Paris at Select, looking for something big. I realised that pleasure can also be found in pride. I think that I'm a genius and yet I never make anything sensational." (Yves Klein, "Aujourd'hui 1955", Journal, 1954-1955). His artistic career was, however, about to take off: in October of that very year, the artist exhibited his monochromes for the very first time at the Club des Solitaires in Paris, and it provided the setting for a significant encounter: that with Pierre Restany. The two men had an immediate rapport. As Nicolas Charlet summed it up: "Yves Klein intuitively knew the depth of his approach. He felt the expressive force of his paintings. He knew what he needed to progress, but his thought remained confused. Everything was in place, only the vocabulary and the grammar were missing. The idea was already smouldering, and with Pierre Restany's help, Yves Klein would turn it into an inferno." (Nicolas Charlet, Yves Klein, Paris, 2000, p. 54).
Monochrome bleu sans titre, (IKB 240) is an iconic example of his first experiments with monochrome: the artist worked with a roller, covering the surface of the canvas destined to gradually become "a living skin as the painter paints" (Yves Klein, note on scrap paper, in Yves Klein, Le dépassement de la problématique de l'art et autres écrits, ENSBA, Paris, 2003, p. 415). The work's angles and edges are rounded, the pigment overflowing from the thick edges of the canvas with the eye unable to clearly distinguish where the painting ends. The usual severe rupture between the canvas and its surroundings is here annihilated: the piece gradually melts into the space with velvet softness.
In this way, the pure colour swells on the canvas, creating an object that the viewer cannot quite define as a painting, nor a sculpture. This distortion is bolstered by the lack of a frame for Yves Klein's monochromes, a conscious decision: the pieces bare all to the viewer and deliver their colour free from constraint, as if floating freely upon the walls and creating around them an intangible, invisible space that envelops the viewer completely. The aesthetic experience of Yves Klein's work then becomes as much a physical, material reality of the monochromes as of their immaterial manifestation, their way of broadcasting their halo of mystery into the space around them. As Yves Klein noted, "In short, the physical painting owes its very existence only to the fact that we only believe in what is visible, yet experience the vague feeling of the essential presence of something else, something far more important, sometimes much less visible." (Yves Klein, L’aventure monochrome - Le Vrai devient Réalité ou Pourquoi Pas !, in "Yves Klein, Le dépassement de la problématique de l'art et autres écrits", ENSBA, Paris, 2003, p. 234). Thus, the blue has the ability to reveal the ineffable and to make the indefinable real: "In Blue, the 'great colour', I can see more and more of the "indefinable" that Delacroix spoke of in his Journal as if it was the only real 'merit of a painting'." (Yves Klein, Le dépassement de la problématique de l'art, in "Yves Klein, Le dépassement de la problématique de l'art et autres écrits", ENSBA, Paris, 2003, p. 82).
Yves Klein citant Gaston Bachelard
Conférence à la Sorbonne, L’évolution de l’art vers l’immatériel, 3 juin 1959
Réalisé vers 1955, Monochrome bleu sans titre, (IKB 240) fait partie des premières propositions monochromes réalisées par Yves Klein, au cours d'une année décisive dans la trajectoire artistique de l'artiste: "Aujourd'hui 1955, me voilà à paris, au Select, à la recherche de quelque chose de grand. Je me suis aperu que le plaisir, on peut le trouver dans l'orgueil aussi. Je pense que je suis un génie et pourtant je ne produis rien de sensationnel." (Yves Klein, "Aujourd'hui 1955", Journal, 1954-1955). Sa carrière d'artiste est pourtant sur le point d'éclore: en octobre de cette même année, l'artiste expose pour la première fois ses monochromes au Club des Solitaires à Paris, et cette exposition lui permet de faire une rencontre capitale: celle de Pierre Restany. L'entente entre les deux hommes est immédiate. Comme le résume Nicolas Charlet: "Yves Klein sait intuitivement la profondeur de sa démarche. Il sent la force d'expression de ses tableaux. Il a bien des arguments à avancer, mais sa pensée reste confuse. Tout est en place, seuls le vocabulaire et la grammaire manquent. L'esprit souffle déjà; avec l'aide de Pierre Restany, Yves Klein en fera un brasier." (Nicolas Charlet, Yves Klein, Paris, 2000, p. 54).
Monochrome bleu sans titre, (IKB 240) est un exemple emblématique de ses premières expériences au coeur du monochrome: l'artiste travaille au rouleau, parcourant la surface de la toile appelée à devenir progressivement "un épiderme vivant à mesure que le peintre peint" (Yves Klein, note rédigée sur une feuille volante, in "Yves Klein, Le dépassement de la problématique de l'art et autres écrits", ENSBA, Paris, 2003, p. 415). Les bords et les angles de l'oeuvre sont arrondis, le pigment déborde sur les tranches épaisses de la toile, sans que l'oeil puisse clairement délimiter là où s'arrête le tableau. La césure brutale, habituelle aux oeuvres d'art, entre la surface des toiles et leur environnement extérieur, est ici annihilée: l'oeuvre se fond progressivement dans l'espace, avec une douceur veloutée.
De cette façon, la couleur pure se dilate un peu plus sur la surface de la toile, engendrant un objet que le regardeur ne parvient ni à rattacher tout à fait à une peinture, ni complètement à une sculpture. Cet effet de distorsion est renforcé par l'absence de cadre sur les monochromes d'Yves Klein, voulue par l'artiste: les oeuvres s'offrent nues au spectateur et déploient leur couleur sans contrainte, comme flottant librement sur les murs et engendrant autour d'elles un espace immatériel, invisible, imprégnant tout entier celui qui les contemple. L'expérience esthétique des oeuvres d'Yves Klein tient dès lors autant de la réalité physique et matérielle des monochromes que de leur manifestation immatérielle, leur faon de diffuser dans l'espace leur halo de mystère. Comme le note Yves Klein, "Le tableau physique ne doit son droit de vivre en somme qu’au seul fait que l’on ne croit qu’au visible tout en sentant bien obscurément la présence essentielle d’autre chose, bien autrement plus important, parfois fort peu visible!" (Yves Klein, L’aventure monochrome - Le Vrai devient Réalité ou Pourquoi Pas!, in "Yves Klein, Le dépassement de la problématique de l'art et autres écrits", ENSBA, Paris, 2003, p. 234). Ainsi, le bleu a la propriété de révéler l'ineffable et de rendre sensible l'indéfinissable: "Par le Bleu, la "grande couleur", je cerne de plus en plus "l'indéfinissable" dont a parlé Delacroix dans son Journal comme étant le seul vrai "mérite du tableau"." (Yves Klein, in "Yves Klein, Le dépassement de la problématique de l'art et autres écrits", ENSBA, Paris, 2003, p. 82).
"First there is nothing, then a deep nothingness, and then a blue depth."
Yves Klein quoting Gaston Bachelard
Conférence à la Sorbonne, L’évolution de l’art vers l’immatériel, 3 June 1959
Monochrome bleu sans titre, (IKB 240) is one of the first monochrome pieces produced by Yves Klein throughout a decisive year in his artistic development. "Today in 1955, I'm in Paris at Select, looking for something big. I realised that pleasure can also be found in pride. I think that I'm a genius and yet I never make anything sensational." (Yves Klein, "Aujourd'hui 1955", Journal, 1954-1955). His artistic career was, however, about to take off: in October of that very year, the artist exhibited his monochromes for the very first time at the Club des Solitaires in Paris, and it provided the setting for a significant encounter: that with Pierre Restany. The two men had an immediate rapport. As Nicolas Charlet summed it up: "Yves Klein intuitively knew the depth of his approach. He felt the expressive force of his paintings. He knew what he needed to progress, but his thought remained confused. Everything was in place, only the vocabulary and the grammar were missing. The idea was already smouldering, and with Pierre Restany's help, Yves Klein would turn it into an inferno." (Nicolas Charlet, Yves Klein, Paris, 2000, p. 54).
Monochrome bleu sans titre, (IKB 240) is an iconic example of his first experiments with monochrome: the artist worked with a roller, covering the surface of the canvas destined to gradually become "a living skin as the painter paints" (Yves Klein, note on scrap paper, in Yves Klein, Le dépassement de la problématique de l'art et autres écrits, ENSBA, Paris, 2003, p. 415). The work's angles and edges are rounded, the pigment overflowing from the thick edges of the canvas with the eye unable to clearly distinguish where the painting ends. The usual severe rupture between the canvas and its surroundings is here annihilated: the piece gradually melts into the space with velvet softness.
In this way, the pure colour swells on the canvas, creating an object that the viewer cannot quite define as a painting, nor a sculpture. This distortion is bolstered by the lack of a frame for Yves Klein's monochromes, a conscious decision: the pieces bare all to the viewer and deliver their colour free from constraint, as if floating freely upon the walls and creating around them an intangible, invisible space that envelops the viewer completely. The aesthetic experience of Yves Klein's work then becomes as much a physical, material reality of the monochromes as of their immaterial manifestation, their way of broadcasting their halo of mystery into the space around them. As Yves Klein noted, "In short, the physical painting owes its very existence only to the fact that we only believe in what is visible, yet experience the vague feeling of the essential presence of something else, something far more important, sometimes much less visible." (Yves Klein, L’aventure monochrome - Le Vrai devient Réalité ou Pourquoi Pas !, in "Yves Klein, Le dépassement de la problématique de l'art et autres écrits", ENSBA, Paris, 2003, p. 234). Thus, the blue has the ability to reveal the ineffable and to make the indefinable real: "In Blue, the 'great colour', I can see more and more of the "indefinable" that Delacroix spoke of in his Journal as if it was the only real 'merit of a painting'." (Yves Klein, Le dépassement de la problématique de l'art, in "Yves Klein, Le dépassement de la problématique de l'art et autres écrits", ENSBA, Paris, 2003, p. 82).