Lot Essay
« J’ai toujours imaginé le paradis comme une sorte de bibliothèque »
Jose Luis Borges, Poema de los Dones.
La bibliothèque est l’un des sujets de prédilections de Vieira da Silva : on la retrouve dans l’ensemble de son œuvre, de l’immédiat après-guerre jusqu’aux années 1980. L’un des plus célèbres exemples de cette série (Bibliothèque, 1949) est conservé dans les collections du Centre Pompidou. Ce thème offre en effet à l’artiste un terrain d’expérimentations à la mesure de son art d’équilibriste entre figuration et abstraction, entre rigueur et fantaisie, entre le trait et la couleur - et dont la présente Bibliothèque constitue une illustration emblématique.
Ici, la composition de la toile se structure avant tout par de grandes lignes verticales, à la façon d’immenses rayonnages allant du sol au plafond. C’est sur ces lignes que viennent s’intercaler une multitude d’aplats de couleurs rectangulaires, comme autant de tranches de livres - d’épaisseurs et de hauteurs différentes - sur lesquels l’œil distingue çà et là des lettres ou de fragments de mots qui, s’ils restent à l’état de signes, n’en permettent pas moins d’ancrer davantage encore le tableau dans la réalité de cette bibliothèque. La perspective est malmenée par la disproportion des étagères gigantesques au regard du peu d’espace laissé au sol, relégué dans l’angle inférieur gauche de la composition : de haut en bas, les livres sont partout et semblent se prolonger bien au-delà des limites du tableau. Le regard est alors pris d’un vertige, dépassé par le sujet de cette œuvre qui rappelle l’univers borgésien de la Bibliothèque de Babel.
C’est aussi par sa palette que Bibliothèque captive celui qui la regarde, et avant en raison de ce rouge extrêmement intense qui, bien que minoritaire sur la toile, imprime durablement la rétine du spectateur : c’est ainsi qu’on a pu dire que dans cette œuvre « le rouge impose son emprise malgré une utilisation limitée » (D. Daval Béran in G. Weelen et J.-F. Jaeger, Vieira da Silva, Monographie, Genève, 1993, p. 326). A la rigueur de la trame, répond l’infinie déclinaison des tonalités de couleurs : outre le rouge, les indigos parcourent la toile, ponctués d’ocres, de jaunes, de lavis mauves, vert d’eau, rose pâle, encadrés de grandes plages de noir profond, d’anthracite et de beige. Bibliothèque fait en cela écho écho aux mots de l’artiste : « avant de dessiner un tableau, j’ai envie de peindre certaines couleurs. La décision, c’est la couleur, en général, pas la ligne. » (Vieira da Silva citée dans A. Parinaud, « Vieira da Silva : peindre c’est marier le regard intérieur au regard extérieur, La Galerie, Paris, juin 1974). C’est enfin dans le motif du damier, présent dans la partie basse du tableau, que s’exprime l’habileté de coloriste de Vieira da Silva, dans la déclinaison infinie des touches de gris ou, plus encore, dans l’équilibre auquel parvient la juxtaposition des trois couleurs primaires encadrées de noir, qui rappelle combien la découverte de l’œuvre de Joaquín Torres-García, en 1929, aura été déterminante pour l’artiste portugaise.
“I always imagined heaven as a kind of library”
Jose Luis Borges, Poema de los Dones.
The library is one of Vieira da Silva’s preferred subjects; it can be found throughout his oeuvre from the immediate post-war period to the early 1980s. One of the most famous examples of this series (Library, 1949) is stored in the collections of the Centre Pompidou. Indeed, this theme provides the artist with a scope for experimentation that matches his balancing act between the figurative and the abstract, between accuracy and fantasy, line and colour, and of which Library is an iconic illustration.
Here, the composition is structured primarily by large vertical lines in the form of huge stripes from floor to ceiling. Inserted between these lines are a multitude of rectangular splashes of colour, like so many spines of books - with varying heights and widths - upon which the eye can distinguish here and there letters or fragments of words that, while they remain characters, nevertheless further bind the painting to the reality of this library. Perspective is distorted by the disproportionate scale of the huge shelves with regard to the small floor space, relegated to the bottom left corner of the composition: from top to bottom, books are everywhere and seem to extend far beyond the edges of the painting. The view is therefore vertiginous, overlooked by the subject of this painting that is reminiscent of Borges’ Library of Babel.
Library also captivates the viewer through its palette, not least of all due to the extremely intense red that, while in the minority on the canvas, leaves a lasting imprint on the spectator’s retina. Indeed, it has been said of the painting that “the red imposes its grip despite being used sparingly. (D. Daval Béran in G. Weelen and J.-F. Jaeger, Vieira da Silva, Monographie, Geneva, 1993, p.326). The tight weave is met by the infinite variety of shades used: in addition to reds, indigos run across the canvas punctuated with ochres, yellows, washed out purples, turquoise, and pale pink, bordered by strokes of pitch black, anthracite, and beige. As such, Library echoes the artist’s own words: “before starting to paint, I want to paint certain colours. What decides is the colour, in general, not the line.” (Vieira da Silva quoted in A. Parinaud, “Vieira da Silva : peindre c’est marier le regard intérieur au regard extérieur, La Galerie, Paris, June 1974). Lastly it is in the draughtboard pattern, at the bottom of the painting, that Vieira da Silva’s ability as a colourist is expressed, in the infinite variety of greys used, or again in the balance achieved in the juxtaposition of the three primary colours bordered in black, that reminds us just how influential the Portuguese artist’s discovery of Joaquín Torres-García’s work was in 1929.
Jose Luis Borges, Poema de los Dones.
La bibliothèque est l’un des sujets de prédilections de Vieira da Silva : on la retrouve dans l’ensemble de son œuvre, de l’immédiat après-guerre jusqu’aux années 1980. L’un des plus célèbres exemples de cette série (Bibliothèque, 1949) est conservé dans les collections du Centre Pompidou. Ce thème offre en effet à l’artiste un terrain d’expérimentations à la mesure de son art d’équilibriste entre figuration et abstraction, entre rigueur et fantaisie, entre le trait et la couleur - et dont la présente Bibliothèque constitue une illustration emblématique.
Ici, la composition de la toile se structure avant tout par de grandes lignes verticales, à la façon d’immenses rayonnages allant du sol au plafond. C’est sur ces lignes que viennent s’intercaler une multitude d’aplats de couleurs rectangulaires, comme autant de tranches de livres - d’épaisseurs et de hauteurs différentes - sur lesquels l’œil distingue çà et là des lettres ou de fragments de mots qui, s’ils restent à l’état de signes, n’en permettent pas moins d’ancrer davantage encore le tableau dans la réalité de cette bibliothèque. La perspective est malmenée par la disproportion des étagères gigantesques au regard du peu d’espace laissé au sol, relégué dans l’angle inférieur gauche de la composition : de haut en bas, les livres sont partout et semblent se prolonger bien au-delà des limites du tableau. Le regard est alors pris d’un vertige, dépassé par le sujet de cette œuvre qui rappelle l’univers borgésien de la Bibliothèque de Babel.
C’est aussi par sa palette que Bibliothèque captive celui qui la regarde, et avant en raison de ce rouge extrêmement intense qui, bien que minoritaire sur la toile, imprime durablement la rétine du spectateur : c’est ainsi qu’on a pu dire que dans cette œuvre « le rouge impose son emprise malgré une utilisation limitée » (D. Daval Béran in G. Weelen et J.-F. Jaeger, Vieira da Silva, Monographie, Genève, 1993, p. 326). A la rigueur de la trame, répond l’infinie déclinaison des tonalités de couleurs : outre le rouge, les indigos parcourent la toile, ponctués d’ocres, de jaunes, de lavis mauves, vert d’eau, rose pâle, encadrés de grandes plages de noir profond, d’anthracite et de beige. Bibliothèque fait en cela écho écho aux mots de l’artiste : « avant de dessiner un tableau, j’ai envie de peindre certaines couleurs. La décision, c’est la couleur, en général, pas la ligne. » (Vieira da Silva citée dans A. Parinaud, « Vieira da Silva : peindre c’est marier le regard intérieur au regard extérieur, La Galerie, Paris, juin 1974). C’est enfin dans le motif du damier, présent dans la partie basse du tableau, que s’exprime l’habileté de coloriste de Vieira da Silva, dans la déclinaison infinie des touches de gris ou, plus encore, dans l’équilibre auquel parvient la juxtaposition des trois couleurs primaires encadrées de noir, qui rappelle combien la découverte de l’œuvre de Joaquín Torres-García, en 1929, aura été déterminante pour l’artiste portugaise.
“I always imagined heaven as a kind of library”
Jose Luis Borges, Poema de los Dones.
The library is one of Vieira da Silva’s preferred subjects; it can be found throughout his oeuvre from the immediate post-war period to the early 1980s. One of the most famous examples of this series (Library, 1949) is stored in the collections of the Centre Pompidou. Indeed, this theme provides the artist with a scope for experimentation that matches his balancing act between the figurative and the abstract, between accuracy and fantasy, line and colour, and of which Library is an iconic illustration.
Here, the composition is structured primarily by large vertical lines in the form of huge stripes from floor to ceiling. Inserted between these lines are a multitude of rectangular splashes of colour, like so many spines of books - with varying heights and widths - upon which the eye can distinguish here and there letters or fragments of words that, while they remain characters, nevertheless further bind the painting to the reality of this library. Perspective is distorted by the disproportionate scale of the huge shelves with regard to the small floor space, relegated to the bottom left corner of the composition: from top to bottom, books are everywhere and seem to extend far beyond the edges of the painting. The view is therefore vertiginous, overlooked by the subject of this painting that is reminiscent of Borges’ Library of Babel.
Library also captivates the viewer through its palette, not least of all due to the extremely intense red that, while in the minority on the canvas, leaves a lasting imprint on the spectator’s retina. Indeed, it has been said of the painting that “the red imposes its grip despite being used sparingly. (D. Daval Béran in G. Weelen and J.-F. Jaeger, Vieira da Silva, Monographie, Geneva, 1993, p.326). The tight weave is met by the infinite variety of shades used: in addition to reds, indigos run across the canvas punctuated with ochres, yellows, washed out purples, turquoise, and pale pink, bordered by strokes of pitch black, anthracite, and beige. As such, Library echoes the artist’s own words: “before starting to paint, I want to paint certain colours. What decides is the colour, in general, not the line.” (Vieira da Silva quoted in A. Parinaud, “Vieira da Silva : peindre c’est marier le regard intérieur au regard extérieur, La Galerie, Paris, June 1974). Lastly it is in the draughtboard pattern, at the bottom of the painting, that Vieira da Silva’s ability as a colourist is expressed, in the infinite variety of greys used, or again in the balance achieved in the juxtaposition of the three primary colours bordered in black, that reminds us just how influential the Portuguese artist’s discovery of Joaquín Torres-García’s work was in 1929.