Lot Essay
Eric Mouchet a confirmé l’authenticité de cette œuvre.
Christian Pattyn de la Fondation le Corbusier avait confirmé l’authenticité de cette œuvre en 1994.
En 1998, le Time magazine cite Le Corbusier parmi les vingt personnalités les plus influentes de l’art moderne. Mais si la reconnaissance critique et commerciale honore son travail d’architecte dès les débuts de sa carrière - ses projets d’urbanisme dans le monde entier lui assurant une renommée durable - ce n’est que tardivement qu’il est salué en tant que peintre. Cela est en partie dû au refus de l’artiste lui-même d’exposer sa peinture, en dépit du fait qu’il travaille en deux dimensions depuis ses débuts, comme le soulignent Naïma et Jean-Pierre Jornod dans leur introduction au catalogue raisonné. Il pratique notamment le dessin avec ardeur dès l’âge de cinq ans, et tout au long de sa vie. S’il cherche à mettre en avant son travail d’architecte, il considère la peinture comme un acte personnel et intime. Durant toute sa carrière, il s’attache à dégager du temps (le matin, tard le soir et le weekend) pour continuer à peindre. Il accorde donc sans aucun doute une place essentielle à la peinture qu’il exprime plus tard en ces termes : «je crois que si l’on attache une certaine importance à mon travail d’architecte, c’est à cet effort secret que l’on doit accorder la réelle valeur» (cité in N et J.-P. Jornod, ibid., p. 245).
Le présent tableau s’inscrit dans une période de renouveau décisif pour l’artiste. Seulement dix-huit mois plus tôt, Le Corbusier rompt tout lien avec Amédée Ozenfant, ami et co-fondateur du mouvement puriste. À partir de 1918 et pendant sept ans, les deux artistes, avec l’aide de Fernand Léger, développent une approche hautement théorique de la peinture, basée sur l’idée que le cubisme s’est corrompu en s’éloignant des intentions initialement pures de ses principes fondateurs. La rupture avec Ozenfant en 1925 est amère, nourrie d’un échange de correspondance houleux entre les deux artistes, leur ancienne complicité faisant place à un désir de destruction mutuelle. La période qui suit, que Le Corbusier qualifie de «deuil», le pousse à élaborer un nouveau style personnel. Débarrassé des entraves du purisme, il peut enfin donner libre cours à son exploration de la peinture.
Trois bouteilles (Bleu) est une oeuvre clé dans l’évolution artistique du Corbusier, marquée à la fois par une précision méticuleuse et un fort élan de personnalisation. La nature morte reste le sujet de prédilection de l’artiste et, comme pour toutes ses oeuvres importantes, il consacre à Trois Bouteilles (Bleu) un long processus de réflexion afin de sélectionner les éléments présentés et de les organiser dans sa composition. Étroitement lié aux œuvres de 1927 et 1928 par son sujet, ce tableau explore des territoires nouveaux, avec l’inclusion d’objets trouvés, représentés dans le quart supérieur gauche. Ils sont emblématiques de la direction prise ensuite par le Corbusier, et annonciateurs de l’étude qu’il mène bientôt de ses «objets à réaction poétique». Outre les qualités de forme et de composition de Trois Bouteilles (Bleu), il se distingue aussi par sa superbe palette. Le Corbusier attache une importance particulière au choix de la couleur, et à son impact sur le spectateur. Exprimant une humeur, un sentiment ou un état d’esprit, la couleur est le véritable vecteur des émotions du peintre, comme il le raconte lui-même dans une anecdote : «Fernand Léger passe la journée de dimanche ici. Grand type, fort, sain, subtil, vrai. Stupéfait du tourment, de l’explosif, de la violence de ma peinture. Bien sûr, j’explose enfin là-dedans puisque partout ailleurs il faut faire le poing dans sa poche» (lettre à sa mère, 3 novembre 1934, cité in ibid., p. 265). Le Corbusier considère ses oeuvres à partir de 1928 comme particulièrement accomplies du point de vue de l’utilisation de la couleur. Il écrit encore à sa mère : «Ma peinture va bien cette fois. J’ai trouvé le truc de la couleur propre. Voilà 10 ans que je tournais autour» (lettre à sa mère, 20 janvier 1928, cité in ibid. p. 264). Le bleu utilisé par l’artiste, essentiel dans ce tableau et cité dans le titre, a une signification particulière et symbolise l’espace. Le bleu évoque plus particulièrement pour Le Corbusier les profondeurs mystérieuses, comme celles du lac près duquel il a grandi. C’est là qu’il retourne en 1926 pour assister à la mort de son père, qui survient dans la maison qu’il a spécialement conçue pour lui, surplombant les eaux et entouré de montagnes brumeuses. C’est à l’époque où est peint Trois Bouteilles (bleu) que Charles-Édouard Jeanneret décide de prendre le pseudonyme du Corbusier. Inspiré du nom de jeune fille de sa mère, Corbésier, il fait également référence au corbeau («le corbu»), animal récurrent dans la culture amérindienne. Fort de cette nouvelle identité, Le Corbusier entame une période de liberté et de découverte sans précédent dans son oeuvre peint.
In 1998 Time magazine listed Le Corbusier as one of the twenty most influential personalities in the history of 20th century modernism. However, whilst Le Corbusier’s work in architecture received critical and commercial acclaim from an early stage in his career, and his urban planning projects across the globe had ensured an enduring international legacy, for many decades his work as a painter went without such recognition. This was in part due to the artist’s own decision to avoid any public display of his painted work. As Naïma and Jean-Pierre Jornod state in the introduction to their catalogue raisonné of the artist’s paintings, this was despite Le Corbusier in reality being a painter long before practicing anything else - from the age of 5 he passionately drew, an activity which would remain central to his daily activity and to his various professional spheres. In sharp contrast to the notoriety which he sought as an architect, for Le Corbusier the act of painting would remain a highly personal and intimate one. Throughout his long career, Le Corbusier continued to set aside specific times of the day (early mornings, late nights and weekends) in order to maintain his painting activity. Undeniably, therefore, he attached a significance to painting as he later expressed in clear terms: “I believe that if one attaches some importance to my work as an architect, it is to this secret effort that one should attribute the true value” (op. cit., p. 245).
The present painting was executed in a year of decisive redirection for the artist. Only eighteen months prior, Le Corbusier had broken ties with fellow artist Amédée Ozenfant with whom he had founded the Purism movement. Beginning in 1918 and for a period of seven years both artists, initially also working with Fernand Léger, had developed a highly theoretical approach to painting based on a belief that Cubism had become corrupted, straying from the initial pure intentions of its founding principles. The rupture with Ozenfant in 1925 had been bitter, fueled by a heated exchange of correspondence between the two artists. In the period of “mourning” - as Le Corbusier himself termed it (ibid., p. 1028) – which followed, he set out to shape his own individual visual style. Freed from the rigidity of the Purist canon, Le Corbusier could now explore the joy of painting. Trois Bouteilles (Bleu) is a key work in Le Corbusier’s progressive approach, displaying a characteristic focus on meticulousness but combined here with a strong urge towards personalization. Still life remained the artist’s particular domain of predilection and, as was the case with all of his major paintings, Trois Bouteilles (Bleu) was the final accomplishment in a lengthy process of thought and investigation as to the selection of elements and their compositional organisation. Closely related to the preceding works from 1927 and 1928 in terms of the subject matter, the present work nevertheless takes a step forwards with the inclusion of elements of found objects, depicted in the upper left quadrant, which intimate the direction in which Le Corbusier would take his painting with his exploration of Objets à reaction poétique. Beyond the compositional and formal qualities of the present work, it is the strong use of colour in Trois Bouteilles (Bleu) which further underscores its distinctiveness. Le Corbusier attached a particular significance to the selection of colour in order to establish the emotional quality of his work. Indicative of mood, emotion and a state of being, colour was the mechanism which allowed the artist’s true expression to surface, as the artist himself recalled via this anecdote: “Fernand Léger spends his Sundays here. He is solid, strong, healthy, subtle, true. He is taken aback by the turbulence, the explosiveness and the violence of my paintings. Naturally, I explode there because everywhere else I must keep my fist in my pocket.” (ibid., p. 265). Le Corbusier considered his works from 1928 as particularly accomplished from the point of view of his use of colour. As he wrote to his mother, “This time my painting is doing well. I’ve found the thing about colour itself. It’s been 10 years that I’ve been searching for it” (letter to his mother, 20 January 1928, cited in ibid., p. 264). The artist’s use of blue, central to this composition and as stated in the work’s title, held a specific meaning for the artist: that of space. Specifically, blue evoked for Le Corbusier mysterious depths, as embodied by the lake next to which he had grown up with his family. It was to this place that he would return in 1926 to witness the passing of his father in a cabin specifically designed by Le Corbusier with views onto the water and the hazy mountains beyond. Around the time that Trois Bouteilles (bleu) was executed, Charles Edouard Jeanneret made the decision to adopt the name of Le Corbusier, a diminutive of his maternal family’s name “Corbésier” as well as a reference to the native Americans’ use of the crow (“le corbu”) in their totems. Armed with his new identity, Le Corbusier had begun a period of unprecedented freedom and discovery in his painted oeuvre .
Christian Pattyn de la Fondation le Corbusier avait confirmé l’authenticité de cette œuvre en 1994.
En 1998, le Time magazine cite Le Corbusier parmi les vingt personnalités les plus influentes de l’art moderne. Mais si la reconnaissance critique et commerciale honore son travail d’architecte dès les débuts de sa carrière - ses projets d’urbanisme dans le monde entier lui assurant une renommée durable - ce n’est que tardivement qu’il est salué en tant que peintre. Cela est en partie dû au refus de l’artiste lui-même d’exposer sa peinture, en dépit du fait qu’il travaille en deux dimensions depuis ses débuts, comme le soulignent Naïma et Jean-Pierre Jornod dans leur introduction au catalogue raisonné. Il pratique notamment le dessin avec ardeur dès l’âge de cinq ans, et tout au long de sa vie. S’il cherche à mettre en avant son travail d’architecte, il considère la peinture comme un acte personnel et intime. Durant toute sa carrière, il s’attache à dégager du temps (le matin, tard le soir et le weekend) pour continuer à peindre. Il accorde donc sans aucun doute une place essentielle à la peinture qu’il exprime plus tard en ces termes : «je crois que si l’on attache une certaine importance à mon travail d’architecte, c’est à cet effort secret que l’on doit accorder la réelle valeur» (cité in N et J.-P. Jornod, ibid., p. 245).
Le présent tableau s’inscrit dans une période de renouveau décisif pour l’artiste. Seulement dix-huit mois plus tôt, Le Corbusier rompt tout lien avec Amédée Ozenfant, ami et co-fondateur du mouvement puriste. À partir de 1918 et pendant sept ans, les deux artistes, avec l’aide de Fernand Léger, développent une approche hautement théorique de la peinture, basée sur l’idée que le cubisme s’est corrompu en s’éloignant des intentions initialement pures de ses principes fondateurs. La rupture avec Ozenfant en 1925 est amère, nourrie d’un échange de correspondance houleux entre les deux artistes, leur ancienne complicité faisant place à un désir de destruction mutuelle. La période qui suit, que Le Corbusier qualifie de «deuil», le pousse à élaborer un nouveau style personnel. Débarrassé des entraves du purisme, il peut enfin donner libre cours à son exploration de la peinture.
Trois bouteilles (Bleu) est une oeuvre clé dans l’évolution artistique du Corbusier, marquée à la fois par une précision méticuleuse et un fort élan de personnalisation. La nature morte reste le sujet de prédilection de l’artiste et, comme pour toutes ses oeuvres importantes, il consacre à Trois Bouteilles (Bleu) un long processus de réflexion afin de sélectionner les éléments présentés et de les organiser dans sa composition. Étroitement lié aux œuvres de 1927 et 1928 par son sujet, ce tableau explore des territoires nouveaux, avec l’inclusion d’objets trouvés, représentés dans le quart supérieur gauche. Ils sont emblématiques de la direction prise ensuite par le Corbusier, et annonciateurs de l’étude qu’il mène bientôt de ses «objets à réaction poétique». Outre les qualités de forme et de composition de Trois Bouteilles (Bleu), il se distingue aussi par sa superbe palette. Le Corbusier attache une importance particulière au choix de la couleur, et à son impact sur le spectateur. Exprimant une humeur, un sentiment ou un état d’esprit, la couleur est le véritable vecteur des émotions du peintre, comme il le raconte lui-même dans une anecdote : «Fernand Léger passe la journée de dimanche ici. Grand type, fort, sain, subtil, vrai. Stupéfait du tourment, de l’explosif, de la violence de ma peinture. Bien sûr, j’explose enfin là-dedans puisque partout ailleurs il faut faire le poing dans sa poche» (lettre à sa mère, 3 novembre 1934, cité in ibid., p. 265). Le Corbusier considère ses oeuvres à partir de 1928 comme particulièrement accomplies du point de vue de l’utilisation de la couleur. Il écrit encore à sa mère : «Ma peinture va bien cette fois. J’ai trouvé le truc de la couleur propre. Voilà 10 ans que je tournais autour» (lettre à sa mère, 20 janvier 1928, cité in ibid. p. 264). Le bleu utilisé par l’artiste, essentiel dans ce tableau et cité dans le titre, a une signification particulière et symbolise l’espace. Le bleu évoque plus particulièrement pour Le Corbusier les profondeurs mystérieuses, comme celles du lac près duquel il a grandi. C’est là qu’il retourne en 1926 pour assister à la mort de son père, qui survient dans la maison qu’il a spécialement conçue pour lui, surplombant les eaux et entouré de montagnes brumeuses. C’est à l’époque où est peint Trois Bouteilles (bleu) que Charles-Édouard Jeanneret décide de prendre le pseudonyme du Corbusier. Inspiré du nom de jeune fille de sa mère, Corbésier, il fait également référence au corbeau («le corbu»), animal récurrent dans la culture amérindienne. Fort de cette nouvelle identité, Le Corbusier entame une période de liberté et de découverte sans précédent dans son oeuvre peint.
In 1998 Time magazine listed Le Corbusier as one of the twenty most influential personalities in the history of 20th century modernism. However, whilst Le Corbusier’s work in architecture received critical and commercial acclaim from an early stage in his career, and his urban planning projects across the globe had ensured an enduring international legacy, for many decades his work as a painter went without such recognition. This was in part due to the artist’s own decision to avoid any public display of his painted work. As Naïma and Jean-Pierre Jornod state in the introduction to their catalogue raisonné of the artist’s paintings, this was despite Le Corbusier in reality being a painter long before practicing anything else - from the age of 5 he passionately drew, an activity which would remain central to his daily activity and to his various professional spheres. In sharp contrast to the notoriety which he sought as an architect, for Le Corbusier the act of painting would remain a highly personal and intimate one. Throughout his long career, Le Corbusier continued to set aside specific times of the day (early mornings, late nights and weekends) in order to maintain his painting activity. Undeniably, therefore, he attached a significance to painting as he later expressed in clear terms: “I believe that if one attaches some importance to my work as an architect, it is to this secret effort that one should attribute the true value” (op. cit., p. 245).
The present painting was executed in a year of decisive redirection for the artist. Only eighteen months prior, Le Corbusier had broken ties with fellow artist Amédée Ozenfant with whom he had founded the Purism movement. Beginning in 1918 and for a period of seven years both artists, initially also working with Fernand Léger, had developed a highly theoretical approach to painting based on a belief that Cubism had become corrupted, straying from the initial pure intentions of its founding principles. The rupture with Ozenfant in 1925 had been bitter, fueled by a heated exchange of correspondence between the two artists. In the period of “mourning” - as Le Corbusier himself termed it (ibid., p. 1028) – which followed, he set out to shape his own individual visual style. Freed from the rigidity of the Purist canon, Le Corbusier could now explore the joy of painting. Trois Bouteilles (Bleu) is a key work in Le Corbusier’s progressive approach, displaying a characteristic focus on meticulousness but combined here with a strong urge towards personalization. Still life remained the artist’s particular domain of predilection and, as was the case with all of his major paintings, Trois Bouteilles (Bleu) was the final accomplishment in a lengthy process of thought and investigation as to the selection of elements and their compositional organisation. Closely related to the preceding works from 1927 and 1928 in terms of the subject matter, the present work nevertheless takes a step forwards with the inclusion of elements of found objects, depicted in the upper left quadrant, which intimate the direction in which Le Corbusier would take his painting with his exploration of Objets à reaction poétique. Beyond the compositional and formal qualities of the present work, it is the strong use of colour in Trois Bouteilles (Bleu) which further underscores its distinctiveness. Le Corbusier attached a particular significance to the selection of colour in order to establish the emotional quality of his work. Indicative of mood, emotion and a state of being, colour was the mechanism which allowed the artist’s true expression to surface, as the artist himself recalled via this anecdote: “Fernand Léger spends his Sundays here. He is solid, strong, healthy, subtle, true. He is taken aback by the turbulence, the explosiveness and the violence of my paintings. Naturally, I explode there because everywhere else I must keep my fist in my pocket.” (ibid., p. 265). Le Corbusier considered his works from 1928 as particularly accomplished from the point of view of his use of colour. As he wrote to his mother, “This time my painting is doing well. I’ve found the thing about colour itself. It’s been 10 years that I’ve been searching for it” (letter to his mother, 20 January 1928, cited in ibid., p. 264). The artist’s use of blue, central to this composition and as stated in the work’s title, held a specific meaning for the artist: that of space. Specifically, blue evoked for Le Corbusier mysterious depths, as embodied by the lake next to which he had grown up with his family. It was to this place that he would return in 1926 to witness the passing of his father in a cabin specifically designed by Le Corbusier with views onto the water and the hazy mountains beyond. Around the time that Trois Bouteilles (bleu) was executed, Charles Edouard Jeanneret made the decision to adopt the name of Le Corbusier, a diminutive of his maternal family’s name “Corbésier” as well as a reference to the native Americans’ use of the crow (“le corbu”) in their totems. Armed with his new identity, Le Corbusier had begun a period of unprecedented freedom and discovery in his painted oeuvre .