Lot Essay
De toutes les œuvres de Pierre Bonnard, ses nus féminins sont sans doute les plus importantes. Peinte dans des tons jaunes, bleus et roses lumineux, Grand nu à la baignoire est l’une des plus belles toiles de la série. L’excentrique Marthe de Méligny, dont Bonnard tomba sous le charme à bord d’un tram en 1893 et qu’il épousa en 1925, fut le modèle principal des représentations de femmes à leur toilette. S’il employa différentes techniques, dont la photographie, ce fut véritablement dans ses toiles, baignées de lumière et à la composition complexe, que le peintre opéra une réelle rupture avec les canons modernistes.
Ces scènes intimes s’inscrivent dans la lignée d’Edgar Degas, dont les pastels de femmes à leur toilette ont grandement inspiré Bonnard. Pour ce dernier, la représentation de la silhouette féminine permet non seulement de célébrer la beauté et le désir, mais aussi d’explorer les rapports entre le motif et l’espace. «Comme Degas avant lui, arrivé à la cinquantaine, Bonnard prit de plus en plus conscience du rôle central qu’occupait le nu dans la grande tradition de l’art européen... Les attitudes figées de Marthe dans sa salle de bain furent observées avec le détachement classique de Degas et restituées dans une remarquable série de tableaux de femme à sa toilette. L’éphémère devint monumental et intemporel, et les gestes de la vie courante furent soumis à la géométrie de l’art» (N. Watkins, Bonnard, Londres, 1994, p. 181-182).
Pour la présente œuvre, Bonnard choisit des couleurs à la fois douces et chaudes, aux tons évoquant également les pastels délicats de Degas. Cependant, l’espace y est plus clairement défini, capturant la silhouette de la baigneuse dans un espace clos. La lumière est si vive que les ombres s’évanouissent en arrière-plan pour y disparaître presque entièrement. La pose de Marthe confère à la composition une perspective si appuyée qu’il semble que Bonnard ait peint cette toile pour être vue d’en-dessous. Néanmoins, c’est en détaillant les divers éléments de l’image, disposés par le peintre les uns derrière les autres, que le spectateur parvient à percevoir l’espace en trois dimensions. Les escaliers représentés en arrière-plan recréent quant à eux la profondeur qui existe bel et bien dans cette petite pièce.
Étudiant la richesse du symbolisme des nus de Bonnard, John Elderfield a abordé l’importance du regard que le modèle porte sur lui-même, et le voyeurisme inhérent à ces toiles: «Les scènes de Marthe à sa toilette la montrent occupée à des soins du corps réguliers, rythmiques et répétitifs (se baigner, se laver et se sécher). Ces activités sont tellement centrées sur les mains qu’elles en définissent presque la pose du personnage. Souvent, une main se tend vers le pied et transforme le corps en ruban de Möbius, en un nœud solipsiste replié sur lui-même, invitant à la sensualité et à l’intimité. Si ce repli sur soi constitue un isolement, ce n’est qu’en apparence que ces actes lents et patients excluent l’observateur, qui attend, contemple et peut s’approcher peu à peu de cette femme sur lequel le temps n’a pas de prise, jusqu’à s’identifier à elle» (J. Elderfield, ‘Seeing Bonnard’ in Bonnard, catalogue d’exposition, The Museum of Modern Art, New York, 1998, p. 45).
Les représentations de Marthe par Bonnard proposent une vision intemporelle de sa compagne et muse, toujours dépeinte à l’âge qu’elle avait lors de leur première rencontre. Quand il arrivait à l’artiste d’embaucher un modèle professionnel, il n’était pas à son aise. Il est d’ailleurs aujourd’hui impossible de distinguer les représentations de Marthe de celles d’autres femmes, ce qui brouille davantage la frontière entre réalité et idéalisation. La provenance du Grand nu à la baignoire est exceptionnelle puisqu’il fut acquis par la famille du propriétaire actuel seulement un an après avoir été peint, dès 1925.
Pierre Bonnard’s paintings of the female nude are the most renowned within his oeuvre. Painted in luminous yellows, blues and pinks, the present work is one of Bonnard’s most important of the subject. The primary model for these canvases was the eccentric Marthe de Meligny, a young woman whom Bonnard met in Paris in 1893 – love at first sight, seen from afar on a tram - and who would become his wife in 1925. Bonnard executed portraits of Marthe across multiple mediums including photography, but it is his paintings of her that are bathed in luxurious color and built upon compositional complexities that are novel within the Modernist canon.
These intimate depictions are formally indebted to the tradition of Edgar Degas, whose pastels of women at their “toilette” were a great source of inspiration for the artist. The female form for Bonnard was a celebration of beauty and desire, as well as a characteristic exploration of space, pattern and balance. “As he entered his fifties, like Degas before him, Bonnard became increasingly conscious of the central place of the nude within the great tradition of European art... The frozen sequences of Marthe’s daily routine in the bathroom were observed with the classical detachment of Degas and structured in an outstanding series of bather compositions; the transient was made monumental and eternal, the movements of life were accommodated within the geometry of art” (N. Watkins, Bonnard, London, 1994, pp. 181-182).
In the present work, Bonnard chose a soft yet still hot palette similar in tonality to Degas’s delicate pastels. However the geometry is more strongly defined, enclosing the bathing figure in a cage-like space. Here light has become so strong, shadows blur into the background, almost disappearing completely. The perspective has become so sharp with the strong diagonal of Marthe’s pose, one must believe Bonnard painted the work to be seen from below. However, it is the viewer’s eye that reads the various elements in the picture, one in front of the other, that establishes a recognizable sense of three-dimensional space. The placement of the steps at the rear wall lends the illusion of a deeper space than actually exists in this small room.
Considering the rich symbolism of Bonnard’s paintings of the nude, John Elderfield has written about the significance of the nude’s intense focus on her own body, and the voyeurism inherent in these paintings: “The activities that surround bathing show Marthe engaged in steady, rhythmic and repetitive acts relatable to the body and its care - washing, scrubbing, drying - which place such emphasis on the dexterity of the hands that the figural poses are almost entirely determined by it. Often, a hand will reach to a foot to tie the body into a giant Möbius strip, a solipsistic knot of self-absorption that is charged with the tactile quality of bodily contact and frank in the invitation to intimacy. The self-absorption is, of course, an apartness. But the prolonged, extended, unhurried activity only apparently excludes the beholder, who waits and watches and can imagine a closeness amounting to an identification with the never-aging, painted woman” (J. Elderfield, ‘Seeing Bonnard’ in Bonnard, exhibition catalogue, The Museum of Modern Art, New York, 1998, p. 45).
Bonnard’s depictions of Marthe create a timeless and ageless vision of his lifelong partner and muse, always depicting her in her mid-twenties, the age she was when they first met. Even when the artist hired a professional model at times, he would feel ill at ease in her presence and his depictions of any model other than Marthe would become indistinguishable from those of her, further blurring the boundaries between reality and idealisation. The provenance of Grand nu à la baignoire is exceptional. This work has remained in the same Parisian family since it was purchased just one year after it was painted.
Ces scènes intimes s’inscrivent dans la lignée d’Edgar Degas, dont les pastels de femmes à leur toilette ont grandement inspiré Bonnard. Pour ce dernier, la représentation de la silhouette féminine permet non seulement de célébrer la beauté et le désir, mais aussi d’explorer les rapports entre le motif et l’espace. «Comme Degas avant lui, arrivé à la cinquantaine, Bonnard prit de plus en plus conscience du rôle central qu’occupait le nu dans la grande tradition de l’art européen... Les attitudes figées de Marthe dans sa salle de bain furent observées avec le détachement classique de Degas et restituées dans une remarquable série de tableaux de femme à sa toilette. L’éphémère devint monumental et intemporel, et les gestes de la vie courante furent soumis à la géométrie de l’art» (N. Watkins, Bonnard, Londres, 1994, p. 181-182).
Pour la présente œuvre, Bonnard choisit des couleurs à la fois douces et chaudes, aux tons évoquant également les pastels délicats de Degas. Cependant, l’espace y est plus clairement défini, capturant la silhouette de la baigneuse dans un espace clos. La lumière est si vive que les ombres s’évanouissent en arrière-plan pour y disparaître presque entièrement. La pose de Marthe confère à la composition une perspective si appuyée qu’il semble que Bonnard ait peint cette toile pour être vue d’en-dessous. Néanmoins, c’est en détaillant les divers éléments de l’image, disposés par le peintre les uns derrière les autres, que le spectateur parvient à percevoir l’espace en trois dimensions. Les escaliers représentés en arrière-plan recréent quant à eux la profondeur qui existe bel et bien dans cette petite pièce.
Étudiant la richesse du symbolisme des nus de Bonnard, John Elderfield a abordé l’importance du regard que le modèle porte sur lui-même, et le voyeurisme inhérent à ces toiles: «Les scènes de Marthe à sa toilette la montrent occupée à des soins du corps réguliers, rythmiques et répétitifs (se baigner, se laver et se sécher). Ces activités sont tellement centrées sur les mains qu’elles en définissent presque la pose du personnage. Souvent, une main se tend vers le pied et transforme le corps en ruban de Möbius, en un nœud solipsiste replié sur lui-même, invitant à la sensualité et à l’intimité. Si ce repli sur soi constitue un isolement, ce n’est qu’en apparence que ces actes lents et patients excluent l’observateur, qui attend, contemple et peut s’approcher peu à peu de cette femme sur lequel le temps n’a pas de prise, jusqu’à s’identifier à elle» (J. Elderfield, ‘Seeing Bonnard’ in Bonnard, catalogue d’exposition, The Museum of Modern Art, New York, 1998, p. 45).
Les représentations de Marthe par Bonnard proposent une vision intemporelle de sa compagne et muse, toujours dépeinte à l’âge qu’elle avait lors de leur première rencontre. Quand il arrivait à l’artiste d’embaucher un modèle professionnel, il n’était pas à son aise. Il est d’ailleurs aujourd’hui impossible de distinguer les représentations de Marthe de celles d’autres femmes, ce qui brouille davantage la frontière entre réalité et idéalisation. La provenance du Grand nu à la baignoire est exceptionnelle puisqu’il fut acquis par la famille du propriétaire actuel seulement un an après avoir été peint, dès 1925.
Pierre Bonnard’s paintings of the female nude are the most renowned within his oeuvre. Painted in luminous yellows, blues and pinks, the present work is one of Bonnard’s most important of the subject. The primary model for these canvases was the eccentric Marthe de Meligny, a young woman whom Bonnard met in Paris in 1893 – love at first sight, seen from afar on a tram - and who would become his wife in 1925. Bonnard executed portraits of Marthe across multiple mediums including photography, but it is his paintings of her that are bathed in luxurious color and built upon compositional complexities that are novel within the Modernist canon.
These intimate depictions are formally indebted to the tradition of Edgar Degas, whose pastels of women at their “toilette” were a great source of inspiration for the artist. The female form for Bonnard was a celebration of beauty and desire, as well as a characteristic exploration of space, pattern and balance. “As he entered his fifties, like Degas before him, Bonnard became increasingly conscious of the central place of the nude within the great tradition of European art... The frozen sequences of Marthe’s daily routine in the bathroom were observed with the classical detachment of Degas and structured in an outstanding series of bather compositions; the transient was made monumental and eternal, the movements of life were accommodated within the geometry of art” (N. Watkins, Bonnard, London, 1994, pp. 181-182).
In the present work, Bonnard chose a soft yet still hot palette similar in tonality to Degas’s delicate pastels. However the geometry is more strongly defined, enclosing the bathing figure in a cage-like space. Here light has become so strong, shadows blur into the background, almost disappearing completely. The perspective has become so sharp with the strong diagonal of Marthe’s pose, one must believe Bonnard painted the work to be seen from below. However, it is the viewer’s eye that reads the various elements in the picture, one in front of the other, that establishes a recognizable sense of three-dimensional space. The placement of the steps at the rear wall lends the illusion of a deeper space than actually exists in this small room.
Considering the rich symbolism of Bonnard’s paintings of the nude, John Elderfield has written about the significance of the nude’s intense focus on her own body, and the voyeurism inherent in these paintings: “The activities that surround bathing show Marthe engaged in steady, rhythmic and repetitive acts relatable to the body and its care - washing, scrubbing, drying - which place such emphasis on the dexterity of the hands that the figural poses are almost entirely determined by it. Often, a hand will reach to a foot to tie the body into a giant Möbius strip, a solipsistic knot of self-absorption that is charged with the tactile quality of bodily contact and frank in the invitation to intimacy. The self-absorption is, of course, an apartness. But the prolonged, extended, unhurried activity only apparently excludes the beholder, who waits and watches and can imagine a closeness amounting to an identification with the never-aging, painted woman” (J. Elderfield, ‘Seeing Bonnard’ in Bonnard, exhibition catalogue, The Museum of Modern Art, New York, 1998, p. 45).
Bonnard’s depictions of Marthe create a timeless and ageless vision of his lifelong partner and muse, always depicting her in her mid-twenties, the age she was when they first met. Even when the artist hired a professional model at times, he would feel ill at ease in her presence and his depictions of any model other than Marthe would become indistinguishable from those of her, further blurring the boundaries between reality and idealisation. The provenance of Grand nu à la baignoire is exceptional. This work has remained in the same Parisian family since it was purchased just one year after it was painted.