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En décembre 1924, peu avant son départ pour New York, le jeune Pierre Matisse organise à la galerie Barbazanges-Hodebert, la première exposition individuelle de Marc Chagall en France. En 1927, le critique d’art réputé, Maurice Raynal, inclut Chagall dans sa monographie élogieuse, Les peintres français modernes. En dépit de cette faveur et de la reconnaissance de son pays d’adoption en tant qu’artiste, Chagall reste tiraillé entre son passé russe et son présent français. Ses projets d’alors, exécutés pour le marchand Ambroise Vollard, reflètent cette « crise identitaire ». En témoignent les premières illustrations créées par l’artiste qui furent, en 1925, d’une part pour le roman de son compatriote Nikolaï Gogol Les âmes mortes, et d’autre part, en 1926, pour les Fables du français Jean de La Fontaine, grand classique littéraire du XVIIe siècle. Cette dernière commande, destinée à illustrer une réédition par Ambroise Vollard, ne fut pas sans controverse. Les critiques nativistes s’opposèrent à l’interprétation par le peintre « russe » d’un texte si représentatif de la littérature française et imposèrent à Vollard de défendre ce choix si audacieux dans un article français célèbre publié dans la revue L’Intransigeant : «”Pourquoi Chagall ?”, je réponds : ”Mais précisément parce que son esthétique m’apparaît toute proche, et en un sens, apparentée à celle de La Fontaine, à la fois dense et subtile, réaliste et fantastique.”» (cité in F. Meyer, Marc Chagall, Life and Work, 1963, New York, p. 348). Enhardi par le soutien inébranlable de Vollard et par son succès du milieu des années 1920, Chagall entreprit avec confiance la série des Fables composée de cent gouaches. La présente œuvre faisait partie de ces illustrations les plus vives et vibrantes : « l’explosion de couleurs pour les Fables, après le noir et blanc des Âmes mortes, exprimait la joie, l’exploration de la nature et la stabilité dans sa vie » (J. Wullschlager, Chagall, A Biography, New York, 2008, p. 327). Malgré les efforts de Vollard, la série ne fut jamais publiée sous sa forme originelle. Une édition de gravures d’après les originaux sortit en 1952, mais les gouaches restèrent peu diffusées jusqu’à l’exposition anniversaire de 1995 — pour le tricentenaire de la mort de La Fontaine et le dixième anniversaire de celui de Chagall — au Musée d’art moderne de Céret.
In December 1924, shortly before leaving for New York, the young Pierre Matisse arranged for Marc Chagall’s first solo exhibition in France at the Galerie Barbazanges-Hodebert. In 1927, the notable art critic Maurice Raynal included Chagall in his laudatory monograph, Modern French Painters. Despite this favour and recognition from his adopted country, Chagall still found himself caught between his Russian past and French present. His contemporary projects for the dealer Ambroise Vollard reflect this “identity crisis”—his first illustrations in 1925 were for countryman Nikolai Gogol’s novel Dead Souls, his next, in 1926, for Frenchman Jean de La Fontaine’s classic 17th century Fables. The latter commission, to illustrate a reedition by Ambroise Vollard, was not without controversy. Nativist critics objected to the “Russian” painter interpreting the beloved French text and compelled Vollard to defend the choice in an article in L’Intransigeant: “‘Why Chagall?’ my answer is, ‘Simply because his aesthetic seems to me in a certain sense akin to La Fontaine’s, at once sound and delicate, realistic and fantastic’”
(quoted in F. Meyer, Marc Chagall, Life and Work, 1963, New York, p. 348). Buoyed by Vollard’s unwavering support and his success of the mid-1920s, Chagall boldly undertook the series of what would become 100 gouaches in total. The present work was among these lively, vibrant illustrations: “the burst into colour for Fables after the black and white of Dead Souls was expressive of the joy, exploration of nature, and stability in his life” (J. Wullschlager, Chagall, A Biography, New York, 2008, p. 327). Despite Vollard’s efforts, the series was never published in its intended form. An edition of engravings after the colorful originals was released in 1952, but the gouaches remained largely unseen until the 1995 anniversary exhibition—the three hundredth year from La Fontaine’s death and the tenth from Chagall’s—at the Museum of Modern Art in Céret.
"Un fanfaron, amateur de la chasse,
Venant de perdre un chien de bonne race
Qu’il soupçonnait dans le corps d’un Lion,
Vit un berger. « Enseigne-moi, de grâce,
De mon voleur, lui dit-il, la maison,
Que de ce pas je me fasse raison. »
Le berger dit : « C’est vers cette montagne.
En lui payant de tribut un mouton
Par chaque mois, j’erre dans la campagne
Comme il me plaît ; et je suis en repos. »
Dans le moment qu’ils tenaient ces propos,
Le Lion sort, et vient d’un pas agile.
Le fanfaron aussitôt d’esquiver :
« Ô Jupiter, montre-moi quelque asile,
S’écria-t-il, qui me puisse sauver ! »
La vraie épreuve de courage
N’est que dans le danger que l’on touche du doigt :
Tel le cherchait, dit-il, qui, changeant de langage,
S’enfuit aussitôt qu’il le voit."
Jean de La Fontaine, Le lion et le chasseur in Les Fables de La Fontaine, 1668.
"A braggart, lover of the chase,
Had lost a dog of valued race,
And though him in a lion’s maw.
He ask’d a shepherd whom he saw,
“Pray show me, sir, the robber’s place,
And I’ll have justice in the case.”
“’Tis on this mountain side,”
The shepherd man replied.
“The tribute of a sheep I pay,
Each month, and where I please I stray.”
Out leap’d the lion as he spoke,
And came that way with agile feet.
The braggart, prompt his flight to take,
Cried, “Jove, O grant a safe retreat!”
A danger close at hand
Of courage is the test.
It shows us who will stand
Whose legs will run their best."
Jean de La Fontaine, Le lion et le chasseur in Les Fables de La Fontaine, 1668.