Lot Essay
Sujet de prédilection d’Edgar Degas dès le début de sa carrière, le ballet et la figure de la danseuse - et non du nu, comme pour de nombreux artistes - mènent selon lui à la quintessence de la figure humaine. Fasciné par tous les aspects du ballet, des coulisses à la scène, des loges des danseuses à celles des spectateurs, Degas restitue au cours de sa vie ses impressions à travers plus de mille-cinq-cents travaux, sur tous supports. Comme le souligne à l'époque le critique Jules Claretie dans La Gazette des Beaux-Arts: «La danseuse de ballet méritait son peintre, amoureux du tulle blanc de ses tutus, de la soie de ses bas, du rose de ses chaussons de satin, de ses semelles couvertes de résine. Un artiste au talent exceptionnel a su capturer sur la toile de son œil exigeant, ou traduire au pastel et à l'aquarelle - et même parfois en sculpture - l'étrangeté captivante de ce monde unique en son genre. Il s'agit de Monsieur Degas» (cité in R. Gordon et A. Forge, Degas, New York, 1988, p. 183).
L'intérêt de l'artiste pour ce thème trouve ses racines dans un passé lointain. En 1903, Louise Havemeyer, alors déjà propriétaire de plus d'une douzaine de danseuses, et sur le point d'acquérir une Petite danseuse de quatorze ans, interroge l'artiste lors d'une visite à son atelier: «J'ai alors posé à Degas - j'en rougis encore aujourd'hui - une question qui m'était souvent adressée: 'Pourquoi, Monsieur Degas, faites-vous toujours des danseuses ?' Il répondit immédiatement: 'C'est parce qu'elles sont, Madame, tout ce qui nous rapproche encore des mouvements des grecs.' Ce fut si gentiment dit, que je crois qu'il me pardonna une si sotte question, et de ne pas mieux le comprendre» (Sixteen to Sixty: Memoirs of a Collector, New York, 1961, p. 256).
Comme l'expliquent Jill DeVonyar et Richard Kendall, par cette réponse, Degas révèle qu'il entend «associer ses scènes de ballet aux valeurs d'harmonie et d'intemporalité de la civilisation classique» (Degas and the Dance, catalogue d'exposition, Detroit, Institute of Arts, 2002, p. 235). Jeanne Fevre, la nièce de l'artiste, relate ainsi qu'il «était passionné par l'Antiquité», et lisait les grands classiques en version originale. De l'aveu de Degas lui-même, ses danseuses «s'inscrivent purement et simplement dans la tradition grecque, quasiment toutes les sculptures antiques représentant le mouvement et l'équilibre de la danse» (fig. 1). Dans les musées, ainsi que dans ses modelages en cire entrepris à la suite de La petite danseuse de quatorze ans de 1880, Degas puise l'inspiration de ses poses expressives, au mouvement suspendu, d'où émane le sentiment d'harmonie et de sérénité caractéristique de l'art hellénistique.
Le présente œuvre figure une danseuse saluant à la fin de la représentation, tenant dans sa main droite un bouquet, et est à rapprocher d’une peinture à l'essence et pastel sur toile de 1877, Fin d'arabesque (Lemoisne, no. 418; fig. 2). Alors que l’œuvre finale, en couleurs, joue sur la richesse du pastel pour reproduire le foisonnement du tulle et la luxuriance du bouquet, le travail de Degas au fusain est un jeu magistral de pleins et de vides, où la simple suggestion des accessoires concentre l’attention du spectateur sur l’essentiel: la danseuse inclinée. Degas nous propose ici une image à l’instantanéité quasi photographique, d’une incomparable modernité.
Cette œuvre fut saisie en juillet 1940 par les autorités nazies au domicile de Robert de Rothschild, puis déposée à l’Ambassade d’Allemagne, rue de Lille. Retrouvée en 1951 dans un placard par les services du ministère des Affaires étrangères qui occupent alors les lieux, elle n’est pas immédiatement rapprochée de l’inventaire des œuvres saisies au baron de Rothschild. Elle est confiée par la Commission du choix des œuvres de la récupération artistique du 29 mai 1951 à la garde du Cabinet des dessins du musée du Louvre, puis du musée d’Orsay, à son ouverture en juin 1986. Ce n’est qu’en juin 2016, exactement trente ans plus tard, que Danseuse au bouquet est restitué aux descendants du baron Robert de Rothschild.
Since the start of his career, the favourite subjects of Edgar Degas were ballet and ballerinas - not nudes, as they were for many artists – leading, in his opinion, to the quintessence of the human figure. Fascinated by every aspect of the ballet, from the wings to the stage, the boxes, the dancers and the audience, throughout his life Degas offered his impressions in over 1,500 works, in all media. As the critic Jules Claretie emphasised in La Gazette des Beaux-Arts at the time, “The dancer deserved her own painter, in love with her white tulle and tutu, the silk of her stockings, the pink of her satin ballet shoes and their rosin-covered soles. One exceptionally talented artist with his demanding eye succeeded in capturing on canvas – and even sometimes in sculpture – the intriguing otherness of the unique world of ballet. His name is Edgar Degas” (quoted in R. Gordon and A. Forge, Degas, New York, 1988, p. 183).
The roots of the artist’s love for ballet lay in the distant past. In 1903, Louise Havemeyer, who already owned more than a dozen of his pictures of dancers and was about to acquire Petite danseuse de quatorze ans, addressed him during a visit to his studio: “I then asked Degas – and I still blush at the thought – a question people often asked me: ‘Monsieur Degas, why do you always paint ballerinas?’ Degas replied at once ‘Because, Madame, they bring us ever closer to the movements of the Greeks’. It was so charmingly expressed that I think he forgave me for asking such a silly question and not understanding him better”. (Sixteen to Sixty: Memoirs of a Collector, New York, 1961, p. 256).
As Jill De Vonyar and Richard Kendall explain, with that answer Degas revealed that his aim was “to associate his scenes of the ballet with the harmonious and timeless values of classical civilisation” (Degas and the Dance, exhibition catalogue, Institute of Arts, Detroit, 2002, p. 235). Jeanne Fevre, the artist’s niece, reports “he was passionate about Antiquity” and that he used to read the great classics in the original. As Degas himself declared, his dancers “are depicted purely and simply in the Greek tradition, almost all antique sculptures representing the movement and balance of the dance” (fig. 1). In museums and in the wax models he made after La petite danseuse de quatorze ans executed in 1880, Degas drew inspiration from their expressive attitudes and suspended movements, whence emanates the sense of harmony and serenity characteristic of Hellenistic art.
The work presented here shows a ballerina taking a bow at the end of the performance, holding a bouquet in her right hand. It is reminiscent of a painting in oils and pastel on canvas of 1877, Fin d’arabesque (Lemoine, Nº 418; fig. 2). Whereas the final work, in colour, uses the richness of pastels to reproduce the abundance of the tulle and the luxuriance of the bouquet, the work Degas produced using charcoal offers a masterly play of solids and spaces where the mere suggestion of the ancillary items focuses the viewer’s attention rather on the essential image: the leaning ballerina. Here, Degas offers us an instantaneous, almost photographic and surprisingly modern image.
In July 1940, the Nazi authorities seized this work from the home of Robert de Rothschild.. It was then kept in the German Embassy in Rue de Lille. In 1951, the staff of the Foreign Ministry which then occupied the premises rediscovered the picture in a cupboard, although it was not immediately recognised as being among the works confiscated from Baron de Rothschild. On 29th May 1951, the Commission for choosing and recovering works of art entrusted it to the safekeeping of the Drawings Department of the Louvre and then to the Musée d’Orsay when it opened in June 1986. It was not until June 2016, exactly 30 years later, that Danseuse au bouquet was returned to the descendants of Baron Robert de Rothschild.
L'intérêt de l'artiste pour ce thème trouve ses racines dans un passé lointain. En 1903, Louise Havemeyer, alors déjà propriétaire de plus d'une douzaine de danseuses, et sur le point d'acquérir une Petite danseuse de quatorze ans, interroge l'artiste lors d'une visite à son atelier: «J'ai alors posé à Degas - j'en rougis encore aujourd'hui - une question qui m'était souvent adressée: 'Pourquoi, Monsieur Degas, faites-vous toujours des danseuses ?' Il répondit immédiatement: 'C'est parce qu'elles sont, Madame, tout ce qui nous rapproche encore des mouvements des grecs.' Ce fut si gentiment dit, que je crois qu'il me pardonna une si sotte question, et de ne pas mieux le comprendre» (Sixteen to Sixty: Memoirs of a Collector, New York, 1961, p. 256).
Comme l'expliquent Jill DeVonyar et Richard Kendall, par cette réponse, Degas révèle qu'il entend «associer ses scènes de ballet aux valeurs d'harmonie et d'intemporalité de la civilisation classique» (Degas and the Dance, catalogue d'exposition, Detroit, Institute of Arts, 2002, p. 235). Jeanne Fevre, la nièce de l'artiste, relate ainsi qu'il «était passionné par l'Antiquité», et lisait les grands classiques en version originale. De l'aveu de Degas lui-même, ses danseuses «s'inscrivent purement et simplement dans la tradition grecque, quasiment toutes les sculptures antiques représentant le mouvement et l'équilibre de la danse» (fig. 1). Dans les musées, ainsi que dans ses modelages en cire entrepris à la suite de La petite danseuse de quatorze ans de 1880, Degas puise l'inspiration de ses poses expressives, au mouvement suspendu, d'où émane le sentiment d'harmonie et de sérénité caractéristique de l'art hellénistique.
Le présente œuvre figure une danseuse saluant à la fin de la représentation, tenant dans sa main droite un bouquet, et est à rapprocher d’une peinture à l'essence et pastel sur toile de 1877, Fin d'arabesque (Lemoisne, no. 418; fig. 2). Alors que l’œuvre finale, en couleurs, joue sur la richesse du pastel pour reproduire le foisonnement du tulle et la luxuriance du bouquet, le travail de Degas au fusain est un jeu magistral de pleins et de vides, où la simple suggestion des accessoires concentre l’attention du spectateur sur l’essentiel: la danseuse inclinée. Degas nous propose ici une image à l’instantanéité quasi photographique, d’une incomparable modernité.
Cette œuvre fut saisie en juillet 1940 par les autorités nazies au domicile de Robert de Rothschild, puis déposée à l’Ambassade d’Allemagne, rue de Lille. Retrouvée en 1951 dans un placard par les services du ministère des Affaires étrangères qui occupent alors les lieux, elle n’est pas immédiatement rapprochée de l’inventaire des œuvres saisies au baron de Rothschild. Elle est confiée par la Commission du choix des œuvres de la récupération artistique du 29 mai 1951 à la garde du Cabinet des dessins du musée du Louvre, puis du musée d’Orsay, à son ouverture en juin 1986. Ce n’est qu’en juin 2016, exactement trente ans plus tard, que Danseuse au bouquet est restitué aux descendants du baron Robert de Rothschild.
Since the start of his career, the favourite subjects of Edgar Degas were ballet and ballerinas - not nudes, as they were for many artists – leading, in his opinion, to the quintessence of the human figure. Fascinated by every aspect of the ballet, from the wings to the stage, the boxes, the dancers and the audience, throughout his life Degas offered his impressions in over 1,500 works, in all media. As the critic Jules Claretie emphasised in La Gazette des Beaux-Arts at the time, “The dancer deserved her own painter, in love with her white tulle and tutu, the silk of her stockings, the pink of her satin ballet shoes and their rosin-covered soles. One exceptionally talented artist with his demanding eye succeeded in capturing on canvas – and even sometimes in sculpture – the intriguing otherness of the unique world of ballet. His name is Edgar Degas” (quoted in R. Gordon and A. Forge, Degas, New York, 1988, p. 183).
The roots of the artist’s love for ballet lay in the distant past. In 1903, Louise Havemeyer, who already owned more than a dozen of his pictures of dancers and was about to acquire Petite danseuse de quatorze ans, addressed him during a visit to his studio: “I then asked Degas – and I still blush at the thought – a question people often asked me: ‘Monsieur Degas, why do you always paint ballerinas?’ Degas replied at once ‘Because, Madame, they bring us ever closer to the movements of the Greeks’. It was so charmingly expressed that I think he forgave me for asking such a silly question and not understanding him better”. (Sixteen to Sixty: Memoirs of a Collector, New York, 1961, p. 256).
As Jill De Vonyar and Richard Kendall explain, with that answer Degas revealed that his aim was “to associate his scenes of the ballet with the harmonious and timeless values of classical civilisation” (Degas and the Dance, exhibition catalogue, Institute of Arts, Detroit, 2002, p. 235). Jeanne Fevre, the artist’s niece, reports “he was passionate about Antiquity” and that he used to read the great classics in the original. As Degas himself declared, his dancers “are depicted purely and simply in the Greek tradition, almost all antique sculptures representing the movement and balance of the dance” (fig. 1). In museums and in the wax models he made after La petite danseuse de quatorze ans executed in 1880, Degas drew inspiration from their expressive attitudes and suspended movements, whence emanates the sense of harmony and serenity characteristic of Hellenistic art.
The work presented here shows a ballerina taking a bow at the end of the performance, holding a bouquet in her right hand. It is reminiscent of a painting in oils and pastel on canvas of 1877, Fin d’arabesque (Lemoine, Nº 418; fig. 2). Whereas the final work, in colour, uses the richness of pastels to reproduce the abundance of the tulle and the luxuriance of the bouquet, the work Degas produced using charcoal offers a masterly play of solids and spaces where the mere suggestion of the ancillary items focuses the viewer’s attention rather on the essential image: the leaning ballerina. Here, Degas offers us an instantaneous, almost photographic and surprisingly modern image.
In July 1940, the Nazi authorities seized this work from the home of Robert de Rothschild.. It was then kept in the German Embassy in Rue de Lille. In 1951, the staff of the Foreign Ministry which then occupied the premises rediscovered the picture in a cupboard, although it was not immediately recognised as being among the works confiscated from Baron de Rothschild. On 29th May 1951, the Commission for choosing and recovering works of art entrusted it to the safekeeping of the Drawings Department of the Louvre and then to the Musée d’Orsay when it opened in June 1986. It was not until June 2016, exactly 30 years later, that Danseuse au bouquet was returned to the descendants of Baron Robert de Rothschild.