Lot Essay
L’année 1952 se révèle charnière dans la fulgurante trajectoire artistique de Nicolas de Staël. L’artiste éprouve en effet le besoin d’accorder sa vision à la réalité du monde, de sortir de l’atelier, de se confronter véritablement au réel. « Les aplats épais, les maçonneries qui constituaient la toile abstraite sont réorganisés en ‘paysages’, ‘bouteilles’, ‘fenêtres’, ‘fleurs’ » (M. du Bouchet, Nicolas de Staël, une illumination sans précédent, Paris, 2003, p. 67). Parallèlement, la palette du peintre est bouleversée au contact du soleil du Midi, où Staël passe une partie de l’année : « la lumière est tout simplement fulgurante ici, bien plus que je m’en souvenais », écrit-il ainsi à Jacques Dubourg (lettre du 31 mai 1952). C’est à Lagnes, au coeur de l’été, que l’artiste peint Fleurs : « A Lagnes, la couleur prend corps dans l’épaisseur de la touche et déploie l’espace sans le saturer » (M. du Bouchet, « Faire claquer au vent ta Provence » in Nicolas de Staël en Provence, catalogue d’exposition, Aix-en- Provence, Hôtel de Caumont, avril-septembre 2018, p. 17). Les touches sont courtes, denses, se juxtaposent les unes contre les autres dans un fourmillement intense de couleurs qui sont autant de pétales d’un bouquet bigarré. Il y a là le chatoiement de mille tonalités florales – rouge carmin, bleus outremoir ou céruléen, rose incarnadin, rouge carmin, vert émeraude ou amande, blanc soyeux, jaune paille – tranchant avec les aplats vert bouteille du vase, le rouge vif, les bleus et l’ocre de l’arrière-plan. La matière picturale, déposée nerveusement au couteau, superpose les couches et engendre des effets d’empâtements sur lesquels rebondit l’oeil. « Les interstices entre les touches, les fissures provoquées par la raclure du couteau, sont autant d’espaces par lesquels les fonds ressurgissent et contribuent ainsi directement à l’effloraison finale » (in Nicolas de Staël, rétrospective de l’oeuvre peint, catalogue d’exposition, Saint-Paul-de-Vence, Fondation Maeght, juillet-septembre 1991, p. 116).
Entre 1952 et 1953, Nicolas de Staël peint trente-et-un tableaux de fleurs, incluant un certain nombre de petits formats. Fleurs est le plus grand de cette série (avec un autre tableau de même format, Fleurs blanches dans un vase blanc, réalisé l’année suivante). Il s’agit vraisemblablement aussi du tableau le plus abouti de la série, tant par la complexité de sa composition (en juillet, Staël s’initie à la sculpture avec Sesostoris Vitullo et cette dimension sculpturale imprègne certaines de ses peintures réalisées à l’époque, dont Fleurs est emblématique) que par son amplitude chromatique. Ce groupe d’oeuvres trouve son origine dans la révélation que connaît l’artiste à l’occasion d’une visite de l’exposition consacrée à la nature morte au Musée de l’Orangerie en 1952. Il y est en particulier est frappé par un vase de roses de Van Gogh : « C’est pour avoir vu le Vase de roses de Van Gogh […] que Staël entreprend, paradoxe suprême en plein triomphe de la peinture abstraite, de peindre des bouquets » (in Nicolas de Staël, un automne, un hiver, catalogue d'exposition, Antibes, Musée Picasso, juillet-novembre 2005, p. 18). Le critique Arno Mansar souligne que, lorsqu’il débute cette série de peintures, l’artiste est également probablement imprégné du « souvenir de Manet, de Monticelli, d’Odilon Redon, de Rouault et surtout de Permeke à l’oeuvre duquel il a pu se familiariser durant ses études en Belgique » (cité in Nicolas de Staël, rétrospective de l’oeuvre peint, ibid.).
Fleurs fait partie de la première exposition d’envergure consacrée à Nicolas de Staël aux États-Unis, à la galerie Knoedler en mars 1953. L’oeuvre y est exposée aux côtés d’autres peintures majeures (le grand Parc des Princes, Les Indes galantes, Le Parc de Sceaux ou la Rue Gauguet) choisies avec soin par l’artiste : « toute ma vie j’ai eu besoin de penser peinture, de voir des tableaux, de faire de la peinture pour m’aider à vivre, me libérer de toutes les impressions, toutes les inquiétudes auxquelles je n’ai jamais trouvé d’autre issue que la peinture. Aujourd’hui, je montre à New York un ensemble auquel je suis très attaché comme je ne l’ai jamais encore été, en toute modestie » (cité in M. du Bouchet, ibid., pp. 74-75). Si l’artiste est rebuté par la vie américaine (il rentre pour à Paris trois jours seulement après le vernissage), l’exposition connaît un vif succès : « Les critiques de Manhattan, écrit ainsi Time, heureux d’avoir quelque chose de vraiment nouveau sur quoi écrire, ne tarissent pas d’éloges. […] Les acheteurs de Manhattan étaient tout aussi enthousiastes […] : à la fin de la semaine, presque toutes les oeuvres exposées étaient vendues » (Time, 30 mars 1953, p. 68). Les oeuvres sont en effet dispersées dans des collections prestigieuses : c’est le courtier Ira Haupt qui acquiert Fleurs avant de revendre le tableau aux enchères en 1965 avec l’ensemble de sa collection (incluant notamment des tableaux de Piet Mondrian et Fernand Léger), l’oeuvre atteignant à l’époque un nouveau record pour l’artiste en vente publique.
Exemple spectaculaire de la maturité artistique d’un peintre « funambule entre figuration et abstraction » (J.-P. Ameline, Nicolas de Staël, catalogue d’exposition, Centre Pompidou, mars-juin 2003, p. 14), Fleurs se révèle in fine un écho éblouissant aux mots de l’artiste : « la peinture ne doit pas seulement être un mur sur un mur. La peinture doit figurer dans l’espace. […] Je n’oppose pas la peinture abstraite à la peinture figurative. Une peinture devrait être à la fois abstraite et figurative » (cité in J. Alvard, R. van Gindertael, Témoignagnes pour l’art abstrait, Paris, 1952).
1952 proved to be a turning point in Nicolas de Staël's dazzling artistic career. He felt the need to adjust his vision to the actual world, to leave the studio, to truly get to grips with reality. “The thick solid swaths of colour, the blocks that made up the abstract canvas were rearranged into ‘landscapes’, ‘bottles’, ‘windows’, ‘flowers’” (M. du Bouchet, Nicolas de Staël, Une illumination sans précédent, Paris, 2003, p. 67). At the same time, the painter's palette underwent a radical change as he encountered the sunlight in the South of France, where Staël spent part of the year: “The light is quite simply dazzling here, much more than I remembered,” he wrote to Jacques Dubourg (letter of 31 May 1952). It was in Lagnes, in the heart of summer, that the artist painted Fleurs (Flowers): “In Lagnes, colour took form in the thickness of his brushstrokes and deployed space without saturating it” (M. du Bouchet, "Faire claquer au vent ta Provence", in Nicolas de Staël en Provence, exhibition catalogue, Aix-en-Provence, Hôtel de Caumont, April-September 2018, p. 17). The brushstrokes are short, dense, juxtaposed one against the other in an intense profusion of colours, like the petals of a multi-coloured bouquet. There are a thousand shimmering floral tones – crimson red, ultramarine or cerulean blue, incarnadine pink, emerald or almond green, silky white, straw yellow – that contrast with the bottle green flat tints of the vase, and the bright red, blue and ochre of the background. The paint, applied vigorously with a palette knife, is layered and produces impasto effects which excite the eye. “The gaps between the brushstrokes, the crevices caused by the scraping of the knife, create spaces through which what lies beneath reappears, thus contributing directly to the vigour of final work” (in Nicolas de Staël, Rétrospective de l’oeuvre peint, exhibition catalogue, ibid.).
Between 1952 and 1953, Nicolas de Staël painted thirty-one flower paintings, including a number of small pieces. Fleurs is the largest of this series (with another painting of the same size, Fleurs blanches dans un vase blanc – White Flowers in a White Vase –, which was painted the following year). It is probably also the most accomplished painting in the series, both in terms of the complexity of its composition (in July, Staël was introduced to sculpture by Sesostoris Vitullo, and this sculptural dimension permeates some of his paintings of the time, of which Fleurs is emblematic) and its chromatic range. This group of works stems from the artist's revelation during a visit to the exhibition devoted to still life at the Musée de l'Orangerie in 1952. He was particularly struck by a vase of roses by Van Gogh: “It was as a result of having seen Van Gogh's Vase with Roses [...] that Staël undertook, paradoxically at the height of the triumph of abstract painting, to paint bouquets” (in Nicolas de Staël, Un automne, un hiver, exhibition catalogue, Antibes, Musée Picasso, July-November 2005, p. 18). The critic Arno Mansar points out that, when he began this series of paintings, Staël was probably also inspired by “the memory of Manet, Monticelli, Odilon Redon, Rouault and above all Permeke, with whose work he became familiar during his studies in Belgium” (quoted in Nicolas de Staël, Rétrospective de l’oeuvre peint, exhibition catalogue, Saint-Paul-de-Vence, Maeght Foundation, July-September 1991, p. 116).
Fleurs was included in the first major exhibition devoted to Nicolas de Staël in the United States, at the Knoedler Gallery in March 1953, definitively establishing its reputation. The work was exhibited alongside other major paintings (the vast Parc des Princes, from the Indes galantes series, Parc de Sceaux and Rue Gauguet) carefully chosen by the artist: “All my life I have needed to think about painting, to see paintings, to paint so that I could live, to free myself from all the emotions, from all the worries from which I have never found any other escape other than through painting. In New York, I am currently exhibiting a group of works to which, I would say in all modesty, I am more attached than I have ever been before” (quoted in M. du Bouchet, ibid., pp. 74-75). While the artist was repulsed by American life (he returned to Paris only three days after the opening), the exhibition was a great success: “Manhattan critics,” wrote Time, “delighted to have something really new to write about, were full of praise. [...] Manhattan buyers were equally enthusiastic […]: by the end of the week almost all the works on display had been sold” (Time, March 30, 1953, p. 68). Indeed, the paintings were scattered among prestigious collections: it was the broker Ira Haupt who acquired Fleurs before reselling the painting at auction in 1965, along with his entire collection (including notably paintings by Piet Mondrian and Fernand Léger), and the work set a new record for the artist at the time at public sale.
Entre 1952 et 1953, Nicolas de Staël peint trente-et-un tableaux de fleurs, incluant un certain nombre de petits formats. Fleurs est le plus grand de cette série (avec un autre tableau de même format, Fleurs blanches dans un vase blanc, réalisé l’année suivante). Il s’agit vraisemblablement aussi du tableau le plus abouti de la série, tant par la complexité de sa composition (en juillet, Staël s’initie à la sculpture avec Sesostoris Vitullo et cette dimension sculpturale imprègne certaines de ses peintures réalisées à l’époque, dont Fleurs est emblématique) que par son amplitude chromatique. Ce groupe d’oeuvres trouve son origine dans la révélation que connaît l’artiste à l’occasion d’une visite de l’exposition consacrée à la nature morte au Musée de l’Orangerie en 1952. Il y est en particulier est frappé par un vase de roses de Van Gogh : « C’est pour avoir vu le Vase de roses de Van Gogh […] que Staël entreprend, paradoxe suprême en plein triomphe de la peinture abstraite, de peindre des bouquets » (in Nicolas de Staël, un automne, un hiver, catalogue d'exposition, Antibes, Musée Picasso, juillet-novembre 2005, p. 18). Le critique Arno Mansar souligne que, lorsqu’il débute cette série de peintures, l’artiste est également probablement imprégné du « souvenir de Manet, de Monticelli, d’Odilon Redon, de Rouault et surtout de Permeke à l’oeuvre duquel il a pu se familiariser durant ses études en Belgique » (cité in Nicolas de Staël, rétrospective de l’oeuvre peint, ibid.).
Fleurs fait partie de la première exposition d’envergure consacrée à Nicolas de Staël aux États-Unis, à la galerie Knoedler en mars 1953. L’oeuvre y est exposée aux côtés d’autres peintures majeures (le grand Parc des Princes, Les Indes galantes, Le Parc de Sceaux ou la Rue Gauguet) choisies avec soin par l’artiste : « toute ma vie j’ai eu besoin de penser peinture, de voir des tableaux, de faire de la peinture pour m’aider à vivre, me libérer de toutes les impressions, toutes les inquiétudes auxquelles je n’ai jamais trouvé d’autre issue que la peinture. Aujourd’hui, je montre à New York un ensemble auquel je suis très attaché comme je ne l’ai jamais encore été, en toute modestie » (cité in M. du Bouchet, ibid., pp. 74-75). Si l’artiste est rebuté par la vie américaine (il rentre pour à Paris trois jours seulement après le vernissage), l’exposition connaît un vif succès : « Les critiques de Manhattan, écrit ainsi Time, heureux d’avoir quelque chose de vraiment nouveau sur quoi écrire, ne tarissent pas d’éloges. […] Les acheteurs de Manhattan étaient tout aussi enthousiastes […] : à la fin de la semaine, presque toutes les oeuvres exposées étaient vendues » (Time, 30 mars 1953, p. 68). Les oeuvres sont en effet dispersées dans des collections prestigieuses : c’est le courtier Ira Haupt qui acquiert Fleurs avant de revendre le tableau aux enchères en 1965 avec l’ensemble de sa collection (incluant notamment des tableaux de Piet Mondrian et Fernand Léger), l’oeuvre atteignant à l’époque un nouveau record pour l’artiste en vente publique.
Exemple spectaculaire de la maturité artistique d’un peintre « funambule entre figuration et abstraction » (J.-P. Ameline, Nicolas de Staël, catalogue d’exposition, Centre Pompidou, mars-juin 2003, p. 14), Fleurs se révèle in fine un écho éblouissant aux mots de l’artiste : « la peinture ne doit pas seulement être un mur sur un mur. La peinture doit figurer dans l’espace. […] Je n’oppose pas la peinture abstraite à la peinture figurative. Une peinture devrait être à la fois abstraite et figurative » (cité in J. Alvard, R. van Gindertael, Témoignagnes pour l’art abstrait, Paris, 1952).
1952 proved to be a turning point in Nicolas de Staël's dazzling artistic career. He felt the need to adjust his vision to the actual world, to leave the studio, to truly get to grips with reality. “The thick solid swaths of colour, the blocks that made up the abstract canvas were rearranged into ‘landscapes’, ‘bottles’, ‘windows’, ‘flowers’” (M. du Bouchet, Nicolas de Staël, Une illumination sans précédent, Paris, 2003, p. 67). At the same time, the painter's palette underwent a radical change as he encountered the sunlight in the South of France, where Staël spent part of the year: “The light is quite simply dazzling here, much more than I remembered,” he wrote to Jacques Dubourg (letter of 31 May 1952). It was in Lagnes, in the heart of summer, that the artist painted Fleurs (Flowers): “In Lagnes, colour took form in the thickness of his brushstrokes and deployed space without saturating it” (M. du Bouchet, "Faire claquer au vent ta Provence", in Nicolas de Staël en Provence, exhibition catalogue, Aix-en-Provence, Hôtel de Caumont, April-September 2018, p. 17). The brushstrokes are short, dense, juxtaposed one against the other in an intense profusion of colours, like the petals of a multi-coloured bouquet. There are a thousand shimmering floral tones – crimson red, ultramarine or cerulean blue, incarnadine pink, emerald or almond green, silky white, straw yellow – that contrast with the bottle green flat tints of the vase, and the bright red, blue and ochre of the background. The paint, applied vigorously with a palette knife, is layered and produces impasto effects which excite the eye. “The gaps between the brushstrokes, the crevices caused by the scraping of the knife, create spaces through which what lies beneath reappears, thus contributing directly to the vigour of final work” (in Nicolas de Staël, Rétrospective de l’oeuvre peint, exhibition catalogue, ibid.).
Between 1952 and 1953, Nicolas de Staël painted thirty-one flower paintings, including a number of small pieces. Fleurs is the largest of this series (with another painting of the same size, Fleurs blanches dans un vase blanc – White Flowers in a White Vase –, which was painted the following year). It is probably also the most accomplished painting in the series, both in terms of the complexity of its composition (in July, Staël was introduced to sculpture by Sesostoris Vitullo, and this sculptural dimension permeates some of his paintings of the time, of which Fleurs is emblematic) and its chromatic range. This group of works stems from the artist's revelation during a visit to the exhibition devoted to still life at the Musée de l'Orangerie in 1952. He was particularly struck by a vase of roses by Van Gogh: “It was as a result of having seen Van Gogh's Vase with Roses [...] that Staël undertook, paradoxically at the height of the triumph of abstract painting, to paint bouquets” (in Nicolas de Staël, Un automne, un hiver, exhibition catalogue, Antibes, Musée Picasso, July-November 2005, p. 18). The critic Arno Mansar points out that, when he began this series of paintings, Staël was probably also inspired by “the memory of Manet, Monticelli, Odilon Redon, Rouault and above all Permeke, with whose work he became familiar during his studies in Belgium” (quoted in Nicolas de Staël, Rétrospective de l’oeuvre peint, exhibition catalogue, Saint-Paul-de-Vence, Maeght Foundation, July-September 1991, p. 116).
Fleurs was included in the first major exhibition devoted to Nicolas de Staël in the United States, at the Knoedler Gallery in March 1953, definitively establishing its reputation. The work was exhibited alongside other major paintings (the vast Parc des Princes, from the Indes galantes series, Parc de Sceaux and Rue Gauguet) carefully chosen by the artist: “All my life I have needed to think about painting, to see paintings, to paint so that I could live, to free myself from all the emotions, from all the worries from which I have never found any other escape other than through painting. In New York, I am currently exhibiting a group of works to which, I would say in all modesty, I am more attached than I have ever been before” (quoted in M. du Bouchet, ibid., pp. 74-75). While the artist was repulsed by American life (he returned to Paris only three days after the opening), the exhibition was a great success: “Manhattan critics,” wrote Time, “delighted to have something really new to write about, were full of praise. [...] Manhattan buyers were equally enthusiastic […]: by the end of the week almost all the works on display had been sold” (Time, March 30, 1953, p. 68). Indeed, the paintings were scattered among prestigious collections: it was the broker Ira Haupt who acquired Fleurs before reselling the painting at auction in 1965, along with his entire collection (including notably paintings by Piet Mondrian and Fernand Léger), and the work set a new record for the artist at the time at public sale.