Lot Essay
L’authenticité de cette œuvre a été confirmée par Madame Yseult Riopelle. Un certificat d'authenticité de Madame Yseult Riopelle sera remis à l'acquéreur.
« Éclatement, signes indéchiffrables marquent ces blocs richement colorés d’une vie intense. On croirait une catastrophe heureuse ; celle d’un camion de tubes de couleurs écrasé par une bombe. »
“An explosion - indecipherable signs mark these blocks richly coloured with intense life. One is reminded of a fortunate disaster; that of a lorry full of tubes of colour that has been smashed by a bomb.”
Pierre Descargues
L’année 1953, date de réalisation de Black Abstraction, marque les débuts américains du jeune peintre canadien Jean Paul Riopelle. À trente ans à peine, il se voit alors projeté entre Braque et Chagall dans la prestigieuse galerie new-yorkaise de Pierre Matisse. Ce sera le début d’une amitié pérenne, scellée par la promesse du marchand : « Si vous coulez, je coulerai avec vous » (cité in Dation Pierre Matisse, catalogue d’exposition, Paris, Centre Pompidou, 1992). En 1953 encore, Riopelle est choisi pour figurer dans l’exposition itinérante des Young European Painters, présentée d’abord au Guggenheim Museum de New York. Le public est conquis, la critique aussi.
Il n’est donc en rien surprenant que le premier propriétaire de Black Abstraction ait été le président d’une autre grande institution du pays – le Philadelphia Museum of Art. Ce qui intrigue davantage, c’est cet engouement américain alors même que Riopelle est installé outre-Atlantique, à Paris, depuis 1946. En cause sûrement l’oeil respecté de Pierre Matisse. En cause également, peut-être, la prompte comparaison du jeune canadien avec le père de l’Expressionisme Abstrait, Jackson Pollock. Une similitude dont Riopelle se défend dès janvier 1954, lorsqu’il écrit à Pierre Matisse : « Loin de partager une même cause, nous sommes en totale opposition » (cité in Riopelle: Grands Formats, catalogue d'exposition, New York, Acquavella Contemporary Art, 2009, p. 23).
Black Abstraction en fait la démonstration. La composition se présente certes à la façon d’un all-over de Pollock, zébré de giclures. Mais elle est ici le fruit d’une géométrie rigoureuse de l’imprévisible, radicalement différente des arabesques déliées de l’américain. Les pâtes sont épaisses, courtes et serrées, sculptées au couteau sur la surface compacte de la toile. Les couleurs, brillantes et bigarrées. Les tonalités de jaune, noir, rouge ou bleu s’entremêlent ainsi pour former une succession de sillons sombres qui scintillent au contact de la lumière, rehaussés uniquement de quelques touches lumineuses blanches.
Contrairement à Pollock, l’art de Riopelle se refuse également le seul nom d’abstraction. Car, en dépit de son titre, Black Abstraction tire sa force de la seule nature : celle des steppes et des forêts de sapins, hostiles et généreuses, qui couvrent le pays-continent où le peintre a grandi. Plus d’une fois, Riopelle s’est ainsi justifié d’une peinture libre, dépourvue de genre – à l’image de sa toile miroitante : « Il n'y a pas d'abstraction ni de figuration: il n'y a que de l'expression et s'exprimer c'est se placer en face des choses. Abstraire cela veut dire enlever, isoler, séparer alors que je vise au contraire à ajouter, approcher, lier » (cité in Y. Riopelle, Jean-Paul Riopelle, Catalogue raisonné Tome 2, 1954-1959, Montréal, 2004, p. 26).
1953, the year in which Jean Paul Riopelle painted Black Abstraction, marked the young Canadian’s debut in the US. At just thirty years old, his artwork was shown alongside that of Braque and Chagall in the prestigious New York gallery owned by Pierre Matisse. It was the start of an enduring friendship, sealed by this promise that the dealer made to the young artist: “If you go down, I’m going down with you” (quoted in Dation Pierre Matisse, exhibition catalogue, Paris, Centre Pompidou, 1992). Again in 1953, Riopelle was chosen to feature in the Young European Painters touring exhibition, which first appeared at the Guggenheim Museum in New York. The reception from the public and critics alike was positive.
It’s hardly surprising then that the first owner of Black Abstraction was the head of another great American institution, the Philadelphia Museum of Art. What is particularly intriguing is that Riopelle’s work gained so much popularity in America despite the fact that since 1946, he had been living and working on the other side of the Atlantic, in France. Pierre Matisse’s highly respected opinion undoubtedly played a role. As did, perhaps, the comparisons which were soon made between the young Canadian and the father of Abstract Expressionism, Jackson Pollock. Riopelle denied the similarity, writing to Pierre Matisse in January 1954: “Far from sharing a common cause, we are directly opposed” (quoted in Riopelle: Grands Formats, exhibition catalogue, New York, Acquavella Contemporary Art, 2009, p.23).
Black Abstraction demonstrates this. Admittedly, the composition has the appearance of a Pollock all-over, streaked with splatters of paint. But what we see here is also the product of a strict geometry of the unpredictable, which differs radically from the American artist’s loose arabesques. The paint is applied in thick, short, sharp strokes which are sculpted with a knife on the compact surface of the canvas. There is an array of bright colours. The yellow, black, red and blue tones come together to form a succession of dark troughs which glisten in the light, enhanced only by a few bright hints of white.
Contrary to Pollock, Riopelle’s art also defied being filed simply under abstraction. Despite its title, Black Abstraction draws its strength from true nature: the hostile and bountiful steppes and pine forests which cover the vast country where the painter grew up. On more than one occasion, Riopelle proved his point by producing paintings which couldn’t be constrained by genre – like this gleaming canvas: “There is no abstraction or figuration: there is only expression and expressing oneself is about placing oneself in front of things. To abstract means to take away, to isolate, to separate, whilst I try to do the contrary, to add, to approach, to link” (quoted in Y. Riopelle, Jean-Paul Riopelle, Catalogue raisonné Volume 2, 1954-1959, Montréal, 2004, p.26).
« Éclatement, signes indéchiffrables marquent ces blocs richement colorés d’une vie intense. On croirait une catastrophe heureuse ; celle d’un camion de tubes de couleurs écrasé par une bombe. »
“An explosion - indecipherable signs mark these blocks richly coloured with intense life. One is reminded of a fortunate disaster; that of a lorry full of tubes of colour that has been smashed by a bomb.”
Pierre Descargues
L’année 1953, date de réalisation de Black Abstraction, marque les débuts américains du jeune peintre canadien Jean Paul Riopelle. À trente ans à peine, il se voit alors projeté entre Braque et Chagall dans la prestigieuse galerie new-yorkaise de Pierre Matisse. Ce sera le début d’une amitié pérenne, scellée par la promesse du marchand : « Si vous coulez, je coulerai avec vous » (cité in Dation Pierre Matisse, catalogue d’exposition, Paris, Centre Pompidou, 1992). En 1953 encore, Riopelle est choisi pour figurer dans l’exposition itinérante des Young European Painters, présentée d’abord au Guggenheim Museum de New York. Le public est conquis, la critique aussi.
Il n’est donc en rien surprenant que le premier propriétaire de Black Abstraction ait été le président d’une autre grande institution du pays – le Philadelphia Museum of Art. Ce qui intrigue davantage, c’est cet engouement américain alors même que Riopelle est installé outre-Atlantique, à Paris, depuis 1946. En cause sûrement l’oeil respecté de Pierre Matisse. En cause également, peut-être, la prompte comparaison du jeune canadien avec le père de l’Expressionisme Abstrait, Jackson Pollock. Une similitude dont Riopelle se défend dès janvier 1954, lorsqu’il écrit à Pierre Matisse : « Loin de partager une même cause, nous sommes en totale opposition » (cité in Riopelle: Grands Formats, catalogue d'exposition, New York, Acquavella Contemporary Art, 2009, p. 23).
Black Abstraction en fait la démonstration. La composition se présente certes à la façon d’un all-over de Pollock, zébré de giclures. Mais elle est ici le fruit d’une géométrie rigoureuse de l’imprévisible, radicalement différente des arabesques déliées de l’américain. Les pâtes sont épaisses, courtes et serrées, sculptées au couteau sur la surface compacte de la toile. Les couleurs, brillantes et bigarrées. Les tonalités de jaune, noir, rouge ou bleu s’entremêlent ainsi pour former une succession de sillons sombres qui scintillent au contact de la lumière, rehaussés uniquement de quelques touches lumineuses blanches.
Contrairement à Pollock, l’art de Riopelle se refuse également le seul nom d’abstraction. Car, en dépit de son titre, Black Abstraction tire sa force de la seule nature : celle des steppes et des forêts de sapins, hostiles et généreuses, qui couvrent le pays-continent où le peintre a grandi. Plus d’une fois, Riopelle s’est ainsi justifié d’une peinture libre, dépourvue de genre – à l’image de sa toile miroitante : « Il n'y a pas d'abstraction ni de figuration: il n'y a que de l'expression et s'exprimer c'est se placer en face des choses. Abstraire cela veut dire enlever, isoler, séparer alors que je vise au contraire à ajouter, approcher, lier » (cité in Y. Riopelle, Jean-Paul Riopelle, Catalogue raisonné Tome 2, 1954-1959, Montréal, 2004, p. 26).
1953, the year in which Jean Paul Riopelle painted Black Abstraction, marked the young Canadian’s debut in the US. At just thirty years old, his artwork was shown alongside that of Braque and Chagall in the prestigious New York gallery owned by Pierre Matisse. It was the start of an enduring friendship, sealed by this promise that the dealer made to the young artist: “If you go down, I’m going down with you” (quoted in Dation Pierre Matisse, exhibition catalogue, Paris, Centre Pompidou, 1992). Again in 1953, Riopelle was chosen to feature in the Young European Painters touring exhibition, which first appeared at the Guggenheim Museum in New York. The reception from the public and critics alike was positive.
It’s hardly surprising then that the first owner of Black Abstraction was the head of another great American institution, the Philadelphia Museum of Art. What is particularly intriguing is that Riopelle’s work gained so much popularity in America despite the fact that since 1946, he had been living and working on the other side of the Atlantic, in France. Pierre Matisse’s highly respected opinion undoubtedly played a role. As did, perhaps, the comparisons which were soon made between the young Canadian and the father of Abstract Expressionism, Jackson Pollock. Riopelle denied the similarity, writing to Pierre Matisse in January 1954: “Far from sharing a common cause, we are directly opposed” (quoted in Riopelle: Grands Formats, exhibition catalogue, New York, Acquavella Contemporary Art, 2009, p.23).
Black Abstraction demonstrates this. Admittedly, the composition has the appearance of a Pollock all-over, streaked with splatters of paint. But what we see here is also the product of a strict geometry of the unpredictable, which differs radically from the American artist’s loose arabesques. The paint is applied in thick, short, sharp strokes which are sculpted with a knife on the compact surface of the canvas. There is an array of bright colours. The yellow, black, red and blue tones come together to form a succession of dark troughs which glisten in the light, enhanced only by a few bright hints of white.
Contrary to Pollock, Riopelle’s art also defied being filed simply under abstraction. Despite its title, Black Abstraction draws its strength from true nature: the hostile and bountiful steppes and pine forests which cover the vast country where the painter grew up. On more than one occasion, Riopelle proved his point by producing paintings which couldn’t be constrained by genre – like this gleaming canvas: “There is no abstraction or figuration: there is only expression and expressing oneself is about placing oneself in front of things. To abstract means to take away, to isolate, to separate, whilst I try to do the contrary, to add, to approach, to link” (quoted in Y. Riopelle, Jean-Paul Riopelle, Catalogue raisonné Volume 2, 1954-1959, Montréal, 2004, p.26).