Chaïm Soutine (1893-1943)
Chaïm Soutine (1893-1943)

La place de la Liberté à Céret

Details
Chaïm Soutine (1893-1943)
La place de la Liberté à Céret
signé 'Soutine' (en bas à gauche)
huile sur toile
54 x 65 cm.
Peint vers 1919

signed 'Soutine' (lower left)
oil on canvas
21 ¼ x 25 ½ in.
Painted circa 1919
Provenance
Collection particulière, Lausanne (avant 1962).
Puis par descendance au propriétaire actuel.
Literature
M. Tuchman, E. Dunow et K. Perls, Chaïm Soutine, Catalogue raisonné, Werkverzeichnis, Cologne, 1993, vol. I, p. 149, no. 37 (illustré en couleurs; titré 'Paysage').
Exhibited
Céret, Musée d'Art Moderne de Céret, Soutine, Céret 1919-1922, juin-octobre 2000, p. 275 (illustré en couleurs).
Further Details
"Soutine insuffle – au sens propre – vie à ces paysages qu’il absorbe et restitue avec rage, avec répétition dans l’exercice sans cesse renouvelé, comme les gammes d’un musicien, jusqu’à parvenir au résultat escompté […] les toiles qu’il nous a laissées de cette époque témoignent de sa recherche forcenée d’une expression intime de ses émotions, expression qui confine à l’abstraction, comme l’a souvent constaté la critique au sujet de l’époque cérétane".

"Soutine literally breathes in life to these landscapes that he absorbs and expresses with rage. He continuously repeats the same exercise, just as a musician’s scales, until reaching the anticipated result [] the paintings he produced during that time bear witness to his obsessive experiments seeking for an intimate expression of his emotions, a type of expression with a tendency towards abstraction, as critics have often underlined when referring to the ‘
"Ceretan" years".

M.-C. Decroocq cité in Soutine, cat. exp., Paris, 2007, p. 75.

Très représentative de la fameuse «période de Céret» qui englobe les œuvres les plus convoitées de Soutine, réalisées entre 1919 et 1922, La Place de la Liberté à Céret est restée dans la même collection particulière depuis plus de 65 ans. Tout au long de cette époque charnière de sa carrière, Soutine réside à Céret où il produit environ 200 œuvres, principalement des paysages de cette charmante petite ville et de sa région, les Pyrénées Orientales, ainsi que des portraits de ses habitants. Ayant accueilli successivement les peintres Juan Gris, Pablo Picasso, Georges Braque et Max Jacob entre 1911 et 1913, Céret est alors réputée pour avoir été le berceau du cubisme. La présente œuvre illustre parfaitement la manière dont ce séjour dans le sud-ouest ravive à son tour le langage et le vocabulaire visuels de Soutine. C’est à Céret que naît son style emblématique, avec ses coups de pinceaux houleux et ses couleurs éclatantes qui font vibrer la toile.
Après des études à l’École des Beaux-Arts de Vilnius, Soutine quitte sa Lituanie natale en 1913 pour s’installer à Paris, emboîtant le pas de ses amis artistes Pinchus Kremegne (1890-1981) et Michel Kikoine (1892-1968). Il y poursuit sa formation aux Beaux-Arts de Paris et tisse très vite des liens avec d’autres artistes émergents à la Ruche, dont Modigliani, rejoignant ainsi l’effervescente scène artistique de Montparnasse. Soutine s’évertue tant bien que mal à vivre de son art à Paris, jusqu’à ce que Modigliani le présente à son ami collectionneur Léopold Zborowski (1889-1932). Si le marchand d’art et son épouse ne sont pas immédiatement séduits par le style si particulier de Soutine, Zborowski, avec l’aide financière de son associé suédois Jonas Netter, envoie tout de même l’artiste russe à Cannes et à Vence en 1918, avec Modigliani et Foujita. C’est la première fois que Soutine quitte Paris depuis son arrivée en France, cinq ans plus tôt. Puisant son inspiration dans les toiles des Maîtres, sa palette est restée relativement sombre durant ses initiatiques années parisiennes, au cours desquelles il a essentiellement peint des portraits et son environnement immédiat. Zborowski, pour sa part, est convaincu que pour regagner en créativité, en inspiration et en innovation, ses artistes doivent changer d’air. L’impact du séjour à Céret sur l'œuvre de Soutine lui donnera raison.
Si sa correspondance de 1918 avec Zborowski trahit le désir de Soutine de «quitter Cagnes, ce paysage qu’il ne peut supporter […] » (Al- Wahidi, L’Œuvre de Soutine, Paris, 1985, p. 52, cité in M. Restellini, op. cit., p. 279, note 22), Céret s’avère, néanmoins, un terrain fertile d’expérimentation pour l’artiste en détresse. Il y peint frénétiquement le même sujet, depuis des angles différents, dans des œuvres qu’il finira par dénigrer au point de les traquer, plus tard, pour les détruire. Les vastes paysages et la lumière éclatante du sud, que l’artiste russe découvre pour la première fois, le contraignent à sortir de la zone de confort que lui avait jusqu’alors procurée l’atelier de Montparnasse. Son nouvel environnement le pousse à déverser spontanément ses émotions les plus profondes sur la toile. Peints avec les tripes plutôt qu’avec l’esprit, ces paysages de Céret se distinguent par une distorsion du sujet (dans La Place de la Liberté à Céret, ces troncs d’arbres aux allures de flammes dansantes) qui semble servir d’exutoire aux sentiments du peintre.
Artiste solitaire, le Soutine des années Céret est décrit par Zborowski comme un peintre qui «s’en va dans la campagne où il vit comme un misérable dans une sorte d’étable à cochons». Consciemment peut-être, inconsciemment probablement, Soutine donne à cette époque libre cours à ses sentiments réprimés et libère par là-même son pinceau du carcan des conventions, pour se façonner le style intensément gestuel qui traverse l’ensemble de ses peintures ultérieures. Si le Cubisme voit le jour à Céret, d’une certaine manière les racines de l’Expressionnisme abstrait s’y plantent elles aussi, dans la mesure où l’on reconnaît aujourd’hui largement l’impact de l'œuvre de Soutine sur Willem de Kooning, Francis Bacon ou encore Jackson Pollock, par exemple. Inversement, La Place de la Liberté à Céret fait partie de ces chefs-d’œuvre où l’on peut distinguer l’influence de Vincent van Gogh, prédécesseur que Soutine vénérait tant. Grouillant d’empattements, la surface de la toile foisonne de textures différentes qui confèrent à cette scène du centre-ville de Céret quelque chose de réel, de vivant, voire d’organique. En même temps, la facture de Soutine véhicule toujours un mal-être intense, cet Angst qui ronge l’artiste juif et qui transparaît particulièrement dans cette œuvre dont les arbres noueux semblent avoir été entassés les uns contre les autres dans l’espace pictural. Prisonniers du cadre, ils enserrent à leur tour cette enfilade de maisons paisibles qui semblent percer péniblement à travers les troncs, pour sortir de la toile en dégringolant vers le cadran inférieur droit. La présence de ces arbres à la texture épaisse est telle qu’ils semblent lacérer la toile à coups de contrastes tranchants, entre la couleur de leurs troncs et des façades. Cette représentation puissante et féroce de la nature préfigure la fascination de Soutine pour les carcasses d’animaux, qu’il représentera en jetant audacieusement de la peinture sur la toile, pour s’aventurer plus loin encore dans les entrailles de la nature. À l’origine de ce motif : sa chambre à Céret, avec vue sur les corps d’animaux suspendus à la vitrine de la boucherie Llaraeus. Décidément le lieu de toutes les révélations.

in 1913, following fellow artists and friends Pinchus Kremegne (1890-1981) and Michel Kikoine (1892- 1968). Soutine pursued his studies at the School of Fine Arts in Paris and soon mingled with other struggling artists at La Ruche, including Modigliani, hence becoming part of the thriving Parisian art scene in Montparnasse. Soutine laboriously strived to make a living as an artist in Paris, and it was Modigliani who introduced him to his art dealer and friend, Léopold Zborowski (1889-1932). Although it took time for the latter and his wife to appreciate Soutine’s unusual style, Zborowski, with the financial support of his Swedish partner Jonas Netter, sent the Russian artist to Cannes and Vence, along with Modigliani and Foujita in 1918: it was the first time that Soutine had left Paris since his move from Lithuania five years earlier. Inspired by Old Master paintings he had admired in Parisian museums, Soutine’s palette was relatively dark during his formative Parisian years, painting mostly portraits and his surroundings. Zborowski was convinced that his artists had to change scenery to instigate innovation, creation and inspiration in their paintings – he was right in Soutine’s case, considering the significant impact of the Céret experience on his oeuvre.
Although Soutine’s correspondence with Zborowski in 1918 reveals that he “wanted to leave Cagnes, that landscape that I can no longer stand [...] (Al-Wahidi, L’oeuvre de Soutine, Paris, 1985, p. 52, cité in M. Restellini, op. cit., p. 279, note 22), Céret seems to have been a period of trial and error for the distressed artist: he frantically painted the same subject over again from different angles and he ultimately rejected his “Ceretan” artworks, later tracking them down to destroy them. These vast landscapes and the blazing Southern light, completely fresh to the Russian artist’s eye, forced Soutine to come out of his comfort zone, previously in a Montparnasse studio, urging his deepest emotions to spontaneously spill out onto the canvas. Leaving his soul rather than his mind direct his brushstrokes, his Céret landscapes are defined by the distortion of the subject – in La Place de la Liberté à Céret, the tree trunks appear as dancing flames - which becomes only a pretext to express his feelings.
A solitary artist, Zborowski described Soutine during his Céret years as “going out into the countryside where he lived like a wretch in a sort of pig’s stable”. Soutine consciously or most probably unconsciously unleashed his smothered emotions and consequently freed his paintbrush from the shackles of convention, resulting in an intensely gestural style of painting that would permeate the rest of his oeuvre after Céret. To some extent, just as Cubism originated in Céret, Abstract Expressionism has its roots in that same town to some extent, given Soutine’s recognised legacy in the works of Willem de Kooning, Francis Bacon or Jackson Pollock for example. In turn, it is in masterpieces such as La Place de la Liberté à Céret that the influence of one of Soutine’s most revered predecessors, Vincent van Gogh, can be seen. The surface itself is alive with impasto, with a variety of textured surface that makes this scene of Céret’s main square appear real, lively and even organic. At the same time, Soutine’s paintings translate the intensity of a certain “Angst”, felt by the Jewish artist, especially in the present work in which the gnarled trees seem to have been densely packed into the pictorial space – they are trapped by the canvas borders just as they have trapped the quiet row of houses desperately piercing through the tree trunks and tumbling down out of the canvas in the lower right quadrant. The thickly textured tree-trunks have so much presence that they seem to have lacerated the canvas, with the violent contrast of colours between the trees and the houses. This aggressive and powerful rendering of nature pathed the way for Soutine’s fascination with animal carcasses, through which he delved even deeper into nature by daringly throwing paint onto the canvas to depict its interior. Having a room in Céret, the view of which was on the Llaraeus butcher’s shop where dead animals hung in the window, was a true revelation for Soutine.

Brought to you by

Tudor Davies
Tudor Davies

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