Paul Gauguin (1848-1903)
Provenant d'une collection particulière européenne
Paul Gauguin (1848-1903)

Les Pêcheuses de goémon

Details
Paul Gauguin (1848-1903)
Les Pêcheuses de goémon
gouache et graphite sur carton
27.3 x 32.3 cm.
Exécuté au Pouldu vers 1888-90

gouache and graphite on board
10 ¾ x 12¾ in.
Executed in Le Pouldu circa 1888-90
Provenance
Marie Henry, Moëlan-sur-Mer (acquis auprès de l'artiste en 1890); vente, Galerie Barbazanges, Paris, 10-30 octobre 1919, lot 22.
Collection particulière, Japon (avant 1932).
Shuzo Fukui, Osaka (avant 1964).
Fujikawa Gallery, Tokyo (avant 1989).
Vente, Sotheby's, New York, 10 mai 2001, lot 202.
Collection particulière, France (acquis au cours de cette vente); vente, Christie's, New York, 3 novembre 2010, lot 14.
Acquis au cours de cette vente par le propriétaire actuel.
Literature
Institute of Art Research, Journal of Art Studies, Tokyo, 1932.
M. Malingue, 'Du nouveau sur Gauguin' in L'Œil, Paris, juillet-août 1959, p. 37, no. 17 (illustré; daté 1890, erronément décrit comme huile sur toile).
G. Wildenstein, Gauguin, Paris, 1964, vol. I, p. 151, no. 392 (illustré; daté '1890').
S. Oshima, Japonisme, Tokyo, 1980, p. 298.
J.-M. Cusinberche, 'Collection Marie Henry' in Pont-Aven et ses peintres à propos d’un centenaire, Arts de l’Ouest, Rennes, 1986, n° 26, p. 216.
A. Cariou, Les peintres de Pont-Aven, Rennes, 1994, p. 73 (illustré en couleurs).
A. Cariou, Gauguin et l’École de Pont-Aven, Paris, 2015, p. 110, no. 122 (illustré en couleurs).
A. Cariou, Dessins de Gauguin, la Bretagne à l'œuvre, Paris, 2017, p. 102-103 (illustré en couleurs, p. 102 et en couverture).
Exhibited
Paris, Galerie Barbazanges, Paul Gauguin, Exposition d'œuvres inconnues, octobre 1919, no. 22.
Daimaru, Yomiuri Shimbunsya, International Art Exhibition, vers 1950, no. 32.
Tokyo, Sojinsha & Co., Modern Art Exhibition, 1951, no. 8.
Tokyo, Metropolitan Art Gallery et Kyoto, Museum of Kyoto, The Fourth International Art Exhibition of Japan, 1957.
Osaka, City Museum of Modern Art et Osaka-Yomiuri Shinbunsya, Modern Art Exhibition, 1964.
Gifu, The Museum of Fine Arts et Kumamoto, Prefectural Museum of Art, Odilon Redon, rencontres et résonances, 1985-1986, no. 68.
Tokyo, The National Museum of Modern Art et Aichi, Prefectural Art Gallery, Paul Gauguin, 1987, p. 87, no. 51 (illustré en couleurs).
Washington, D.C., National Gallery of Art; Chicago, The Art Institute of Chicago et Paris, Grand Palais, The Art of Paul Gauguin, mai 1988-avril 1989, p. 180, no. 101 (illustré en couleurs; titré 'The Kelp Gatherers').
Yokohama, Yokohama Museum of Art; Hiroshima, Hiroshima City Museum of Contemporary Art et Kyoto, Kyoto, City Museum of Art, Gauguin et ses amis peintres: la collection Marie Henry: Buvette de la plage, Le Pouldu, en Bretagne, avril-juillet 1992, p. 62, no. 7 (illustré en couleurs).
The Bunkamura Museum of Art; Tokyo, The National Museum of Modern Art; Sapporo, Hokkaido Museum of Modern Art; Tsu, Mie Prefectural Museum of Art et Koriyama, Koriyama City Museum of Art, Gauguin et l'Ecole de Pont-Aven, 1993, p. 41, no. 19 (illustré en couleurs).
Graz, Landesmuseum Johanneum, Paul Gauguin: von der Bretagne nach Tahiti. Ein aufbruch zur Moderne , juin-octobre 2000, p. 250-251, no. 51 (illustré en couleurs).

Further Details
Fin mai 1889, Paul Gauguin revient à Pont-Aven pour la troisième fois. Il s’agit d’un pis-aller dans l’attente d’argent pour pouvoir repartir outre-mer, et de la nécessité d’approfondir des thèmes entrevus lors des deux premiers séjours. Le village, encore calme en juin, se trouve envahi les premiers jours de l’été par des peintres de toutes origines venus travailler dans ce lieu si réputé dans les ateliers.
Courant juillet, lassé par l’ambiance régnante, il décide de s’établir au Pouldu. Il connaît déjà ce hameau isolé au bord de la mer depuis un séjour en 1886, puis deux autres en 1888. Habitué des paysages apaisés des bords de l’Oise et de la banlieue parisienne, il a été particulièrement impressionné par les falaises dominant la mer. Elles offrent des points de vue remarquables, lui permettant des compositions étonnantes aux innovations presque déroutantes faisant écho aux estampes japonaises qui l’intéressent. Au Pouldu, il côtoie un monde de paysans et de pêcheurs aux traditions vivaces, vivant simplement à l’écart des transformations de la société industrielle. Refusant le pittoresque plus ou moins folklorique de Pont-Aven, il y trouve une authenticité, synonyme pour lui de «primitif» qu’il recherche et tente de traduire dans sa peinture.
La Buvette de la Plage, où il s’est installé, est à 100 mètres de la plage des Grands Sables. Lors des tempêtes, les algues, comme les fucus et laminaires, abondantes au large du Pouldu, sont rejetées sur la côte, et d’autant plus lors des grandes marées. Les paysans des environs ont l’habitude de récolter ce goémon d’épaves afin de l’épandre sur leurs champs comme engrais. Suivant la tradition, le goémon qui s’échoue à marée haute appartient au premier preneur. Aussi tous les membres de la famille sont mobilisés pour le récolter dans l’eau, le transporter en haut de la plage sur des civières, puis le charger sur des charrettes afin d’atteindre le haut de la falaise où il sera étalé pour sécher. De telles activités sont nouvelles pour le peintre. Il en fait en décembre le sujet d’une grande peinture reprenant diverses étapes de la récolte (Les Ramasseurs de Varech (II) (fig.1), Essen, Museum Folkwang), dont il parle à Vincent van Gogh vers le 13 décembre 1889 (Van Gogh, 2009, n° 828) : «En ce moment je fais une toile de 50, des femmes ramassant du goémon sur le bord de la mer. […] vêtements bleus et coiffes noires et cela malgré l’âpreté du froid. Fumier qu’ils ramassent pour fumer leurs terres […] En voyant cela tous les jours, il me vient comme une bouffée de lutte pour la vie, de tristesse et d’obéissance aux lois malheureuses».
Le dessin représentant Les Pêcheuses de goémon (fig.2) est d’un autre parti pris. Cette œuvre qui aurait pu s’appeler avec plus de justesse La Récolte du goémon, et qui date également de cette fin d’automne 1889, montre deux femmes du Pouldu récoltant le goémon dans les vagues. Elles ne portent pas de tenue adaptée à ce travail très éprouvant dans l’eau froide, mais leurs vêtements de tous les jours, dont le capot qui couvre à la fois la tête et les épaules. Elles tiennent à la main les longs manches de crocs leur permettant de récupérer les algues poussées par les flots. Engagées à mi-corps dans la mer et déstabilisées par les vagues qui s’écrasent, elles doivent en permanence rétablir leur équilibre. Cet instant précis a intéressé Gauguin qui joue sur ces effets de mouvement pour traduire la scène de manière animée. Il dessine en gros plan les deux femmes au milieu des vagues, éliminant ainsi l’horizon et toute profondeur. La leçon des estampes japonaises est bien présente tout autant dans ce parti-pris de composition qui pourrait correspondre à celui d’un éventail, que dans le traitement des vagues, en particulier celui de l’écume blanche (on pense à la Grande Vague de Kanagawa de Hokusai). Les corps et vêtements des femmes sont traduits en larges aplats cernés suivant les principes du synthétisme, exception faite de quelques effets de hachures.
Il existe un dessin préparatoire de format plus allongé (reproduit dans A. Cariou, Dessins de Gauguin, la Bretagne à l'œuvre, Paris, 2017, p. 103, collection particulière), très simplifié, se résumant aux lignes des corps et des vagues (le sujet est tellement inhabituel qu’on lui donnera le titre : Deux Paysannes bretonnes faisant les foins). À gauche, Gauguin a dessiné le tas de goémon relevé par la femme. Dans sa gouache, il va l’éliminer, resserrant la composition sur les deux femmes.
À son départ pour Paris en février 1890, Gauguin a laissé le carton accroché sur un mur de la salle à manger de la Buvette. Revenu en juin, il accumule les dettes auprès de Marie Henry dans l’attente de finaliser son projet de voyage à Tahiti. Finalement elle accepte de le laisser partir le 7 novembre en «contrepartie» d'œuvres qu’il laisse imprudemment sur place sans reçu : trois sculptures, vingt-sept tableaux, seize dessins, dont les Pêcheuses de goémon, un carnet de dessins, et trois céramiques, contre 300 francs qu’il s’engage à rembourser.
Quelques mois après son retour de Tahiti en 1893, Gauguin se rend au Pouldu pour rembourser Marie Henry et récupérer ses biens laissés en dépôt. Devant son refus de lui rendre les œuvres, il doit engager une procédure dont l’issue lui sera défavorable.
La présente gouache demeure donc dans la collection de Marie Henry, installée à Moëlan-sur- Mer. Elle s’en sépare lors d’une exposition-vente à la galerie Barbazanges à Paris du 10 au 30 octobre 1919, «d'œuvres inconnues de Paul Gauguin». Si l'œuvre est localisée dans une collection privée japonaise quelques années plus tard, on peut ensuite la suivre de collection en collection et au gré des expositions et publications jusqu’à aujourd’hui.
À partir d’un sujet aussi simple que la récolte du goémon en Bretagne par deux paysannes, Gauguin réussit à traduire symboliquement la lutte incessante de l’homme face à la nature. Cela confère à cette gouache, qui se distingue par ailleurs par ses remarquables qualités plastiques, une place de choix dans l'œuvre du peintre.

In late May 1889, Paul Gauguin returned to Pont- Aven for the third time. It was a stopgap move as he awaited money to fund another overseas trip, but he also needed to further explore the themes hinted at on his first two stays. Though still quiet in June, with the first days of summer, the village was overrun by painters of all stripes who had come to work in the studios of the renowned town.
In July, weary of the prevailing ambiance, he decided to set up shop in Le Pouldu. He was already familiar with the isolated hamlet on the ocean from a sojourn in 1886 and two more trips in 1888. Accustomed to the soothing landscapes on the banks of the Oise River and the Parisian suburbs, he was particularly impressed by the cliffs which plunge into the sea. They afford remarkable vantage points, enabling him to achieve stunning compositions with nearly baffling innovations that evoke the Japanese prints which appealed to him. In Le Pouldu, he mingled with a world of farmers and fishers who clung steadfastly to traditions, living simply and isolated from the changes wrought in industrial society. Rejecting the more or less folksy prettiness of Pont- Aven, here he found the authenticity - which for him was synonymous with “primitive” - that he was looking for and trying to translate in his painting.
His accommodations at La Buvette de la Plage were just 100 meters from the Grands Sables beach. During storms and exceptionally high tides, seaweed such as wrack and kelp which proliferated off the cost of Le Pouldu washed up on the shore. The farmers in the area were in the habit of harvesting the seaweed flotsam to fertilise their fields. According to tradition, the kelp that washed up during high tide was first come, first serve. That meant that the whole family sprang into action to cull it from the water, carry it to the top of the beach on stretchers and load it into wheelbarrows to transport it to the top of the cliff where it would be spread out to dry. These occupations were new to the painter. In December he made it the subject of a large painting which depicted various stages of the harvest (Les Ramasseurs de goémon, Essen, Museum Folkwang, (Fig.1)), which he mentioned to Vincent van Gogh around 13 December 1889 (Van Gogh, 2009, no. 828): “Right now I am working on a 50 canvas with women collecting wrack at the seaside. […] blue garments and black head coverings in spite of the bitter cold. Fertiliser which they gather to fertilise their soil […] Seeing this every day, it strikes me as an episode in a fight for survival tinged with sadness and obedience to unfortunate laws”.
The drawing depicting Les Pêcheuses de goémon (fig.2) reflects another attitude. This work, which might have been more aptly titled The Kelp Harvest and which dates to late autumn 1889, shows two women from Le Pouldu harvesting the kelp in the waves. They are not wearing suitable attire for this trying work in cold water, but rather their everyday clothes, whose bonnets cover both their heads and shoulders. They are holding long muck rakes which allow them to retrieve the seaweed pushed in by the swell. Immersed in water up to their waists and rocked by the crashing waves, they continually fight to keep their balance. This exact moment intrigued Gauguin, who played with the effects of these movements to portray the scene in an animated matter. He drew the two women amidst the waves in the foreground, eliminating the horizon and any sense of depth. The gleanings from Japanese prints is clearly evident both in this compositional gambit which perhaps resembles that of a fan and in the treatment of the waves, especially the one with white foam (which puts one in mind of The Great Wave off Kanagawa by Hokusai). The women’s bodies and clothing are translated into broad, flat surfaces outlined in synthetiste styles, save for a few hatching details.
There is a preliminary drawing in a longer format (reproduced in A. Cariou, Dessins de Gauguin, la Bretagne à l’oeuvre, Paris, 2017, p. 103, private collection), which is highly simplified, amounting to the lines of the bodies and the waves (the subject was unusual that it was given the title: Deux Paysannes bretonnes faisant les foins). On the left, Gauguin drew the pile of wrack gathered by the woman. He would eliminate it from his gouache, tightening the composition to show only the two women.
When he departed for Paris in February 1890, Gauguin left the cardboard hanging on a wall in the dining room at La Buvette. Upon his return in June, he ran up a debt with Marie Henry in anticipation of finalising his plan to travel to Tahiti. She ultimately agreed to let him leave on 7 November “in exchange for” pieces which he foolishly left behind without a receipt: three sculptures, 27 paintings, 16 drawings including The Kelp Gatherers, a notebook full of drawings and three ceramics against the 300 Francs he agreed to pay back.
A few months after returning from Tahiti in 1893, Gauguin travelled to Le Pouldu to repay Marie Henry and retrieve the collateral he had left with her. When she refused to return his works to him, he took out proceedings against her, but lost the suit.
Thus, this gouache remained in the collection of Marie Henry at Moëlan-sur-Mer. She parted with it during an exhibition-sale of “unseen works of Paul Gauguin” held at the Galerie Barbazanges in Paris from 10 to 30 October 1919. While it was held in a Japanese private collection a few years later, from there, it can be tracked from collection to collection and through exhibitions and publications to the present.
Working from a subject as simple as wrack harvesting by two farm women from Brittany, Gauguin created a successful symbolic rendering of man’s never-ending struggle with nature. This gives the gouache, which also stands out for its remarkable plastic qualities, an important place in the painter’s oeuvre.
André Cariou, historien de l’Art.
août 2018.

Brought to you by

Tudor Davies
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