Provenant d'une collection particulière
Pablo Picasso (1881-1973)
La danse
Details
Pablo Picasso (1881-1973)
La danse
signé 'Picasso' (en haut à gauche); daté et numéroté '20.8.56.III.' (au revers)
huile et grattage sur toile
80.8 x 64.7 cm.
Peint à Cannes le 20 août 1956
signed 'Picasso' (upper left); dated and numbered '20.8.56.III.' (on the reverse)
oil and grattage on canvas
31 ¾ x 25 ½ in.
Painted in Cannes on the 20th of August 1956
La danse
signé 'Picasso' (en haut à gauche); daté et numéroté '20.8.56.III.' (au revers)
huile et grattage sur toile
80.8 x 64.7 cm.
Peint à Cannes le 20 août 1956
signed 'Picasso' (upper left); dated and numbered '20.8.56.III.' (on the reverse)
oil and grattage on canvas
31 ¾ x 25 ½ in.
Painted in Cannes on the 20th of August 1956
Provenance
Galerie Louise Leiris, Paris.
Josephine A. Stein, New York (avant 1962); vente, Christie's, New York, 10 mai 1989, lot 92.
Waddington Galleries Ltd., Londres (acquis au cours de cette vente).
Galerie Melki, Paris.
Acquis auprès de celle-ci par le propriétaire actuel.
Josephine A. Stein, New York (avant 1962); vente, Christie's, New York, 10 mai 1989, lot 92.
Waddington Galleries Ltd., Londres (acquis au cours de cette vente).
Galerie Melki, Paris.
Acquis auprès de celle-ci par le propriétaire actuel.
Literature
C. Zervos, Pablo Picasso, Œuvres de 1956 à 1957, Paris, 1966, vol. 17, no. 154 (illustré, pl. 67).
Exhibited
Worcester, Worcester Art Museum, Picasso, His later works, 1938-1961, janvier-février 1962, p. 49, no. 80 (illustré).
Washington, Washington Gallery of Modern Art, Picasso since 1945, juin-septembre 1966, p. 61 (titré 'Les danseuses').
Northampton, Smith College Museum of Art, The class of 1927 collects, avril-juin 1967, no. 45 (illustré; titré 'The dancers').
Washington, Washington Gallery of Modern Art, Picasso since 1945, juin-septembre 1966, p. 61 (titré 'Les danseuses').
Northampton, Smith College Museum of Art, The class of 1927 collects, avril-juin 1967, no. 45 (illustré; titré 'The dancers').
Further Details
"‘Pour moi, il n’y a pas de passé ni d’avenir en art. Si une œuvre d’art ne peut vivre toujours dans le présent, il est inutile de s’y attarder. L’art des Grecs, des Egyptiens et des grands peintres qui ont vécu à d’autres époques n’est pas un art du passé ; peut-être est-il plus vivant aujourd’hui qu’il ne l’a jamais été".
"For me, there is neither past nor future in art. If an artwork cannot live always in the present, there is no point in wasting time on it. The art of Ancient Greece or Egypt and of the great masters who lived in other eras is not an art of the past. Perhaps it is even more alive today than it has ever been."
P. Picasso, quoted in Picasso et les maîtres, cat. exp., Paris, 2008, p. 21.
Peint le 20 août 1956, La Danse incarne avec éloquence le mode de vie, le style et la démarche artistique uniques de Picasso, à une période charnière de son existence et de sa prolifique carrière. Suite à sa rupture avec Françoise Gilot en 1953 après dix ans de relation amoureuse, sa vie privée est alors marquée par un vide que Jacqueline Roque viendra bientôt combler, demeurant la compagne de l’artiste jusqu’à sa mort en 1973. Henri Matisse, dont l'œuvre avait toujours catalysé celle de Picasso et vice-versa, est par ailleurs décédé en novembre 1954. Quelques mois plus tard, en avril 1955, Picasso a en outre acquis une propriété sur la Côte d’Azur, la fameuse Villa La Californie qui surplombe la Méditerranée, du côté de Cannes. L’artiste vient par ailleurs de présenter une importante rétrospective de son œuvre à Paris et en Allemagne en 1955-1956 et prépare, dès juillet 1956 à La Californie avec Alfred Barr, la rétrospective triomphale qui se tiendra au MoMa en 1957.
Plus important encore, La Danse voit le jour à l’époque où Picasso travaille sur ses Variations, ces réinterprétations personnelles de chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art: Les Femmes d’Alger de 1863 d’Eugène Delacroix (1954-1955), Les Ménines de 1656 de Diego Velázquez (1957) ou encore Le Déjeuner sur l’herbe de 1863 d’Édouard Manet (1959-1961). Au-delà de l’Antiquité et de l’art premier, les tableaux emblématiques des Maîtres, de Cranach à Cézanne, constituent l’une des principales sources d’inspiration de l’ensemble de l'Œuvre de Picasso. C’est pourtant, sans surprise, à un stade avancé de sa carrière qu’il redouble d’intérêt pour ce dialogue avec les acteurs majeurs de l’histoire de l’art, non seulement pour nourrir sa créativité mais aussi pour interroger l’histoire, s’assurer une place au panthéon des grands maîtres, et même les dépasser pour pousser l’art dans de nouvelles directions.
Après le succès du film Le Mystère Picasso au Festival de Cannes de 1956, documentaire révélateur dans lequel Henri-Georges Clouzot lève le voile sur la démarche créative révolutionnaire de l’artiste, sa production de dessins et de tableaux ralentit jusqu’à la fin de l’été 1956, comptant tout juste une série de dessins hautement simplifiés et stylisés de branches, de plantes, de fleurs et d’insectes (Zervos, vol. XVII, no. 123-150), réalisés entre le 17 et le 28 juin. Il se concentre alors davantage sur la céramique et la gravure et crée, début août, une trentaine de carreaux en céramique ornés de têtes de faunes. Pourtant, le 20 août 1956, Picasso est pris d’un accès d’inspiration : il produit ce jour-là six toiles, dont la présente La Danse, mais aussi La Maison dans les palmiers, La Famille, Devant le cabanon, Les Loisirs et une autre Danse (Zervos, vol. XVII, no. 151-156), ce dernier ayant été volé du Museu Chacara Do Céu, Rio de Janeiro en février 2006 et porté disparu depuis. Six œuvres remarquables dont le style évoque ses dessins décoratifs d’insectes et de flore, réalisés deux mois plus tôt.
Avec leur palette agreste de bruns, de verts et de bleus, ces œuvres évocatrices de la peinture espagnole s’inscrivent dans l’héritage ibérique du peintre. Les personnages et les motifs sont définis par d’épais tracés de peinture noire, spontanés, intuitifs, dans un décor qui rappelle l’architecture et le jardin cossus de La Californie. La facture extrêmement gestuelle et schématique de ces six tableaux de Picasso témoignent de sa conscience de l’émergence de l’expressionnisme abstrait aux États-Unis et de l’art informel en Europe, loin des compositions complexes de ses Femmes d’Alger, bien plus figuratives. En même temps, la souplesse de ses coups de pinceaux noirs et francs, apportent une touche orientale, entre calligraphie chinoise et arabesque. Secouant les conventions, Picasso y exagère la bi-dimensionnalité de sa peinture en réduisant ses figures et les autres éléments de sa composition à des silhouettes, comme pour rendre hommage aux papiers découpés que Matisse, l’ami, le rival, avait réalisés au crépuscule de sa vie.
Le titre même de la présente œuvre, La Danse, évoque par ailleurs le va-et-vient constant entre les deux artistes en termes de sujets, puisque la toile de Picasso cite et détourne simultanément le chef-d’œuvre du même nom de Matisse, commandé par Sergueï Chtchoukine en 1910. Malgré ses teintes sombres, Picasso exprime dans La Danse une joie de vivre qui traverse l’ensemble de son œuvre après l’Armistice de 1945 et qu’il exalte dans son tableau monumental La Joie de vivre, 1946 (Antibes, Musée Picasso), clin d'œil parodique à la fameuse toile fauve de Matisse datée de 1906. Depuis ses peintures de cabaret du début des années 1890, la danse et la musique comptent parmi les sujets de prédilection d’un Picasso fasciné par le monde du cirque et du ballet, et qui avait tissé des liens forts avec les artistes du Cirque Medrano et les chorégraphes Léonide Massine et Sergei Diaghilev, en plus de créer des costumes et des décors dans les années 1910 et 1920.
Picasso continue d’explorer le thème de la danse au cours des années 1940 et 1950 dans des scènes mythologiques où il regarde, toujours, vers la manière dont les Maîtres, notamment Nicolas Poussin, traitaient ces sujets qu’il traduit à son langage visuel si singulier. À cette époque, les bacchanales nourrissent par ailleurs son univers graphique, thème traditionnellement représenté par des femmes ivres célébrant les plaisirs de la vie en dansant autour de Dionysos, le dieu grec du vin et du théâtre. Si le Minotaure incarne son alter-ego au cours des années 1920 et 1930, durant les années 1940 et 1950 Picasso se tourne vers d’autres héros mythologiques gréco-romains comme les faunes, les satires et les bacchanales, plus «gais», plus en phase avec son état d’esprit pacifique d’après-guerre et ses séjours toujours plus fréquents dans le Midi, où il finit par s’installer définitivement. Les bacchanales constituent, en outre, un excellent prétexte pour replonger dans l’univers de la danse et étancher cette soif qu’il a de peindre le corps en mouvement. Le tracé spontané et la composition épurée de La Danse semblent saisir un instant, un mouvement bien réels. Un sentiment d’urgence transparaît par ailleurs, sans doute dû au fait qu’il s’agit de l’une des six toiles peintes durant cette seule et même journée. Avec ce musicien assis au premier plan et ces deux joyeuses figures aux airs de bacchanales - grattées dans la peinture noire par l’artiste - qui dansent en toile de fond, Picasso invente avec La Danse son propre mythe, son propre mystère, tout en poursuivant son dialogue incessant avec l’histoire de l’art et en révélant quelque chose de profondément intime.
Painted on 20th August 1956, La danse provides a truly vibrant "tableau" of Picasso’s unique lifestyle, artistic approach and style of that critical time in his extensive career. In terms of personal life, his ten-year relationship with Françoise Gilot ended in 1953, leaving a void in Picasso’s love life which was quickly filled by Jacqueline Roque who remained his partner until his death in 1973. Shortly after fellow artist Henri Matisse, whose oeuvre had been a constant catalyser for Picasso’s own artistic production and vice versa, passed away in November 1954. A few months later, Picasso acquired his own property in South of France in April 1955, the legendary large villa overlooking the Mediterranean Sea near Cannes, La Californie. With regards to Picasso’s career, an important retrospective exhibition of his works took place in Paris and in Germany in 1955-1956 and by July 1956, Picasso was already preparing with Alfred Barr at La Californie his future blockbuster retrospective exhibition at the MoMa held in 1957.
Most importantly, La danse was painted at the core of his production of Variations, encompassing Picasso’s personal reinterpretations of specific masterpieces of art history: Les Femmes d’Alger of 1863 by Eugène Delacroix (1954-1955), Las Meninas of 1656 by Diego Velázquez (1957) and Le Déjeuner sur l’herbe of 1863 by Édouard Manet (1959-1961). Throughout his oeuvre, one of Picasso’s main sources of inspiration besides Antiquity and tribal art were landmark Old Master paintings, from Cranach to Cézanne. Unsurprisingly, he focused on this dialogue with art history’s key players at a mature stage in his career, to fuel his creativity but also to challenge art history, to secure his place in the lineage of the great masters of art and to even go beyond their achievements to lead art towards new directions.
Yet after the success at the 1956 Cannes Festival of Henri-Georges Clouzot’s revealing documentary about Picasso’s revolutionary creative processes in The Mystery of Picasso, the artist’s production until the end of summer 1956 was relatively slow in terms of drawings and paintings comprising only of a series of highly simplified and stylised drawings representing branches, plants, flowers and insects (Zervos, vol. XVII, nos. 123-150) produced between 17th and 28th June. He turned towards ceramics and prints instead, producing around thirty ceramic tiles with faun heads early August. It was only on 20th August 1956 that Picasso had a peak of inspiration realising six paintings on that same day, including the present work La danse in addition to La maison dans les palmiers, La famille, Devant le cabanon, Les loisirs and another La danse (Zervos, vol. XVII, nos. 151-156), the latter having disappeared since it was stolen from the Museu Chacara Do Céu, Rio de Janeiro in February 2006. These six masterpieces are all stylistically reminiscent of his decorative flora and insect drawings executed a couple of months earlier. Characterised by an earthy palette of browns, greens and blues, these works fall within Picasso’s heritage of Spanish painting. The figures and motifs are defined by spontaneous thick brushstrokes of black paint set against a background hinting to La Californie’s fancy architecture and garden. The highly gestural and simplified style in these six paintings bear witness to Picasso’s awareness of the rise of Abstract Expressionism, namely Hans Hartung and Pierre Soulages’s 1950s paintings, contrasting with the complexity of his Femmes d’Alger compositions. At the same time, the fluidity of his black brushstrokes reveals an Oriental touch, caught between Chinese calligraphy and arabesque. In that way, Picasso defies artistic conventions by underlining the painting’s two-dimensionality, reducing his figures and compositional elements to silhouettes, as if paying tribute to the cut-outs of his friend and rival Matisse, executed during his final years.
The title itself of the present lot, La danse, also brings to mind Picasso’s mutual artistic exchange with Matisse, in terms of subject matter, resonating and simultaneously challenging the latter’s masterpiece of the same title commissioned by Sergueï Chtchoukine in 1910. Despite its rather dark hues, Picasso expresses ajoie de vivre in La danse, which he had expressed through his art following the end of the war in 1945 and which he incarnated in his monumental composition entitled La joie de vivre in 1946 (Antibes, Musée Picasso), a visual parody of Matisse’s 1906 masterpiece. Yet dance and music have been leit motivs in Picasso’s oeuvre since his early 1890s cabaret paintings, given his fascination and collaboration with the circus and ballet worlds, befriending the Medrano Circus performers and choreographers Léonide Massine and Sergei Diaghilev, as well as producing costume and stage designs for a total of ten ballets in the 1910s-1920s. He continued to explore the dance theme through mythological topics in the 1940s and 1950s, always looking back at the way in which Old Masters, namely Nicolas Poussin, tackled these subjects to re-interpret them in his own unique pictorial language. Moreover, Picasso fuelled his visual vocabulary with the theme of bacchanals, traditionally representing drunken women euphorically dancing around their leader Dionysos, the Greek God of wine and theatre, celebrating the pleasures of life. The Minotaur being his alter ego in the 1920s and 1930s, Picasso turned towards "merrier" Greco-Roman mythological heroes such as fauns, satyrs and bacchanals in the 1940s and 1950s, that were more in line with his peaceful state of mind during the post-war years and his more frequent - and ultimately permanent - stays in South of France. In addition, these bacchanal scenes provided him with a pretext to delve back into the world of dance and to quench his fascination with the body in movement. The spontaneous brushstrokes and simplified composition of La danse seem to capture a specific moment in time, and the fact that it is one of six works painted on the same day, translates a sense of urgency in the artist’s execution. With the musician sitting in the foreground in La danse and the two jovial bacchanal-like figures – scratched in the black paint by the artist - dancing in the background, Picasso creates his own myth and mystery, continuing his endless dialogue with art history and revealing his inner feelings.
"For me, there is neither past nor future in art. If an artwork cannot live always in the present, there is no point in wasting time on it. The art of Ancient Greece or Egypt and of the great masters who lived in other eras is not an art of the past. Perhaps it is even more alive today than it has ever been."
P. Picasso, quoted in Picasso et les maîtres, cat. exp., Paris, 2008, p. 21.
Peint le 20 août 1956, La Danse incarne avec éloquence le mode de vie, le style et la démarche artistique uniques de Picasso, à une période charnière de son existence et de sa prolifique carrière. Suite à sa rupture avec Françoise Gilot en 1953 après dix ans de relation amoureuse, sa vie privée est alors marquée par un vide que Jacqueline Roque viendra bientôt combler, demeurant la compagne de l’artiste jusqu’à sa mort en 1973. Henri Matisse, dont l'œuvre avait toujours catalysé celle de Picasso et vice-versa, est par ailleurs décédé en novembre 1954. Quelques mois plus tard, en avril 1955, Picasso a en outre acquis une propriété sur la Côte d’Azur, la fameuse Villa La Californie qui surplombe la Méditerranée, du côté de Cannes. L’artiste vient par ailleurs de présenter une importante rétrospective de son œuvre à Paris et en Allemagne en 1955-1956 et prépare, dès juillet 1956 à La Californie avec Alfred Barr, la rétrospective triomphale qui se tiendra au MoMa en 1957.
Plus important encore, La Danse voit le jour à l’époque où Picasso travaille sur ses Variations, ces réinterprétations personnelles de chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art: Les Femmes d’Alger de 1863 d’Eugène Delacroix (1954-1955), Les Ménines de 1656 de Diego Velázquez (1957) ou encore Le Déjeuner sur l’herbe de 1863 d’Édouard Manet (1959-1961). Au-delà de l’Antiquité et de l’art premier, les tableaux emblématiques des Maîtres, de Cranach à Cézanne, constituent l’une des principales sources d’inspiration de l’ensemble de l'Œuvre de Picasso. C’est pourtant, sans surprise, à un stade avancé de sa carrière qu’il redouble d’intérêt pour ce dialogue avec les acteurs majeurs de l’histoire de l’art, non seulement pour nourrir sa créativité mais aussi pour interroger l’histoire, s’assurer une place au panthéon des grands maîtres, et même les dépasser pour pousser l’art dans de nouvelles directions.
Après le succès du film Le Mystère Picasso au Festival de Cannes de 1956, documentaire révélateur dans lequel Henri-Georges Clouzot lève le voile sur la démarche créative révolutionnaire de l’artiste, sa production de dessins et de tableaux ralentit jusqu’à la fin de l’été 1956, comptant tout juste une série de dessins hautement simplifiés et stylisés de branches, de plantes, de fleurs et d’insectes (Zervos, vol. XVII, no. 123-150), réalisés entre le 17 et le 28 juin. Il se concentre alors davantage sur la céramique et la gravure et crée, début août, une trentaine de carreaux en céramique ornés de têtes de faunes. Pourtant, le 20 août 1956, Picasso est pris d’un accès d’inspiration : il produit ce jour-là six toiles, dont la présente La Danse, mais aussi La Maison dans les palmiers, La Famille, Devant le cabanon, Les Loisirs et une autre Danse (Zervos, vol. XVII, no. 151-156), ce dernier ayant été volé du Museu Chacara Do Céu, Rio de Janeiro en février 2006 et porté disparu depuis. Six œuvres remarquables dont le style évoque ses dessins décoratifs d’insectes et de flore, réalisés deux mois plus tôt.
Avec leur palette agreste de bruns, de verts et de bleus, ces œuvres évocatrices de la peinture espagnole s’inscrivent dans l’héritage ibérique du peintre. Les personnages et les motifs sont définis par d’épais tracés de peinture noire, spontanés, intuitifs, dans un décor qui rappelle l’architecture et le jardin cossus de La Californie. La facture extrêmement gestuelle et schématique de ces six tableaux de Picasso témoignent de sa conscience de l’émergence de l’expressionnisme abstrait aux États-Unis et de l’art informel en Europe, loin des compositions complexes de ses Femmes d’Alger, bien plus figuratives. En même temps, la souplesse de ses coups de pinceaux noirs et francs, apportent une touche orientale, entre calligraphie chinoise et arabesque. Secouant les conventions, Picasso y exagère la bi-dimensionnalité de sa peinture en réduisant ses figures et les autres éléments de sa composition à des silhouettes, comme pour rendre hommage aux papiers découpés que Matisse, l’ami, le rival, avait réalisés au crépuscule de sa vie.
Le titre même de la présente œuvre, La Danse, évoque par ailleurs le va-et-vient constant entre les deux artistes en termes de sujets, puisque la toile de Picasso cite et détourne simultanément le chef-d’œuvre du même nom de Matisse, commandé par Sergueï Chtchoukine en 1910. Malgré ses teintes sombres, Picasso exprime dans La Danse une joie de vivre qui traverse l’ensemble de son œuvre après l’Armistice de 1945 et qu’il exalte dans son tableau monumental La Joie de vivre, 1946 (Antibes, Musée Picasso), clin d'œil parodique à la fameuse toile fauve de Matisse datée de 1906. Depuis ses peintures de cabaret du début des années 1890, la danse et la musique comptent parmi les sujets de prédilection d’un Picasso fasciné par le monde du cirque et du ballet, et qui avait tissé des liens forts avec les artistes du Cirque Medrano et les chorégraphes Léonide Massine et Sergei Diaghilev, en plus de créer des costumes et des décors dans les années 1910 et 1920.
Picasso continue d’explorer le thème de la danse au cours des années 1940 et 1950 dans des scènes mythologiques où il regarde, toujours, vers la manière dont les Maîtres, notamment Nicolas Poussin, traitaient ces sujets qu’il traduit à son langage visuel si singulier. À cette époque, les bacchanales nourrissent par ailleurs son univers graphique, thème traditionnellement représenté par des femmes ivres célébrant les plaisirs de la vie en dansant autour de Dionysos, le dieu grec du vin et du théâtre. Si le Minotaure incarne son alter-ego au cours des années 1920 et 1930, durant les années 1940 et 1950 Picasso se tourne vers d’autres héros mythologiques gréco-romains comme les faunes, les satires et les bacchanales, plus «gais», plus en phase avec son état d’esprit pacifique d’après-guerre et ses séjours toujours plus fréquents dans le Midi, où il finit par s’installer définitivement. Les bacchanales constituent, en outre, un excellent prétexte pour replonger dans l’univers de la danse et étancher cette soif qu’il a de peindre le corps en mouvement. Le tracé spontané et la composition épurée de La Danse semblent saisir un instant, un mouvement bien réels. Un sentiment d’urgence transparaît par ailleurs, sans doute dû au fait qu’il s’agit de l’une des six toiles peintes durant cette seule et même journée. Avec ce musicien assis au premier plan et ces deux joyeuses figures aux airs de bacchanales - grattées dans la peinture noire par l’artiste - qui dansent en toile de fond, Picasso invente avec La Danse son propre mythe, son propre mystère, tout en poursuivant son dialogue incessant avec l’histoire de l’art et en révélant quelque chose de profondément intime.
Painted on 20th August 1956, La danse provides a truly vibrant "tableau" of Picasso’s unique lifestyle, artistic approach and style of that critical time in his extensive career. In terms of personal life, his ten-year relationship with Françoise Gilot ended in 1953, leaving a void in Picasso’s love life which was quickly filled by Jacqueline Roque who remained his partner until his death in 1973. Shortly after fellow artist Henri Matisse, whose oeuvre had been a constant catalyser for Picasso’s own artistic production and vice versa, passed away in November 1954. A few months later, Picasso acquired his own property in South of France in April 1955, the legendary large villa overlooking the Mediterranean Sea near Cannes, La Californie. With regards to Picasso’s career, an important retrospective exhibition of his works took place in Paris and in Germany in 1955-1956 and by July 1956, Picasso was already preparing with Alfred Barr at La Californie his future blockbuster retrospective exhibition at the MoMa held in 1957.
Most importantly, La danse was painted at the core of his production of Variations, encompassing Picasso’s personal reinterpretations of specific masterpieces of art history: Les Femmes d’Alger of 1863 by Eugène Delacroix (1954-1955), Las Meninas of 1656 by Diego Velázquez (1957) and Le Déjeuner sur l’herbe of 1863 by Édouard Manet (1959-1961). Throughout his oeuvre, one of Picasso’s main sources of inspiration besides Antiquity and tribal art were landmark Old Master paintings, from Cranach to Cézanne. Unsurprisingly, he focused on this dialogue with art history’s key players at a mature stage in his career, to fuel his creativity but also to challenge art history, to secure his place in the lineage of the great masters of art and to even go beyond their achievements to lead art towards new directions.
Yet after the success at the 1956 Cannes Festival of Henri-Georges Clouzot’s revealing documentary about Picasso’s revolutionary creative processes in The Mystery of Picasso, the artist’s production until the end of summer 1956 was relatively slow in terms of drawings and paintings comprising only of a series of highly simplified and stylised drawings representing branches, plants, flowers and insects (Zervos, vol. XVII, nos. 123-150) produced between 17th and 28th June. He turned towards ceramics and prints instead, producing around thirty ceramic tiles with faun heads early August. It was only on 20th August 1956 that Picasso had a peak of inspiration realising six paintings on that same day, including the present work La danse in addition to La maison dans les palmiers, La famille, Devant le cabanon, Les loisirs and another La danse (Zervos, vol. XVII, nos. 151-156), the latter having disappeared since it was stolen from the Museu Chacara Do Céu, Rio de Janeiro in February 2006. These six masterpieces are all stylistically reminiscent of his decorative flora and insect drawings executed a couple of months earlier. Characterised by an earthy palette of browns, greens and blues, these works fall within Picasso’s heritage of Spanish painting. The figures and motifs are defined by spontaneous thick brushstrokes of black paint set against a background hinting to La Californie’s fancy architecture and garden. The highly gestural and simplified style in these six paintings bear witness to Picasso’s awareness of the rise of Abstract Expressionism, namely Hans Hartung and Pierre Soulages’s 1950s paintings, contrasting with the complexity of his Femmes d’Alger compositions. At the same time, the fluidity of his black brushstrokes reveals an Oriental touch, caught between Chinese calligraphy and arabesque. In that way, Picasso defies artistic conventions by underlining the painting’s two-dimensionality, reducing his figures and compositional elements to silhouettes, as if paying tribute to the cut-outs of his friend and rival Matisse, executed during his final years.
The title itself of the present lot, La danse, also brings to mind Picasso’s mutual artistic exchange with Matisse, in terms of subject matter, resonating and simultaneously challenging the latter’s masterpiece of the same title commissioned by Sergueï Chtchoukine in 1910. Despite its rather dark hues, Picasso expresses ajoie de vivre in La danse, which he had expressed through his art following the end of the war in 1945 and which he incarnated in his monumental composition entitled La joie de vivre in 1946 (Antibes, Musée Picasso), a visual parody of Matisse’s 1906 masterpiece. Yet dance and music have been leit motivs in Picasso’s oeuvre since his early 1890s cabaret paintings, given his fascination and collaboration with the circus and ballet worlds, befriending the Medrano Circus performers and choreographers Léonide Massine and Sergei Diaghilev, as well as producing costume and stage designs for a total of ten ballets in the 1910s-1920s. He continued to explore the dance theme through mythological topics in the 1940s and 1950s, always looking back at the way in which Old Masters, namely Nicolas Poussin, tackled these subjects to re-interpret them in his own unique pictorial language. Moreover, Picasso fuelled his visual vocabulary with the theme of bacchanals, traditionally representing drunken women euphorically dancing around their leader Dionysos, the Greek God of wine and theatre, celebrating the pleasures of life. The Minotaur being his alter ego in the 1920s and 1930s, Picasso turned towards "merrier" Greco-Roman mythological heroes such as fauns, satyrs and bacchanals in the 1940s and 1950s, that were more in line with his peaceful state of mind during the post-war years and his more frequent - and ultimately permanent - stays in South of France. In addition, these bacchanal scenes provided him with a pretext to delve back into the world of dance and to quench his fascination with the body in movement. The spontaneous brushstrokes and simplified composition of La danse seem to capture a specific moment in time, and the fact that it is one of six works painted on the same day, translates a sense of urgency in the artist’s execution. With the musician sitting in the foreground in La danse and the two jovial bacchanal-like figures – scratched in the black paint by the artist - dancing in the background, Picasso creates his own myth and mystery, continuing his endless dialogue with art history and revealing his inner feelings.
Brought to you by
Anika Guntrum