Lot Essay
Nous remercions Monsieur Jean-Marie Cusinberche pour les informations qu’il nous a aimablement communiquées sur cette œuvre.
"Je ne vois pas pourquoi je ne serais pas infaillible."
"I do not see why I would not be infallible."
GEORGES MATHIEU
lls étaient trois amis – Louis Pauwels, Jacques Mousseau, Jean Feller – journalistes-écrivains, qui décidèrent de pratiquer « une nouvelle forme de critique littéraire », en investissant la jeune télévision française qui offrait, en 1960, une chaîne unique. « Nous n’avions pas pour but, écrira Pauwels, de présenter, d’expliquer ou de commenter des œuvres.(…) Nous partions de l’idée que le public aurait intérêt à voir et entendre des auteurs d’œuvres remarquables. À les voir et les entendre, non quand ils parlent de ces œuvres, mais d’eux-mêmes. Et non des aspects anecdotiques de leur existence ou de leur activité, mais du gouvernement de leur vie, de leur esprit, de leur âme. (…) On oubliera qu’ils sont peintres ou savants, mais on aura donné de la littérature ou de la science la plus haute idée qu’on s’en puisse faire. »
Après avoir rencontré Louis-Ferdinand Céline à Meudon, Jean Giono à Manosque, Jean Cocteau au Cap Ferrat, Henry Miller à Cannes, les trois amis se retrouvent avec une équipe de télévision, en ce vendredi 28 octobre 1960, chez Georges Mathieu, à Paris. Le critique d’art Pierre Restany les accompagne, qui avait accepté d’être leur ambassadeur auprès de l’artiste.
L’entretien commence : « Je ne vois pas pourquoi je n’aurais pas le choix de me vêtir comme il me plaît, de porter une moustache comme il me plaît, d’utiliser des voitures qui me plaisent sans me référer au goût moyen des quarante millions de Français ou des autres habitants de la planète. »
« Il y a à peine dix ans, poursuivra Louis Pauwels, toujours en 1960, l’évocation de Mathieu faisait pleuvoir les sarcasmes et les fruits mûrs sur le conférencier qui prononçait ce nom. Son rôle historique est maintenant reconnu. Nul ne conteste plus qu’il a été l’artisan, dans ce second après-guerre, d’une révolution artistique qui devait entraîner un renouveau de la peinture abstraite. »
Question : « Vous affirmez que vous êtes infaillible dans la création et le développement de l’acte créateur ; comment voulez-vous que moi, je puisse considérer que vous n’avez pas de failles lorsque vous créez ? »
Georges Mathieu : « Je ne vois pas pourquoi je ne serais pas infaillible.
Soixante-dix ans plus tôt, en 1890, Paul Gauguin n’écrivait-il pas à son ami Schuffnecker : « Vous savez qu’en art, j’ai toujours raison ! » Tandis que Nietzsche affirmera : « l’homme créateur est un dieu. »
« Après l’interview, racontera Pauwels, le pape de l’Abstraction Lyrique, exécutera un tableau [il s’agit de LE GRAND DAUPHIN. 1960]. Georges Mathieu n’a pas d’atelier [en fait, il peint dans le garage de son hôtel particulier]. Le sol est jonché de centaines de tubes écrasés, de cuvettes pleines d’essence. Une toile de grande taille est placée contre le mur. Elle est uniformément bleue [c’est le bleu royal, cela s’imposait pour le Grand Dauphin, fils de Louis XIV]. Le peintre zèbrera, en quinze minutes, ce support d’arabesques rouges et noires, de sinuosités imprévisibles. Nous assisterons à la montée de la transe et du plaisir physique chez l’artiste ; l’impression créée ressemble à celle donnée par un batteur de jazz devant ses tambours et ses cuivres. Personne ne parlera pendant cette étrange danse créatrice. Seul le ronronnement des caméras et le bruit des tubes vides tombant sur le sol troubleront le silence. »…
Le mardi 15 août 1961, l’émission fut diffusée à la télévision.
En 1962, aux Éditions France Empire, paraîtra un petit livre broché, modeste, sous le nom des trois amis, intitulé « En Français dans le Texte ». Il contient dix-sept rencontres éminentes avec Marcel Jouhandeau, Jean Vilar, Eugène Ionesco, Roger Peyrefitte, Georges Mathieu et les autres…
À l’occasion de la première sortie pour une vente publique de ce tableau de haute inspiration, que Georges Mathieu a exposé délibérément dans ses plus grandes expositions personnelles, l’on se souviendra, qu’ à la manière de mémorialistes, trois journalistes-écrivains ont rapporté, pour nous autres et notre plaisir, le fait étonnant d’avoir vécu un moment de création pure.
They were three friends – Louis Pauwels, Jacques Mousseau and Jean Feller – journalist-writers who decided to practice 'a new form of literary criticism' by getting involved in French television, which back in 1960 offered only one channel. 'We did not set out with the goal', wrote Pauwels, 'of presenting, explaining or commenting on the works (...). We started with the idea that the public would be interested in seeing and hearing the authors of remarkable works. Seeing and hearing them, not when they talk about their work, but about themselves. And not about anecdotal episodes from their existence or their activities, but about the government of their lives, their minds, their soul. (…) Viewers will forget that they are painters or scholars, but literature or science will have made the greatest possible impression on them.'
After meeting Louis-Ferdinand Céline in Meudon, Jean Giono in Manosque, Jean Cocteau in Cap Ferrat and Henry Miller in Cannes, the three friends found themselves with a television crew on Friday, 28 October 1960, with Georges Mathieu in Paris. Art critic Pierre Restany accompanied them, having agreed to be their ambassador to the artist.
The interview began: 'I do not see why I would not have the choice to dress as I like, to wear a moustache as I like, to use the cars that I like without deferring to the average taste of 40 million French people or the other inhabitants of our planet.'
'Just 10 years ago,' continued Louis Pauwels, 'still in 1960, the mere mention of Mathieu was met with a barrage of sarcasm and rotten fruit against any lecturer who mentioned his name. Now his historic role is acknowledged. No one doubts that he was the artisan, in this second post-war period, of an artistic revolution that would bring about a rebirth in abstract painting.'
Question: 'You claim that you are infallible in creation and in the development of the creative act; how can you expect me to believe that you do not have any flaws when you create?'
Georges Mathieu: 'I do not see why I would not be infallible.
Seventy years earlier, in 1890, didn't Paul Gauguin write to his friend Schuffnecker: "You know that in art, I am always right! " while Nietzsche asserted: 'the man who creates is a god.'
'After the interview,' Pauwels, recounted, 'the Pope of Lyrical Abstraction completed a canvas [it was LE GRAND DAUPHIN. 1960]. Georges Mathieu did not have a studio [in fact, he painted in the garage of his mansion]. The floor was strewn with hundreds of squished tubes and cisterns full of petrol. A large canvas was leaning against the wall. It was uniformly blue [royal blue, which was de rigueur for the Grand Dauphin, son of Louis XIV]. In 15 minutes, the painter zigzagged across his work, creating red and black arabesques and unpredictable meanderings. We witnessed the trance and the physical pleasure taking hold of the artist; the resulting impression was similar to the one created by a jazz drummer before his drums and cymbals. No one spoke during this strange creative dance. Only the purring of the cameras and the noise of the empty tubes falling to the floor broke the silence.'
On Tuesday, 15 August 1961, the episode aired on television.
In 1962, Éditions France Empire published a small, modest paperback book under the names of the three friends, entitled 'En Français dans le Texte'. It contained 17 eminent encounters with Marcel Jouhandeau, Jean Vilar, Eugène Ionesco, Roger Peyrefitte, Georges Mathieu and the others.
On the occasion of the first public sale of this highly inspired painting which Georges Mathieu deliberately displayed in his biggest one-man shows, remember that, in the manner of chroniclers, three journalist-writers captured for the rest of us and for our pleasure, the stunning fact of having experienced a moment of pure creation.
Jean-Marie Cusinberche
"Je ne vois pas pourquoi je ne serais pas infaillible."
"I do not see why I would not be infallible."
GEORGES MATHIEU
lls étaient trois amis – Louis Pauwels, Jacques Mousseau, Jean Feller – journalistes-écrivains, qui décidèrent de pratiquer « une nouvelle forme de critique littéraire », en investissant la jeune télévision française qui offrait, en 1960, une chaîne unique. « Nous n’avions pas pour but, écrira Pauwels, de présenter, d’expliquer ou de commenter des œuvres.(…) Nous partions de l’idée que le public aurait intérêt à voir et entendre des auteurs d’œuvres remarquables. À les voir et les entendre, non quand ils parlent de ces œuvres, mais d’eux-mêmes. Et non des aspects anecdotiques de leur existence ou de leur activité, mais du gouvernement de leur vie, de leur esprit, de leur âme. (…) On oubliera qu’ils sont peintres ou savants, mais on aura donné de la littérature ou de la science la plus haute idée qu’on s’en puisse faire. »
Après avoir rencontré Louis-Ferdinand Céline à Meudon, Jean Giono à Manosque, Jean Cocteau au Cap Ferrat, Henry Miller à Cannes, les trois amis se retrouvent avec une équipe de télévision, en ce vendredi 28 octobre 1960, chez Georges Mathieu, à Paris. Le critique d’art Pierre Restany les accompagne, qui avait accepté d’être leur ambassadeur auprès de l’artiste.
L’entretien commence : « Je ne vois pas pourquoi je n’aurais pas le choix de me vêtir comme il me plaît, de porter une moustache comme il me plaît, d’utiliser des voitures qui me plaisent sans me référer au goût moyen des quarante millions de Français ou des autres habitants de la planète. »
« Il y a à peine dix ans, poursuivra Louis Pauwels, toujours en 1960, l’évocation de Mathieu faisait pleuvoir les sarcasmes et les fruits mûrs sur le conférencier qui prononçait ce nom. Son rôle historique est maintenant reconnu. Nul ne conteste plus qu’il a été l’artisan, dans ce second après-guerre, d’une révolution artistique qui devait entraîner un renouveau de la peinture abstraite. »
Question : « Vous affirmez que vous êtes infaillible dans la création et le développement de l’acte créateur ; comment voulez-vous que moi, je puisse considérer que vous n’avez pas de failles lorsque vous créez ? »
Georges Mathieu : « Je ne vois pas pourquoi je ne serais pas infaillible.
Soixante-dix ans plus tôt, en 1890, Paul Gauguin n’écrivait-il pas à son ami Schuffnecker : « Vous savez qu’en art, j’ai toujours raison ! » Tandis que Nietzsche affirmera : « l’homme créateur est un dieu. »
« Après l’interview, racontera Pauwels, le pape de l’Abstraction Lyrique, exécutera un tableau [il s’agit de LE GRAND DAUPHIN. 1960]. Georges Mathieu n’a pas d’atelier [en fait, il peint dans le garage de son hôtel particulier]. Le sol est jonché de centaines de tubes écrasés, de cuvettes pleines d’essence. Une toile de grande taille est placée contre le mur. Elle est uniformément bleue [c’est le bleu royal, cela s’imposait pour le Grand Dauphin, fils de Louis XIV]. Le peintre zèbrera, en quinze minutes, ce support d’arabesques rouges et noires, de sinuosités imprévisibles. Nous assisterons à la montée de la transe et du plaisir physique chez l’artiste ; l’impression créée ressemble à celle donnée par un batteur de jazz devant ses tambours et ses cuivres. Personne ne parlera pendant cette étrange danse créatrice. Seul le ronronnement des caméras et le bruit des tubes vides tombant sur le sol troubleront le silence. »…
Le mardi 15 août 1961, l’émission fut diffusée à la télévision.
En 1962, aux Éditions France Empire, paraîtra un petit livre broché, modeste, sous le nom des trois amis, intitulé « En Français dans le Texte ». Il contient dix-sept rencontres éminentes avec Marcel Jouhandeau, Jean Vilar, Eugène Ionesco, Roger Peyrefitte, Georges Mathieu et les autres…
À l’occasion de la première sortie pour une vente publique de ce tableau de haute inspiration, que Georges Mathieu a exposé délibérément dans ses plus grandes expositions personnelles, l’on se souviendra, qu’ à la manière de mémorialistes, trois journalistes-écrivains ont rapporté, pour nous autres et notre plaisir, le fait étonnant d’avoir vécu un moment de création pure.
They were three friends – Louis Pauwels, Jacques Mousseau and Jean Feller – journalist-writers who decided to practice 'a new form of literary criticism' by getting involved in French television, which back in 1960 offered only one channel. 'We did not set out with the goal', wrote Pauwels, 'of presenting, explaining or commenting on the works (...). We started with the idea that the public would be interested in seeing and hearing the authors of remarkable works. Seeing and hearing them, not when they talk about their work, but about themselves. And not about anecdotal episodes from their existence or their activities, but about the government of their lives, their minds, their soul. (…) Viewers will forget that they are painters or scholars, but literature or science will have made the greatest possible impression on them.'
After meeting Louis-Ferdinand Céline in Meudon, Jean Giono in Manosque, Jean Cocteau in Cap Ferrat and Henry Miller in Cannes, the three friends found themselves with a television crew on Friday, 28 October 1960, with Georges Mathieu in Paris. Art critic Pierre Restany accompanied them, having agreed to be their ambassador to the artist.
The interview began: 'I do not see why I would not have the choice to dress as I like, to wear a moustache as I like, to use the cars that I like without deferring to the average taste of 40 million French people or the other inhabitants of our planet.'
'Just 10 years ago,' continued Louis Pauwels, 'still in 1960, the mere mention of Mathieu was met with a barrage of sarcasm and rotten fruit against any lecturer who mentioned his name. Now his historic role is acknowledged. No one doubts that he was the artisan, in this second post-war period, of an artistic revolution that would bring about a rebirth in abstract painting.'
Question: 'You claim that you are infallible in creation and in the development of the creative act; how can you expect me to believe that you do not have any flaws when you create?'
Georges Mathieu: 'I do not see why I would not be infallible.
Seventy years earlier, in 1890, didn't Paul Gauguin write to his friend Schuffnecker: "You know that in art, I am always right! " while Nietzsche asserted: 'the man who creates is a god.'
'After the interview,' Pauwels, recounted, 'the Pope of Lyrical Abstraction completed a canvas [it was LE GRAND DAUPHIN. 1960]. Georges Mathieu did not have a studio [in fact, he painted in the garage of his mansion]. The floor was strewn with hundreds of squished tubes and cisterns full of petrol. A large canvas was leaning against the wall. It was uniformly blue [royal blue, which was de rigueur for the Grand Dauphin, son of Louis XIV]. In 15 minutes, the painter zigzagged across his work, creating red and black arabesques and unpredictable meanderings. We witnessed the trance and the physical pleasure taking hold of the artist; the resulting impression was similar to the one created by a jazz drummer before his drums and cymbals. No one spoke during this strange creative dance. Only the purring of the cameras and the noise of the empty tubes falling to the floor broke the silence.'
On Tuesday, 15 August 1961, the episode aired on television.
In 1962, Éditions France Empire published a small, modest paperback book under the names of the three friends, entitled 'En Français dans le Texte'. It contained 17 eminent encounters with Marcel Jouhandeau, Jean Vilar, Eugène Ionesco, Roger Peyrefitte, Georges Mathieu and the others.
On the occasion of the first public sale of this highly inspired painting which Georges Mathieu deliberately displayed in his biggest one-man shows, remember that, in the manner of chroniclers, three journalist-writers captured for the rest of us and for our pleasure, the stunning fact of having experienced a moment of pure creation.
Jean-Marie Cusinberche