Lot Essay
« Lam, je pourrais dire : ce sont pour moi des corps étirés jusqu’à leur ligne extrême, des lignes prolongées jusqu’à leur point ultime, des angles comme étraves échouées d’avoir fendu l’espace de leur lancée jusqu’à leur dernière plage, – Lam, je pourrais dire : il peint aux limites, comme d’autres, rares, ont pensé. »
“Lam, I could say: for me it means bodies stretched to their extreme limit, lines extended until their final stretching point, angles like those of the stem of a ship run aground, splitting the space with their momentum until they reach their final beach; Lam, I could say: he paints at the limits, as others – rarely – have thought.”
Louis Althusser
Tout au long de sa vie, Wifredo Lam aura voyagé et se sera nourri des riches expériences recueillies au cours de ces déplacements successifs. Né à Cuba au début du siècle passé, d’un père chinois et d’une mère de double ascendance africaine et espagnole, il émigre à Madrid dans les années 1920 pour y parfaire son apprentissage artistique. Il est alors un visiteur assidu du Prado, admiratif des œuvres de Velásquez, de Goya ou du Greco, et il fréquente l’avant-garde espagnole. Mais lorsque Franco s’installe au pouvoir en 1938 à l’issue de la guerre civile, Lam part pour Paris, où il rencontre Picasso qui l’introduit au cercle des artistes, intellectuels et marchands installés dans la capitale : Pierre Loeb, qui deviendra son galeriste, Michel Leiris, qui l’initie à l’art nègre, mais aussi Braque, Léger, Miró, Breton, Tzara ou Eluard. La Seconde Guerre mondiale interrompt rapidement cette période fertile et Lam est contraint de s’exiler outre-Atlantique. Il rejoint Cuba en 1942.
Ces retrouvailles avec l'île qui l'a vu naître ont quelque chose de douloureux : "tout le drame colonial de ma jeunesse revivait en moi", écrit-il à cette époque. Par l'intermédiaire d'amis anthropologues, il redécouvre les rites ancestraux, en particulier le vaudou et le spiritisme de la santería. L'artiste retrouve dans ces pratiques anciennes des ressorts identiques à ceux utilisés par le surréalisme européen : même recours à une forme d'inconscient et d'automatisme, même rapport au merveilleux et à l'irrationnel. Lam perçoit dès lors l'usage singulier qu'il peut faire du surréalisme pour renouer avec ses origines métisses : les formes hallucinatoires qui surgissent désormais sur ses toiles sont autant de résurgences de ces mythes lointains, et de voiles levés sur une identité enfouie, retrouvée grâce à la peinture.
Les années qui suivront seront faites de nombreux voyages : New York, Paris, Caracas, La Havane, Zurich et Albissola, ville d’Italie dans laquelle il installe son atelier en 1962, année où est peint Mayombé. L’œuvre réussit la synthèse des influences multiples du peintre. Son titre, faisant vraisemblablement référence à une région du Bas-Congo, souligne combien l’artiste aime à se replonger dans ses lointaines racines africaines, mais rappelle aussi ses préoccupations politiques (le Congo est en proie à une crise politique majeure au début des années 1960, immédiatement après son indépendance et jusqu’à l’accession à la présidence de Joseph-Desiré Mobutu). Paraissant s’extraire des profondeurs ténébreuses de la toile, des figures énigmatiques – mi-animales, mi-humaines – aux formes anguleuses, traitées dans une déclinaison de tons allant du bistre au bleu, engendrent une atmosphère spectrale, empreinte de mystère. Ici semblent se lire les traces d'un passé enseveli soudainement exhumé. Mayombé revêt donc à la fois une dimension intime – c'est son identité-même que Lam poursuit à travers sa peinture – et politique : l’art doit servir à réveiller l'énergie endormie des peuples en un mouvement libératoire historique.
Throughout his lifetime, Wifredo Lam travelled and took inspiration from the rich experiences gleaned from his successive journeys. Born in Cuba at the beginning of the last century, of a Chinese father and a mother of African and Spanish descent, he emigrated to Madrid in the 1920s to perfect his artistic training. He was an assiduous visitor of the Prado Museum, where he admired the works of Velásquez, de Goya and El Greco, and where he frequented the Spanish avant-garde. But when Franco came to power in 1938 following the civil war, Lam left for Paris. There, he met Picasso, who introduced him to the circle of artists, intellectuals and art dealers living in the capital: Pierre Loeb, the gallery owner who would go on to sell his work; Michel Leiris, who introduced him to African art; but also Braque, Léger, Miró, Breton, Tzara and Eluard. WWII abruptly interrupted this fruitful period, and Lam was forced into transatlantic exile. He arrived in Cuba in 1942.
His return to the island where he was born was quite painful: “The full force of the colonial drama of my youth was reborn within me,” he wrote at the time. Through the intermediary of anthropologist friends, he rediscovered ancestral rituals, in particular voodoo and Santerían spiritualism. In these ancient practices, the artist found the exact same motivations as those used by European surrealism: the same recourse to unconscious form and automatism, the same rapport with the wondrous and the irrational. This was when Lam perceived the unique usage that he could make of surrealism to tie it in with his multicultural origins. The hallucinatory forms that began to loom in his paintings are various resurgences of these distant myths: veils raised on a buried identity resurrected through painting.
The following years consisted of a number of journeys: New York City, Paris, Caracas, Havana, Zurich and Albissola, a city in Italy where he set up his studio in 1962, the year he painted Mayombé. The work successfully combined the painter’s many influences. Its title, which probably makes reference to a region in the Lower Congo, emphasises how much the artist loves to hark back to his distant African roots, but it is also a reminder of his political concerns (the Congo was prey to a major political crisis in the early 1960s, just after gaining independence and up to Joseph-Desiré Mobutu's assumption of the presidency). Appearing to emerge from the tenebrous depths of the painting, enigmatic figures – half-animal, half-human – with angular shapes in tonal variations ranging from bistre to blue create a spectral atmosphere filled with mystery. These appear to be the traces of a buried past that has suddenly been exhumed. Mayombé therefore takes on an intimate dimension – since Lam is pursuing his own identity through his painting – as well as a political one: art must be used to awaken the dormant energy of peoples in a historical liberating movement.
“Lam, I could say: for me it means bodies stretched to their extreme limit, lines extended until their final stretching point, angles like those of the stem of a ship run aground, splitting the space with their momentum until they reach their final beach; Lam, I could say: he paints at the limits, as others – rarely – have thought.”
Louis Althusser
Tout au long de sa vie, Wifredo Lam aura voyagé et se sera nourri des riches expériences recueillies au cours de ces déplacements successifs. Né à Cuba au début du siècle passé, d’un père chinois et d’une mère de double ascendance africaine et espagnole, il émigre à Madrid dans les années 1920 pour y parfaire son apprentissage artistique. Il est alors un visiteur assidu du Prado, admiratif des œuvres de Velásquez, de Goya ou du Greco, et il fréquente l’avant-garde espagnole. Mais lorsque Franco s’installe au pouvoir en 1938 à l’issue de la guerre civile, Lam part pour Paris, où il rencontre Picasso qui l’introduit au cercle des artistes, intellectuels et marchands installés dans la capitale : Pierre Loeb, qui deviendra son galeriste, Michel Leiris, qui l’initie à l’art nègre, mais aussi Braque, Léger, Miró, Breton, Tzara ou Eluard. La Seconde Guerre mondiale interrompt rapidement cette période fertile et Lam est contraint de s’exiler outre-Atlantique. Il rejoint Cuba en 1942.
Ces retrouvailles avec l'île qui l'a vu naître ont quelque chose de douloureux : "tout le drame colonial de ma jeunesse revivait en moi", écrit-il à cette époque. Par l'intermédiaire d'amis anthropologues, il redécouvre les rites ancestraux, en particulier le vaudou et le spiritisme de la santería. L'artiste retrouve dans ces pratiques anciennes des ressorts identiques à ceux utilisés par le surréalisme européen : même recours à une forme d'inconscient et d'automatisme, même rapport au merveilleux et à l'irrationnel. Lam perçoit dès lors l'usage singulier qu'il peut faire du surréalisme pour renouer avec ses origines métisses : les formes hallucinatoires qui surgissent désormais sur ses toiles sont autant de résurgences de ces mythes lointains, et de voiles levés sur une identité enfouie, retrouvée grâce à la peinture.
Les années qui suivront seront faites de nombreux voyages : New York, Paris, Caracas, La Havane, Zurich et Albissola, ville d’Italie dans laquelle il installe son atelier en 1962, année où est peint Mayombé. L’œuvre réussit la synthèse des influences multiples du peintre. Son titre, faisant vraisemblablement référence à une région du Bas-Congo, souligne combien l’artiste aime à se replonger dans ses lointaines racines africaines, mais rappelle aussi ses préoccupations politiques (le Congo est en proie à une crise politique majeure au début des années 1960, immédiatement après son indépendance et jusqu’à l’accession à la présidence de Joseph-Desiré Mobutu). Paraissant s’extraire des profondeurs ténébreuses de la toile, des figures énigmatiques – mi-animales, mi-humaines – aux formes anguleuses, traitées dans une déclinaison de tons allant du bistre au bleu, engendrent une atmosphère spectrale, empreinte de mystère. Ici semblent se lire les traces d'un passé enseveli soudainement exhumé. Mayombé revêt donc à la fois une dimension intime – c'est son identité-même que Lam poursuit à travers sa peinture – et politique : l’art doit servir à réveiller l'énergie endormie des peuples en un mouvement libératoire historique.
Throughout his lifetime, Wifredo Lam travelled and took inspiration from the rich experiences gleaned from his successive journeys. Born in Cuba at the beginning of the last century, of a Chinese father and a mother of African and Spanish descent, he emigrated to Madrid in the 1920s to perfect his artistic training. He was an assiduous visitor of the Prado Museum, where he admired the works of Velásquez, de Goya and El Greco, and where he frequented the Spanish avant-garde. But when Franco came to power in 1938 following the civil war, Lam left for Paris. There, he met Picasso, who introduced him to the circle of artists, intellectuals and art dealers living in the capital: Pierre Loeb, the gallery owner who would go on to sell his work; Michel Leiris, who introduced him to African art; but also Braque, Léger, Miró, Breton, Tzara and Eluard. WWII abruptly interrupted this fruitful period, and Lam was forced into transatlantic exile. He arrived in Cuba in 1942.
His return to the island where he was born was quite painful: “The full force of the colonial drama of my youth was reborn within me,” he wrote at the time. Through the intermediary of anthropologist friends, he rediscovered ancestral rituals, in particular voodoo and Santerían spiritualism. In these ancient practices, the artist found the exact same motivations as those used by European surrealism: the same recourse to unconscious form and automatism, the same rapport with the wondrous and the irrational. This was when Lam perceived the unique usage that he could make of surrealism to tie it in with his multicultural origins. The hallucinatory forms that began to loom in his paintings are various resurgences of these distant myths: veils raised on a buried identity resurrected through painting.
The following years consisted of a number of journeys: New York City, Paris, Caracas, Havana, Zurich and Albissola, a city in Italy where he set up his studio in 1962, the year he painted Mayombé. The work successfully combined the painter’s many influences. Its title, which probably makes reference to a region in the Lower Congo, emphasises how much the artist loves to hark back to his distant African roots, but it is also a reminder of his political concerns (the Congo was prey to a major political crisis in the early 1960s, just after gaining independence and up to Joseph-Desiré Mobutu's assumption of the presidency). Appearing to emerge from the tenebrous depths of the painting, enigmatic figures – half-animal, half-human – with angular shapes in tonal variations ranging from bistre to blue create a spectral atmosphere filled with mystery. These appear to be the traces of a buried past that has suddenly been exhumed. Mayombé therefore takes on an intimate dimension – since Lam is pursuing his own identity through his painting – as well as a political one: art must be used to awaken the dormant energy of peoples in a historical liberating movement.