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Petite ville périurbaine perchée sur les rives de la Seine, Bougival devient, à l’instar des communes voisines de Louveciennes, Le Port-Marly ou Chatou, un lieu de plaisance à la mode dans les années 1870 pour les Parisiens las de la grande métropole moderne. Située à dix-sept kilomètres seulement de la capitale, elle est facilement accessible en train par la nouvelle ligne reliant la banlieue ouest à la gare Saint-Lazare. Avec ses paysages idylliques et les inépuisables effets de lumière créés par les reflets de la Seine, Bougival offre aux impressionnistes une vaste palette de sujets; eux qui prônent une peinture en plein air pour capter, à un instant bien précis, l’atmosphère et la lumière d’un lieu. La petite ville des Yvelines est, en outre, particulièrement réputée pour ses
« guinguettes » disséminées le long des berges. Les Parisiens s’y retrouvent notamment le week-end pour assister au célèbre « Bal des Canotiers ». C’est pourtant pour d’autres raisons qu’Alfred Sisley s’installe à Louveciennes, tout près de Bougival, en 1872 : sa famille est ruinée, et la vie y est moins chère qu’à Paris. Par ailleurs, une petite communauté soudée d’artistes s’est établie dans la région à la fin des années 1860, parmi lesquels des amis proches du peintre, notamment Pissarro, Monet, Renoir suivis, un peu plus tard, de Morisot. Ils y séjournent par intermittence et se tissent un réseau d’entraide avec quelques propriétaires de guinguettes comme la Maison Fournaise ou La Grenouillère, toutes deux situées dans la ville voisine de Chatou. Enfin, Sisley, contrairement à ses camarades impressionnistes, s’intéresse davantage à retranscrire les émotions et l’atmosphère suscités par la nature, qu’à dépeindre des figures humaines. La végétation intacte et les environs préservés de Bougival, saupoudrés ici et là de petites zones industrielles et d’agglomérations éparpillées le long de la Seine, offrent à l’artiste franco-britannique un cadre de travail idéal.
Issue de la même série que sa peinture de Bougival, vendue dans la vente impressionniste et moderne de Christie’s Paris en mars 2018 (lot 228, La Seine à Bougival, 1877 ; prix réalisé : 703 500 €), la présente œuvre de Sisley, de taille supérieure, appréhende le sujet de manière plus ambitieuse. Cette Seine à Bougival peinte en 1876 - année de la deuxième exposition impressionniste à la galerie Durand-Ruel - se démarque des autres vues de Bougival produites par Sisley, par sa saisissante représentation de la nature, à la lisière de l’abstraction, et son style d’une spontanéité sans précédent. Dotée d’une facture, d’un sujet et d’un sens de la composition typiquement impressionnistes, cette scène dynamique et stylisée s’avère particulièrement moderne; elle tend même, pourrait-on dire, vers l’expressionnisme abstrait. Sisley consacre au ciel la moitié de sa toile, préalablement recouverte d’une teinte blanc rosé, dont l’éclat perce par endroits les couches supérieures de peinture. L’artiste s’est évertué à saisir le mouvement constant des nuages dans un beau ciel bleu. En découle un « dynamisme atmosphérique », emblématique de la peinture impressionniste en plein air.
Tout aussi caractéristiques de l’impressionnisme, les touches libres et vigoureuses avec lesquelles Sisley compose sa toile font vivre et vibrer la scène. Ce mouvement, obtenu par la juxtaposition de coups de pinceaux
verticaux, horizontaux et diagonaux - tantôt amples, tantôt furtifs - est d’une spontanéité telle qu’il emmène la toile encore un peu plus loin vers l’abstraction. Pourtant, ce chaos apparent est organisé par une certaine structure, obtenue à la fois par la ligne horizontale du paysage en toile de fond, et les diagonales formées par le chemin et les rives de la Seine. Christopher Lloyd a écrit, à propos des toiles de Sisley des années 1870, que cette
« organisation picturale stricte » est précisément ce qui « rend ces peintures particulièrement modernes par rapport aux paysages des artistes de l’École de Barbizon. Sisley intègre une série presque continue de lignes horizontales, verticales et diagonales déployées comme des perspectives plongeantes et de larges bandes de divisions planaires [...] » (C. Lloyd, ‘Alfred Sisley and the Purity of Vision’ in Alfred Sisley, Londres, 1992, cat. exp., p. 14-15).
Ici, les lignes structurelles convergent vers un point de fuite au centre de la toile, sur la gauche, défini par une zone du ciel d’un beau rose pastel vif et couleur crème. L’on retrouve des compositions similaires dans La Seine à Bougival du Metropolitan Museum of Art, New York, également datée de 1876, et dans la toile du même nom conservée au musée d’Orsay, exécutée trois ans plus tôt. Le tableau du Metropolitan est plus figuratif et plus discipliné dans son traitement du sujet, comparé au présent lot. Ici, au contraire, Sisley dépouille sa scène de tout signe de présence humaine. Son seul objectif est de capter la lumière et la nature sauvage du paysage. Par ailleurs, le contraste entre la toile d’Orsay et La Seine à Bougival proposée par Christie’s aujourd’hui en dit long sur la genèse et l’essence de l’impressionnisme. L’année 1873 correspond en effet à la création de la Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs, fondée par des artistes indignés dont les œuvres avaient été refusées par le jury conservateur du Salon de 1873 à Paris. Cette réaction sera, entre autres, à l’origine de l’organisation de la Première Exposition Impressionniste de 1874, suivie d’une seconde édition en 1876. Un moment charnière de l’histoire de l’art, reflété par les différences entre la peinture d’Orsay et cette œuvre-ci. De facture naturaliste, la toile de 1873 lorgne vers l’École de Barbizon, dont les impressionnistes condamneront le réalisme, tandis que dans sa peinture de 1876, Sisley débride sa palette et ses pinceaux pour laisser libre cours à son esthétique impressionniste - esthétique qui ouvrira la voie à l’expressionnisme abstrait des années 1940 et 1950, dont cette vue exceptionnelle de Bougival annonce déjà la couleur.
The small suburban town of Bougival located along the banks of the river Seine, like several neighbouring cities such as Louveciennes, Le Port-Marly, and Chatou, had become a popular leisure destination by the 1870s for Parisians who sought to escape the modern metropolis. Situated just seventeen kilometres from the capital and easily accessible with the new train line from the Saint- Lazare station in Paris, Bougival and its surroundings with its idyllic landscapes and endless light effects created by the Seine’s reflection, provided a wide array of ideal subject matters for the Impressionists, who advocated plein-air painting in view of capturing a specific light and atmosphere at a precise moment in time. Furthermore, Bougival especially, became renowned for its guinguette or bar-restaurants scattered along the river banks and became a town to which Parisians flocked to over the weekend to attend the famous Bal des Canotiers.
Yet it was for other reasons that Alfred Sisley chose to settle close to Bougival, in Louveciennes in 1872, as his family was impoverished and the living costs in this suburban town were much lower than in Paris. Additionally, a small but tight community of artists had established itself in the late 1860s in the area with Sisley’s close friends Pissarro, Monet, Renoir and slightly later Morisot, all spending time there intermittently and building a support network with some of the guinguette owners, such as that of the Maison Fournaise or of La Grenouillère both in nearby Chatou. Finally, Sisley, as opposed to his fellow Impressionist painters, was more interested in conveying his emotions and the atmosphere triggered by nature, than by depicting figures. The untouched nature and preserved surroundings of Bougival, occasionally dotted with small-scale industries and picturesque clusters of buildings along its banks, offered the Franco-British artist the perfect setting.
Of a larger format yet from the same Bougival series as the one sold at Christie’s Paris’ Impressionist and Modern Art sale in March 2018 (lot 228, La Seine à Bougival, 1877; price realized: €703,500), the present work by Sisley is more ambitious in its treatment of the subject. La Seine à Bougival painted in 1876
- the year of the Second Impressionist Exhibition held at Galerie Durand-Ruel - stands out amongst the several views of Bougival produced by Sisley because of its astonishingly almost abstract approach to nature and its unprecedented spontaneity in terms of style. Quintessentially Impressionist in its compositional procedure, style, and subject matter, the vibrant execution and the simplification of the scene depicted is particularly modern, that one could almost qualify as abstract expressionist. Devoting the sky half of the primed canvas coated with a pinkish-white colour tone, the brightness of which pierces through the layer of paint in places, Sisley focused on grasping the clouds’ constant movement in a fresh blue sky. He hence creates an “atmospheric dynamism”, epitomising Impressionism’s plein-air painting.
Sisley’s Bougival painting is built with the typically loose Impressionist touches conveying the scene’s liveliness, that he takes a step further towards abstraction in their spontaneous movement, highlighting it with juxtapositions of either broad or tight vertical, horizontal and diagonal brushstrokes. Yet this apparent painterly chaos is regimented by a certain structure, composed by the landscape’s horizontal outline in the background and the diagonal lines of the path and of the river banks. According to Christopher Lloyd, reflecting on Sisley’s 1870s paintings, this “strict pictorial organisation” is precisely what “makes these paintings, in comparison with landscapes by artists of the Barbizon School, specifically modern. Sisley incorporates an almost relentless array of horizontals, verticals and diagonals deployed as plunging perspectives and flat bands of planar divisions [ ...]” (C. Lloyd, ‘Alfred Sisley and the Purity of Vision’ in Alfred Sisley, exh. cat., London, 1992, p. 14-15).
The structural lines converge in the composition’s vantage point at the centre left of the painting, defined by a beautiful bright pastel-pink and cream- coloured area of the sky. Similar compositions are used for Sisley’s two Seine à Bougival paintings housed in the Metropolitan Museum of Art, New York, also dated 1876, and in the Musée d’Orsay, Paris, executed three years earlier. The Metropolitan painting is more figurative and more disciplined in its treatment of the subject, when compared to the present lot. Sisley strips his scene bare of any sign of human life in the latter - capturing light and nature’s wildness was his sole concern. Furthermore, the contrast between the Orsay painting and the Seine à Bougival offered by Christie’s today illustrates the genesis and essence of Impressionism. 1873 was the year that the Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs was created, regrouping outraged artists whose works had been rejected by the conservative jury of the 1873 Salon in Paris. The reaction to this Salon contributed to the establishment of the First Impressionist Exhibition held in 1874, followed by a second one in 1876. This pivotal moment in art history is reflected in the differences between the Orsay painting and the present work: the 1873 work is naturalistic and echoes the Barbizon School’s realism that Impressionism condemned, whilst in his 1876 painting, Sisley unleashed his palette and brushes, giving free rein to his Impressionist aesthetics, which ultimately paved the way to the Abstract Expressionism of the 1940s and 1950s, as heralded by this exceptional view of Bougival.