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D'abord offerte à l'artiste catalan Luis Marsans (1930-2015) en 1958, la présente œuvre L.H.O.O.Q. est une interprétation unique de l'une des créations les plus emblématiques et les plus subversives de Marcel Duchamp, sa réappropriation de La Joconde sur laquelle l'artiste ajoute au crayon une fine moustache et un bouc et lui conférant un titre sulfureux. Marsans et Duchamp entretiennent une relation étroite, née d'une passion commune pour la litérature - la famille de Marsans était à la tête d'une maison d'édition - et renforcée par le partage d’une maison qu'ils ont habité tous deux sur la baie de Cadaqués (Duchamp l'occupait de juin à septembre et Marsans en automne). En recevant son L.H.O.O.Q., Marsans rejoint le club très fermé des personnalités destinataires de ces œuvres, d’autres exemplaires ayant été offerts à Suzanne Duchamp, Louis Aragon et Dorothea Tanning. Il cède à son tour son L.H.O.O.Q. à son compatriote Antoni Tàpies, continuant ainsi une tradition d'inclure les œuvres uniques de Duchamp dans les collections des artistes confrères.
L'histoire de la conception de L.H.O.O.Q. est bien documentée, en commençant par la propre explication de l'artiste quant à son inspiration initiale: «La Joconde était si universellement connue et admirée qu'il était extrêmement tentant de l'utiliser pour le scandale. Je trouvais que la pauvre fille, avec moustache et barbe, devenait très masculine, ce qui cadrait très bien avec l'homosexualité de Léonard» (M. Duchamp, A. d'Harnoncourt et K. McShine, Marcel Duchamp, New York, 1973, p. 289). L'année 1919, celle de la première production de L.H.O.O.Q. par Duchamp, marque le quatre-centième anniversaire de la disparition de Léonard de Vinci. Cet événement trouve d'autant plus d'écho à Paris que la ville a récemment accueilli le retour au Louvre de La Joconde après un cambriolage qui a fait couler beaucoup d'encre. L'artiste poursuit son explication: «En 1919, j'étais de nouveau à Paris où le mouvement Dada venait de faire son apparition: Tristan Tzara, qui arrivait de Suisse où le mouvement avait débuté en 1916, s'était joint au groupe autour d'André Breton à Paris. Picabia et moi-même avions déjà manifesté en Amérique notre sympathie pour les Dadas. Cette Joconde à moustache et à bouc est une combinaison ready-made/dadaïsme iconoclaste. L'original, je veux dire le ready-made original, est un chromo 8 × 5 (pouces) bon marché au dos duquel j'écrivis quatre [sic] initiales qui, prononcées en français, composent une plaisanterie très osée sur la Joconde» (in ibid., p. 291).
Lu à voix haute, L.H.O.O.Q. est un allographe de la phrase «Elle a chaud au cul», traduit par Duchamp lui-même plus élégamment en anglais: «There is a fire down below» (entretien avec Hubert Crehan pour WBAI-FM Radio, New York, in Evidence, no. 3, Toronto, 1961, p. 36-38). Pour de nombreux observateurs, c'est dans le calembour phonétique du titre que réside principalement la portée subversive du ready-made de Duchamp. Cependant, l'interprétation de l'œuvre par l'artiste lui-même est davantage axée sur l'analyse des questions de genre, notamment l'ajout de la moustache et du bouc, que sur les sous-entendus du titre. Cette Joconde moustachue peut être interprétée comme un parallèle direct à l'alter ego féminin de l'artiste, Rrose Sélavy (prononcé «Éros, c'est la vie»), et son jeu constant avec les notions d'identité de genre. Comme l'artiste lui-même l'a noté concernant L.H.O.O.Q.: «Ce qui est curieux dans la moustache et la barbiche, c'est que quand vous les regardez, Mona Lisa devient un homme. Ce n'est pas une femme déguisée en homme; c'est vraiment un homme ; c'est là ce que j'ai découvert, bien que je ne m'en sois pas rendu compte à l'époque» (M. Duchamp, cité in C. Tomkins, Duchamp, A Biography, New York, 1996, p. 222). La célèbre photo prise par Man Ray de Duchamp en Rrose Sélavy permet d'observer cette même transformation : avec un chapeau et du maquillage, Duchamp devient une femme.
L'appropriation de La Joconde par Duchamp pour son L.H.O.O.Q. s'inscrit dans un contexte de nombreuses autres interprétations artistiques de l'illustre peinture. L'une des premières appropriations connues apparaît en 1887, lorsqu'un illustrateur surnommé Sapeck (Eugène Bataille) représente la célèbre dame fumant une pipe. En 1914, Kazimir Malevitch réalise une critique acerbe du culte alors voué au tableau. Son collage Composition avec La Joconde remise ce chef-d'œuvre dans un coin avec un grand X rouge sur le visage pour dénoncer ce que Malevitch considère comme la fausse conscience artistique que cette peinture évoque. D'autres appropriations suivront la version de Duchamp, notamment celles de Salvador Dalí (Autoportrait en Mona Lisa, 1954) et de René Magritte (La Joconde, 1960), la plus célèbre étant peut-être la série d'œuvres produites par Andy Warhol (Mona Lisa, 1963, et ses variations ultérieures) inspirées par le prêt de la toile à la National Gallery of Art de Washington D.C.
Contrairement à un grand nombre de ces exemples, la conception de Duchamp va au-delà de la simple appropriation d'une image dans un but irrévérencieux. Kynaston McShine note que, en choisissant de travailler à partir de reproductions bon marché du tableau, «Duchamp [...] nous rappelle qu'une reproduction est une reproduction. En embellissant le tableau le plus connu au monde de manière si inoffensive, Duchamp désacralise cet objet, ce qui nous permet d'avoir avec lui une proximité que nous n'aurions pas eu autrement, même devant la peinture au Louvre» (K. McShine, 'Introduction', in The Museum as Muse, cat. exp, The Museum of Modern Art, New York, 1999, p. 14 et 15).
Comme l’indique l’inscription imprimée qui figure sur l’œuvre, l’image de la présente version de L.H.O.O.Q. provient d’une encyclopédie populaire espagnole que Marsans et Duchamp ont probablement trouvé chez les bouquinistes des arcades du marché Sant Antoni dans la vieille ville à Barcelone. Il ne fait aucun doute que la vaste diffusion de cette version de La Joconde a trouvé un écho auprès de Duchamp, particulièrement sensible aux artefacts populaires.
Quelle que soit l'interprétation donnée à cette création, il ne fait aucun doute que la désacralisation d'un chef-d'œuvre vénéré de la Renaissance est considérée comme l'expression la plus succincte de la négation dadaïste, un geste d'iconoclasme absolu, une œuvre d'art mettant fin symboliquement, mais réellement, à l'attachement de l'ère moderne à l'esthétique conservatrice du passé. L'œuvre compte parmi les plus significatives de la carrière de cet artiste influent et Duchamp reprendra tout au long de sa vie le sujet de La Joconde dans sept versions différentes de L.H.O.O.Q., notamment une édition de 35 exemplaires réalisés en 1964 pour l'éditeur Arturo Schwarz. Antérieur à cette édition, le présent exemplaire est une version unique faisant partie du nombre très limité de L.H.O.O.Q. offerts par Duchamp à ses amis artistes, ce qui lui confère le statut d'artefact dadaïste.
First gifted to the Catalan artist Luis Marsans (1930-2015) in 1958, the present L.H.O.O.Q. is a unique rendering of one of Marcel Duchamp’s most recognizable and subversive creations, his appropriation of the Mona Lisa to which the artist added a pencil moustache and beard along with a salacious title. Marsans and Duchamp enjoyed a close relationship founded on their mutual interest in literature (Marsans’ family ran a publishing house), and in the 1960s they shared a house together on the bay of Cadaqués (Duchamp occupying it from June until September, and Marsans in the autumn). In receiving his L.H.O.O.Q., Marsans joined a short and notable list of recipients of such works, following examples gifted to Suzanne Duchamp, Louis Aragon and Dorothéa Tanning. Marsans in turn would cede his L.H.O.O.Q. to fellow Catalan artist Antoni Tàpies, thus continuing a tradition that these unique versions of Duchamp’s celebrated work form part of the collection of a fellow artist.
The background to Duchamp’s conception of L.H.O.O.Q. is well documented, beginning with the artist’s own explanation of his initial inspiration: "The Gioconda was so universally known and admired that it was very tempting to use it for scandal. I found that poor girl, with a moustache and beard, became very masculine--which went very well with the homosexuality of Leonardo" (M. Duchamp, A. d'Harnoncourt and K. McShine, eds., Marcel Duchamp, New York, 1973, p. 289). 1919 - the date of Duchamp’s first production of L.H.O.O.Q. – marked the four hundredth anniversary of the death of Leonardo da Vinci. This anniversary was felt all the more profoundly in Paris which had only recently seen the return to the Louvre of the Mona Lisa following a much-publicized heist. As the artist went on to recount, "In 1919 I was back in Paris and the Dada Movement had just made its first appearance there: Tristan Tzara who had arrived from Switzerland, where the movement had started in 1916, joined the group around André Breton in Paris. Picabia and I had already shown in America our sympathy for the Dadas. This Mona Lisa with a moustache and a goatee is a combination readymade and iconoclastic Dadaism. The original, I mean the original readymade, is a cheap chromo 8 x 5 on which I inscribed at the bottom four [sic] letters which pronounced like initials in French, made a very risqué joke on the Gioconda" (in ibid, p. 291).
When read aloud in French, L.H.O.O.Q. mimics the phrase “Elle a chaud au cul,” which translates as “She has a hot ass”, or, as Duchamp himself more elegantly expressed: “There is a fire down below” (M. Duchamp, Interview with Hubert Crehan for WBAJ-FM Radio, New York, published in Evidence, no. 3, Toronto, 1961, p. 36-38). For many observers, it is this phonetic pun contained within the title which lies at the heart of the subversive impact of Duchamp’s readymade. Duchamp’s own discussion of the work, however, often centered on the commentary on gender issues – the addition of the moustache and goatee beard - rather than the insinuations within the title. The mustached Joconde can be interpreted as being a direct parallel to the artist’s own female alter ego, Rrose Sélavy (pronounced “Eros, c’est la vie”), and his ongoing play with the notions of gender identity. As the artist himself noted in respect to L.H.O.O.Q. ,“The curious thing about that mustache and goatee is that when you look at the Mona Lisa it becomes a man. It is not a woman disguised as a man; it is a real man, and that was my discovery, without realizing it at the time,” (M. Duchamp, quoted in C. Tomkins, Duchamp, A Biography, New York, 1996, p. 222). In Man Ray’s celebrated image of Duchamp as Rrose Sélavy, the same transformation could be witnessed: that with the addition of a hat and makeup, Duchamp became a woman.
Duchamp’s appropriation of the Mona Lisa for his L.H.O.O.Q., can be set within a context of numerous other examples of artistic commentary on the celebrated painting. One of the he earliest known appropriations appeared in 1887 when an illustrator known as Sapeck (Eugène Battaille) depicted the famous lady smoking a pipe. In 1914, Kasimir Malevitch produced a scathing commentary on the cult status that the painting had achieved. His collage Composition with Mona Lisa placed the masterpiece tucked away in the corner of the composition with a large red X over her face as a comment on what Malevich saw as the false artistic consciousness that the painting evoked. Further appropriations would follow Duchamp’s own version, including by Salvador Dalí (Self Portrait as Mona Lisa, 1954) and René Magritte (La Joconde, 1960), with perhaps the most famous being the series of works produced by Andy Warhol (Mona Lisa, 1963, and later variations) inspired by the painting’s visit to the National Gallery of Art, Washington D.C.
In contrast to many of these example, Duchamp’s conception went beyond the simple appropriation of an image to achieve irreverence. In choosing to work from cheap reproductions of the painting, Kynaston McShine has noted that “Duchamp…reminds us that a reproduction is a reproduction. Embellishing the best-known painting in the world, but doing so harmlessly, Duchamp de-sanctifies the object, allowing us a proximity to it that we would not otherwise have even in the Louvre, standing before the painting itself” (K. McShine, 'Introduction' in The Museum as Muse, exh. cat., The Museum of Modern Art, New York, 1999, p. 14-15).
As denoted by its printed inscription, the image in the present version of L.H.O.O.Q, comes from a popular Spanish encyclopaedia, perhaps something which Marsans or Duchamp found in one of the “bouquinistes” in the arcades of the Sant Antoni market in the old area of Barcelona. Without doubt the widespread availability of this particular version of the Mona Lisa would have appealed to Duchamp’s taste for common artefacts.
No matter how this work is interpreted, there can be no question that Duchamp's desecration of a revered Renaissance masterpiece is considered the most succinct expression of Dada negation, an ultimate gesture of iconoclasm, a work of art that symbolically yet effectively terminates the modern era's attachment to the conservative aesthetics of the past. One of the most meaningful works to come out of the influential artist’s career, Duchamp returned to the Mona Lisa as the subject for seven distinct iterations of L.H.O.O.Q. throughout his life, including an edition of 35 examples produced for the editor Arturo Schwarz in 1964. Pre-dating that edition, the present example is a unique version, and as such forms part of a very limited number of L.H.O.O.Q. which Duchamp gifted to fellow artists, and as such imbues the work with the status of a Dada artifact.