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Dès ses débuts, Georges Mathieu eut plusieurs galeries parisiennes successives, dont les directeurs s’intéressèrent à sa peinture et lui offrirent des expositions particulières : en 1950, la Galerie René Drouin (1905-1979) ; en 1952, la Galerie Paul Facchetti (1912-2010) ; en 1954, la Galerie Rive Droite, dirigée par Jean Larcade (1924-2013) dans la propriété duquel, à
Saint-Germain-en-Laye (où naquit Louis XIV), Mathieu peignit Les Capétiens partout !. Michel Tapié (1909-1987) fut, pour chacun, leur conseiller artistique.
En 1957, Georges Mathieu voyage au Japon où il peint, devant des rassemblements de foule, à Tokyo et à Osaka. Michel Tapié, qui avait été jusque là en grande communion avec Mathieu, arrivera quelques jours plus tard, à l’invitation du Groupe Gutai. Mathieu poursuit, seul, son voyage à New York, invité par le galeriste Samuel Kootz (1898-1982) à venir peindre quelques toiles. « Mais pas en public, comme au Japon ; les Américains ne comprendraient pas que je leur demande le prix que j’en demande pour une toile que vous avez peinte en quelques minutes ! » et lui trouve le sous-sol de l’ancien hôtel Ritz-Carlton. Mathieu y peint 14 toiles dans la journée du 9 octobre. Mathieu dit : « Je suis le peintre de la vitesse. La rapidité de l’action est la seule possibilité pour laisser passer ce qui vient du plus profond de l’être. »
À son retour, Mathieu se rend à Bruxelles où le Comte d’Arquian (1908- 1975) lui demande de peindre quelques œuvres pour une exposition qu’il programme, à partir du 8 novembre, à la galerie Helios dont il est propriétaire, à Bruxelles . Mathieu réalise pour cette exposition « le Cycle des Grands Ducs d’Occident » : 14 peintures, 14 gouaches et 20 dessins ou aquarelles.
Se sentant à l’étroit avec ses galeries précédentes, Georges Mathieu accepte la proposition de Maurice d’Arquian de rejoindre les peintres de sa prochaine Galerie Internationale d’Art Contemporain, au 253, rue Saint-Honoré, à Paris. Cependant, il y met une condition : être le premier peintre de la galerie, à l’instar de Charles Lebrun, premier peintre de Louis XIV ! Maurice d’Arquian lui dit que ce n’est pas possible, tant qu’il n’aura pas une envergure internationale mais qu’il peut l’aider.
Dès lors, le Comte d’Arquian va organiser, pour Mathieu, une tournée permanente à travers le monde, avec un programme bien établi : exécution de peintures en public, invitation d’une presse empressée, vernissages huppés dans des lieux emblématiques et conférences dans les universités devant des parterres d’étudiants et d’édiles. C’est ainsi que, de 1957 à 1965, Mathieu - suivant la leçon de Dalí : « pour être connu, il faut être vu » - se fait connaître et reconnaître à Bruxelles, Düsseldorf, Zürich, Bâle, Liège, Cologne, Milan, Venise, Genève, Rio de Janeiro, Buenos Aires, São Paulo, puis Vienne, Turin, Londres et Madrid… Après Beyrouth, la quête se poursuivra à Jérusalem, Münich, Bologne, Tel-Aviv, Stockholm, Oslo et autres lieux !
Mais revenons à 1958 où, entre deux escales, Mathieu prépare une exposition pour la Galerie Internationale d’Art Contemporain en célébrant le 840e anniversaire de la Fondation de l’Ordre du Temple. L’on sait que, depuis l’enfance, Georges Mathieu a un goût immodéré pour l’Histoire, dont on apprendra la cause lorsqu’il confiera : « Né à Boulogne-sur-Mer, au pied des remparts d’un château de 1231 (…) l’on a toujours prétendu, dans la famille de ma mère, que nous descendions de Godefroy de Bouillon, lui-même descendant de Charlemagne… ». Godefroy de Bouillon qui fut le chef et la figure emblématique de la première Croisade, en 1099. À la suite de cette première Croisade, plusieurs chevaliers français, qui avaient suivi Godefroy de Bouillon jusqu’à Jérusalem, fondèrent, en 1118, l’Ordre des Chevaliers du Temple dont la mission était de protéger les routes et les chemins empruntés par les pélerins en Terre Sainte.
C’est ainsi que Mathieu mit à profit cette invitation à exposer, par le Comte d’Arquian, pour relever secrètement la tradition familiale et célébrer, à sa manière, l’esprit et l’action de son ancêtre… une histoire de famille ! Le 28 mai 1958, Mathieu peint trois toiles dont Hugues de Payens fonde l’ordre du Temple en 1118 (2 x 4 m) ; le 29 mai, deux autres toiles ; le 1er juin : La bataille de Tibériade (2,30 x 6 m), don de l’artiste à la Mairie de Boulogne-sur-Mer ; et Jacques de Mailly au siège d’Ascalon (2,30 x 2,30 m), le jour même du vernissage !
Hugues de Payens fonde l’ordre du Temple en 1118 porte le n° 1, dans le catalogue. L’artiste a recouvert la toile blanche d’un rouge profond en laissant, au milieu, une grande réserve rectangulaire qui va servir
d’appui à une symphonie de couleurs posées à la brosse, au pinceau et directement sorties des tubes. Il y a du feu d’artifice dans cette écriture impressionnante, vertigineuse et lumineuse qui danse au-dessus d’un volcan. Nous sommes, de toute évidence, en pleine Abstraction Lyrique.
Mathieu dit : « l’artiste exprime sa douleur profonde et, par là, rejoint tous les autres hommes. Parfois, par éclairs, il exalte sa joie fugitive et offre, pour d’autres, le réconfort d’une illusion de bonheur ». Puis, Mathieu appuie sa composition sur une ligne de force en noir : cette diagonale de haut en bas et de gauche à droite. La diagonale permet au peintre de développer sa composition, sur la toile, sur une plus grande distance. L’artiste crée un nouvel espace, plus vaste, dans lequel il déroule ses traits, ses courbes et ses contre courbes qu’il entrelace de noir dense. Ses traits, semblables à des sillons creusés font naître des ruissellements ou des racines sauvages. L’ensemble, couronné d’un rond noir, suggère le mouvement, la vitesse, la vibration de la peinture.
Dans un texte intitulé « De Hugues de Payens au Phallus embaumé d’Osiris », en 1975, Georges Mathieu écrit à propos de cette toile : « C’était le 21 janvier, jour de la mort du Roi . J’avais rendez-vous au quarante-deuxième étage de la tour Fiat. (…) Yves [le peintre ne donne ni son nom ni sa fonction] m’avait dit de prendre le troisième embranchement à gauche (…) J’entrai dans le hall et cherchai l’hôtesse mais c’est Yves lui-même qui vint vers moi. Il avait tenu à m’accueillir et à me faire les honneurs de « sa » tour (…) :
G.M. - C’est merveilleux et hallucinant à la fois. C’est très étrange pour moi, ce nouveau monde. Je sens confusément que c’est le mien, puisque je l’incarne peut-être mieux que personne par la frénésie qui est au cœur de ma peinture. Mais, par ailleurs , je ne peux m’arracher au XVIIe siècle. Comment va mon tableau, là-haut ?
Y - Il est magnifique ! Seul, dans la salle à manger. Nous irons le voir tout à l’heure, si vous le souhaitez.
G.M. – Cela me ferait grand plaisir. Je ne l’ai pas vu depuis 1958. Il est alors parti en Italie. Savez-vous quel est son titre ?
Y. – Je n’en ai aucune idée. Je vous l’ai dit, il mesure à peu près quatre mètres ; il est rouge avec une grande réserve blanche centrale d’où émerge une série de signes noirs qui multiplient leurs arborescences en descendant vers le bas à droite.
G.M. – Eh bien, c’est Hugues de Payens fonde l’ordre du Temple en 1118 ; votre description ravirait Jacques Derrida. (…). Montons, voulez-vous ?
(…) Dix-sept secondes et nous sommes au sommet de la tour. Nous sortons de l’ascenseur au milieu d’un vaste appartement tout tapissé de beige clair. (…) Nous traversons les salles adjacentes pour nous diriger vers la salle à manger où Hugues de Payens remplit tout le mur. Quel étrange sentiment que de revoir un tableau quinze ans après l’avoir peint ! Je le regarde avec l’ inquiétude d’une mère. Il est en excellent état. « Pourquoi ce titre ? » me demande Yves.
G.M. – Il faisait partie de tout un ensemble : sept toiles gigantesques en hommage aux Templiers (…) ».
Pour compléter la symbolique du mythe célébré par Mathieu, notons que le drapeau de l’Ordre du Temple était composé de deux bandes, l’une blanche au-dessus d’une noire et que le sceau templier représentait deux chevaliers armés, chevauchant la même monture : le temporel et le spirituel.
From the beginning, Georges Mathieu had several successive Parisian galleries, whose directors took an interest in his work and offered him solo shows: in 1950, the René Drouin Gallery (1905-1979) ; in 1952, the Paul Facchetti Gallery (1912-2010) ; in 1954, the Rive Droite Gallery, headed by Jean Larcade (1924-2013), on whose estate at Saint-Germain-en-Laye (birthplace of Louis XIV) Mathieu painted les Capétiens partout!. Michel Tapié (1909-1987) was the artistic advisor for each of them.
In 1957, Mathieu went to Japan, where he painted in front of crowds in Tokyo and Osaka. Tapié, who had been close to him until then, arrived a few days later at the Gütai Group’s invitation.
Mathieu continued his journey alone to New York, invited by the gallery owner Samuel Kootz (1898-1982) to paint some pictures. “But not in public, like in Japan; Americans wouldn’t understand if I asked them to pay the price I ask for a painting painted in a few minutes.” On the day of 9 October, he painted 14 paintings in the basement of the old Ritz-Carlton Hotel. Mathieu: “I am the painter of speed. Fast action is the only way to show what comes from the deepest reaches of the being.”
Upon his return, Mathieu went to Brussels, where the Count d’Arquian (1908- 1975) asked him to paint some works for an exhibition at his Helios gallery in Brussels. For this show he created Le Cycle des Grands Ducs d’Occident: 14 paintings, 14 gouaches and 20 drawings or watercolours. Feeling restricted by his previous galleries, Mathieu accepted Maurice d’Arquian’s proposal to join the painters at his next venture, the International Gallery of Contemporary Art at 253, rue Saint-Honoré in Paris. But he had one condition: to be the gallery’s First Painter, like Charles Lebrun, appointed First Painter by Louis XIV! D’Arquian told him that was not possible because he did not have an international scope, but that he could help him.
The count organised a permanent world tour for Mathieu with a well-established programme: painting in public, invitations for an eager press, exclusive openings in iconic venues and lectures at universities in front of students and elected officials. Taking Dali’s advice “To be known, you must be seen”, from 1957 to 1965 Mathieu’s fame grew in Brussels, Düsseldorf, Zurich, Basel, Liège, Cologne, Milan, Venice, Geneva, Rio de Janeiro, Buenos Aires, Sao Paulo, Vienna, Turin, London and Madrid. The quest continued in such places as Beirut, Jerusalem, Munich, Bologna, Tel Aviv, Stockholm and Oslo, among others.
But let’s go back to 1958, when, between two stops, Mathieu prepared an exhibition at the International Gallery of Contemporary Art celebrating the 840th anniversary of the founding of the Order of the Knights Templar. Mathieu had loved history since childhood. This should come as no surprise. “I was born at the foot of the ramparts of a 1231 castle in Boulogne-sur-Mer,” he said. “In my mother’s family it has always been claimed that we were descended from Godefroy de Bouillon, himself a descendant of Charlemagne.” Godefroy was the leader and key figure of the First Crusade in 1099. In 1118, several French knights who had followed him to Jerusalem founded the Order of the Knights Templar to protect the roads and paths used by pilgrims in the Holy Land.
Mathieu took advantage of the count’s invitation to discreetly highlight the family lore and celebrate, in his own way, his ancestor’s spirit and action—a family story! He painted three works, including Hugues de Payens fonde l’ordre du Temple en 1118 (2 x 4 m), on 28 May 1958; two more on 29 May; La bataille de Tibériade (2.30 x 6 m), the artist’s gift to the Town Hall of Boulogne-sur-Mer, on 1 June; and Jacques de Mailly au siège d’Ascalon (2.30 x 2.30 m) on the same day as the opening!
Hugues de Payens fonde l’ordre du Temple en 1118 is number 1 in the catalogue. Mathieu covered the white canvas with deep red, leaving a large rectangular space in the middle that served as a support for a symphony of colours applied with a brush or squeezed directly out of the tubes. There are fireworks in this impressive, vertiginous, luminous writing that dances over a volcano. We are obviously in the middle of Lyrical Abstraction.
Mathieu says: “the artist expresses his deep pain, thereby joining all other men. Sometimes he exalts his fleeting joy in flashes and offers others the comfort of an illusion of happiness”.
Then, Mathieu based his composition on a strong diagonal black line from top to bottom and left to right, allowing him to develop it over a greater distance on the canvas. He created a new, bigger space where lines, curves and counter-curves unfurl, intertwined with dense black. They look like furrows in a field, giving rise to runoff or wild roots. The whole, crowned with a black circle, suggests movement, speed and vibration.
Mathieu wrote about this painting in a 1975 text entitled De Hugues de Payens au Phallus embaumé d’Osiris (“From Hugues de Payens to the Embalmed Phallus of Osiris”): “It was 21 January, the anniversary of the King’s death. I had an appointment on the 42nd floor of the Fiat Tower. (...) Yves [Mathieu gives neither his last name nor his position] had told me to take the third door on the left (...)
I walked into the lobby and looked for the receptionist but it was Yves himself who came over to me. He wanted to welcome me to and honour me with ‘ his’ tower (…).
G.M. - It’s both wonderful and incredible. This new world is very strange to me. I feel vaguely like it’s mine, since I probably embody it better than anyone else with the frenzy at the heart of my painting. But on the other hand, I can’t tear myself away from the 17th century. How does my painting look up there?
Y. – It’s beautiful! Alone in the dining room. We’ ll visit it later, if you wish.
G.M. – I’ d be delighted to. I haven’t seen it since 1958, when it went to Italy. Do you know what it’s called?
Y. - I have no idea. As I said, it’s about four metres long, red with a large central white space from which a series of black marks emerge that multiply their branches going down to the right.
G.M. - Well, it’s Hugues de Payens fonde l’Ordre du Temple. Jacques Derrida would be delighted with your description. (...). Let’s go up, shall we?
(...) We reached the top of the tower in 17 seconds. We stepped out of the lift into a big, beige apartment. (...) We walked through the adjoining rooms to the dining room, where Hugues de Payens fills the whole wall. What a strange feeling to see a painting again 15 years after painting it! I looked at it with a mother’s worry. It was in excellent condition. ‘Why that title?’ asked Yves.
G.M. - It was part of a series: seven gigantic paintings in homage to the Knights Templar (...).”
To complete the symbolism of the myth celebrated by Mathieu, it should be noted that the Templars’ flag had two stripes, a white one above a black one, and that the Templar seal featured two armed knights riding the same steed: the temporal and the spiritual.