Odilon Redon (1840-1916)
Ancienne collection Gustave Fayet
Odilon Redon (1840-1916)

La Voile grise

Details
Odilon Redon (1840-1916)
La Voile grise
signé ´ODILON REDON’ (en bas à droite)
huile sur toile
35.3 x 38.2 cm.
Peint vers 1900-05

signed ´ODILON REDON’ (lower right)
oil on canvas
13 7/8 x 15 1/8 in.
Painted circa 1900-05
Provenance
Félix Fénéon, Paris (acquis auprès de l'artiste en mai 1907).
Gustave Fayet, Béziers (avant 1926).
Collection A. d'Andoque, Béziers (par descendance).
Puis par descendance au propriétaire actuel.
Literature
O. Redon, Livre de Raison, no. 858.
R. Bacou, Odilon Redon, Genève, 1956, vol. I, p. 156 (illustré, fig. 92).
K. Berger, Odilon Redon, Fantasy and Colour, Cologne, 1964, p. 197, no. 221 (titré 'The Gray Sail with Nimbus, Four People' et daté 'circa 1908').
A. Wildenstein, Odilon Redon, Catalogue raisonné de l'œuvre peint et dessiné, Fleurs et paysages, Paris, 1996, vol. III, p. 350, no. 1949 (illustré).
Exhibited
Paris, Musée des Arts Décoratifs, Odilon Redon, Exposition rétrospective de son œuvre, mars 1926, p. 10, no. 30 (daté 'vers 1910').
Paris, Grand Palais, Galeries nationales et Montpellier, Musée Fabre, Odilon Redon, Prince du Rêve, mars-octobre 2011, p. 318, no. 116 (illustré en couleurs; titré 'Barque (voile grise)').
Further Details
« Belles et dociles barques, si chères au matelot, que portez-vous au fond de la nacelle? Du sein de l'océan, à la source immortelle, la pêche, le trésor, la prise était si belle. Et le souffle des airs et le rythme des flots bercent l'esprit comme une douce harmonie. Ô mer, ô grande amie! »

Odilon Redon, Á soi-même, cité in A. Wildenstein, Odilon Redon, Catalogue raisonné de l'œuvre peint et dessiné, Fleurs et paysages, Paris, 1996, vol. III, p. 325.

"Tu n'as pas tort", écrit Edgar Allan Poe, "Tiens! toi qui juges que mes jours ont été un rêve... Tout ce que nous voyons ou paraissons n'est qu'un rêve dans un rêve" (cité in Un rêve dans un rêve, publié en 1849). En 1882, Odilon Redon expose un album de dessins, gravures et lithographies qu'il intitule À Edgar Poe et dédie au poète; quelques années plus tard, l'écrivain Joris-Karl Huysmans qui admire ces deux artistes, publie un commentaire où il confère à Redon l'honneur d'être devenu par son travail "le prince des rêves mystérieux" (cité in Odilon Redon, cat. exp., The Art Institute, Chicago, 1994, p. 145).

Lorsque vers 1893 Redon adopte la couleur, l'aspect macabre et cauchemardesque de ses visions qui domine jusqu'alors son travail graphique, dans des œuvres qu'il appelle ses Noirs, laisse place à une révélation plus épanouie du monde.
La Voile grise est ainsi emblématique des poésies marines d’Odilon Redon dans lesquelles il compose des barques échouées, thème qu’il reprendra dans plusieurs dizaines de tableaux et de pastels.
Dans ces œuvres enchanteresses où des « voiliers glissent sur des eaux bouillonnantes, où des chaloupes dansent au sommet de vagues chargées d’écume sous un ciel marbré de cristaux roses » (A. Wildenstein, in ibid. p. 325), les personnages représentés dans l’embarcation encombrée de cordages ne sont pas sans évoquer certains épisodes de la vie des saints. Dans la présente œuvre, l’on peut notamment songer au récit dans lequel Marie-Jacobé et Marie-Salomé, accompagnées de Sara leur servante, sont chassées de Judée et trouvent refuge en Camargue ou encore celui du débarquement miraculeux de Marie-Madeleine, Marthe et Lazare à Marseille.
Si ces sources légendaires et religieuses sont suggérées en filigrane de cette composition dans laquelle l’étendue d’eau brumeuse se confond avec un ciel fluorescent de couleurs surnaturelles, Redon renonce pourtant à une peinture qui serait essentiellement illustrative en cela qu'elle risquerait de limiter la portée symbolique de son œuvre.
Comme en témoigne le ciel percé par un arc-en-ciel de rayons multicolores éclatants, l’artiste partage avec Mallarmé et les poètes symbolistes une même conception de l’art selon laquelle il ne doit pas décrire l'objet lui-même mais plutôt l'effet qu'il produit. "Il savait suggérer des atmosphères sans être précis", note John Rewald, "indiquer les choses sans les définir, tout en créant une impression profonde mais indescriptible, comme celle provoquée par la musique" (J. Rewald, Post-Impressionism, from Van Gogh to Gauguin, New York, 1956, p. 162).
L'aspect délicatement contemplatif, si prééminent dans l'œuvre de Redon, nait de son penchant pour l'exploration de la dimension mystique des aspirations humaines, une affirmation de l'idéalisme devenu un questionnement central dans les milieux intellectuels en France à la fin du siècle, ce phénomène venant en contrepoint spirituel à l'attaque incessante du matérialisme positiviste de la science et de l'économie capitaliste. A l’instar des personnages qu’il représente dans cette barque, l’artiste navigue lui-même adroitement dans le milieu antinaturaliste qui a donné naissance au mouvement symboliste, apparu dans un contexte de résurgence du catholicisme, d'émergence d'un intérêt pour les religions, la littérature et la pensée orientales.
Il est à l'origine de toutes les innovations ou renaissances esthétiques, de toutes les révolutions du goût dont nous avons été témoins [depuis 1890]", écrit Maurice Denis à propos de Redon en 1912. "Il les prévoyait, il aimait même leurs excès. À l’opposé des pesants systèmes qui masquent en fait l'absence de sensibilité de la plupart des jeunes artistes, la leçon de Redon est son incapacité à peindre quelque chose qui ne représente pas un état de l'âme, qui ne se traduit pas par une vision intérieure". Dix ans plus tard, les Surréalistes adopteront Redon comme précurseur. Matisse admire "la pureté et l'ardeur des tonalités de sa palette". Même Marcel Duchamp, dont les recherches ont tant influencé l'art de notre époque, rend hommage au "prince des rêves mystérieux" - "Si je devais dire où se situe mon propre point de départ", déclare-t-il, "je dirais que c'est l'art d'Odilon Redon" (cité in J. Rewald, in ibid., p. 223-224 et 240).
Acquise par Félix Fénéon auprès de l’artiste en mai 1907, La Voile grise entre ensuite dans la prestigieuse collection de Gustave Fayet. Elle est restée dans la famille de ce dernier jusqu’à aujourd’hui, où elle est révélée sur le marché pour la première fois.

“You are not wrong, who deem that my days have been a dream,” wrote Edgar Allan Poe. “All that we see or seem is but a dream within a dream” (quoted in A Dream Within a Dream, published in 1849). In 1882, Odilon Redon exhibited an album of drawings, engravings and lithographs which he entitled À Edgar Poe and dedicated to the poet; a few years later, the writer Joris-Karl Huysmans, who admired both these artists, published a commentary in which he paid tribute to Redon by saying his work had made him “the prince of mysterious dreams” (in Odilon Redon, exh. cat., The Art Institute, Chicago, 1994, p. 145).
When, in 1893, Redon began to use colour, the nightmarish and macabre visions that had previously predominated in the drawings he called his Noirs gave way to a brighter vision of the world.
La Voile grise is thus emblematic of Redon’s lyrical seascapes in which he depicted small stranded boats, a theme he would later return to in dozens of paintings and pastels.
In these enchanting works in which “sailboats glide across turbulent waters, and rowboats dance atop the foaming waves under a sky marbled with pink crystals” (A. Wildenstein, in ibid. p. 325), the people depicted in the small, rigging-encumbered boat are somewhat evocative of certain episodes in the lives of the saints. They bring to mind in particular in the present work the tale according to which Mary Jacobe and Mary Salome, together with their maidservant Sara, were driven out of Judea and found refuge in the Camargue, and also that of the miraculous landing of Mary Magdalene, Martha and Lazarus at Marseille.
Although these religious legends are hinted at in this composition, in which the expanse of misty water merges with a fluorescent sky lit with unearthly colours, Redon avoids producing a painting that would be essentially illustrative and would thus limit the symbolic significance of his work.
As indicated by the sky shot through by a rainbow of dazzling multicoloured stripes, Redon shares with Mallarmé and the Symbolist poets the idea that Art should not describe the subject itself but rather the effect the subject produces. "He knew how to suggest an ambiance without spelling it out,” notes John Rewald, "how to indicate things without defining them, while at the same time creating a profound but indescribable impression, like that brought about by music", (J. Rewald, Post-Impressionism, from Van Gogh to Gauguin, New York, 1956, p. 162).
The gently contemplative air that is so predominant in Redon’s work is born of his penchant for exploring the mystical dimension of human aspirations, an affirmation of the idealism that had become a central question in French intellectual circles towards the close of the century, this phenomenon being the spiritual counterpoint to the ceaseless onslaught of scientific positivist materialism and the capitalist economy. Like the people he depicts in this little boat, Redon himself adroitly navigated the anti-naturalist milieu that gave rise to the Symbolist movement, which appeared in the context of the resurgence of Catholicism and in the emerging interest in the religions, literature and thinking of the East.
“He was behind every innovation and aesthetic renaissance, every revolution in taste that we have witnessed [since 1890],” wrote Maurice Denis about Redon in 1912. “He anticipated them, he even loved their excesses. Unlike the ponderous systems that actually mask the absence of sensitivity in most young artists, Redon is instructive in his inability to paint something that does not depict a state of the soul, that is not conveyed by an internal vision.” Ten years later, the Surrealists would adopt Redon as their precursor. Matisse admired “the purity and ardour of the shades of his palette.” Even Marcel Duchamp, whose explorations have had such a great influence on the art of our own era, paid tribute to the “prince of mysterious dreams” by declaring: “If I had to say where my own starting point is, I would say it’s the art of Odilon Redon” (quoted in J. Rewald, ibid., p. 223–224 and 240).
Acquired by Félix Fénéon from the artist in May 1907, La Voile grise later entered Gustave Fayet’s prestigious collection. It has remained in the latter’s family until now, when it is appearing on the market for the first time.

Brought to you by

Valérie Didier
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