Lot Essay
Si le portrait d’enfant indépendant apparaît dans la seconde moitié du XVe siècle et accompagne l’affirmation du portrait comme genre autonome, les représentations de jeunes enfants demeurent durant de longues décennies la prérogative des grandes maisons régnantes, à l’exception notable, mais compréhensible, des fils et filles des artistes eux-mêmes ou de leur entourage proche. Ces œuvres ne quittaient toutefois jamais le cadre strictement intime, à l’inverse des effigies des jeunes princes et princesses qui oscillent sans cesse entre le côté privé – ravir les yeux de leurs parents, notamment lorsque ceux-ci sont éloignés de leur progéniture – et le côté officiel et publique, propre de tout portrait princier quel que soit l’âge du modèle. Le portrait du dauphin Charles-Orland âgé de deux ans peint par Jean Hey en 1494 devait ainsi à la fois accompagner son père, Charles VIII, en Italie et montrer les traits de l’héritier du trône (Paris, musée du Louvre, inv. RF 1942-28). Quatre ans plus tôt, Hey a portraituré Marguerite d’Autriche, alors promise au roi et élevée à la cour de France (New York, Metropolitan Museum of Art, inv. 1975.1.130). Heureusement conservés, ces deux tableaux constituent les premiers exemples connus de portrait d’enfant en France. Rien ne subsiste ensuite jusqu’aux commandes passées par François Ier auprès de Jean Clouet, puis de son fils François Clouet et qui concernent uniquement les familles royales de France et de Navarre. Parmi les très nombreux dessins préparatoires des deux Clouet préservés de la destruction par la volonté de Catherine de Médicis, il n’y aucun portrait d’enfant dont le modèle ne soit pas étroitement apparenté à la famille de France.
Installé au début des années 1530 à Lyon qu’il ne devait plus quitter durant toute sa carrière française, Corneille de La Haye a commencé par travailler pour une clientèle locale, composée des notables de la ville et des riches marchands italiens ou allemands. Son talent à transposer, avec une économie des moyens remarquable et sur un tout petit panneau, la vie qui palpite sous les chairs, la lumière qui anime les iris translucides, l’agitation des cheveux traités un par un, valut à l’artiste une renommée rapide. C’est ainsi qu’il attira l’attention de la cour et, fort du titre honorifique de « peintre du Dauphin » eut à peindre les membres des maisons les plus illustres et même les Fils et les Filles de France. Pour cette clientèle nouvelle, Corneille se conforma davantage aux codes de la représentation officielle, d’autant que ces portraits et leurs répliques avaient une diffusion autrement plus large que ceux des notables lyonnais.
Malgré les usures et l’amincissement de la couche picturale, notre portrait d’une petite fille s’inscrit très naturellement dans l’œuvre de Corneille. On y retrouve sa manière très particulière de cerner les yeux, ses ombres très légères, sa rapidité coutumière dans le rendu du vêtement et des parures. Le cadrage plus large, laissant voir les mains du modèle, est non seulement relativement fréquent dans ses portraits féminins, mais surtout se conforme à la représentation traditionnelle des enfants en bas âge, toujours figurés les mains en mouvement. Le dessin sous-jacent plus présent que d’ordinaire ainsi qu’une certaine crispation du trait pourraient s’expliquer par le caractère inhabituel, sinon exceptionnel, de la commande.
De fait, ce panneau est le seul portrait de petite fille dans tout le corpus connu de Corneille. Le riche habillement du modèle, la qualité des étoffes et l’abondance des pierreries indiquent son haut rang. Ce n’est pas là une fille de marchand ou de notable, mais une descendante d’un important lignage.
La tentation est grande, sachant la représentation des enfants réservée aux Grands, d’y voir une princesse française. Le faire typique des débuts de carrière de Corneille, la forme des manches et de l’escoffion de la fillette permettent de situer la réalisation du portrait vers 1540, ce qui malheureusement exclut les filles de François Ier, dont la cadette, Marguerite, naquit en 1523. Née en 1528, Jeanne d’Albret devait également être plus âgée. Il n’existe en outre aucune ressemblance entre notre modèle et la future reine de Navarre dessinée au début des années 1540 par François Clouet (Chantilly, musée Condé, inv. MN 50). Quant aux filles de Henri II et de Catherine de Médicis, l’aînée, Élisabeth, naquit seulement en 1545. En 1538, encore Dauphin, Henri eut une fille naturelle, issue d’une liaison avec une Piémontaise, Filippa Duci. Élevée comme une princesse et légitimée en 1548, Diane de France épousa Horace Farnèse, puis François de Montmorency. La ressemblance de notre fillette avec Diane telle qu’elle apparaît sur ses portraits réalisés vers 1565 (Champaign, Krannert Art Museum, inv. 1941-1-1), puis vers 1580 (Paris, BnF Est. Na 22 rés.) est envisageable. Peintre du Dauphin, Corneille de La Haye avait par ailleurs toute la légitimité pour peindre la fille de Henri. Il n’en demeure pas moins que si notre modèle a, comme Diane, des cheveux tirant sur le roux, ses yeux paraissent bruns, tandis que la princesse avait le regard bleu gris.
Nous remercions Alexandra Zvereva d'avoir confirmé l'attribution à Corneille de Lyon sur la base d'un examen direct de l'oeuvre et pour la rédaction de cette notice.
Installé au début des années 1530 à Lyon qu’il ne devait plus quitter durant toute sa carrière française, Corneille de La Haye a commencé par travailler pour une clientèle locale, composée des notables de la ville et des riches marchands italiens ou allemands. Son talent à transposer, avec une économie des moyens remarquable et sur un tout petit panneau, la vie qui palpite sous les chairs, la lumière qui anime les iris translucides, l’agitation des cheveux traités un par un, valut à l’artiste une renommée rapide. C’est ainsi qu’il attira l’attention de la cour et, fort du titre honorifique de « peintre du Dauphin » eut à peindre les membres des maisons les plus illustres et même les Fils et les Filles de France. Pour cette clientèle nouvelle, Corneille se conforma davantage aux codes de la représentation officielle, d’autant que ces portraits et leurs répliques avaient une diffusion autrement plus large que ceux des notables lyonnais.
Malgré les usures et l’amincissement de la couche picturale, notre portrait d’une petite fille s’inscrit très naturellement dans l’œuvre de Corneille. On y retrouve sa manière très particulière de cerner les yeux, ses ombres très légères, sa rapidité coutumière dans le rendu du vêtement et des parures. Le cadrage plus large, laissant voir les mains du modèle, est non seulement relativement fréquent dans ses portraits féminins, mais surtout se conforme à la représentation traditionnelle des enfants en bas âge, toujours figurés les mains en mouvement. Le dessin sous-jacent plus présent que d’ordinaire ainsi qu’une certaine crispation du trait pourraient s’expliquer par le caractère inhabituel, sinon exceptionnel, de la commande.
De fait, ce panneau est le seul portrait de petite fille dans tout le corpus connu de Corneille. Le riche habillement du modèle, la qualité des étoffes et l’abondance des pierreries indiquent son haut rang. Ce n’est pas là une fille de marchand ou de notable, mais une descendante d’un important lignage.
La tentation est grande, sachant la représentation des enfants réservée aux Grands, d’y voir une princesse française. Le faire typique des débuts de carrière de Corneille, la forme des manches et de l’escoffion de la fillette permettent de situer la réalisation du portrait vers 1540, ce qui malheureusement exclut les filles de François Ier, dont la cadette, Marguerite, naquit en 1523. Née en 1528, Jeanne d’Albret devait également être plus âgée. Il n’existe en outre aucune ressemblance entre notre modèle et la future reine de Navarre dessinée au début des années 1540 par François Clouet (Chantilly, musée Condé, inv. MN 50). Quant aux filles de Henri II et de Catherine de Médicis, l’aînée, Élisabeth, naquit seulement en 1545. En 1538, encore Dauphin, Henri eut une fille naturelle, issue d’une liaison avec une Piémontaise, Filippa Duci. Élevée comme une princesse et légitimée en 1548, Diane de France épousa Horace Farnèse, puis François de Montmorency. La ressemblance de notre fillette avec Diane telle qu’elle apparaît sur ses portraits réalisés vers 1565 (Champaign, Krannert Art Museum, inv. 1941-1-1), puis vers 1580 (Paris, BnF Est. Na 22 rés.) est envisageable. Peintre du Dauphin, Corneille de La Haye avait par ailleurs toute la légitimité pour peindre la fille de Henri. Il n’en demeure pas moins que si notre modèle a, comme Diane, des cheveux tirant sur le roux, ses yeux paraissent bruns, tandis que la princesse avait le regard bleu gris.
Nous remercions Alexandra Zvereva d'avoir confirmé l'attribution à Corneille de Lyon sur la base d'un examen direct de l'oeuvre et pour la rédaction de cette notice.