Lot Essay
« Ce que je souhaite pour mes toiles c’est qu’il y ait le minimum de ‘vacarme formel’ autour, qu’elles soient suffisamment isolées des autres matières et couleurs pour que s’instaure un certain ‘silence plastique’, comme le silence est nécessaire pour écouter de la musique. »
Pierre Soulages
Restituer lumière est une préoccupation centrale de Pierre Soulages depuis les années 1940. Un tournant décisif s’opère néanmoins dans son œuvre en 1979, lorsque naît l’outrenoir. Avec lui, le noir envahit complètement la surface des toiles, que l’artiste ne conceptualise pas pour autant comme monochromatiques. Soulages amorce de cette manière le passage dans un au-delà du noir, abolissant toute notion de perspective et initiant la transmutation du noir par la lumière, reflétée, ou révélée par l’obscurité. Lorsque l’Américain Ad Reinhardt procédait par superposition de couches sombres de tonalités très subtilement différentes, le Français se lance quant à lui corps et âme dans la lumière du noir, sculptant la matière picturale pour engendrer crêtes et creux sur lesquels la lumière est tantôt absorbée, tantôt renvoyée. En rupture avec la tradition de l’histoire de l’art, le reflet n’est plus considéré comme un parasite, restituant au contraire la lumière que reçoit la peinture. Ces miroirs noirs projettent la lumière de la toile vers le regardeur.
Mono-pigmentaires, les toiles de l’artiste déploient néanmoins une polyvalence chromatique issue des variations de la lumière et de la position du spectateur. Au milieu des années 1980, continuant d’explorer les possibilités de ce vocabulaire novateur, Soulages réintroduit les pigments de couleur dans ses œuvres. Le peintre raconte que c’est dans son atelier de Sète, un jour de mistral, que les reflets de la Méditerranée sur la surface lui font entrevoir un bleu profond dans l’une de ses peintures. « C’est lorsque j’ai cru voir un vrai bleu dans une toile, peinte pourtant avec du noir seul, mais qui avait les reflets d’un bleu intense, que j’ai eu envie d’y mêler un bleu venant des pigments de la peinture » (O. Pauli, « Les couleurs du noir : entretien avec Pierre Soulages », Soulages peintures, Lausanne, 1990). Cette innovation d’importance ouvre un nouveau chapitre dans son œuvre.
Ainsi, dans Peinture 92 x 73 cm, 25 octobre 1987, le bleu se mêle subtilement dans le frais du noir en prolongeant sa texture en sillons. S’il utilisera par la suite d’autres couleurs, le bleu est celle qui renforce le mieux la transmutation du noir en lumière. L’artiste ressent une véritable continuité chromatique entre l’outrenoir, le bleu et la lumière réfléchie. Effectivement, la courbe de visibilité du bleu monte et chute plus brusquement que celle de toute autre couleur. S’il éclate avec la lumière, un assombrissement le fait vite plonger dans les noirs. Passant sur la toile une préparation acrylique bleue, l’artiste la fait réapparaitre par raclage dans Peinture 92 x 73 cm, 25 octobre 1987, après y avoir brossé une pate noire, striant la surface en diagonale. La lumière jaillit ainsi de la toile, animée par les différences de textures sur la toile, et intensifiée par le bleu.
"What I desire for my paintings is that there should be the minimum of ‘formal uproar’ around them, that they should be sufficiently isolated from other materials and colours so that a certain ‘plastic silence’ can be established, as we need silence in order to listen to music."
Pierre Soulages
Reproducing light has been a core preoccupation for Pierre Soulages since the 1940s. Yet 1979 represents a turning point, with the advent of 'outrenoir'. With outrenoir, black completely engulfed the surface of his paintings, which the artist yet does not consider as monochromatic. In this way, Soulages initiated the path into beyond black, eradicating all notion of perspective and introducing the transmutation of black by light, reflected, or revealed by darkness. Whereas American artist Ad Reinhardt worked by overlapping dark layers of very slightly different shades, the French artist threw himself body and soul into the light of black, sculpting pictorial matter to create ridges and hollows by which light is sometimes absorbed and sometimes reflected. Breaking away from the tradition of art history, the reflection is longer considered a parasite, as on the contrary, it renders the light that the painting receives. These black mirrors project the painting's light towards the viewer.
Although mono-pigmentary, the artist's paintings display chromatic versatility that comes from the variations in light and the onlooker's position. In the middle of the 1980s, as he continued to explore the possibilities of this innovative vocabulary, Soulages reintroduced coloured pigments into his works. The painter says that it is in his workshop in Sète, on a day when the mistral was blowing, that the reflections of the Mediterranean on the surface allowed him to glimpse a deep blue in one of his paintings. "It is when I thought that I could see real blue in a work that I had painted using only black, but that had intense blue reflections, that I wanted to mix in a blue from painting pigments." (O. Pauli, "Les couleurs du noir : entretien avec Pierre Soulages", Soulages peintures, Lausanne, 1990). This important innovation opened up a new chapter in his work.
Thus, in Peinture 92 x 73 cm, 25 octobre 1987, blue is subtly mingled into the coolness of the black, creating textured furrows. Although he would also come use other colours, blue was the one that best reinforced the transmutation of black into light. The artist feels a veritable chromatic continuity between outrenoir, blue, and the reflected light. Effectively, the visibility curve of blue increases and decreases more abruptly than that of any other colour. Whereas it becomes brilliant with light, greater obscurity immediately makes it plummet towards black. In Peinture 92 x 73 cm, 25 octobre 1987, the artist passed a blue acrylic preparation over the canvas, scraping it to make it reappear, after having brushed a black paste over it, striating the surface diagonally. Hence, light bursts forth from the painting, brought to life by the different textures on the canvas, and intensified by the blue.
Pierre Soulages
Restituer lumière est une préoccupation centrale de Pierre Soulages depuis les années 1940. Un tournant décisif s’opère néanmoins dans son œuvre en 1979, lorsque naît l’outrenoir. Avec lui, le noir envahit complètement la surface des toiles, que l’artiste ne conceptualise pas pour autant comme monochromatiques. Soulages amorce de cette manière le passage dans un au-delà du noir, abolissant toute notion de perspective et initiant la transmutation du noir par la lumière, reflétée, ou révélée par l’obscurité. Lorsque l’Américain Ad Reinhardt procédait par superposition de couches sombres de tonalités très subtilement différentes, le Français se lance quant à lui corps et âme dans la lumière du noir, sculptant la matière picturale pour engendrer crêtes et creux sur lesquels la lumière est tantôt absorbée, tantôt renvoyée. En rupture avec la tradition de l’histoire de l’art, le reflet n’est plus considéré comme un parasite, restituant au contraire la lumière que reçoit la peinture. Ces miroirs noirs projettent la lumière de la toile vers le regardeur.
Mono-pigmentaires, les toiles de l’artiste déploient néanmoins une polyvalence chromatique issue des variations de la lumière et de la position du spectateur. Au milieu des années 1980, continuant d’explorer les possibilités de ce vocabulaire novateur, Soulages réintroduit les pigments de couleur dans ses œuvres. Le peintre raconte que c’est dans son atelier de Sète, un jour de mistral, que les reflets de la Méditerranée sur la surface lui font entrevoir un bleu profond dans l’une de ses peintures. « C’est lorsque j’ai cru voir un vrai bleu dans une toile, peinte pourtant avec du noir seul, mais qui avait les reflets d’un bleu intense, que j’ai eu envie d’y mêler un bleu venant des pigments de la peinture » (O. Pauli, « Les couleurs du noir : entretien avec Pierre Soulages », Soulages peintures, Lausanne, 1990). Cette innovation d’importance ouvre un nouveau chapitre dans son œuvre.
Ainsi, dans Peinture 92 x 73 cm, 25 octobre 1987, le bleu se mêle subtilement dans le frais du noir en prolongeant sa texture en sillons. S’il utilisera par la suite d’autres couleurs, le bleu est celle qui renforce le mieux la transmutation du noir en lumière. L’artiste ressent une véritable continuité chromatique entre l’outrenoir, le bleu et la lumière réfléchie. Effectivement, la courbe de visibilité du bleu monte et chute plus brusquement que celle de toute autre couleur. S’il éclate avec la lumière, un assombrissement le fait vite plonger dans les noirs. Passant sur la toile une préparation acrylique bleue, l’artiste la fait réapparaitre par raclage dans Peinture 92 x 73 cm, 25 octobre 1987, après y avoir brossé une pate noire, striant la surface en diagonale. La lumière jaillit ainsi de la toile, animée par les différences de textures sur la toile, et intensifiée par le bleu.
"What I desire for my paintings is that there should be the minimum of ‘formal uproar’ around them, that they should be sufficiently isolated from other materials and colours so that a certain ‘plastic silence’ can be established, as we need silence in order to listen to music."
Pierre Soulages
Reproducing light has been a core preoccupation for Pierre Soulages since the 1940s. Yet 1979 represents a turning point, with the advent of 'outrenoir'. With outrenoir, black completely engulfed the surface of his paintings, which the artist yet does not consider as monochromatic. In this way, Soulages initiated the path into beyond black, eradicating all notion of perspective and introducing the transmutation of black by light, reflected, or revealed by darkness. Whereas American artist Ad Reinhardt worked by overlapping dark layers of very slightly different shades, the French artist threw himself body and soul into the light of black, sculpting pictorial matter to create ridges and hollows by which light is sometimes absorbed and sometimes reflected. Breaking away from the tradition of art history, the reflection is longer considered a parasite, as on the contrary, it renders the light that the painting receives. These black mirrors project the painting's light towards the viewer.
Although mono-pigmentary, the artist's paintings display chromatic versatility that comes from the variations in light and the onlooker's position. In the middle of the 1980s, as he continued to explore the possibilities of this innovative vocabulary, Soulages reintroduced coloured pigments into his works. The painter says that it is in his workshop in Sète, on a day when the mistral was blowing, that the reflections of the Mediterranean on the surface allowed him to glimpse a deep blue in one of his paintings. "It is when I thought that I could see real blue in a work that I had painted using only black, but that had intense blue reflections, that I wanted to mix in a blue from painting pigments." (O. Pauli, "Les couleurs du noir : entretien avec Pierre Soulages", Soulages peintures, Lausanne, 1990). This important innovation opened up a new chapter in his work.
Thus, in Peinture 92 x 73 cm, 25 octobre 1987, blue is subtly mingled into the coolness of the black, creating textured furrows. Although he would also come use other colours, blue was the one that best reinforced the transmutation of black into light. The artist feels a veritable chromatic continuity between outrenoir, blue, and the reflected light. Effectively, the visibility curve of blue increases and decreases more abruptly than that of any other colour. Whereas it becomes brilliant with light, greater obscurity immediately makes it plummet towards black. In Peinture 92 x 73 cm, 25 octobre 1987, the artist passed a blue acrylic preparation over the canvas, scraping it to make it reappear, after having brushed a black paste over it, striating the surface diagonally. Hence, light bursts forth from the painting, brought to life by the different textures on the canvas, and intensified by the blue.