Lot Essay
L’œuvre sera incluse dans le 2ème supplément du Catalogue Raisonné des Tableaux de Pierre Bonnard, en préparation par Guy-Patrice et Floriane Dauberville.
Exécutée en 1942, La Baignoire est une incomparable illustration du sujet de prédilection de Pierre Bonnard au long de sa vie : la femme à sa toilette ou dans son bain. D’une fraîcheur inouïe et d’une rareté exceptionnelle, cette gouache réhaussée de pastel constitue l’un des papiers les plus aboutis représentant Marthe, épouse et modèle récurrent de l’artiste, dans son intimité. Dans une composition qui se resserre autour du sujet, les motifs du rideau, de la baignoire et du mur deviennent un écrin pour cette femme de dos, qui semble ignorer être observée, tandis que les reflets irisés rendus par le pastel se diffusent sur le corps et se déploient dans l’eau. Comme souvent chez Bonnard, l’éclairage artificiel et le cadrage renforcent l’impression d’enfermement des personnages, recueillis dans leur solitude. À la façon de Degas (fig. 1) ou Renoir avant lui, l’artiste transfigure cet événement du quotidien, où les gestes appliqués d’une vestale familière font du bain une véritable cérémonie à huis-clos. D’une scène de genre banale, Bonnard tire également des explorations chromatiques audacieuses, dans une maîtrise virtuose du pastel qui confine par endroits à l’abstraction et rappelle à cet égard les Nymphéas des dernières années de la vie de Claude Monet (fig. 2).
Dans la série des nus de Bonnard, la variation des points vue, qui suit le regard discrètement indiscret de l’observateur, participe à l’érotisation de ces scènes où le corps désiré est parfois dévoilé, parfois dérobé, mais semble toujours distant. Pourtant John Elderfield analyse ainsi ces œuvres : « Les scènes de Marthe à sa toilette la montrent occupée à des soins du corps réguliers, rythmiques et répétitifs [...] Ces activités sont tellement centrées sur les mains qu’elles en définissent presque la pose du personnage. Souvent, une main se tend vers le pied et transport le corps en ruban de Möbius, en un nœud solipsiste replié sur lui-même, invitant à la sensualité et à l’intimité. Si ce repli sur soi constitue un isolement, ce n’est qu’en apparence que ces actes lents et patients excluent l’observateur qui attend, contemple et peut s’approcher peu à peu de cette femme sur lequel le temps n’a pas de prise, jusqu’à s’identifier à elle » (J. Elderfield, ‘Seeing Bonnard’ in Bonnard, catalogue d’exposition, The Museum of Modern Art, New York, 1998, p. 45). Il y a donc, malgré tout, quelque chose du partage et de l’union dans ces portraits solitaires et réservés.
À la différence de certaines autres compositions de bains cependant, le corps de Marthe n’est ici pas malmené par la déconstruction de la perspective (fig. 3), mais est dépeint avec douceur. Par des jeux de lumière, les plans, motifs et matières semblent fusionner dans l’atmosphère chaude de la pièce, entourant le modèle d’une aura vibrante. Les limites et les contours se font indécis, brumeux, comme si les vapeurs du bain envahissait la scène. En outre, si les corps de Bonnard ont souvent cet aspect poudreux, le pastel de la présente œuvre ajoute à l’impression de pulvérulence de cette femme que l’on croit sur le point de se dissoudre dans l’eau.
L’année 1942 est marquée en janvier par la mort de Marthe, dont Bonnard était tombé amoureux en 1893 et qu’il avait épousée en 1925. Ce qui semble être une œuvre célébrant la beauté fragile et nue se fait alors émouvant hommage à l’être aimé.
La Baignoire est par ailleurs l’une des onze gouaches commandées par Louis Carré à Bonnard en 1942 pour la réalisation d’un album de lithographies réalisées par Jacques Villon entre 1942 et 1946.
Dating from 1942, La Baignoire is an incomparable illustration of one of the subjects that Pierre Bonnard favoured throughout his life: a woman washing or bathing. This gouache enhanced with pastel is incredibly fresh and exceptionally rare. This work is one of the most complete studies showing Marthe, the artist's wife and recurring model, in an intimate setting. The composition brings us up close to the female figure, and the curtains, bath, and wall become a simple setting for this woman who is seen from behind and seems oblivious to the fact that she is being observed. The iridescent reflections of the pastel spread across the body and unfurl into the water. As is often the case with works by Bonnard, the artificial lighting and cropping of the visual field reinforce the impression that the characters are closed in, communing in solitude. Like Degas (fig. 1) or Renoir before him, the artist has transfigured this everyday occurrence, where the applied gestures of a familiar vestal have turned bathing into a veritable ceremony behind closed doors. From an apparently banal scene, Bonnard also drew audacious studies of colour, using pastel with such expertise that the work would border on abstraction, calling to mind the Nymphéas that Claude Monet painted in his twilight years (fig. 2).
In Bonnard’s series of nudes, the variation in viewpoint, following the discretely indiscreet gaze of the onlooker, contributes to the eroticisation of these scenes where the desired body is sometimes unveiled, sometimes hidden, but always seemingly distant. Yet, John Elderfield said of these works: "The activities that surround bathing show Marthe engaged in steady, rhythmic, repetitive acts relatable to the body and its care [...] which place such emphasis on the dexterity of the hands that the figural poses
are almost entirely determined by it. Often, a hand will reach to a foot to tie the body into a giant Mobius strip, a solipsistic knot of self-absorption that is charged with the tactile quality of bodily contact and frank in the invitation to intimacy. The self-absorption is, of course, an apartness. But the prolonged, extended, unhurried activity only apparently excludes the beholder, who waits and watches and can imagine a closeness amounting to an identification with the never-ageing, painted woman." (J. Elderfield, ‘Seeing Bonnard’ in Bonnard, exh. cat, The Museum of Modern Art, New York, 1998, p. 45). In spite of everything, there is an element of sharing and union in these solitary and reserved portraits.
However, contrary to other bathing compositions, here, Marthe's body is not mistreated by the deconstruction of perspective (fig. 3), but is painted with gentleness. With the varied lighting, the planes, motifs, and textures seem to fuse in the room's hot atmosphere, surrounding the model with a vibrant aura. Boundaries and contours become blurred, hazy, as if the bath's steam were swamping the scene. Furthermore, if Bonnard's bodies often have this powdery aspect, the pastel in the present work adds to the impression that this woman herself is made of powder and we imagine that she is about to dissolve in the water.
1942 was marked by Marthe's death, in the January of that year. Bonnard had fallen in love with her in 1893 and had married her in 1925. What seems to be a work celebrating fragile, naked beauty thus becomes a moving tribute to a loved one.
La Baignoire was also one of the eleven Bonnard gouaches commissioned by Louis Carré in 1942 for an album of lithographs made by Jacques Villon between 1942 and 1946.
Exécutée en 1942, La Baignoire est une incomparable illustration du sujet de prédilection de Pierre Bonnard au long de sa vie : la femme à sa toilette ou dans son bain. D’une fraîcheur inouïe et d’une rareté exceptionnelle, cette gouache réhaussée de pastel constitue l’un des papiers les plus aboutis représentant Marthe, épouse et modèle récurrent de l’artiste, dans son intimité. Dans une composition qui se resserre autour du sujet, les motifs du rideau, de la baignoire et du mur deviennent un écrin pour cette femme de dos, qui semble ignorer être observée, tandis que les reflets irisés rendus par le pastel se diffusent sur le corps et se déploient dans l’eau. Comme souvent chez Bonnard, l’éclairage artificiel et le cadrage renforcent l’impression d’enfermement des personnages, recueillis dans leur solitude. À la façon de Degas (fig. 1) ou Renoir avant lui, l’artiste transfigure cet événement du quotidien, où les gestes appliqués d’une vestale familière font du bain une véritable cérémonie à huis-clos. D’une scène de genre banale, Bonnard tire également des explorations chromatiques audacieuses, dans une maîtrise virtuose du pastel qui confine par endroits à l’abstraction et rappelle à cet égard les Nymphéas des dernières années de la vie de Claude Monet (fig. 2).
Dans la série des nus de Bonnard, la variation des points vue, qui suit le regard discrètement indiscret de l’observateur, participe à l’érotisation de ces scènes où le corps désiré est parfois dévoilé, parfois dérobé, mais semble toujours distant. Pourtant John Elderfield analyse ainsi ces œuvres : « Les scènes de Marthe à sa toilette la montrent occupée à des soins du corps réguliers, rythmiques et répétitifs [...] Ces activités sont tellement centrées sur les mains qu’elles en définissent presque la pose du personnage. Souvent, une main se tend vers le pied et transport le corps en ruban de Möbius, en un nœud solipsiste replié sur lui-même, invitant à la sensualité et à l’intimité. Si ce repli sur soi constitue un isolement, ce n’est qu’en apparence que ces actes lents et patients excluent l’observateur qui attend, contemple et peut s’approcher peu à peu de cette femme sur lequel le temps n’a pas de prise, jusqu’à s’identifier à elle » (J. Elderfield, ‘Seeing Bonnard’ in Bonnard, catalogue d’exposition, The Museum of Modern Art, New York, 1998, p. 45). Il y a donc, malgré tout, quelque chose du partage et de l’union dans ces portraits solitaires et réservés.
À la différence de certaines autres compositions de bains cependant, le corps de Marthe n’est ici pas malmené par la déconstruction de la perspective (fig. 3), mais est dépeint avec douceur. Par des jeux de lumière, les plans, motifs et matières semblent fusionner dans l’atmosphère chaude de la pièce, entourant le modèle d’une aura vibrante. Les limites et les contours se font indécis, brumeux, comme si les vapeurs du bain envahissait la scène. En outre, si les corps de Bonnard ont souvent cet aspect poudreux, le pastel de la présente œuvre ajoute à l’impression de pulvérulence de cette femme que l’on croit sur le point de se dissoudre dans l’eau.
L’année 1942 est marquée en janvier par la mort de Marthe, dont Bonnard était tombé amoureux en 1893 et qu’il avait épousée en 1925. Ce qui semble être une œuvre célébrant la beauté fragile et nue se fait alors émouvant hommage à l’être aimé.
La Baignoire est par ailleurs l’une des onze gouaches commandées par Louis Carré à Bonnard en 1942 pour la réalisation d’un album de lithographies réalisées par Jacques Villon entre 1942 et 1946.
Dating from 1942, La Baignoire is an incomparable illustration of one of the subjects that Pierre Bonnard favoured throughout his life: a woman washing or bathing. This gouache enhanced with pastel is incredibly fresh and exceptionally rare. This work is one of the most complete studies showing Marthe, the artist's wife and recurring model, in an intimate setting. The composition brings us up close to the female figure, and the curtains, bath, and wall become a simple setting for this woman who is seen from behind and seems oblivious to the fact that she is being observed. The iridescent reflections of the pastel spread across the body and unfurl into the water. As is often the case with works by Bonnard, the artificial lighting and cropping of the visual field reinforce the impression that the characters are closed in, communing in solitude. Like Degas (fig. 1) or Renoir before him, the artist has transfigured this everyday occurrence, where the applied gestures of a familiar vestal have turned bathing into a veritable ceremony behind closed doors. From an apparently banal scene, Bonnard also drew audacious studies of colour, using pastel with such expertise that the work would border on abstraction, calling to mind the Nymphéas that Claude Monet painted in his twilight years (fig. 2).
In Bonnard’s series of nudes, the variation in viewpoint, following the discretely indiscreet gaze of the onlooker, contributes to the eroticisation of these scenes where the desired body is sometimes unveiled, sometimes hidden, but always seemingly distant. Yet, John Elderfield said of these works: "The activities that surround bathing show Marthe engaged in steady, rhythmic, repetitive acts relatable to the body and its care [...] which place such emphasis on the dexterity of the hands that the figural poses
are almost entirely determined by it. Often, a hand will reach to a foot to tie the body into a giant Mobius strip, a solipsistic knot of self-absorption that is charged with the tactile quality of bodily contact and frank in the invitation to intimacy. The self-absorption is, of course, an apartness. But the prolonged, extended, unhurried activity only apparently excludes the beholder, who waits and watches and can imagine a closeness amounting to an identification with the never-ageing, painted woman." (J. Elderfield, ‘Seeing Bonnard’ in Bonnard, exh. cat, The Museum of Modern Art, New York, 1998, p. 45). In spite of everything, there is an element of sharing and union in these solitary and reserved portraits.
However, contrary to other bathing compositions, here, Marthe's body is not mistreated by the deconstruction of perspective (fig. 3), but is painted with gentleness. With the varied lighting, the planes, motifs, and textures seem to fuse in the room's hot atmosphere, surrounding the model with a vibrant aura. Boundaries and contours become blurred, hazy, as if the bath's steam were swamping the scene. Furthermore, if Bonnard's bodies often have this powdery aspect, the pastel in the present work adds to the impression that this woman herself is made of powder and we imagine that she is about to dissolve in the water.
1942 was marked by Marthe's death, in the January of that year. Bonnard had fallen in love with her in 1893 and had married her in 1925. What seems to be a work celebrating fragile, naked beauty thus becomes a moving tribute to a loved one.
La Baignoire was also one of the eleven Bonnard gouaches commissioned by Louis Carré in 1942 for an album of lithographs made by Jacques Villon between 1942 and 1946.