Lot Essay
Cette œuvre figurera au prochain catalogue raisonné des œuvres de Roman Opalka, actuellement en préparation par Michel Baudson, sous le numéro Dp 485.
« Mon projet prendra fin dans son propre inachèvement. Si je meurs aujourd’hui, ce travail de numération qui, parce qu’il tend vers l’infini, ne connaît pas d’autres limites temporelles que ma vie d’homme, trouvera logiquement son achèvement dans son accomplissement même. Ainsi, cette non fin devient la finalité de mon œuvre et c’est bien là une situation unique dans l’art : par le non fini je définis le fini. »
Roman Opalka
"My project will end in its own incompletion. If I die today, this work on numeration, which tends toward infinity and therefore knows no other limit than my human life span, will logically find its completion in its very unfulfillment. Thus this unfinishedness becomes the finality of my work: I define the finite by the unfinished ."
En 1965, Roman Opalka entreprend d'enregistrer le temps sur toile. Dans une tentative sisyphéenne de déjouer la mort et de manifester le temps, il entreprend une série intitulée « Opalka 1965 / 1-∞ ». En même temps qu’On Kawara entame sa série des Date paintings, l’artiste polonais commence à peindre méthodiquement une suite de chiffres partant de 1 alignés en blanc sur fond noir. À partir de 1972, il ajoute 1% supplémentaire de peinture blanche à chaque nouveau fond. L’œuvre se rapproche ainsi progressivement de l’indistinction entre le blanc des nombres et celui du fond, à mesure que les numéros disparaissent, transcendés dans l’infini. Cette quête philosophique ne prendra fin que par son inachèvement, à la mort de l’artiste en 2011. Opalka aura réalisé 237 de ces Détails (c’est ainsi qu’il nomme ces toiles, qui appartiennent chacune à un seul tout), dont 5607249 est le dernier nombre tracé de sa main.
1965 / 1 - ∞ Détail 5286842 – 5302004 offre donc une singulière approche du « blanc mental » qui tend vers le monochrome sans jamais tout à fait l’atteindre. Pour accompagner cette marche vers le blanc absolu, Opalka enregistre sa voix qui énonce les nombres peints, témoignage du labeur quotidien. « Quand m’est venue l’idée du un pour cent, j’ai commencé à enregistrer ma voix disant à mesure les nombres ; cet enregistrement prépare le blanc sur blanc ; ma voix dira alors où j’en suis puisqu’on ne verra plus rien et elle sera également la preuve que j’ai bien accompli ce qui n’est plus visible au cas où l’on ne me croirait pas. » (B. Noël, « Détails », Roman Opalka, Paris, éd. Dis Voir, 1996, p. 87).
Le travail d’Opalka se caractérise par une diligence absolue, un procédé mathématique empreint de phénoménologie. Chaque toile mesure 196 cm par 135 cm, correspondant à un format que l'artiste peut physiquement manipuler, tentative d’appréhension de l’infini au travers de son propre corps.
Le travail d’ascète d’Opalka va au-delà de la surface même de la toile et se fond dans toute la vie de l’artiste. Son entreprise intègre un double rituel vocal et physique à travers quoi il s’investit proprement de tout son corps. « On peut comparer ma vie à une performance semblable à toutes les vies actives, à tous les défis possibles, ceux d’un océanographe ou d’un alpiniste ou encore à la manière d’un artiste donnant, au cours d’une soirée, un happening de quelques heures, avec la différence qu’ici il s’agit de la durée d’une vie » (Roman Opalka, 1965/1- ∞, Rencontre par la séparation, propos édités à l’occasion de la participation de l’artiste à la XXe Biennale Internationale de São Paulo, 1987).
In 1965, Roman Opalka set out to record time on canvas. This Sisyphean attempt to defy death and make time visible began with a series entitled "Opalka 1965 / 1-∞". Concomitantly to On Kawara Date paintings, the Polish artist started methodically painting a series of white numbers, starting with "1", in sequence against a black background. From 1972, he began adding 1% more white paint to each new backdrop. Thus, the work gradually shifted toward indistinguishability between the white of the numbers and the white of the background, as the numbers disappeared, transcending into infinity. This philosophic quest would only end in its incompletion, with the artist's death in 2011. Opalka completed 237 of these details (as he referred to these canvasses, each part of a whole), whose last number was 5607249.
1965 / 1 - ∞ Detail 5286842 – 5302004 offers this nearing to the "mental white" that tends to monochromatism without ever entirely reaching it. To accompany his way in the quest for absolute white, Opalka recorded his voice reciting the numbers as he painted them, witness to his daily labours. "When I had the one per cent idea, I began to record my voice saying the numbers as I went along; this recording was in preparation for the white on white; my voice then would say where I was because one would no longer see anything and it would also serve as the proof that I had indeed accomplished what is no longer visible in case no one believed it." (B. Noël, "Détails", Roman Opalka, Paris, ed. Dis Voir, 1996, p. 87).
Opalka's work is characterised by absolute diligence, a mathematical process imbued with phenomenology. Each canvas measures 196 cm by 135 cm, which corresponds to a format that the artist can physically manipulate, an attempt to grasp infinity through his own body.
The ascetic work of Opalka extended beyond the surface of the canvas to seep into the artist's entire life. This endeavour incorporated the vocal and physical rituals of the artist, who truly invested his body in the work. "One might compare my life to a performance similar to any active life, to all possible challenges, those faced by an oceanographer, a mountaineer or an artist hosting, over the course of an evening, a happening of a few hours, with the difference being that here it is for the duration of an entire life," (Roman Opalka, 1965/1- ∞, Rencontre par la Séparation, published on the occasion of the artist's participation in the 19th Biennale de São Paulo in 1987).
« Mon projet prendra fin dans son propre inachèvement. Si je meurs aujourd’hui, ce travail de numération qui, parce qu’il tend vers l’infini, ne connaît pas d’autres limites temporelles que ma vie d’homme, trouvera logiquement son achèvement dans son accomplissement même. Ainsi, cette non fin devient la finalité de mon œuvre et c’est bien là une situation unique dans l’art : par le non fini je définis le fini. »
Roman Opalka
"My project will end in its own incompletion. If I die today, this work on numeration, which tends toward infinity and therefore knows no other limit than my human life span, will logically find its completion in its very unfulfillment. Thus this unfinishedness becomes the finality of my work: I define the finite by the unfinished ."
En 1965, Roman Opalka entreprend d'enregistrer le temps sur toile. Dans une tentative sisyphéenne de déjouer la mort et de manifester le temps, il entreprend une série intitulée « Opalka 1965 / 1-∞ ». En même temps qu’On Kawara entame sa série des Date paintings, l’artiste polonais commence à peindre méthodiquement une suite de chiffres partant de 1 alignés en blanc sur fond noir. À partir de 1972, il ajoute 1% supplémentaire de peinture blanche à chaque nouveau fond. L’œuvre se rapproche ainsi progressivement de l’indistinction entre le blanc des nombres et celui du fond, à mesure que les numéros disparaissent, transcendés dans l’infini. Cette quête philosophique ne prendra fin que par son inachèvement, à la mort de l’artiste en 2011. Opalka aura réalisé 237 de ces Détails (c’est ainsi qu’il nomme ces toiles, qui appartiennent chacune à un seul tout), dont 5607249 est le dernier nombre tracé de sa main.
1965 / 1 - ∞ Détail 5286842 – 5302004 offre donc une singulière approche du « blanc mental » qui tend vers le monochrome sans jamais tout à fait l’atteindre. Pour accompagner cette marche vers le blanc absolu, Opalka enregistre sa voix qui énonce les nombres peints, témoignage du labeur quotidien. « Quand m’est venue l’idée du un pour cent, j’ai commencé à enregistrer ma voix disant à mesure les nombres ; cet enregistrement prépare le blanc sur blanc ; ma voix dira alors où j’en suis puisqu’on ne verra plus rien et elle sera également la preuve que j’ai bien accompli ce qui n’est plus visible au cas où l’on ne me croirait pas. » (B. Noël, « Détails », Roman Opalka, Paris, éd. Dis Voir, 1996, p. 87).
Le travail d’Opalka se caractérise par une diligence absolue, un procédé mathématique empreint de phénoménologie. Chaque toile mesure 196 cm par 135 cm, correspondant à un format que l'artiste peut physiquement manipuler, tentative d’appréhension de l’infini au travers de son propre corps.
Le travail d’ascète d’Opalka va au-delà de la surface même de la toile et se fond dans toute la vie de l’artiste. Son entreprise intègre un double rituel vocal et physique à travers quoi il s’investit proprement de tout son corps. « On peut comparer ma vie à une performance semblable à toutes les vies actives, à tous les défis possibles, ceux d’un océanographe ou d’un alpiniste ou encore à la manière d’un artiste donnant, au cours d’une soirée, un happening de quelques heures, avec la différence qu’ici il s’agit de la durée d’une vie » (Roman Opalka, 1965/1- ∞, Rencontre par la séparation, propos édités à l’occasion de la participation de l’artiste à la XXe Biennale Internationale de São Paulo, 1987).
In 1965, Roman Opalka set out to record time on canvas. This Sisyphean attempt to defy death and make time visible began with a series entitled "Opalka 1965 / 1-∞". Concomitantly to On Kawara Date paintings, the Polish artist started methodically painting a series of white numbers, starting with "1", in sequence against a black background. From 1972, he began adding 1% more white paint to each new backdrop. Thus, the work gradually shifted toward indistinguishability between the white of the numbers and the white of the background, as the numbers disappeared, transcending into infinity. This philosophic quest would only end in its incompletion, with the artist's death in 2011. Opalka completed 237 of these details (as he referred to these canvasses, each part of a whole), whose last number was 5607249.
1965 / 1 - ∞ Detail 5286842 – 5302004 offers this nearing to the "mental white" that tends to monochromatism without ever entirely reaching it. To accompany his way in the quest for absolute white, Opalka recorded his voice reciting the numbers as he painted them, witness to his daily labours. "When I had the one per cent idea, I began to record my voice saying the numbers as I went along; this recording was in preparation for the white on white; my voice then would say where I was because one would no longer see anything and it would also serve as the proof that I had indeed accomplished what is no longer visible in case no one believed it." (B. Noël, "Détails", Roman Opalka, Paris, ed. Dis Voir, 1996, p. 87).
Opalka's work is characterised by absolute diligence, a mathematical process imbued with phenomenology. Each canvas measures 196 cm by 135 cm, which corresponds to a format that the artist can physically manipulate, an attempt to grasp infinity through his own body.
The ascetic work of Opalka extended beyond the surface of the canvas to seep into the artist's entire life. This endeavour incorporated the vocal and physical rituals of the artist, who truly invested his body in the work. "One might compare my life to a performance similar to any active life, to all possible challenges, those faced by an oceanographer, a mountaineer or an artist hosting, over the course of an evening, a happening of a few hours, with the difference being that here it is for the duration of an entire life," (Roman Opalka, 1965/1- ∞, Rencontre par la Séparation, published on the occasion of the artist's participation in the 19th Biennale de São Paulo in 1987).