Lot Essay
« Le brou de noix a une tonalité sombre et chaude, une sorte de puissance élémentaire qui me plaît. Il permet d'obtenir naturellement des transparences et des opacités avec une belle résonance. »
"Walnut stain has a dark and warm tone, a kind of elemental power that pleases me. It allows for natural transparencies and opacities with a beautiful resonance."
Pierre Soulages
Dernier géant de la peinture contemporaine, Pierre Soulages se distingue par une couleur qui rassemble en elle toutes les autres : le noir. Devenu la signature de son identité artistique, il y reste fidèle tout au long de sa carrière qui est à la fois forgée dans le même refrain et sensible à l’inattendu de lignes vagabondes, reflets de ses sentiments intérieurs. Attentif à l’imprévu des formes, à la lumière et aux reliefs, Soulages arpente les possibilités et les limites de la peinture. Leurs déclinaisons sont nombreuses, tangibles, presque insaisissables, selon les outils et matériaux avec lesquels il les applique, à l’instar du brou de noix. Plus répandu chez les menuisiers que chez les peintres, Soulages s’en empare dans le virage des années 1950 et y revient régulièrement jusqu’en 2004. Il laisse petits pinceaux et tubes de peinture à l’huile de côté au profit de larges brosses et de couteaux à enduire, qui le narguent déjà depuis son enfance à Rodez lorsqu’il observait défiler forgerons, relieurs, sellier-bourreliers ou ébénistes depuis son balcon.
Cette technique préfigure tout ce que sera l’œuvre de Soulages et marque les fondements de son portfolio guidé par la souveraineté des lignes et rythmé par des nuances de noir. Elle signe une rupture avec la formalité des Beaux-Arts qui le limite longtemps et engendre un tournant décisif dans son travail s’éloignant de la tradition. « C’est avec les brous de noix de 1947 que j’ai pu me rassembler et obéir à une sorte d’impératif intérieur. La vérité est que je me sentais contraint par l’huile », écrit-il (Camille Morando, Soulages, Editions du Centre Pompidou, Paris, 2015, p. 12).
Soulages travaille alors une peinture fondamentalement autre, désintéressée de la représentation et du récit, tout comme ses premiers arbres qu’il peint en 1934 portant déjà une attention particulière à la trace de ses pinceaux et à l’écriture des branches dans l’espace. Baigné dans une liberté nouvelle, celle d’exploiter la puissance, la densité et les vibrations sombres ou chaudes de la matière, Soulages transforme le brou de noix en une peinture vivante d’où jaillissent des formes simultanées et distinctes à la fois, s’inscrivant dans sa démarche qu’il nomme synoptique.
Imposante par son format vertical et dynamique par les traces d’outils dépeignant le cheminement des gestes spontanés du peintre, cette œuvre au brou de noix de 1958 s’inscrit dans la lignée artistique et l’héritage de Soulages. Brou de noix, 65 x 50 cm, 1958 provient initialement de la collection d’Etta et Otto Stangl, fondateurs de la Moderne Galerie à Munich en 1947, lieu-dit de l’avant-garde après la Seconde Guerre Mondiale et plaque tournante de la transmission de l’art moderne et contemporain. Cette œuvre fait naître une profondeur en troisième dimension et prend l’allure d’une sculpture abstraite modelée par l’entremêlement de lignes droites, de courbes et de demi-tours soudains de la matière transparente ou opaque, caractéristique de la palette de Soulages.
Pierre Soulages, the last giant of contemporary painting, is known for a colour that holds all the others within it: black. It becomes the hallmark of his artistic identity and Soulages has been loyal to it throughout his career. His body of work has been forged in the same key, but sensitive to the unexpected jags of vagabond lines that reflect his inner feelings. He is attentive to the unpredictability of forms, light and textures and has surveyed the possibilities and the limitations of paint. Their interpretations have been numerous, tangible, and sometimes ineffable, depending on the tools and materials with which he applies them, as is the case with walnut stain. Though it is more common among woodworkers than painters, Soulages first worked with it in the 1950s and returned to it regularly until 2004. He cast aside tiny brushes and tubes of oil paint in favour of wide brushes and putty knives, which had taunted him ever since his childhood in Rodez, where he watched smiths, bookbinders, saddlers and cabinetmakers from his balcony.
This technique foreshadowed all that Soulages's work would become and laid the groundwork for his portfolio, guided by the sovereignty of lines and punctuated by shades of black. This approach broke with the formality of Beaux Arts that had penned him in for so long and marked a decisive turning point in his work, as he distanced himself from tradition. "It was the 1947 walnut stains that enabled me to gather myself and to obey a sort of inner imperative. The truth is that I felt constrained by oil" he wrote (Camille Morando, Soulages, Editions du Centre Pompidou, Paris, 2015, p. 12).
Soulages then began painting in a fundamentally different way, uninterested with representation and narrative, just as with the first trees he painted in 1934, where he was already paying close attention to the lines of his brushes and the writing of the branches in space. Basking in his new-found freedom ‒ to leverage the power, the density and the warm or dark vibrations of the material itself ‒ Soulages transformed walnut stain into a living paint that casts shapes that are both distinct and concurrent, becoming part of the style he called synoptics.
The vertical format gives this walnut stain work from 1958 an imposing quality, while it derives energy from the tool marks that trace the painter's spontaneous gestures. This work is of a piece with Soulages's artistic lineage and heritage. Brou de noix, 65 x 50 cm, 1958 originnally comes from the collection of Etta and Otto Stangl, who founded the Moderne Galerie in Munich in 1947. Their gallery was known as a hot spot for the post-war avant-garde movement and a trading hub for modern and contemporary art. This work builds three-dimensional depth and takes on the appearance of an abstract sculpture shaped by the intermingling of straight lines, curves and sudden U-turns in the matter which is characteristic of the Soulages palette.
"Walnut stain has a dark and warm tone, a kind of elemental power that pleases me. It allows for natural transparencies and opacities with a beautiful resonance."
Pierre Soulages
Dernier géant de la peinture contemporaine, Pierre Soulages se distingue par une couleur qui rassemble en elle toutes les autres : le noir. Devenu la signature de son identité artistique, il y reste fidèle tout au long de sa carrière qui est à la fois forgée dans le même refrain et sensible à l’inattendu de lignes vagabondes, reflets de ses sentiments intérieurs. Attentif à l’imprévu des formes, à la lumière et aux reliefs, Soulages arpente les possibilités et les limites de la peinture. Leurs déclinaisons sont nombreuses, tangibles, presque insaisissables, selon les outils et matériaux avec lesquels il les applique, à l’instar du brou de noix. Plus répandu chez les menuisiers que chez les peintres, Soulages s’en empare dans le virage des années 1950 et y revient régulièrement jusqu’en 2004. Il laisse petits pinceaux et tubes de peinture à l’huile de côté au profit de larges brosses et de couteaux à enduire, qui le narguent déjà depuis son enfance à Rodez lorsqu’il observait défiler forgerons, relieurs, sellier-bourreliers ou ébénistes depuis son balcon.
Cette technique préfigure tout ce que sera l’œuvre de Soulages et marque les fondements de son portfolio guidé par la souveraineté des lignes et rythmé par des nuances de noir. Elle signe une rupture avec la formalité des Beaux-Arts qui le limite longtemps et engendre un tournant décisif dans son travail s’éloignant de la tradition. « C’est avec les brous de noix de 1947 que j’ai pu me rassembler et obéir à une sorte d’impératif intérieur. La vérité est que je me sentais contraint par l’huile », écrit-il (Camille Morando, Soulages, Editions du Centre Pompidou, Paris, 2015, p. 12).
Soulages travaille alors une peinture fondamentalement autre, désintéressée de la représentation et du récit, tout comme ses premiers arbres qu’il peint en 1934 portant déjà une attention particulière à la trace de ses pinceaux et à l’écriture des branches dans l’espace. Baigné dans une liberté nouvelle, celle d’exploiter la puissance, la densité et les vibrations sombres ou chaudes de la matière, Soulages transforme le brou de noix en une peinture vivante d’où jaillissent des formes simultanées et distinctes à la fois, s’inscrivant dans sa démarche qu’il nomme synoptique.
Imposante par son format vertical et dynamique par les traces d’outils dépeignant le cheminement des gestes spontanés du peintre, cette œuvre au brou de noix de 1958 s’inscrit dans la lignée artistique et l’héritage de Soulages. Brou de noix, 65 x 50 cm, 1958 provient initialement de la collection d’Etta et Otto Stangl, fondateurs de la Moderne Galerie à Munich en 1947, lieu-dit de l’avant-garde après la Seconde Guerre Mondiale et plaque tournante de la transmission de l’art moderne et contemporain. Cette œuvre fait naître une profondeur en troisième dimension et prend l’allure d’une sculpture abstraite modelée par l’entremêlement de lignes droites, de courbes et de demi-tours soudains de la matière transparente ou opaque, caractéristique de la palette de Soulages.
Pierre Soulages, the last giant of contemporary painting, is known for a colour that holds all the others within it: black. It becomes the hallmark of his artistic identity and Soulages has been loyal to it throughout his career. His body of work has been forged in the same key, but sensitive to the unexpected jags of vagabond lines that reflect his inner feelings. He is attentive to the unpredictability of forms, light and textures and has surveyed the possibilities and the limitations of paint. Their interpretations have been numerous, tangible, and sometimes ineffable, depending on the tools and materials with which he applies them, as is the case with walnut stain. Though it is more common among woodworkers than painters, Soulages first worked with it in the 1950s and returned to it regularly until 2004. He cast aside tiny brushes and tubes of oil paint in favour of wide brushes and putty knives, which had taunted him ever since his childhood in Rodez, where he watched smiths, bookbinders, saddlers and cabinetmakers from his balcony.
This technique foreshadowed all that Soulages's work would become and laid the groundwork for his portfolio, guided by the sovereignty of lines and punctuated by shades of black. This approach broke with the formality of Beaux Arts that had penned him in for so long and marked a decisive turning point in his work, as he distanced himself from tradition. "It was the 1947 walnut stains that enabled me to gather myself and to obey a sort of inner imperative. The truth is that I felt constrained by oil" he wrote (Camille Morando, Soulages, Editions du Centre Pompidou, Paris, 2015, p. 12).
Soulages then began painting in a fundamentally different way, uninterested with representation and narrative, just as with the first trees he painted in 1934, where he was already paying close attention to the lines of his brushes and the writing of the branches in space. Basking in his new-found freedom ‒ to leverage the power, the density and the warm or dark vibrations of the material itself ‒ Soulages transformed walnut stain into a living paint that casts shapes that are both distinct and concurrent, becoming part of the style he called synoptics.
The vertical format gives this walnut stain work from 1958 an imposing quality, while it derives energy from the tool marks that trace the painter's spontaneous gestures. This work is of a piece with Soulages's artistic lineage and heritage. Brou de noix, 65 x 50 cm, 1958 originnally comes from the collection of Etta and Otto Stangl, who founded the Moderne Galerie in Munich in 1947. Their gallery was known as a hot spot for the post-war avant-garde movement and a trading hub for modern and contemporary art. This work builds three-dimensional depth and takes on the appearance of an abstract sculpture shaped by the intermingling of straight lines, curves and sudden U-turns in the matter which is characteristic of the Soulages palette.