Tête de femme
Details
Pablo Picasso (1881-1973)
Tête de femme
signé 'Picasso' (sur un élément de collage en bas à droite)
gouache, assemblage de papiers découpés et collés, rameaux d'agrumes, clous et graphite sur carton ondulé
41.7 x 39.8 x 4 cm.
Exécuté en 1941
signed 'Picasso' (on a collage element, lower right)
gouache, paper collage assemblage, citrus branches, nails and pencil on corrugated board
16 ½ x 15 ¾ x 1 ½ in.
Executed in 1941
Tête de femme
signé 'Picasso' (sur un élément de collage en bas à droite)
gouache, assemblage de papiers découpés et collés, rameaux d'agrumes, clous et graphite sur carton ondulé
41.7 x 39.8 x 4 cm.
Exécuté en 1941
signed 'Picasso' (on a collage element, lower right)
gouache, paper collage assemblage, citrus branches, nails and pencil on corrugated board
16 ½ x 15 ¾ x 1 ½ in.
Executed in 1941
Provenance
Vente, Me Ader, Paris, 1er décembre 1959, lot 39.
Marlborough Fine Art, Londres.
Sir Charles Clore (acquis auprès de celle-ci en 1960).
Collection particulière, Europe (par descendance); vente, Christie's, Londres, 1er décembre 1986, lot 47.
Daniel Varenne, Genève.
Galerie Heyram, Paris.
Acquis auprès de celle-ci par la famille du propriétaire actuel vers 1987.
Marlborough Fine Art, Londres.
Sir Charles Clore (acquis auprès de celle-ci en 1960).
Collection particulière, Europe (par descendance); vente, Christie's, Londres, 1er décembre 1986, lot 47.
Daniel Varenne, Genève.
Galerie Heyram, Paris.
Acquis auprès de celle-ci par la famille du propriétaire actuel vers 1987.
Literature
P. Éluard, A Pablo Picasso, Genève et Paris, 1944, p. 123 (illustré non signé; titré 'Tëte peinte et construite en papier').
C. Zervos, Pablo Picasso, Œuvres de 1940 et 1941, Paris, 1984, vol. 11, no. 95 (illustré non signé, pl. 36).
L. Payne, Essential Picasso, Londres, 1999, p. 179 (illustré en couleurs, p. 178; titré 'Portrait de Dora Maar').
C. Zervos, Pablo Picasso, Œuvres de 1940 et 1941, Paris, 1984, vol. 11, no. 95 (illustré non signé, pl. 36).
L. Payne, Essential Picasso, Londres, 1999, p. 179 (illustré en couleurs, p. 178; titré 'Portrait de Dora Maar').
Exhibited
Londres, Marlborough Fine Art, XIX and XX Century Drawings and Watercolours, février-mars 1960, no. 61 (illustré, p. 63).
Special Notice
Artist's Resale Right ("droit de Suite").
If the Artist's Resale Right Regulations 2006 apply to this lot, the buyer also agrees to pay us an amount equal to the resale royalty provided for in those Regulations, and we undertake to the buyer to pay such amount to the artist's collection agent.
Further Details
« J'ai remarqué l'intensité de son regard vert bronze, la finesse de ses mains aux longs doigts fuselés, mais ce qu'elle avait de plus remarquable était son extraordinaire immobilité. Elle parlait peu, ne faisait aucun geste. Il y avait dans son maintien plus que de la dignité, presque de la raideur. […] Elle se portait elle-même comme le Saint Sacrement. »
Françoise Gilot
« Toute tête doit oser porter une couronne », écrivait Paul Éluard en 1937. Un commentaire qui résonne pleinement avec ce saisissant portrait-collage de celle qui fut la muse et l'amante de Pablo Picasso en temps de guerre : la photographe, peintre et intellectuelle surréaliste Dora Maar (in Picasso and Portraiture: Representation and Transformation, cat. exp., The Museum of Modern Art, New York, 1996, p. 389). Les cheveux de jais, les fameux longs cils, les grands yeux magnétiques – ici, le peintre se munit de papier, de gouache et de quelques feuilles d'agrumes séchées pour saisir les attributs emblématiques de sa maîtresse, qu'il coiffe d'une couronne dorée. Parmi l'effusion de portraits que l'artiste lui consacre durant cette période, cette œuvre réalisée en 1941, sous l'Occupation de Paris, constitue l'une des représentations les plus intimes et les plus tendres de Dora Maar qu'ait signées Picasso.
C'est à travers Éluard, semble-t-il, que Picasso et Dora Maar font connaissance à Paris durant l'hiver 1935-36. Digne d'un récit surréaliste empreint de tension dramatique, de sensualité et d'un soupçon de violence, leur première rencontre au café des Deux Magots est devenue légendaire. Un écrivain évoque « le visage grave de la jeune femme éclairé par deux yeux bleus dont d'épais sourcils accusent la clarté ; un visage à la fois sensible et inquiet, parcouru de lumières et d'ombres. Entre ses doigts elle plante un couteau de poche dans le bois de la table. Parfois, elle rate son coup et une goutte de sang vient perler entre les roses brodées sur ses gants noirs... Picasso demande à Dora de lui offrir ses gants, qu'il enfermera dans son cabinet à reliques » (J-P. Crespelle in M.-A. Caws, Dora Maar with & without Picasso, Londres, 2000, p. 81).
Une passion mouvementée naît alors sur fond de menaces de guerre. D'un point de vue artistique, comme il l'avait fait avec ses précédentes compagnes, Picasso se familiarise dans un premier temps avec la physionomie de Dora Maar, la dépeignant dans une suite de dessins et de croquis très délicats. Ce n'est pas avant la fin 1936 que les traits de la jeune femme commencent à se distordre sous le pinceau de l'artiste. Dès lors, la stylisation et les contorsions vont s'intensifier, tandis que son visage devient le théâtre de certaines des images les plus bouleversantes de l'œuvre de Picasso – notamment la série des « Femmes qui pleurent », qui atteint son expression la plus aboutie en octobre 1937 avec le magistral Femme qui pleure (Zervos, vol. 9, no. 73; Tate Gallery, Londres). À ce stade, Marie-Thérèse Walter a déjà largement été détrônée par Dora Maar, devenue la muse des muses de Picasso, son image dominant la production de ces années noires. Aussi, à l'aune de l'expérience tragique et traumatique de la guerre, ses portraits vont-ils se faire d'autant plus féroces, plus difformes, son profil se scindant désormais en deux parties bien distinctes, et ses traits volant en éclats sur la toile.
Exécuté en 1941, Tête de femme s'éloigne toutefois du langage fragmenté qui gouverne alors les représentations de Dora Maar, pour renouer avec un certain naturalisme. En 1937, peu après leur rencontre, Picasso avait déjà auréolé sa maîtresse d'un diadème de fleurs dans un petit dessin très doux et gracieux au crayon et au pastel (Zervos, vol. 8, no. 347; collection particulière). Cet été-là, le couple avait séjourné à Mougins, sur la Côte d'Azur, pour la deuxième année consécutive. Accompagnés d'une prodigieuse clique de figures d'avant-garde – parmi lesquelles Paul et Nusch Éluard, Roland Penrose, Lee Miller, André Breton, Jacqueline Lamba, Man Ray et sa compagne de l'époque, Ady –, Picasso et Dora Maar, leur amour en plein essor, y avaient joui d'un été d'insouciance, d'hédonisme et d'échanges artistiques, loin du contexte politique. Sur deux photographies prises par Man Ray durant cette parenthèse estivale, l'on voit Picasso aux côtés d'Ady et de Dora, laquelle s'applique, l'œil scintillant, à parer l'artiste d'une couronne de fleurs. En 1939, c'est à Antibes que le couple passe les beaux jours ; là aussi, des photos subsistent dans lesquelles Dora Maar apparaît, telle l'une des Trois Grâces, coiffée de feuilles et de fleurs, son profil princier sculpté par de spectaculaires contrastes.
Réalisé deux ans plus tard, dans une Europe désormais meurtrie par le conflit, Tête de femme constitue peut-être une réminiscence nostalgique de ces étés idylliques. Ce collage qui voit le jour dans l'enfermement de l'atelier parisien semble en effet caresser le souvenir des heures voluptueuses passées sous le soleil du Midi. Vêtue avec son indéfectible chic parisien, Dora Maar, par ce simple halo de feuilles, prend ici l'envergure solennelle d'une déesse de la nature. Dans une note non datée, l'artiste la décrit d'ailleurs comme une « incomparable divinité solaire » (Collection Dora Maar, Musée Picasso, Paris). Une manifestation divine qui va permettre au peintre de se réfugier, le temps d'un collage, dans le souvenir de jours meilleurs, loin des sombres réalités du Paris occupé. Comme le bouquet de violettes et de feuilles que Picasso avait glissé dans une enveloppe pour Dora Maar le premier jour du printemps 1937, Tête de femme constitue un témoignage poignant de leur relation amoureuse.
Le collage employé dans la présente œuvre renvoie lui aussi à un temps révolu : celui des papiers collés, technique dont Picasso et son camarade cubiste Georges Braque avaient été les pionniers au début des années 1910. Armés de morceaux de papier issus d'une panoplie de supports – journaux, papiers peints, coupures récupérées – ils avaient créé de toutes pièces une nouvelle forme d'art qui brouillait les frontières entre le réel et la fiction ; la peinture et l'imprimé s'associant pour rompre, de manière radicale, avec les conventions artistiques.
En 1938, Picasso signe un collage monumental pour Marie Cutolli dans le cadre d'une commande de dessins de tapisseries, Femmes à leur toilette (Zervos, vol. 9, no. 103; Musée Picasso, Paris). Cette œuvre imposante est composée de fragments de papier peint - certains aux couleurs criardes, d'autres à motifs, dont le fameux faux-bois rendu célèbre par les premiers papiers collés. Aux antipodes de Guernica, cette composition ambitieuse témoigne de la fascination persistante de Picasso pour les vertus du collage ; un intérêt qui resurgit également dans la présente œuvre. Sur un support en carton ondulé, ici, Picasso façonne la robe de Dora Maar à partir d'une coupure de papier peint, qu'il plie soigneusement afin de suggérer les lignes élégantes du vêtement auquel il appose, telle une broche, sa signature.
Dans l'isolement caverneux de son atelier de la rue des Grands-Augustins, Picasso puisait souvent son inspiration auprès des objets épars qu'il y avait accumulés. Il peignait sur des coupures de journaux, composait des masques avec des nappes en papier, bricolait des objets à partir de bouchons de bouteille et de boîtes d'allumettes. En ce sens, Tête de femme émet non seulement un clin d'œil à l'amour qui unissait alors Dora Maar et Picasso, mais atteste aussi la ferveur avec laquelle le peintre travaillait en ces temps austères et incertains, nourri par son intarissable soif d'expérimentation et son besoin de repousser, toujours un peu plus loin, les limites de l'expression artistique.
“I noticed her intense bronze-green eyes, and her slender hands with their long, tapering fingers. The most remarkable thing about her was her extraordinary immobility. She talked little, made no gestures at all, and there was something in her bearing that was more than dignity – a certain rigidity. There is a French expression that is very apt: she carried herself like the holy sacrament”
Françoise Gilot
"A head must dare wear a crown," Paul Éluard wrote in 1937, an apt description of this compelling collaged portrayal of Pablo Picasso’s great wartime muse and lover, the Surrealist photographer, painter, and intellectual, Dora Maar (quoted in Picasso and Portraiture: Representation and Transformation, exh. cat., The Museum of Modern Art, New York, 1996, p. 389). Here Picasso has used a combination of paper, gouache, and dried citrus leaves to create this depiction of Maar adorned in a golden crown, her raven-coloured hair, notoriously intense, wide-eyed stare and oft-admired long eyelashes perfectly captured. Executed in 1941, in the midst of the German Occupation of Paris, this work is among the most intimate and loving portrayals of Maar amid the incredible outpouring of portraits which she inspired the artist to create throughout this period.
It was Éluard who was said to have introduced Picasso and Maar in Paris in the winter of 1935-36. Their first meeting at the Café des Deux Magots has now become legendary; dramatic, steeped in eroticism and tinged with a seductive violence, it reads like a Surrealist fantasy. One writer recalled: "the young woman’s serious face, lit up by pale blue eyes which looked all the paler because of her thick eyebrows; a sensitive uneasy face, with light and shade passing alternately over it. She kept driving a small penknife between her fingers into the wood of the table. Sometimes she missed and a drop of blood appeared between the roses embroidered on her black gloves… Picasso would ask Dora to give him the gloves and would lock them up in the showcase he kept for his mementos" (J-P. Crespelle, quoted in M.-A. Caws, Dora Maar with & without Picasso, London, 2000, p. 81).
Against the backdrop of the impending war the two began a passionate and tumultuous affair. As with his previous lovers, Picasso had first absorbed the image of Maar, depicting her in a series of intimate sketches and drawings, and it was not until the end of 1936 that her face began to be distorted in the artist’s work. Gradually this stylisation and deformation intensified, as her face became the source for some of the most moving images of Picasso’s career, perhaps most notably the ‘Weeping Woman’ series that culminated in October 1937 with the masterful La femme qui pleure (Zervos, vol. 9, no. 73; Tate Gallery, London). By this point Maar had usurped Marie-Thérèse Walter’s so-called golden reign in the artist’s œuvre to become the leading muse in Picasso’s life, his wartime output dominated by portraits of her. Following the outbreak of the Second World War and the ensuing trauma and tragedy that followed, Picasso’s depictions of Maar became increasingly violent and distorted, her profile split into two distinct parts, and her facial features rearranged upon the canvas.
Executed in 1941, in the midst of the dark years of the Occupation, Tête de femme sees Picasso turn away from this fractured idiom that had come to define his depictions of Maar, and instead reembrace a more naturalistic mode of depicting his lover. In 1937, not long into their love affair, Picasso had depicted Maar in a crown of flowers in a jewel-like, intimately scaled and deeply tender pencil and pastel drawing (Zervos, vol. 8, no. 347; Private collection). That summer, Picasso and Maar travelled to Mougins in the south of France for the second year in a row. Together with a coterie of avant-garde figures that included Paul and Nusch Éluard, Roland Penrose and Lee Miller, Man Ray and his girlfriend of the time, Ady, André Breton and Jacqueline Lamba, Picasso and Maar, their relationship now fully in the open, enjoyed a heady summer of carefree hedonism and artistic exchange far removed from the impending outbreak of the war. In a pair of photographs taken by Man Ray, Ady is pictured sitting next to Picasso, with a starry-eyed Dora on his other side crowning him with a wreath of flowers. Two years later, the couple summered in Antibes. From this holiday there exists a series of photographs taken by both Picasso and Maar, in which she is seen adorned in a crown of leaves and flowers, as if one of the Three Graces, her elegant profile thrown into dramatic contrast.
Executed two years after this summer, with Europe now in the throes of all-out war, Tête de femme is perhaps a nostalgic reminiscence of these blissful sojourns. Holed up in his Paris studio, this collage could be seen to hark back to these idyllic love filled days that the couple spent under the Provençal sun. Dressed as the chic Parisienne she was renowned to be, in this work she is transformed with her simple crown of leaves into a goddess of the natural world. "To the incomparable solar deity," Picasso once called to Maar in an undated note (Dora Maar collection, Musée Picasso, Paris). Here, she is the artist’s own deity, a vessel through which to travel to happier times far from the grim realities of life in Occupied Paris. Just like the bunch of violets and ivy leaves found in an envelope that Picasso gave to Maar to mark the first day of spring in 1937, so this work serves as a poignant memento of the couple’s relationship.
Picasso’s collage technique in the present work similarly looks back to the landmark papier-collés that he and his cubist comrade, Georges Braque, had pioneered in the early 1910s. Using pieces of paper from a host of sources – newspapers, wallpaper, scraps of everyday ephemera – Picasso created a new art form, one that blurred the boundaries between the real and fictional; the painted and printed brought together in radical rebellion of traditional artistic convention.
In 1938, Picasso completed a mural sized collage as part of a request for tapestry designs from Marie Cuttoli, Femmes à leur toilette (Zervos, vol. 9, no. 103; Musée Picasso, Paris). This monumental work is constructed from pieces of wall paper – some very garish and brightly coloured, others patterned, including the faux-bois that had been a key feature of the early papier-collés. The antithesis of Guernica, this work demonstrates Picasso’s enduring fascination with the potentials of collage, one that also remerges in the present work. Using a piece of corrugated board as his support, here Picasso fashioned Maar’s dress from a piece of wallpaper, deftly folding it to imply the cut of his lover’s elegant attire, his signature worn like a pin upon her bust.
Holed up in his cavernous rue des Grands Augustins studio, Picasso frequently looked to the objects and ephemera that surrounded him as inspiration for his art making. He painted on pieces of newspaper, turned paper table cloths into masks, and created objects from bottle tops and matchboxes. Tête de femme therefore provides not only a glimpse into the passionate wartime love affair that Picasso and Maar were engulfed in at this time, but demonstrates the unceasing creative zeal with which the artist worked during this time of upheaval and angst, his need to continually experiment and push the boundaries of art never waning.
Françoise Gilot
« Toute tête doit oser porter une couronne », écrivait Paul Éluard en 1937. Un commentaire qui résonne pleinement avec ce saisissant portrait-collage de celle qui fut la muse et l'amante de Pablo Picasso en temps de guerre : la photographe, peintre et intellectuelle surréaliste Dora Maar (in Picasso and Portraiture: Representation and Transformation, cat. exp., The Museum of Modern Art, New York, 1996, p. 389). Les cheveux de jais, les fameux longs cils, les grands yeux magnétiques – ici, le peintre se munit de papier, de gouache et de quelques feuilles d'agrumes séchées pour saisir les attributs emblématiques de sa maîtresse, qu'il coiffe d'une couronne dorée. Parmi l'effusion de portraits que l'artiste lui consacre durant cette période, cette œuvre réalisée en 1941, sous l'Occupation de Paris, constitue l'une des représentations les plus intimes et les plus tendres de Dora Maar qu'ait signées Picasso.
C'est à travers Éluard, semble-t-il, que Picasso et Dora Maar font connaissance à Paris durant l'hiver 1935-36. Digne d'un récit surréaliste empreint de tension dramatique, de sensualité et d'un soupçon de violence, leur première rencontre au café des Deux Magots est devenue légendaire. Un écrivain évoque « le visage grave de la jeune femme éclairé par deux yeux bleus dont d'épais sourcils accusent la clarté ; un visage à la fois sensible et inquiet, parcouru de lumières et d'ombres. Entre ses doigts elle plante un couteau de poche dans le bois de la table. Parfois, elle rate son coup et une goutte de sang vient perler entre les roses brodées sur ses gants noirs... Picasso demande à Dora de lui offrir ses gants, qu'il enfermera dans son cabinet à reliques » (J-P. Crespelle in M.-A. Caws, Dora Maar with & without Picasso, Londres, 2000, p. 81).
Une passion mouvementée naît alors sur fond de menaces de guerre. D'un point de vue artistique, comme il l'avait fait avec ses précédentes compagnes, Picasso se familiarise dans un premier temps avec la physionomie de Dora Maar, la dépeignant dans une suite de dessins et de croquis très délicats. Ce n'est pas avant la fin 1936 que les traits de la jeune femme commencent à se distordre sous le pinceau de l'artiste. Dès lors, la stylisation et les contorsions vont s'intensifier, tandis que son visage devient le théâtre de certaines des images les plus bouleversantes de l'œuvre de Picasso – notamment la série des « Femmes qui pleurent », qui atteint son expression la plus aboutie en octobre 1937 avec le magistral Femme qui pleure (Zervos, vol. 9, no. 73; Tate Gallery, Londres). À ce stade, Marie-Thérèse Walter a déjà largement été détrônée par Dora Maar, devenue la muse des muses de Picasso, son image dominant la production de ces années noires. Aussi, à l'aune de l'expérience tragique et traumatique de la guerre, ses portraits vont-ils se faire d'autant plus féroces, plus difformes, son profil se scindant désormais en deux parties bien distinctes, et ses traits volant en éclats sur la toile.
Exécuté en 1941, Tête de femme s'éloigne toutefois du langage fragmenté qui gouverne alors les représentations de Dora Maar, pour renouer avec un certain naturalisme. En 1937, peu après leur rencontre, Picasso avait déjà auréolé sa maîtresse d'un diadème de fleurs dans un petit dessin très doux et gracieux au crayon et au pastel (Zervos, vol. 8, no. 347; collection particulière). Cet été-là, le couple avait séjourné à Mougins, sur la Côte d'Azur, pour la deuxième année consécutive. Accompagnés d'une prodigieuse clique de figures d'avant-garde – parmi lesquelles Paul et Nusch Éluard, Roland Penrose, Lee Miller, André Breton, Jacqueline Lamba, Man Ray et sa compagne de l'époque, Ady –, Picasso et Dora Maar, leur amour en plein essor, y avaient joui d'un été d'insouciance, d'hédonisme et d'échanges artistiques, loin du contexte politique. Sur deux photographies prises par Man Ray durant cette parenthèse estivale, l'on voit Picasso aux côtés d'Ady et de Dora, laquelle s'applique, l'œil scintillant, à parer l'artiste d'une couronne de fleurs. En 1939, c'est à Antibes que le couple passe les beaux jours ; là aussi, des photos subsistent dans lesquelles Dora Maar apparaît, telle l'une des Trois Grâces, coiffée de feuilles et de fleurs, son profil princier sculpté par de spectaculaires contrastes.
Réalisé deux ans plus tard, dans une Europe désormais meurtrie par le conflit, Tête de femme constitue peut-être une réminiscence nostalgique de ces étés idylliques. Ce collage qui voit le jour dans l'enfermement de l'atelier parisien semble en effet caresser le souvenir des heures voluptueuses passées sous le soleil du Midi. Vêtue avec son indéfectible chic parisien, Dora Maar, par ce simple halo de feuilles, prend ici l'envergure solennelle d'une déesse de la nature. Dans une note non datée, l'artiste la décrit d'ailleurs comme une « incomparable divinité solaire » (Collection Dora Maar, Musée Picasso, Paris). Une manifestation divine qui va permettre au peintre de se réfugier, le temps d'un collage, dans le souvenir de jours meilleurs, loin des sombres réalités du Paris occupé. Comme le bouquet de violettes et de feuilles que Picasso avait glissé dans une enveloppe pour Dora Maar le premier jour du printemps 1937, Tête de femme constitue un témoignage poignant de leur relation amoureuse.
Le collage employé dans la présente œuvre renvoie lui aussi à un temps révolu : celui des papiers collés, technique dont Picasso et son camarade cubiste Georges Braque avaient été les pionniers au début des années 1910. Armés de morceaux de papier issus d'une panoplie de supports – journaux, papiers peints, coupures récupérées – ils avaient créé de toutes pièces une nouvelle forme d'art qui brouillait les frontières entre le réel et la fiction ; la peinture et l'imprimé s'associant pour rompre, de manière radicale, avec les conventions artistiques.
En 1938, Picasso signe un collage monumental pour Marie Cutolli dans le cadre d'une commande de dessins de tapisseries, Femmes à leur toilette (Zervos, vol. 9, no. 103; Musée Picasso, Paris). Cette œuvre imposante est composée de fragments de papier peint - certains aux couleurs criardes, d'autres à motifs, dont le fameux faux-bois rendu célèbre par les premiers papiers collés. Aux antipodes de Guernica, cette composition ambitieuse témoigne de la fascination persistante de Picasso pour les vertus du collage ; un intérêt qui resurgit également dans la présente œuvre. Sur un support en carton ondulé, ici, Picasso façonne la robe de Dora Maar à partir d'une coupure de papier peint, qu'il plie soigneusement afin de suggérer les lignes élégantes du vêtement auquel il appose, telle une broche, sa signature.
Dans l'isolement caverneux de son atelier de la rue des Grands-Augustins, Picasso puisait souvent son inspiration auprès des objets épars qu'il y avait accumulés. Il peignait sur des coupures de journaux, composait des masques avec des nappes en papier, bricolait des objets à partir de bouchons de bouteille et de boîtes d'allumettes. En ce sens, Tête de femme émet non seulement un clin d'œil à l'amour qui unissait alors Dora Maar et Picasso, mais atteste aussi la ferveur avec laquelle le peintre travaillait en ces temps austères et incertains, nourri par son intarissable soif d'expérimentation et son besoin de repousser, toujours un peu plus loin, les limites de l'expression artistique.
“I noticed her intense bronze-green eyes, and her slender hands with their long, tapering fingers. The most remarkable thing about her was her extraordinary immobility. She talked little, made no gestures at all, and there was something in her bearing that was more than dignity – a certain rigidity. There is a French expression that is very apt: she carried herself like the holy sacrament”
Françoise Gilot
"A head must dare wear a crown," Paul Éluard wrote in 1937, an apt description of this compelling collaged portrayal of Pablo Picasso’s great wartime muse and lover, the Surrealist photographer, painter, and intellectual, Dora Maar (quoted in Picasso and Portraiture: Representation and Transformation, exh. cat., The Museum of Modern Art, New York, 1996, p. 389). Here Picasso has used a combination of paper, gouache, and dried citrus leaves to create this depiction of Maar adorned in a golden crown, her raven-coloured hair, notoriously intense, wide-eyed stare and oft-admired long eyelashes perfectly captured. Executed in 1941, in the midst of the German Occupation of Paris, this work is among the most intimate and loving portrayals of Maar amid the incredible outpouring of portraits which she inspired the artist to create throughout this period.
It was Éluard who was said to have introduced Picasso and Maar in Paris in the winter of 1935-36. Their first meeting at the Café des Deux Magots has now become legendary; dramatic, steeped in eroticism and tinged with a seductive violence, it reads like a Surrealist fantasy. One writer recalled: "the young woman’s serious face, lit up by pale blue eyes which looked all the paler because of her thick eyebrows; a sensitive uneasy face, with light and shade passing alternately over it. She kept driving a small penknife between her fingers into the wood of the table. Sometimes she missed and a drop of blood appeared between the roses embroidered on her black gloves… Picasso would ask Dora to give him the gloves and would lock them up in the showcase he kept for his mementos" (J-P. Crespelle, quoted in M.-A. Caws, Dora Maar with & without Picasso, London, 2000, p. 81).
Against the backdrop of the impending war the two began a passionate and tumultuous affair. As with his previous lovers, Picasso had first absorbed the image of Maar, depicting her in a series of intimate sketches and drawings, and it was not until the end of 1936 that her face began to be distorted in the artist’s work. Gradually this stylisation and deformation intensified, as her face became the source for some of the most moving images of Picasso’s career, perhaps most notably the ‘Weeping Woman’ series that culminated in October 1937 with the masterful La femme qui pleure (Zervos, vol. 9, no. 73; Tate Gallery, London). By this point Maar had usurped Marie-Thérèse Walter’s so-called golden reign in the artist’s œuvre to become the leading muse in Picasso’s life, his wartime output dominated by portraits of her. Following the outbreak of the Second World War and the ensuing trauma and tragedy that followed, Picasso’s depictions of Maar became increasingly violent and distorted, her profile split into two distinct parts, and her facial features rearranged upon the canvas.
Executed in 1941, in the midst of the dark years of the Occupation, Tête de femme sees Picasso turn away from this fractured idiom that had come to define his depictions of Maar, and instead reembrace a more naturalistic mode of depicting his lover. In 1937, not long into their love affair, Picasso had depicted Maar in a crown of flowers in a jewel-like, intimately scaled and deeply tender pencil and pastel drawing (Zervos, vol. 8, no. 347; Private collection). That summer, Picasso and Maar travelled to Mougins in the south of France for the second year in a row. Together with a coterie of avant-garde figures that included Paul and Nusch Éluard, Roland Penrose and Lee Miller, Man Ray and his girlfriend of the time, Ady, André Breton and Jacqueline Lamba, Picasso and Maar, their relationship now fully in the open, enjoyed a heady summer of carefree hedonism and artistic exchange far removed from the impending outbreak of the war. In a pair of photographs taken by Man Ray, Ady is pictured sitting next to Picasso, with a starry-eyed Dora on his other side crowning him with a wreath of flowers. Two years later, the couple summered in Antibes. From this holiday there exists a series of photographs taken by both Picasso and Maar, in which she is seen adorned in a crown of leaves and flowers, as if one of the Three Graces, her elegant profile thrown into dramatic contrast.
Executed two years after this summer, with Europe now in the throes of all-out war, Tête de femme is perhaps a nostalgic reminiscence of these blissful sojourns. Holed up in his Paris studio, this collage could be seen to hark back to these idyllic love filled days that the couple spent under the Provençal sun. Dressed as the chic Parisienne she was renowned to be, in this work she is transformed with her simple crown of leaves into a goddess of the natural world. "To the incomparable solar deity," Picasso once called to Maar in an undated note (Dora Maar collection, Musée Picasso, Paris). Here, she is the artist’s own deity, a vessel through which to travel to happier times far from the grim realities of life in Occupied Paris. Just like the bunch of violets and ivy leaves found in an envelope that Picasso gave to Maar to mark the first day of spring in 1937, so this work serves as a poignant memento of the couple’s relationship.
Picasso’s collage technique in the present work similarly looks back to the landmark papier-collés that he and his cubist comrade, Georges Braque, had pioneered in the early 1910s. Using pieces of paper from a host of sources – newspapers, wallpaper, scraps of everyday ephemera – Picasso created a new art form, one that blurred the boundaries between the real and fictional; the painted and printed brought together in radical rebellion of traditional artistic convention.
In 1938, Picasso completed a mural sized collage as part of a request for tapestry designs from Marie Cuttoli, Femmes à leur toilette (Zervos, vol. 9, no. 103; Musée Picasso, Paris). This monumental work is constructed from pieces of wall paper – some very garish and brightly coloured, others patterned, including the faux-bois that had been a key feature of the early papier-collés. The antithesis of Guernica, this work demonstrates Picasso’s enduring fascination with the potentials of collage, one that also remerges in the present work. Using a piece of corrugated board as his support, here Picasso fashioned Maar’s dress from a piece of wallpaper, deftly folding it to imply the cut of his lover’s elegant attire, his signature worn like a pin upon her bust.
Holed up in his cavernous rue des Grands Augustins studio, Picasso frequently looked to the objects and ephemera that surrounded him as inspiration for his art making. He painted on pieces of newspaper, turned paper table cloths into masks, and created objects from bottle tops and matchboxes. Tête de femme therefore provides not only a glimpse into the passionate wartime love affair that Picasso and Maar were engulfed in at this time, but demonstrates the unceasing creative zeal with which the artist worked during this time of upheaval and angst, his need to continually experiment and push the boundaries of art never waning.
Sale Room Notice
Please kindly note the additional provenance line for this lot:
Sale, Me Ader, Paris, 1st December 1959, lot 39.
Marlborough Fine Art, London.
Sir Charles Clore (acquired from the above in 1960).
Private collection, Europe (by descent); sale, Christie's, London, 1st December 1986, lot 47.
Daniel Varenne, Geneva.
Galerie Heyram, Paris.
Acquired from the above by the family of the present owner circa 1987.
Veuillez noter la provenance additionelle pour ce lot:
Vente, Me Ader, Paris, 1er décembre 1959, lot 39.
Marlborough Fine Art, Londres.
Sir Charles Clore (acquis auprès de celle-ci en 1960).
Collection particulière, Europe (par descendance); vente, Christie's, Londres, 1er décembre 1986, lot 47.
Daniel Varenne, Genève (acquis au cours de cette vente).
Galerie Heyram, Paris.
Acquis auprès de celle-ci par la famille du propriétaire actuel vers 1987.
Sale, Me Ader, Paris, 1st December 1959, lot 39.
Marlborough Fine Art, London.
Sir Charles Clore (acquired from the above in 1960).
Private collection, Europe (by descent); sale, Christie's, London, 1st December 1986, lot 47.
Daniel Varenne, Geneva.
Galerie Heyram, Paris.
Acquired from the above by the family of the present owner circa 1987.
Veuillez noter la provenance additionelle pour ce lot:
Vente, Me Ader, Paris, 1er décembre 1959, lot 39.
Marlborough Fine Art, Londres.
Sir Charles Clore (acquis auprès de celle-ci en 1960).
Collection particulière, Europe (par descendance); vente, Christie's, Londres, 1er décembre 1986, lot 47.
Daniel Varenne, Genève (acquis au cours de cette vente).
Galerie Heyram, Paris.
Acquis auprès de celle-ci par la famille du propriétaire actuel vers 1987.
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Pierre Martin-Vivier
Deputy Chairman