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« Tes yeux sont si profonds qu’en me penchant pour boire
J’ai vu tous les soleils y venir se mirer
S’y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j’y perds la mémoire
[…]
Il advint qu’un beau soir l’univers se brisa
Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent
Moi je voyais briller au-dessus de la mer
Les yeux d’Elsa les yeux d’Elsa les yeux d’Elsa »
Louis Aragon, 1942, cité in L. Aragon, Les Yeux d’Elsa, Paris, 2012, p. 31-32.
À partir des années 1920, Henri Matisse alterne entre plusieurs méthodes de dessin pour favoriser tantôt la ligne fine, immédiate et pure du stylo et de l’encre, tantôt le crayon ou le fusain qu’il applique sur une feuille vierge. Plus à même de souligner le caractère du modèle et l'atmosphère qui régnait dans l'atelier, cette dernière technique qui permet de subtiles jeux d’ombre élaborés au fusain et à l’estompe, n’est pas sans rappeler l’effet du sfumato, employé à la Renaissance pour traduire le mystère de la lumière.
Alors qu’il achèvera bientôt son illustration des Fleurs du mal (1947), Henri Matisse exécute en novembre 1946 le présent Portrait d’Elsa Triolet, muse et épouse de Louis Aragon que Matisse rencontre en 1941 et qui deviendra l’une des amitiés les plus déterminantes de sa carrière.
Aragon salue d’ailleurs la finesse et l’aboutissement du présent fusain dans son ouvrage dédié à Matisse : « C’est un dessin extraordinaire de précision à la fois, et de ressemblance, mais où ce qui plus que tout surprend, me surprend, est l’économie des traits » (L. Aragon, Henri Matisse, Roman, Paris, 2013, vol. II, p. 498).
En cela que la vivacité et la spontanéité du trait, couplées à la douceur de l’estompe - en particulier pour le regard du modèle – nous invite à songer au poème d’Aragon, Les Yeux d’Elsa, le syncrétisme entre le présent dessin et les mots du poème fait directement écho aux écrits d’Aragon au sujet de Matisse : « Or, il est arrivé qu’Henri Matisse, rêvant sur les poèmes de Baudelaire, a été entraîné, […] à ne chercher l’accord texte-image qu’avec la seule ressource du visage humain. […] Il faudra lire le poème en regardant ce portrait : pour voir le portrait s’animer des paroles » (L. Aragon, Henri Matisse, Roman, Paris, 2013, vol. II, p. 435).
La présente œuvre, qui servira de modèle pour toute une variation d’œuvres à l’encre représentant Elsa, témoigne ainsi de l’approche de l’artiste fondée sur la répétition. Matisse explique en effet en 1939 que ses dessins à la plume étaient “toujours précédés par des études réalisées avec un medium moins rigoureux que la ligne pure, tel le fusain ou le dessin de base, qui [lui] permettent de creuser la personnalité du modèle, son expression, la qualité de la lumière environnante, l’ambiance et tout ce que seul le dessin peut traduire » (H. Matisse, ‘Notes of a Painter on his Drawing’, in J. Flam, éd., Matisse on Art, Berkeley, 1995, p. 130-131).
“Your eyes are so deep that leaning down to drink
To them I saw all mirrored suns repair
All desperate souls hurled deathward from their brink
Your eyes are so deep my memory is lost there
[…]
One beautiful evening the universe broke
On the reefs where the signal fires did arise
I looked and saw glittering above the sea
Elsa’s eyes Elsa’s eyes Elsa’s eyes”
Louis Aragon, 1942, quoted in L. Aragon, Les Yeux d’Elsa, Paris, 2012, p. 31-32.
From the 1920s, Henri Matisse switched between various drawing methods, at times favouring the direct, pure, fine line of pen and ink, and at others choosing pencil or charcoal, applied to stark white paper. The use of charcoal with the estompe (or stump - a thick stick of tightly rolled paper) was better suited to emphasising the character of the sitter and the atmosphere in the studio, facilitating a subtle play of light and shade not unlike the sfumato technique, which Renaissance artists used to express the mystery of light.
Henri Matisse drew his Portrait of Elsa Triolet in November 1946, a few months before completing the illustrations for Charles Baudelaire’s poetry collection, Les Fleurs du mal (1947). His subject was the muse and wife of Louis Aragon, whom Matisse met in 1941 and with whom he would forge one of the most defining friendships of his career.
In fact, Aragon paid tribute to the finesse and accomplishment of this charcoal work, in his book dedicated to Matisse: “It is an extraordinary drawing, in terms of both precision and likeness, but what is most surprising, what surprises me, is the economy of the strokes” (L. Aragon, Henri Matisse, Roman, Paris, 2013, vol. II, p. 498).
Indeed, it is the vibrancy and spontaneity of the stroke, coupled with the softness of the estompe - especially in the depiction of the model’s gaze – that bring to mind Aragon’s poem, Les Yeux d’Elsa. The convergence of this drawing and the words of the poem is a clear corroboration of Aragon’s writings on Matisse: “And so Henri Matisse, in dreaming about Baudelaire’s poems, has learned, […] to seek unity of text and image with the sole resource of the human face. […] One should read the poem whilst gazing at this portrait: to see the portrait brought to life by the words” (L. Aragon, Henri Matisse, Roman, Paris, 2013, vol. II, p. 435).
The present drawing, which would serve as a template for a range of works in ink portraying Elsa, illustrates the artist’s repetition-based approach. Indeed, in 1939 Matisse explained that his pen drawings were “always preceded by studies made in a less rigorous medium than pure line, such as charcoal or stump drawing, which allows me to consider simultaneously the character of the model, her human expression, the quality of the surrounding light, the atmosphere and all that can only be expressed by drawing” (H. Matisse, ‘Notes of a Painter on his Drawing”, quoted in J. Flam, ed., Matisse on Art, Berkeley, 1995, p. 130-131).