Lot Essay
« La main est là, impérative, rapide, violente, intervenant partout à la fois, apprivoisant, tantôt fouettant, tantôt caressante, infusant sa volonté, la volonté de conquérir cet ennemi sans âge, intemporel, cet adversaire blanc, virginal, sans défaut, ironique : la toile nue. »
Pierre Bourdeau
« Regarder l'un de ces tableaux, c'est y entrer : se faire projeter dans un champ de forces composé non seulement de choses, mais du mouvement des choses - de leur dislocation et de leur harmonie. »
Paul Auster
Les œuvres de Jean-Paul Riopelle sont des peintures du plein. Abolies les notions de perspectives, de centre et de marges, de proche et de lointain : toute la surface est couverte, il n’y a plus d’espaces, plus d’interstices, plus de vide. Les toiles sont « emplies à ras bord – à déborder » comme l’écrit Pierre Schneider (préface de l’exposition rétrospective Jean-Paul Riopelle, Musée nationale d’art moderne, Paris, septembre-novembre 1981, p. 8). Dès lors l’idée même de représentation est réduite à néant : il n’y plus de place pour une quelconque narration de la peinture. Pourtant, c’est bien de la nature que vient l’œuvre du peintre canadien – la nature qui précisément a horreur du vide, comme l’on sait. Ainsi que l’écrit l’historien d’art Georges Duthuit, « la démarche de Jean-Paul Riopelle évoque les vers de Victor Hugo : ‘Il regarde tant la nature / Que la nature a disparu’ », il abstrait la nature, c’est-à-dire qu’il tire d’elle son essence, ses mouvements, sa vibration qu’il transpose sur ses toiles. Dans ces masses de matières et de couleurs, c’est l’émergence de la vie qui semble se faire jour, dans une forme primaire, pure, encore indéterminée, dans la puissance même de son foisonnement, de sa croissance, de ses développements en blocs et en empâtements.
Réalisé en 1956 au faîte de la maturité artistique du peintre, Sans titre donne à voir, dans un large format laissant libre court à l’amplitude du geste, toute l’étendue de cette matière en fusion. Rouge sang, bleu glacé, vert plus tendre, blanc, noir : les couleurs bourgeonnent, se superposent, s’interpénètrent, générant un camaïeu inouï de nuances qui empêche celui qui fait face à la toile de faire le point. « Pour s’y retrouver, notre œil entreprend l’inventaire, mais se perd aussitôt dans ses comptes. Faute de points de repère, on ne sait plus où l’on a commencé, alors on recommence, et cela indéfiniment, car il y a toujours surnombre », poursuit Pierre Schneider (op. cit., p. 9). À peine croit-on avoir décelé un schéma de construction, ébauché une grille de lecture, que nous remarquons de nouvelles touches colorées, de nouvelles dynamiques dans l’agencement des coups de couteau qui viennent ébranler nos fragiles certitudes. L’expérience du regardeur face à une œuvre de Jean-Paul Riopelle s’apparente bien à un vertige : « regarder une peinture de Riopelle, c’est y entrer : être happé comme par un tourbillon dans un champ de forces composés non seulement de choses, mais du mouvement des choses – de leur dislocation et de leur harmonie. » (introduction au catalogue d’exposition, Lumière boréale, Paris, Galerie Maeght, mars 1976).
"The hand is there, imperative, fast, violent, intervening everywhere at once, taming, sometimes whipping, sometimes caressing, infusing its will, the will to conquer this ageless, timeless enemy, this white, virginal, flawless, ironic adversary: the naked canvas. "
Pierre Bourdeau
“To look at one of these paintings is to enter it: to be whirled into a field of forces that is composed not only of things, but of the motion of things – of their dislocation and their harmony.”
Paul Auster
The works of Jean-Paul Riopelle are paintings with fullness. Here, the notions of perspectives, center and margins, near and far, are abolished: the entire surface is covered, there are no more spaces, no more interstices, no more emptiness. The canvases are "filled to the brim —to overflow" as Pierre Schneider writes (preface to the retrospective Jean-Paul Riopelle exhibition, National Museum of Modern Art, Paris, September-November 1981, p. 8). From then on, the very idea of representation is reduced to nothing: there is no more room for any narration of the painting. Yet it is from nature that the work of the Canadian painter ventures forth —a nature which precisely abhors vacuum, as we know. Art historian Georges Duthuit writes: “Jean-Paul Riopelle's approach evokes the lines of Victor Hugo: ‘He looks so much at nature / That nature has disappeared’,” — he abstracts nature, meaning that he draws from its quintessence, its movements, its vibration which he transposes onto his canvases. Among these materials and colours, the very emergence of life seems to arise in a primary, pure, still undetermined form, in the power of its profusion, its growth, its developments in blocks and layering.
Produced in 1956 at the height of the painter's artistic maturity, Untitled shows, in a large format, giving free rein to the amplitude of the gesture, the full extent of this molten material. Blood red, ice blue, soft green, white, black: colours blossom, overlap, interpenetrate, generating incredible shades of nuances that prevents those facing the canvas from actually focusing. "To find its way around, our eye takes in the inventory, but immediately gets lost in its accounts. For lack of reference points, we no longer know where we started, so we start over, and this indefinitely, because there is always a surplus," continues Pierre Schneider (op. cit., p. 9). No sooner do we think we have detected a construction scheme, sketched out a reading grid, than we notice new coloured touches, new dynamics in the arrangement of stab wounds that shake our fragile certainties. The experience of the viewer in front of a work by Jean-Paul Riopelle is very similar to dizziness: "to look at a painting by Riopelle is to enter it: to be caught up as by a whirlwind in a field of forces composed not only of things, but by the movement of things —by their dislocation and their harmony." (Introduction to the exhibition catalogue, Lumière boréale, Paris, Galerie Maeght, March 1976).
Pierre Bourdeau
« Regarder l'un de ces tableaux, c'est y entrer : se faire projeter dans un champ de forces composé non seulement de choses, mais du mouvement des choses - de leur dislocation et de leur harmonie. »
Paul Auster
Les œuvres de Jean-Paul Riopelle sont des peintures du plein. Abolies les notions de perspectives, de centre et de marges, de proche et de lointain : toute la surface est couverte, il n’y a plus d’espaces, plus d’interstices, plus de vide. Les toiles sont « emplies à ras bord – à déborder » comme l’écrit Pierre Schneider (préface de l’exposition rétrospective Jean-Paul Riopelle, Musée nationale d’art moderne, Paris, septembre-novembre 1981, p. 8). Dès lors l’idée même de représentation est réduite à néant : il n’y plus de place pour une quelconque narration de la peinture. Pourtant, c’est bien de la nature que vient l’œuvre du peintre canadien – la nature qui précisément a horreur du vide, comme l’on sait. Ainsi que l’écrit l’historien d’art Georges Duthuit, « la démarche de Jean-Paul Riopelle évoque les vers de Victor Hugo : ‘Il regarde tant la nature / Que la nature a disparu’ », il abstrait la nature, c’est-à-dire qu’il tire d’elle son essence, ses mouvements, sa vibration qu’il transpose sur ses toiles. Dans ces masses de matières et de couleurs, c’est l’émergence de la vie qui semble se faire jour, dans une forme primaire, pure, encore indéterminée, dans la puissance même de son foisonnement, de sa croissance, de ses développements en blocs et en empâtements.
Réalisé en 1956 au faîte de la maturité artistique du peintre, Sans titre donne à voir, dans un large format laissant libre court à l’amplitude du geste, toute l’étendue de cette matière en fusion. Rouge sang, bleu glacé, vert plus tendre, blanc, noir : les couleurs bourgeonnent, se superposent, s’interpénètrent, générant un camaïeu inouï de nuances qui empêche celui qui fait face à la toile de faire le point. « Pour s’y retrouver, notre œil entreprend l’inventaire, mais se perd aussitôt dans ses comptes. Faute de points de repère, on ne sait plus où l’on a commencé, alors on recommence, et cela indéfiniment, car il y a toujours surnombre », poursuit Pierre Schneider (op. cit., p. 9). À peine croit-on avoir décelé un schéma de construction, ébauché une grille de lecture, que nous remarquons de nouvelles touches colorées, de nouvelles dynamiques dans l’agencement des coups de couteau qui viennent ébranler nos fragiles certitudes. L’expérience du regardeur face à une œuvre de Jean-Paul Riopelle s’apparente bien à un vertige : « regarder une peinture de Riopelle, c’est y entrer : être happé comme par un tourbillon dans un champ de forces composés non seulement de choses, mais du mouvement des choses – de leur dislocation et de leur harmonie. » (introduction au catalogue d’exposition, Lumière boréale, Paris, Galerie Maeght, mars 1976).
"The hand is there, imperative, fast, violent, intervening everywhere at once, taming, sometimes whipping, sometimes caressing, infusing its will, the will to conquer this ageless, timeless enemy, this white, virginal, flawless, ironic adversary: the naked canvas. "
Pierre Bourdeau
“To look at one of these paintings is to enter it: to be whirled into a field of forces that is composed not only of things, but of the motion of things – of their dislocation and their harmony.”
Paul Auster
The works of Jean-Paul Riopelle are paintings with fullness. Here, the notions of perspectives, center and margins, near and far, are abolished: the entire surface is covered, there are no more spaces, no more interstices, no more emptiness. The canvases are "filled to the brim —to overflow" as Pierre Schneider writes (preface to the retrospective Jean-Paul Riopelle exhibition, National Museum of Modern Art, Paris, September-November 1981, p. 8). From then on, the very idea of representation is reduced to nothing: there is no more room for any narration of the painting. Yet it is from nature that the work of the Canadian painter ventures forth —a nature which precisely abhors vacuum, as we know. Art historian Georges Duthuit writes: “Jean-Paul Riopelle's approach evokes the lines of Victor Hugo: ‘He looks so much at nature / That nature has disappeared’,” — he abstracts nature, meaning that he draws from its quintessence, its movements, its vibration which he transposes onto his canvases. Among these materials and colours, the very emergence of life seems to arise in a primary, pure, still undetermined form, in the power of its profusion, its growth, its developments in blocks and layering.
Produced in 1956 at the height of the painter's artistic maturity, Untitled shows, in a large format, giving free rein to the amplitude of the gesture, the full extent of this molten material. Blood red, ice blue, soft green, white, black: colours blossom, overlap, interpenetrate, generating incredible shades of nuances that prevents those facing the canvas from actually focusing. "To find its way around, our eye takes in the inventory, but immediately gets lost in its accounts. For lack of reference points, we no longer know where we started, so we start over, and this indefinitely, because there is always a surplus," continues Pierre Schneider (op. cit., p. 9). No sooner do we think we have detected a construction scheme, sketched out a reading grid, than we notice new coloured touches, new dynamics in the arrangement of stab wounds that shake our fragile certainties. The experience of the viewer in front of a work by Jean-Paul Riopelle is very similar to dizziness: "to look at a painting by Riopelle is to enter it: to be caught up as by a whirlwind in a field of forces composed not only of things, but by the movement of things —by their dislocation and their harmony." (Introduction to the exhibition catalogue, Lumière boréale, Paris, Galerie Maeght, March 1976).