Lot Essay
Julio González : l’innovation qui prend corps
Le corps, et notamment le corps féminin, est le motif de prédilection chez Julio González. Travaillé en dessin, peinture ou sculpture, assis ou debout, en entier ou en partie, c’est par le corps que González parvient à révolutionner la sculpture métallique du 20e siècle.
C’est par le corps que ce Barcelonais, artisan-ferronnier de formation, s’initie à la sculpture vers 1910 à Paris. Il façonne des têtes et des visages délicats et expressifs en métal repoussé, et modèle des silhouettes féminines gracieuses. Mais la sculpture était alors secondaire pour González, qui s’installe dans la capitale des arts au tournant du siècle pour devenir peintre.
C’est par le corps que González accepte sa vocation de sculpteur à la fin des années 1920. Ce choix s’affirme par des figures humaines simplifiées, anguleuses, volumétriques, rendues en fer forgé, courbé et découpé, ou alors en papier. En effet, tout en « dessin[ant] dans l’espace » avec le fer, González poursuit le dessin traditionnel. Son processus créateur s’accompagne et se nourrit d’une œuvre graphique importante, qui lui sert de laboratoire de recherches. Il s’agit de dessins préparatoires pour ses sculptures, et des œuvres à part entière.
C’est par le corps — également travaillé de manière fragmentée — que González donne libre cours à ces innovations formelles dans les années 1930, sa période de maturité. Son intégration des procédés avant-gardistes, son savoir-faire de ferronnier, sa vision personnelle indéfectible et sa pratique inédite de la soudure autogène, une technique industrielle inconnue dans le domaine artistique, lui ouvre des possibilités plastiques inouïes pour la sculpture métallique.
C’est par le corps que González réussit à inscrire l’innovation dans la lignée de la tradition artistique. Ces œuvres corporelles de maturité, imbues du hiératisme noble des sculptures archaïques, renouvellent le dialogue entre le vide et le plein, l’explicite et l’implicite, l’abstrait et le figuratif, l’organique et le minéral, l’ancien et le contemporain. Atemporelles et audacieuses, ludiques ou chargées d’un esprit engagé de résistance, le corps et ses synecdoques--mains, pieds, bustes, visages--sont des condensés du génie de Julio González.
The body ‒ especially the female body ‒ was a favourite theme in the work of Julio González. Approached through drawing, painting and sculpture both seated and standing, in part and in whole, it was the body that enabled González to revolutionise 20th-century metal sculpture.
And it was the body that introduced the Barcelona-born master blacksmith to sculpture around 1910 in Paris. He crafted delicate, expressive heads and faces in wrought metal and formed graceful feminine silhouettes. But sculpture was a secondary interest for González, who had settled in the art capital at the turn of the century to become a painter.
It was the body that helped González accept his calling as a sculptor in the late 1920s. He asserted his choice with simplified human figures that were angular and dimensional, rendered in curved and cut wrought iron or in paper. Indeed, as he continued to “draw in space” with iron, González pursued classic drawing. His creative process was nourished and supported by an important body of graphic work which he used like a research laboratory. The drawings included both preparatory sketches for his sculptures and fully fledged works of art.
It was the body ‒ also worked in a fragmented manner ‒ that gave González free rein to explore these formal innovations in the 1930s, his period of artistic maturity. His incorporation of avant-garde processes, his blacksmithing expertise, his faultless personal vision and his unprecedented practice of autogenous welding, an industrial technique that was foreign to the art world, opened the doors to extraordinary plastic possibilities for metal sculpture.
It was the body that González used to make this innovation a part of the artistic tradition. These mature corporeal works, steeped in the noble religious formality of archaic sculptures, revive the dialogue between empty and full, explicit and implicit, abstract and figurative, organic and mineral, ancient and contemporary. Timeless and bold, playful or charged with a committed spirit of resistance, the body and its synecdoches ‒ hands, feet, busts, faces ‒ are distillations of the genius of Julio González.
Le Front est composé de deux parties distinctes : une plaque de tôle aux bords irréguliers qui forme un vague demi-cercle et un élément rectangulaire en fer qui dessine un angle droit. Elles sont toutes deux attachées à une tige de fer verticale, en haut de laquelle est suspendu le demi-cercle qui vient plonger devant le rectangle perpendiculaire, de façon à former un « T » évoquant un front et un nez. Les angles latéraux du front sont repliés vers l'arrière afin d'imiter les volumes d'une tête.
Le motif du visage revient fréquemment dans les premiers reliefs de González en cuivre ou en fer repoussé, notamment des représentations très figuratives de têtes de femmes dominées par des courbes douces et des volumes arrondis. Au début des années 1930, le sculpteur adopte toutefois une démarche radicalement différente avec une série de masques métalliques qui appréhendent le visage de manière inédite, sous l'influence de l'art de civilisations non-occidentales, en particulier les masques africains. Ceux-ci sont particulièrement appréciés pour leur simplicité d'exécution et leur charge émotionnelle brute par les cercles d'avant-garde parisiens. Aussi González et ses contemporains s'échinent-ils à transposer cette puissance dépouillée à leurs propres créations, dans l'espoir de renverser les codes de l'art occidental.
Le Front s'inscrit dans ce champ d'expérimentation. Ici, le visage est réduit à une forme élémentaire en « T » dont les angles tranchants et la crête accidentée indiquent tout juste le contour des sourcils, laissant l'imagination du spectateur faire le reste. Cette tête à peine suggérée est rendue plus énigmatique encore par sa position frontale, qui n'est pas sans rappeler la noblesse impassible de la statuaire égyptienne, autre source d'inspiration de González.
Le Front réconcilie modernité et tradition, expressivité et mystère. Malgré son apparente simplicité, cette pièce qui se nourrit d'un riche héritage artistique s'avère à la fois innovante et universelle.
Le Front is composed of two parts: a roughly semi-circular, jagged-edged piece of sheet iron and a perpendicular, rectangular iron element. Both are attached to a vertical iron rod, the semi-circle hanging above and in front of the perpendicular rectangle, forming a T-shape that resembles a forehead and a nose. The lateral angles of the forehead are bent backwards to mimic the volumes of a head.
The face is one of the motifs that appears in González’s early metallic reliefs in repoussé copper or iron. These naturalistic depictions of a woman’s face are dominated by soft curves and rounded volumes. At the beginning of the 1930s, González executes a series of metallic masks which offer innovative interpretations of the face, influenced by the art of non-Western societies, including African masks. These were appreciated by González and his avant-gardist contemporaries in Paris for their perceived simplicity and direct, emotional charge, which they sought to apply to their own creation in hopes of revolutionizing Western art.
Le Front pursues this line of research. The face is reduced to its T-shaped core, whose sharp angles and jagged edges vaguely outline the contours of the eyebrows, but leave the rest to the viewer’s imagination. The enigmatic quality of the work is further accentuated by its frontal presentation, which recalls the noble impassivity of Egyptian sculpture, another influence for González.
Le Front juxtaposes modernity and tradition, expressivity and mystery. In spite of its apparent simplicity, this work drawing from a web of artistic references is both innovative and universal.
Le corps, et notamment le corps féminin, est le motif de prédilection chez Julio González. Travaillé en dessin, peinture ou sculpture, assis ou debout, en entier ou en partie, c’est par le corps que González parvient à révolutionner la sculpture métallique du 20e siècle.
C’est par le corps que ce Barcelonais, artisan-ferronnier de formation, s’initie à la sculpture vers 1910 à Paris. Il façonne des têtes et des visages délicats et expressifs en métal repoussé, et modèle des silhouettes féminines gracieuses. Mais la sculpture était alors secondaire pour González, qui s’installe dans la capitale des arts au tournant du siècle pour devenir peintre.
C’est par le corps que González accepte sa vocation de sculpteur à la fin des années 1920. Ce choix s’affirme par des figures humaines simplifiées, anguleuses, volumétriques, rendues en fer forgé, courbé et découpé, ou alors en papier. En effet, tout en « dessin[ant] dans l’espace » avec le fer, González poursuit le dessin traditionnel. Son processus créateur s’accompagne et se nourrit d’une œuvre graphique importante, qui lui sert de laboratoire de recherches. Il s’agit de dessins préparatoires pour ses sculptures, et des œuvres à part entière.
C’est par le corps — également travaillé de manière fragmentée — que González donne libre cours à ces innovations formelles dans les années 1930, sa période de maturité. Son intégration des procédés avant-gardistes, son savoir-faire de ferronnier, sa vision personnelle indéfectible et sa pratique inédite de la soudure autogène, une technique industrielle inconnue dans le domaine artistique, lui ouvre des possibilités plastiques inouïes pour la sculpture métallique.
C’est par le corps que González réussit à inscrire l’innovation dans la lignée de la tradition artistique. Ces œuvres corporelles de maturité, imbues du hiératisme noble des sculptures archaïques, renouvellent le dialogue entre le vide et le plein, l’explicite et l’implicite, l’abstrait et le figuratif, l’organique et le minéral, l’ancien et le contemporain. Atemporelles et audacieuses, ludiques ou chargées d’un esprit engagé de résistance, le corps et ses synecdoques--mains, pieds, bustes, visages--sont des condensés du génie de Julio González.
The body ‒ especially the female body ‒ was a favourite theme in the work of Julio González. Approached through drawing, painting and sculpture both seated and standing, in part and in whole, it was the body that enabled González to revolutionise 20th-century metal sculpture.
And it was the body that introduced the Barcelona-born master blacksmith to sculpture around 1910 in Paris. He crafted delicate, expressive heads and faces in wrought metal and formed graceful feminine silhouettes. But sculpture was a secondary interest for González, who had settled in the art capital at the turn of the century to become a painter.
It was the body that helped González accept his calling as a sculptor in the late 1920s. He asserted his choice with simplified human figures that were angular and dimensional, rendered in curved and cut wrought iron or in paper. Indeed, as he continued to “draw in space” with iron, González pursued classic drawing. His creative process was nourished and supported by an important body of graphic work which he used like a research laboratory. The drawings included both preparatory sketches for his sculptures and fully fledged works of art.
It was the body ‒ also worked in a fragmented manner ‒ that gave González free rein to explore these formal innovations in the 1930s, his period of artistic maturity. His incorporation of avant-garde processes, his blacksmithing expertise, his faultless personal vision and his unprecedented practice of autogenous welding, an industrial technique that was foreign to the art world, opened the doors to extraordinary plastic possibilities for metal sculpture.
It was the body that González used to make this innovation a part of the artistic tradition. These mature corporeal works, steeped in the noble religious formality of archaic sculptures, revive the dialogue between empty and full, explicit and implicit, abstract and figurative, organic and mineral, ancient and contemporary. Timeless and bold, playful or charged with a committed spirit of resistance, the body and its synecdoches ‒ hands, feet, busts, faces ‒ are distillations of the genius of Julio González.
Le Front est composé de deux parties distinctes : une plaque de tôle aux bords irréguliers qui forme un vague demi-cercle et un élément rectangulaire en fer qui dessine un angle droit. Elles sont toutes deux attachées à une tige de fer verticale, en haut de laquelle est suspendu le demi-cercle qui vient plonger devant le rectangle perpendiculaire, de façon à former un « T » évoquant un front et un nez. Les angles latéraux du front sont repliés vers l'arrière afin d'imiter les volumes d'une tête.
Le motif du visage revient fréquemment dans les premiers reliefs de González en cuivre ou en fer repoussé, notamment des représentations très figuratives de têtes de femmes dominées par des courbes douces et des volumes arrondis. Au début des années 1930, le sculpteur adopte toutefois une démarche radicalement différente avec une série de masques métalliques qui appréhendent le visage de manière inédite, sous l'influence de l'art de civilisations non-occidentales, en particulier les masques africains. Ceux-ci sont particulièrement appréciés pour leur simplicité d'exécution et leur charge émotionnelle brute par les cercles d'avant-garde parisiens. Aussi González et ses contemporains s'échinent-ils à transposer cette puissance dépouillée à leurs propres créations, dans l'espoir de renverser les codes de l'art occidental.
Le Front s'inscrit dans ce champ d'expérimentation. Ici, le visage est réduit à une forme élémentaire en « T » dont les angles tranchants et la crête accidentée indiquent tout juste le contour des sourcils, laissant l'imagination du spectateur faire le reste. Cette tête à peine suggérée est rendue plus énigmatique encore par sa position frontale, qui n'est pas sans rappeler la noblesse impassible de la statuaire égyptienne, autre source d'inspiration de González.
Le Front réconcilie modernité et tradition, expressivité et mystère. Malgré son apparente simplicité, cette pièce qui se nourrit d'un riche héritage artistique s'avère à la fois innovante et universelle.
Le Front is composed of two parts: a roughly semi-circular, jagged-edged piece of sheet iron and a perpendicular, rectangular iron element. Both are attached to a vertical iron rod, the semi-circle hanging above and in front of the perpendicular rectangle, forming a T-shape that resembles a forehead and a nose. The lateral angles of the forehead are bent backwards to mimic the volumes of a head.
The face is one of the motifs that appears in González’s early metallic reliefs in repoussé copper or iron. These naturalistic depictions of a woman’s face are dominated by soft curves and rounded volumes. At the beginning of the 1930s, González executes a series of metallic masks which offer innovative interpretations of the face, influenced by the art of non-Western societies, including African masks. These were appreciated by González and his avant-gardist contemporaries in Paris for their perceived simplicity and direct, emotional charge, which they sought to apply to their own creation in hopes of revolutionizing Western art.
Le Front pursues this line of research. The face is reduced to its T-shaped core, whose sharp angles and jagged edges vaguely outline the contours of the eyebrows, but leave the rest to the viewer’s imagination. The enigmatic quality of the work is further accentuated by its frontal presentation, which recalls the noble impassivity of Egyptian sculpture, another influence for González.
Le Front juxtaposes modernity and tradition, expressivity and mystery. In spite of its apparent simplicity, this work drawing from a web of artistic references is both innovative and universal.