Lot Essay
« [Lam] convertit la création de monstres en celle d’archétypes graciles dominés par la jungle perdue et le lointain bambou céleste. Des déesses-mères […], aux seins pointus et aux visages d’une sereine cruauté, gardent la sensualité et la sveltesse d’un Greco opaque et africain. Des plages de couleurs étirées, marrons, ocres et blancs lumineux, recouvrent avec une paisible liberté de précises structures, en construisant des accouplements réels et des conjonctions imaginées. Une sécheresse baroque et résonnante, née de la canne à sucre et de l’ombre yoruba, autant que du destin où elle s’est alimentée, traverse l’histoire pour retrouver la clef du primitif. » - Antonio Saura
La vie de Wifredo Lam est celle d’un insatiable voyageur, dont l’œuvre n’aura cessé de se nourrir de ces déplacements successifs. Né à Cuba d’une mère d’ascendance africaine et espagnole et d’un père chinois, Lam émigre à Madrid dans les années 1920 pour y parfaire son éducation artistique. Il fréquente alors l’avant-garde espagnole et arpente les salles du Prado, où il admire les œuvres de Goya, du Greco ou de Velásquez. Quand Franco s’installe au pouvoir en 1938, l’artiste part pour Paris et rencontre Picasso qui l’introduit au cercle des artistes, intellectuels et marchands installés dans la capitale : Pierre Loeb, qui deviendra son marchand, Michel Leiris, qui l’initie à ce qu’alors on appelle l’art nègre, mais aussi Braque, Breton, Eluard, Léger, Miró ou Tzara. La Seconde Guerre mondiale interrompt brusquement cette période fertile et Lam est contraint à un exil outre-Atlantique. Il rejoint en 1941 l’île qui l’a vu naître, Cuba.
Ces retrouvailles ont quelque chose de douloureux : "tout le drame colonial de ma jeunesse revivait en moi", écrit-il alors. Là-bas, il redécouvre les rites ancestraux, notamment le vaudou et le spiritisme de la santería. L'artiste retrouve en effet dans ces pratiques anciennes des ressorts identiques à ceux mobilisés par le surréalisme européen : même rapport à l'irrationnel, même recours à une forme d'inconscient et d'automatisme. Lam perçoit dès lors l'usage qu'il peut faire du surréalisme pour renouer avec ses origines métisses : les formes hallucinatoires qui surgissent désormais sur ses toiles sont autant de résurgences de ces mythes lointains, et de voiles levés sur une identité enfouie, retrouvée grâce à la peinture.
Horizons chauds donne précisément à voir le mystère et l’envoûtement singuliers à l’œuvre dans les toiles de Wifredo Lam. Dans une palette exubérante et tropicale, où alternent les verts emplis de sève et vénéneux, les rouges orangés et les bruns chauds comme ceux des bois exotiques, se déploie une forêt de fétiches alignés, étirant leurs formes aussi aiguës que voluptueuses, mi-humaines, mi-animales. Il y a dans cette succession de présences sculpturales comme l’évocation d’un temps immémorial, à la lisière de la mémoire et du fantasme. « Témoignage unique et frémissant toujours comme s’il était pesé aux balances des feuilles, envol d’aigrettes au front de l’étang où s’élabore le mythe d’aujourd’hui, l’art de Wifredo Lam fuse de ce point où la source vitale mire l’arbre-mystère, je veux dire l’âme persévérante de la race, pour arroser d’étoiles le DEVENIR qui doit être le mieux-être humain » (A. Breton, « Le Surréalisme et la peinture », 1965).
“[Lam] converts the creation of monsters into graceful archetypes dominated by the lost jungle and the distant heavenly bamboo. Mother goddesses [...], with pointed breasts and faces of serene cruelty, retain the sensuality and slenderness of an opaque, African Greco. Stretched colour patches, browns, ochres and luminous whites, cover precise structures with a peaceful freedom, constructing real couplings and imagined conjunctions. A baroque and resonant dryness, born of the sugar cane and the Yoruba shadow, as much as of the destiny where it was fed, crosses history to find the primitive key.”- Antonio Saura
Wifredo Lam's life is that of an insatiable traveller, whose work was constantly nourished by his successive journeys. Born in Cuba to a mother of African and Spanish descent and a Chinese father, Lam emigrated to Madrid in the 1920s to further his artistic education. He frequented the Spanish avant-garde and the galleries of the Prado, where he admired the works of Goya, El Greco and Velásquez. When Franco came to power in 1938, the artist left for Paris and met Picasso, who introduced him to the circle of artists, intellectuals and art merchants living in the capital: Pierre Loeb, who was to become his dealer, Michel Leiris, who introduced him to what was then known as Negro art, but also Braque, Breton, Eluard, Léger, Miró and Tzara. The Second World War abruptly interrupted this fertile period and Lam was forced into exile across the Atlantic. In 1941 he returned to the island where he was born, Cuba.
This reunion was somewhat painful: “The whole colonial drama of my youth came alive in me,” he wrote. Over there, he rediscovered ancestral rites, particularly voodoo and the spiritism of the santería. The artist found in these ancient practices the same sources of inspiration as those mobilised by European surrealism: the same relationship to the irrational, the same recourse to a form of the unconscious and automatism. Lam therefore perceived the use that he could make of surrealism to reconnect with his Métis origins: the hallucinatory forms that now appeared on his canvases are so many resurgences of these distant myths, and veils lifted over a buried identity, rediscovered thanks to painting.
Hot Horizons reveals the singular mystery and enchantment at work in Wifredo Lam's paintings. In an exuberant and tropical palette, where sap-filled and poisonous greens alternate with orangey reds and warm browns like those of exotic woods, a forest of fetishes unfolds in a row, stretching out their forms that are as sharp as they are voluptuous—half human, half animal. In this succession of sculptural presences, there is an evocation of an immemorial time, on the edge of memory and fantasy. “A unique testimony, always quivering as if weighed on the scales of the leaves, a flight of egret birds at the front of the pond where the myth of today is elaborated, Wifredo Lam's art bursts forth from this point where the vital source shines on the mystery tree, I mean the persevering soul of the race, to sprinkle with stars the BECOMING that must be the betterment of mankind.” (A. Breton, "Surrealism and Painting", 1965).
La vie de Wifredo Lam est celle d’un insatiable voyageur, dont l’œuvre n’aura cessé de se nourrir de ces déplacements successifs. Né à Cuba d’une mère d’ascendance africaine et espagnole et d’un père chinois, Lam émigre à Madrid dans les années 1920 pour y parfaire son éducation artistique. Il fréquente alors l’avant-garde espagnole et arpente les salles du Prado, où il admire les œuvres de Goya, du Greco ou de Velásquez. Quand Franco s’installe au pouvoir en 1938, l’artiste part pour Paris et rencontre Picasso qui l’introduit au cercle des artistes, intellectuels et marchands installés dans la capitale : Pierre Loeb, qui deviendra son marchand, Michel Leiris, qui l’initie à ce qu’alors on appelle l’art nègre, mais aussi Braque, Breton, Eluard, Léger, Miró ou Tzara. La Seconde Guerre mondiale interrompt brusquement cette période fertile et Lam est contraint à un exil outre-Atlantique. Il rejoint en 1941 l’île qui l’a vu naître, Cuba.
Ces retrouvailles ont quelque chose de douloureux : "tout le drame colonial de ma jeunesse revivait en moi", écrit-il alors. Là-bas, il redécouvre les rites ancestraux, notamment le vaudou et le spiritisme de la santería. L'artiste retrouve en effet dans ces pratiques anciennes des ressorts identiques à ceux mobilisés par le surréalisme européen : même rapport à l'irrationnel, même recours à une forme d'inconscient et d'automatisme. Lam perçoit dès lors l'usage qu'il peut faire du surréalisme pour renouer avec ses origines métisses : les formes hallucinatoires qui surgissent désormais sur ses toiles sont autant de résurgences de ces mythes lointains, et de voiles levés sur une identité enfouie, retrouvée grâce à la peinture.
Horizons chauds donne précisément à voir le mystère et l’envoûtement singuliers à l’œuvre dans les toiles de Wifredo Lam. Dans une palette exubérante et tropicale, où alternent les verts emplis de sève et vénéneux, les rouges orangés et les bruns chauds comme ceux des bois exotiques, se déploie une forêt de fétiches alignés, étirant leurs formes aussi aiguës que voluptueuses, mi-humaines, mi-animales. Il y a dans cette succession de présences sculpturales comme l’évocation d’un temps immémorial, à la lisière de la mémoire et du fantasme. « Témoignage unique et frémissant toujours comme s’il était pesé aux balances des feuilles, envol d’aigrettes au front de l’étang où s’élabore le mythe d’aujourd’hui, l’art de Wifredo Lam fuse de ce point où la source vitale mire l’arbre-mystère, je veux dire l’âme persévérante de la race, pour arroser d’étoiles le DEVENIR qui doit être le mieux-être humain » (A. Breton, « Le Surréalisme et la peinture », 1965).
“[Lam] converts the creation of monsters into graceful archetypes dominated by the lost jungle and the distant heavenly bamboo. Mother goddesses [...], with pointed breasts and faces of serene cruelty, retain the sensuality and slenderness of an opaque, African Greco. Stretched colour patches, browns, ochres and luminous whites, cover precise structures with a peaceful freedom, constructing real couplings and imagined conjunctions. A baroque and resonant dryness, born of the sugar cane and the Yoruba shadow, as much as of the destiny where it was fed, crosses history to find the primitive key.”- Antonio Saura
Wifredo Lam's life is that of an insatiable traveller, whose work was constantly nourished by his successive journeys. Born in Cuba to a mother of African and Spanish descent and a Chinese father, Lam emigrated to Madrid in the 1920s to further his artistic education. He frequented the Spanish avant-garde and the galleries of the Prado, where he admired the works of Goya, El Greco and Velásquez. When Franco came to power in 1938, the artist left for Paris and met Picasso, who introduced him to the circle of artists, intellectuals and art merchants living in the capital: Pierre Loeb, who was to become his dealer, Michel Leiris, who introduced him to what was then known as Negro art, but also Braque, Breton, Eluard, Léger, Miró and Tzara. The Second World War abruptly interrupted this fertile period and Lam was forced into exile across the Atlantic. In 1941 he returned to the island where he was born, Cuba.
This reunion was somewhat painful: “The whole colonial drama of my youth came alive in me,” he wrote. Over there, he rediscovered ancestral rites, particularly voodoo and the spiritism of the santería. The artist found in these ancient practices the same sources of inspiration as those mobilised by European surrealism: the same relationship to the irrational, the same recourse to a form of the unconscious and automatism. Lam therefore perceived the use that he could make of surrealism to reconnect with his Métis origins: the hallucinatory forms that now appeared on his canvases are so many resurgences of these distant myths, and veils lifted over a buried identity, rediscovered thanks to painting.
Hot Horizons reveals the singular mystery and enchantment at work in Wifredo Lam's paintings. In an exuberant and tropical palette, where sap-filled and poisonous greens alternate with orangey reds and warm browns like those of exotic woods, a forest of fetishes unfolds in a row, stretching out their forms that are as sharp as they are voluptuous—half human, half animal. In this succession of sculptural presences, there is an evocation of an immemorial time, on the edge of memory and fantasy. “A unique testimony, always quivering as if weighed on the scales of the leaves, a flight of egret birds at the front of the pond where the myth of today is elaborated, Wifredo Lam's art bursts forth from this point where the vital source shines on the mystery tree, I mean the persevering soul of the race, to sprinkle with stars the BECOMING that must be the betterment of mankind.” (A. Breton, "Surrealism and Painting", 1965).