Lot Essay
« [Schifano] appliquait ses couleurs sur la toile sans se soucier de leur uniformité ou de leur précision, en conservant même les coulures, les touches gestuelles et les traces de saleté, pour bien montrer qu'il s'agissait dans tous les cas de peinture […] Il était comme Rothko, aussi : il contrecarrait la contemplation avec du vitalisme, et la quête de pureté avec une soif imprévisible et insatiable d'expérimentation ». - Luca Beatrice
"[Schifano] lay his colour on the canvas without worrying about uniformity and precision, even maintaining drippings, gestural expression and traces of dirt to point out that this was in any case painting … He was like Rothko too: he countered contemplation with vitalism, and the achievement of purity with the anxiety of erratic and restless experimentation." - Luca Beatrice
La Stanza dei disegni (La Salle des dessins) est un remarquable « monochrome » quadrillé de Mario Schifano, enfant terrible de l'art italien d'après-guerre. Après leur arrivée tonitruante sur la scène artistique romaine au début des années 1960, ses Monocromi attirent très vite l'attention des acteurs les plus influents du monde de l'art, parmi lesquels Ileana Sonnabend, Leo Castelli et Sidney Janis. Pour réaliser La Stanza dei disegni, Schifano a appliqué de la peinture laquée noire, rouge et blanche sur du papier kraft étendu sur une toile. Résultat : une surface en triptyque où les coulures de pigments et les coups de pinceaux très expressifs, et d'une opacité variée, créent des textures versatiles et reluisantes. Cette œuvre voit le jour en 1962, année où Schifano est invité à participer à l'International Exhibition of the New Realists à la Sidney Janis Gallery, à New York. Son travail y est exposé aux côtés d'œuvres d'Andy Warhol, Roy Lichtenstein et, entre autres, Claes Oldenburg : l'esthétique de l'Italien est alors perçue comme un pont entre le Pop Art américain et les mouvements européens de la même veine. La Stanza dei disegni a appartené à l’avance à Gian Enzo Sperone, l'éminent marchand d'art qui avait révélé les œuvres du jeune Schifano à Rome, dans sa galerie éponyme.
Né en Libye en 1934, Schifano s'installe en Italie avec sa famille au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Après un stage au Musée national étrusque de la villa Giulia où il assiste son père, archéologue, il se tourne bientôt vers les arts plastiques. S'il produit ses premiers tableaux sous l'influence de l'Art Informel, en 1960, sa trajectoire a déjà négocié un virage radical. Schifano est alors l'une des figures de proue de la Scuola di Piazza del Popolo, mouvement d'art aux contours indéfini qui vient d'éclore à Rome. Inspirés par les changements précipités que connaît alors la culture visuelle italienne, les artistes du groupe puisent leur inspiration dans les rues de Rome, et tout particulièrement leurs panneaux publicitaires. Tant par leur format que par leurs textures, les Monocromi offrent une réplique artistique à un nouveau langage commercial, dérivé de l'afflux soudain de culture pop occidentale dans l'Italie d'après-guerre.
En adoptant des supports volontairement prosaïques et des matériaux quelconques de la vie quotidienne, ils subvertissent aussi avec ironie une certaine branche de l'art abstrait, et notamment toute la mystique autour des monochromes d'artistes comme Yves Klein ou Piero Manzoni. En ce sens, les Monocromi rejettent pratiquement tout ce que leur époque représente, tout en étant le pur produit de leur temps. En 1964, le critique d'art Brian O'Doherty écrit d'ailleurs dans le New York Times que Schifano est « un artiste tellement doué qu'il peut prendre son talent à la légère », et porter sur ses épaules « tout le fardeau de l'histoire de l'art et du monde moderne... comme si de rien n'était » (B. O’Doherty, « Art: New Shows in Uptown Galleries; Mario Schifano Work at Galleria Odyssia », New York Times, 18 avril 1964).
Au cours des années 1960, l'art de Schifano devient plus politique, plus explicite, et sa fascination pour la culture populaire ne fait que s'intensifier. Les Monocromi révèlent les tous premiers ressorts de cette approche renouvelée : notamment le désir de lier l'art à la vie ordinaire. Bien qu'elles ne soient pas figuratives, ces œuvres évoquent bien, par leurs matériaux et leur technique (les couches de peinture industrielle étalées sur du papier kraft) les arrivages de produits de consommation, les nouvelles enseignes et les panneaux publicitaires que Schifano voit alors envahir les rues de Rome. Les trois cadres aux coins arrondis qui apparaissent ici rappellent en outre un écran, ou le viseur d'un appareil photo. Le peintre était en effet fasciné par le langage de la photographie et de la télévision : un Rolleifex qu'il avait emprunté à son collège Giuseppe Uncini avait d'ailleurs eu un grand impact sur les débuts de sa pratique artistique. En employant de la peinture laquée dans ses Monocromi, Schifano parvient à obtenir, du reste, des surfaces brillantes et nuancées qui, comme l'écran d'une télévision, refêtent et engloutissent le monde alentour. L'artiste explique lui-même qu'il a « voulu travailler avec des images que tout le monde connaît ou que tout le monde a connues, les développer et en faire ressortir l'essence, les fondements, les qualités premières. Regarder est le premier pas, ensuite encore faut-il s'attarder » (M. Schifano quoted in ‘Mario Schifano 1960-1967, Luxembourg & Dayan, London’, Aesthetica, 8 août 2014).
La Stanza dei disegni (The Drawing Room) is a striking gridded monochrome from Mario Schifano, the enfant terrible of post-war Italian art. Bursting onto the scene in early-1960s Rome, his Monocromi (monochromes) quickly attracted international attention from the art world’s most formidable players including Ileana Sonnabend, Leo Castelli, and Sidney Janis. To create La Stanza dei disegni, Schifano applied black, red, and white enamel paint to parcel paper laid down on canvas, resulting in a triptych-like surface of variable opacity in which drips of pigment and gestural brushwork create shifting, gleaming textures. The work was painted in 1962, contemporaneous to Schifano’s inclusion in the landmark exhibition International Exhibition of the New Realists at Sidney Janis Gallery in New York where his work was shown alongside that of Andy Warhol, Roy Lichtenstein, and Claes Oldenburg, among others; Schifano was seen as a bridge between American Pop and adjacent European movements. La Stanza dei disegni was previously in the collection of Gian Enzo Sperone, the acclaimed dealer who showed the young artist’s work at his Galleria Gian Enzo Sperone in Rome.
Born in 1934 in Libya, Schifano and his family moved to Italy shortly after the end of the Second World War. There, Schifano began an apprenticeship at the National Etruscan Museum of Villa Giulia where he assisted his father, who was an archaeologist, before pivoting to explore the visual arts. If Schifano’s earliest canvases owed a debt to Art Informel, by 1960, his practice had taken a dramatic turn. He was, by then, a leading member of the Scuola di Piazza del Popolo, a loose artistic movement that had emerged in Rome. Influenced by Italy’s rapidly changing visual culture, these artists looked to the city’s streets for inspiration and, in particular, their advertisements. In both scale and materiality, the Monocromi offered a painterly response to a new commercial language informed by the influx of Western pop culture in post-war Italy. With their raw, insistently everyday media, they also wryly subverted the mystical ideas that surrounded the monochromes of such artists as Yves Klein and Piero Manzoni. The Monocromi, as such, are both timestamps of the era and a rejection of much that it represented. As art critic Brian O’Doherty wrote in a 1964 review for the New York Times, Schifano was ‘an artist so gifted as to be totally casual with his own talents’ who took on ‘the burdens of art history and the modern world…with fluent ease" (B. O’Doherty, ‘Art: New Shows in Uptown Galleries; Mario Schifano Work at Galleria Odyssia’, New York Times, 18 April 1964).
Over the course of the 1960s, Schifano became politically outspoken and his fascination with vernacular material only grew. Certainly, the Monocromi reveal these nascent threads, especially his desire to connect art to everyday life. While they are not figurative, in substance and technique—layering industrial paint onto brown parcel paper—they echo the shipped goods, signs and billboards that Schifano saw lining Rome’s streets. The round-edged, rectangular framing edges seen in the present work also recall the aperture of a camera viewfinder: Schifano was fascinated by the languages of photography and television, and a Rolleiflex camera borrowed from his colleague Giuseppe Uncini had a great impact on his early practice. In using enamel paint in the Monocromi, moreover, Schifano was able to produce rich, variegated surfaces that, like a television screen, reflect and consume their surrounding environs. As the artist himself explained, ‘I have tried to work with images that everyone sees or has seen, developing and making their essence, their germinal and primary possibilities emerge. Looking is the first action, then there is lingering" (M. Schifano quoted in ‘Mario Schifano 1960-1967, Luxembourg & Dayan, London’, Aesthetica, 8th August 2014).
"[Schifano] lay his colour on the canvas without worrying about uniformity and precision, even maintaining drippings, gestural expression and traces of dirt to point out that this was in any case painting … He was like Rothko too: he countered contemplation with vitalism, and the achievement of purity with the anxiety of erratic and restless experimentation." - Luca Beatrice
La Stanza dei disegni (La Salle des dessins) est un remarquable « monochrome » quadrillé de Mario Schifano, enfant terrible de l'art italien d'après-guerre. Après leur arrivée tonitruante sur la scène artistique romaine au début des années 1960, ses Monocromi attirent très vite l'attention des acteurs les plus influents du monde de l'art, parmi lesquels Ileana Sonnabend, Leo Castelli et Sidney Janis. Pour réaliser La Stanza dei disegni, Schifano a appliqué de la peinture laquée noire, rouge et blanche sur du papier kraft étendu sur une toile. Résultat : une surface en triptyque où les coulures de pigments et les coups de pinceaux très expressifs, et d'une opacité variée, créent des textures versatiles et reluisantes. Cette œuvre voit le jour en 1962, année où Schifano est invité à participer à l'International Exhibition of the New Realists à la Sidney Janis Gallery, à New York. Son travail y est exposé aux côtés d'œuvres d'Andy Warhol, Roy Lichtenstein et, entre autres, Claes Oldenburg : l'esthétique de l'Italien est alors perçue comme un pont entre le Pop Art américain et les mouvements européens de la même veine. La Stanza dei disegni a appartené à l’avance à Gian Enzo Sperone, l'éminent marchand d'art qui avait révélé les œuvres du jeune Schifano à Rome, dans sa galerie éponyme.
Né en Libye en 1934, Schifano s'installe en Italie avec sa famille au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Après un stage au Musée national étrusque de la villa Giulia où il assiste son père, archéologue, il se tourne bientôt vers les arts plastiques. S'il produit ses premiers tableaux sous l'influence de l'Art Informel, en 1960, sa trajectoire a déjà négocié un virage radical. Schifano est alors l'une des figures de proue de la Scuola di Piazza del Popolo, mouvement d'art aux contours indéfini qui vient d'éclore à Rome. Inspirés par les changements précipités que connaît alors la culture visuelle italienne, les artistes du groupe puisent leur inspiration dans les rues de Rome, et tout particulièrement leurs panneaux publicitaires. Tant par leur format que par leurs textures, les Monocromi offrent une réplique artistique à un nouveau langage commercial, dérivé de l'afflux soudain de culture pop occidentale dans l'Italie d'après-guerre.
En adoptant des supports volontairement prosaïques et des matériaux quelconques de la vie quotidienne, ils subvertissent aussi avec ironie une certaine branche de l'art abstrait, et notamment toute la mystique autour des monochromes d'artistes comme Yves Klein ou Piero Manzoni. En ce sens, les Monocromi rejettent pratiquement tout ce que leur époque représente, tout en étant le pur produit de leur temps. En 1964, le critique d'art Brian O'Doherty écrit d'ailleurs dans le New York Times que Schifano est « un artiste tellement doué qu'il peut prendre son talent à la légère », et porter sur ses épaules « tout le fardeau de l'histoire de l'art et du monde moderne... comme si de rien n'était » (B. O’Doherty, « Art: New Shows in Uptown Galleries; Mario Schifano Work at Galleria Odyssia », New York Times, 18 avril 1964).
Au cours des années 1960, l'art de Schifano devient plus politique, plus explicite, et sa fascination pour la culture populaire ne fait que s'intensifier. Les Monocromi révèlent les tous premiers ressorts de cette approche renouvelée : notamment le désir de lier l'art à la vie ordinaire. Bien qu'elles ne soient pas figuratives, ces œuvres évoquent bien, par leurs matériaux et leur technique (les couches de peinture industrielle étalées sur du papier kraft) les arrivages de produits de consommation, les nouvelles enseignes et les panneaux publicitaires que Schifano voit alors envahir les rues de Rome. Les trois cadres aux coins arrondis qui apparaissent ici rappellent en outre un écran, ou le viseur d'un appareil photo. Le peintre était en effet fasciné par le langage de la photographie et de la télévision : un Rolleifex qu'il avait emprunté à son collège Giuseppe Uncini avait d'ailleurs eu un grand impact sur les débuts de sa pratique artistique. En employant de la peinture laquée dans ses Monocromi, Schifano parvient à obtenir, du reste, des surfaces brillantes et nuancées qui, comme l'écran d'une télévision, refêtent et engloutissent le monde alentour. L'artiste explique lui-même qu'il a « voulu travailler avec des images que tout le monde connaît ou que tout le monde a connues, les développer et en faire ressortir l'essence, les fondements, les qualités premières. Regarder est le premier pas, ensuite encore faut-il s'attarder » (M. Schifano quoted in ‘Mario Schifano 1960-1967, Luxembourg & Dayan, London’, Aesthetica, 8 août 2014).
La Stanza dei disegni (The Drawing Room) is a striking gridded monochrome from Mario Schifano, the enfant terrible of post-war Italian art. Bursting onto the scene in early-1960s Rome, his Monocromi (monochromes) quickly attracted international attention from the art world’s most formidable players including Ileana Sonnabend, Leo Castelli, and Sidney Janis. To create La Stanza dei disegni, Schifano applied black, red, and white enamel paint to parcel paper laid down on canvas, resulting in a triptych-like surface of variable opacity in which drips of pigment and gestural brushwork create shifting, gleaming textures. The work was painted in 1962, contemporaneous to Schifano’s inclusion in the landmark exhibition International Exhibition of the New Realists at Sidney Janis Gallery in New York where his work was shown alongside that of Andy Warhol, Roy Lichtenstein, and Claes Oldenburg, among others; Schifano was seen as a bridge between American Pop and adjacent European movements. La Stanza dei disegni was previously in the collection of Gian Enzo Sperone, the acclaimed dealer who showed the young artist’s work at his Galleria Gian Enzo Sperone in Rome.
Born in 1934 in Libya, Schifano and his family moved to Italy shortly after the end of the Second World War. There, Schifano began an apprenticeship at the National Etruscan Museum of Villa Giulia where he assisted his father, who was an archaeologist, before pivoting to explore the visual arts. If Schifano’s earliest canvases owed a debt to Art Informel, by 1960, his practice had taken a dramatic turn. He was, by then, a leading member of the Scuola di Piazza del Popolo, a loose artistic movement that had emerged in Rome. Influenced by Italy’s rapidly changing visual culture, these artists looked to the city’s streets for inspiration and, in particular, their advertisements. In both scale and materiality, the Monocromi offered a painterly response to a new commercial language informed by the influx of Western pop culture in post-war Italy. With their raw, insistently everyday media, they also wryly subverted the mystical ideas that surrounded the monochromes of such artists as Yves Klein and Piero Manzoni. The Monocromi, as such, are both timestamps of the era and a rejection of much that it represented. As art critic Brian O’Doherty wrote in a 1964 review for the New York Times, Schifano was ‘an artist so gifted as to be totally casual with his own talents’ who took on ‘the burdens of art history and the modern world…with fluent ease" (B. O’Doherty, ‘Art: New Shows in Uptown Galleries; Mario Schifano Work at Galleria Odyssia’, New York Times, 18 April 1964).
Over the course of the 1960s, Schifano became politically outspoken and his fascination with vernacular material only grew. Certainly, the Monocromi reveal these nascent threads, especially his desire to connect art to everyday life. While they are not figurative, in substance and technique—layering industrial paint onto brown parcel paper—they echo the shipped goods, signs and billboards that Schifano saw lining Rome’s streets. The round-edged, rectangular framing edges seen in the present work also recall the aperture of a camera viewfinder: Schifano was fascinated by the languages of photography and television, and a Rolleiflex camera borrowed from his colleague Giuseppe Uncini had a great impact on his early practice. In using enamel paint in the Monocromi, moreover, Schifano was able to produce rich, variegated surfaces that, like a television screen, reflect and consume their surrounding environs. As the artist himself explained, ‘I have tried to work with images that everyone sees or has seen, developing and making their essence, their germinal and primary possibilities emerge. Looking is the first action, then there is lingering" (M. Schifano quoted in ‘Mario Schifano 1960-1967, Luxembourg & Dayan, London’, Aesthetica, 8th August 2014).