Lot Essay
Précédemment abritée par la collection Ileana Sonnabend, Sans titre de 1968-1969 est une oeuvre séminale de Giovanni Anselmo, réalisée à l'apogée de sa période arte povera. En son temps, l'artiste avait choisi de la présenter dans deux des expositions les plus importantes de sa jeunesse : sa première exposition personnelle à la galerie parisienne d'Ileana Sonnabend en 1969, et le grand group show qui bouleversa le monde de l'art cette année-là, When Attitudes Become Form - Live in Your Head, organisé par Harald Szeemann à la Kunsthalle de Berne.
Désormais historique, cette exposition collective rassemble pour la première fois les représentants principaux de l'art européen et américain de la génération de 1968. En plus de cette pièce-ci, Anselmo y dévoile une autre oeuvre conçue en 1968, également sans titre. Cette seconde création est constituée de bandes de coton. Celles-ci ont été trempées dans de l'eau afin de résister aux lois de la gravité, et rester collées à une vitre que l'artiste a adossée à un mur. Comme celles d'Anselmo, beaucoup de créations réunies à la Kunsthalle à cette occasion – du Fat Corner de Joseph Beuys au Splash Piece de Richard Serra – mettent l'accent sur la notion de l'oeuvre d'art comme processus flexible, fluctuant, et non comme objet fixe. Elles évoquent aussi des idées liées à la fluidité et à la possibilité de transformation, en faisant notamment appel à l'intervention du spectateur.
Dans les deux travaux d'Anselmo, ces concepts se traduisent à travers l'utilisation de l'eau: un élément fluide, indéfinit, mutable, qui forme une partie intégrante de la structure de l'oeuvre. Si l'expression de forces invisibles est l'un des fils rouges de la carrière de l'artiste, ici, la nature liquide et constamment changeante de l'eau est évoquée par des procédés qui rendent visible le phénomène de la condensation. En effet, la construction en coton requiert une humidification régulière afin que les formes se maintiennent en suspens : sans quoi, le coton se dessèche et finit par chuter. Encore plus architecturale, la présente oeuvre est constituée, quant à elle, de six briques placées sur une base en métal galvanisé, enduite de chaux vive et remplie d'eau. Afin de maintenir ouvert son potentiel créatif, elle exige, elle aussi, un approvisionnement régulier en eau. Anselmo explique lui-même que « dans le récipient en métal rempli d'eau, certaines briques sont partiellement immergées dans la chaux vive qui se trouve sous le niveau de l'eau. Quand la chaux vive, un matériau de construction courant, est conservée dans l'eau, elle ne se solidifie pas, et il est donc possible, en déplaçant les briques, de sans cesse modifier les rapports entre les éléments. J'ai donc la possibilité de construire 'une architecture' qui peut être constamment refabriquée, et réagencée selon une disposition différente de la précédente » (Giovanni Anselmo, in "Conversation with Andrea Viliani", Turin, 15 juin 2006, in Giovanni Anselmo, cat. exp., Bologna, 2006, p. 228).
Face au phénomène de la condensation, toutefois, les niveaux d'eau de l'oeuvre doivent être régulièrement rétablis afin d'éviter que la sculpture ne s'assèche et reste à jamais figée dans la chaux. D'apparence minimaliste et conceptuelle, les formes et les matériaux de cette composition ne sont pas sans rappeler les oeuvres tant acclamées d'Américains comme Donald Judd ou Carl André. Or la sculpture géométrique d'Anselmo s'en démarque fondamentalement par sa substance: ici, l'oeuvre est une créature bien vivante, qui doit être assistée ou nourrie par l'observateur afin de préserver son potentiel de mobilité.
Il s'agit, pour reprendre les termes d'Anselmo, d'une oeuvre qui, comme la laitue fraîche qu'il suspendra plus tard entre deux blocs de granite, a besoin d'être « constamment recréée de toutes pièces, [une oeuvre] qui ne peut fonctionner qu'avec notre aide. [Et], cette intervention directe de notre part, la modification incessante de la sculpture de par ses propriétés naturelles,... [son]... besoin d'être maintenue en vie en tant qu'organisme vivant, souligne le processus ainsi que l'aspect cyclique : la répétition, le temps, la distorsion. Une répétitivité en constante mutation. L'oeuvre d'art existe seulement en tant que réalité à condition qu'elle soit bien réelle, et non active de façon active » (Giovanni Anselmo, cité in Giovanni Anselmo, cat. exp., Kunsthalle Basel, 1979, p. 17).
Formerly in the Ileana Sonnabend Collection, Untitled of 1968-1969 is a seminal early work by Giovanni Anselmo from the height of the artist’s arte povera years and one that he chose for two of the most important early exhibitions of his work from this period. These were his first solo show at the Sonnabend Gallery in Paris in 1969 and the pioneering and era-defining group exhibition held at the Kunsthalle, Bern that same year: When Attitudes Become Form - Live in Your Head curated by Harald Szeemann.
At this now legendary group exhibition which represented the first, major coming together of all the leading exponents of the 1968 generation in European and American art, Anselmo presented both this work and another untitled work from 1968. This second work was comprised of strips of cotton soaked in water so that they would resist the pull of gravity and stick to a pane of glass Anselmo had leant against the wall. Like many of the works in this exhibition, from Joseph Beuys’s ‘fat-corners’ to Richard Serra’s Splash Piece, Anselmo’s emphasis was on the idea of the work of art as an open process rather than as a fixed object and on ideas of fluidity and possibilities for change that often involved the interaction of the viewer.
These ideas are reflected in these two works by Anselmo’s use of water as a fluid and open element as essential part of their construction. Much of Anselmo’s work concerns itself with the articulation of invisible forces and here, the fluid and perpetually changing nature of water is invoked by works that made visible the process of condensation. Anselmo’s cotton construction required regular soaking with water in order to keep its forms suspended. If they dried out, they would fall. The present, and even more distinctly architectural, work, with its six bricks standing in a water-filled steel base lined with quicklime also requires a regular supply of water in order to keep its constructive potential open. As Anselmo himself explained, "Some bricks are partially immersed in the quicklime, held beneath the water level that fills a steel container. If quicklime, a commonly used building material, is kept under water, it doesn’t solidify, and so it is possible, shifting the blocks, to continuously change the relationships between them. I have the possibility of constructing “an architecture” that can continuously be remade, and which can assume an arrangement different from its previous one" (Giovanni Anselmo, “In Conversation with Andrea Viliani", Turin, 15th June, 2006 in Giovanni Anselmo, exh cat., Bologna, 2006, p. 228).
Through the process of condensation however, the water levels in this work must be regularly maintained in order to prevent the sculpture from drying out and becoming forever fixed. Minimalist and conceptual in appearance, with forms and materials that echo the work of lauded Americans like Donald Judd and Carl Andre, Anselmo’s own grid sculpture differs from theirs by being a living, breathing creature that must be tended or fed by the observer in order to keep its fluid potential alive.
It is, as Anselmo has said, a work that, like his fresh lettuce suspended between two granite blocks for instance, needs to be "continually created afresh, [one that] can function only with our own assistance. [And], this direct intervention on our part, the continuous change of the sculpture as a natural property… [its]... demand to be kept alive as an organism, underlines the process and also the cyclical character: repetition, time, distortion. Sameness which is constantly changing. The work of art exists as reality only so long as it is real and not fictitiously active" (Giovanni Anselmo, quoted in Giovanni Anselmo, exh cat., Kunsthalle Basel, 1979, p. 17).
Désormais historique, cette exposition collective rassemble pour la première fois les représentants principaux de l'art européen et américain de la génération de 1968. En plus de cette pièce-ci, Anselmo y dévoile une autre oeuvre conçue en 1968, également sans titre. Cette seconde création est constituée de bandes de coton. Celles-ci ont été trempées dans de l'eau afin de résister aux lois de la gravité, et rester collées à une vitre que l'artiste a adossée à un mur. Comme celles d'Anselmo, beaucoup de créations réunies à la Kunsthalle à cette occasion – du Fat Corner de Joseph Beuys au Splash Piece de Richard Serra – mettent l'accent sur la notion de l'oeuvre d'art comme processus flexible, fluctuant, et non comme objet fixe. Elles évoquent aussi des idées liées à la fluidité et à la possibilité de transformation, en faisant notamment appel à l'intervention du spectateur.
Dans les deux travaux d'Anselmo, ces concepts se traduisent à travers l'utilisation de l'eau: un élément fluide, indéfinit, mutable, qui forme une partie intégrante de la structure de l'oeuvre. Si l'expression de forces invisibles est l'un des fils rouges de la carrière de l'artiste, ici, la nature liquide et constamment changeante de l'eau est évoquée par des procédés qui rendent visible le phénomène de la condensation. En effet, la construction en coton requiert une humidification régulière afin que les formes se maintiennent en suspens : sans quoi, le coton se dessèche et finit par chuter. Encore plus architecturale, la présente oeuvre est constituée, quant à elle, de six briques placées sur une base en métal galvanisé, enduite de chaux vive et remplie d'eau. Afin de maintenir ouvert son potentiel créatif, elle exige, elle aussi, un approvisionnement régulier en eau. Anselmo explique lui-même que « dans le récipient en métal rempli d'eau, certaines briques sont partiellement immergées dans la chaux vive qui se trouve sous le niveau de l'eau. Quand la chaux vive, un matériau de construction courant, est conservée dans l'eau, elle ne se solidifie pas, et il est donc possible, en déplaçant les briques, de sans cesse modifier les rapports entre les éléments. J'ai donc la possibilité de construire 'une architecture' qui peut être constamment refabriquée, et réagencée selon une disposition différente de la précédente » (Giovanni Anselmo, in "Conversation with Andrea Viliani", Turin, 15 juin 2006, in Giovanni Anselmo, cat. exp., Bologna, 2006, p. 228).
Face au phénomène de la condensation, toutefois, les niveaux d'eau de l'oeuvre doivent être régulièrement rétablis afin d'éviter que la sculpture ne s'assèche et reste à jamais figée dans la chaux. D'apparence minimaliste et conceptuelle, les formes et les matériaux de cette composition ne sont pas sans rappeler les oeuvres tant acclamées d'Américains comme Donald Judd ou Carl André. Or la sculpture géométrique d'Anselmo s'en démarque fondamentalement par sa substance: ici, l'oeuvre est une créature bien vivante, qui doit être assistée ou nourrie par l'observateur afin de préserver son potentiel de mobilité.
Il s'agit, pour reprendre les termes d'Anselmo, d'une oeuvre qui, comme la laitue fraîche qu'il suspendra plus tard entre deux blocs de granite, a besoin d'être « constamment recréée de toutes pièces, [une oeuvre] qui ne peut fonctionner qu'avec notre aide. [Et], cette intervention directe de notre part, la modification incessante de la sculpture de par ses propriétés naturelles,... [son]... besoin d'être maintenue en vie en tant qu'organisme vivant, souligne le processus ainsi que l'aspect cyclique : la répétition, le temps, la distorsion. Une répétitivité en constante mutation. L'oeuvre d'art existe seulement en tant que réalité à condition qu'elle soit bien réelle, et non active de façon active » (Giovanni Anselmo, cité in Giovanni Anselmo, cat. exp., Kunsthalle Basel, 1979, p. 17).
Formerly in the Ileana Sonnabend Collection, Untitled of 1968-1969 is a seminal early work by Giovanni Anselmo from the height of the artist’s arte povera years and one that he chose for two of the most important early exhibitions of his work from this period. These were his first solo show at the Sonnabend Gallery in Paris in 1969 and the pioneering and era-defining group exhibition held at the Kunsthalle, Bern that same year: When Attitudes Become Form - Live in Your Head curated by Harald Szeemann.
At this now legendary group exhibition which represented the first, major coming together of all the leading exponents of the 1968 generation in European and American art, Anselmo presented both this work and another untitled work from 1968. This second work was comprised of strips of cotton soaked in water so that they would resist the pull of gravity and stick to a pane of glass Anselmo had leant against the wall. Like many of the works in this exhibition, from Joseph Beuys’s ‘fat-corners’ to Richard Serra’s Splash Piece, Anselmo’s emphasis was on the idea of the work of art as an open process rather than as a fixed object and on ideas of fluidity and possibilities for change that often involved the interaction of the viewer.
These ideas are reflected in these two works by Anselmo’s use of water as a fluid and open element as essential part of their construction. Much of Anselmo’s work concerns itself with the articulation of invisible forces and here, the fluid and perpetually changing nature of water is invoked by works that made visible the process of condensation. Anselmo’s cotton construction required regular soaking with water in order to keep its forms suspended. If they dried out, they would fall. The present, and even more distinctly architectural, work, with its six bricks standing in a water-filled steel base lined with quicklime also requires a regular supply of water in order to keep its constructive potential open. As Anselmo himself explained, "Some bricks are partially immersed in the quicklime, held beneath the water level that fills a steel container. If quicklime, a commonly used building material, is kept under water, it doesn’t solidify, and so it is possible, shifting the blocks, to continuously change the relationships between them. I have the possibility of constructing “an architecture” that can continuously be remade, and which can assume an arrangement different from its previous one" (Giovanni Anselmo, “In Conversation with Andrea Viliani", Turin, 15th June, 2006 in Giovanni Anselmo, exh cat., Bologna, 2006, p. 228).
Through the process of condensation however, the water levels in this work must be regularly maintained in order to prevent the sculpture from drying out and becoming forever fixed. Minimalist and conceptual in appearance, with forms and materials that echo the work of lauded Americans like Donald Judd and Carl Andre, Anselmo’s own grid sculpture differs from theirs by being a living, breathing creature that must be tended or fed by the observer in order to keep its fluid potential alive.
It is, as Anselmo has said, a work that, like his fresh lettuce suspended between two granite blocks for instance, needs to be "continually created afresh, [one that] can function only with our own assistance. [And], this direct intervention on our part, the continuous change of the sculpture as a natural property… [its]... demand to be kept alive as an organism, underlines the process and also the cyclical character: repetition, time, distortion. Sameness which is constantly changing. The work of art exists as reality only so long as it is real and not fictitiously active" (Giovanni Anselmo, quoted in Giovanni Anselmo, exh cat., Kunsthalle Basel, 1979, p. 17).