Lot Essay
« Parvenir au noir-même. (...) Nécessité de la lumière pour qu'apparaisse la peinture - non pas uniquement pour que l'on puisse la contempler, mais pour qu'elle existe, qu'elle soit. Alors le tableau se transforme, comme le jardin bouddhiste de Ryôan-ji, en une superficie cosmique de sable peigné, entrecoupé cette fois-ci de faisceaux rectilignes et systématisés qui attrapent la lumière. Annulation de l'espace - et le tableau tout entier devient une aire de nuit noire. » - Antonio Saura
“To reach the quintessence of black. (...) Light is necessary for the painting to appear —not only so that it can be contemplated, but so that it exists, that it is. Thus, the painting is transformed, like the Buddhist garden of Ryôan-ji, into a cosmic surface of combed sand, this time interspersed with rectilinear and systematized beams that catch the light. Cancellation of space —and the entire painting becomes an area of black night.” - Antonio Saura
« J’aime l’autorité du noir, sa gravité, son évidence, sa radicalité. Son puissant pouvoir de contraste donne une présence intense à toutes les couleurs et lorsqu’il illumine les plus obscures, il leur confère une grande sombre. Le noir a des possibilités insoupçonnées et, attentif à ce que j’ignore, je vais à leur rencontre ». - Pierre Soulages
Œuvre à la fois puissante et délicate, Peinture 130 x 92 cm, 9 janvier 1989 donne à voir un exemple emblématique des outrenoirs de Pierre Soulages, décédé le 25 octobre dernier alors qu’il s’apprêtait à fêter ses 103 ans en fin d’année. Ici, la surface est balayée de part en part d’une infinie richesse des fins sillons qui se déploient en diagonale, et qui créent tous ensemble comme un drapé sombre sur la toile. Il y a, dans l’onctuosité épaisse de la peinture à l’huile utilisé par l’artiste, quelque chose de particulièrement sensuel, donnant naissance à une écorce voluptueuse contre laquelle la lumière vient s’accrocher. En fonction de l’endroit d’où elle est regardée et de la façon dont elle est éclairée, l’œuvre révèle alors tantôt des gris anthracites aux reflets brillants, tantôt des noirs profonds et mats.
Voici le spectateur introduit dans ce « champ mental » dont a tant parlé Soulages, ce lieu entre l’œuvre et celui qui la regarde, où le noir n’est plus une couleur, mais une lumière. Car depuis 1979, c’est autant à un travail de peintre que de sculpteur de lumière que s’adonne l’artiste, imprimant à ses toiles une matérialité, des crêtes, des profondeurs et des sillons, qui viennent moduler la lumière, l’accrochant ou la refusant au gré des regards qui s’y projettent. Dès lors, le tableau n’est plus pour Soulages une fenêtre, mais un mur, où le regard n’est plus entraîné derrière l’œuvre, mais retenu à sa surface. « J’ai trouvé ces toiles, d’une certaine façon, hermétiques. On ne rentre pas dedans. Celui qui les regarde y rebondit comme s’il venait toucher un mur », décrit ainsi Catherine Millet (« Pierre Soulages, la peinture au présent », Art Press, février 1980, No. 34, p. 10).
Les influences de Pierre Soulages se situent moins dans les courants qui lui sont contemporains, mais bien davantage aux origines de l’art – celles des réalisations rupestres de la Préhistoire – et aux classiques de la peinture européenne, à l’instar des œuvres au noir de Zurbaran. Et pourtant, l’artiste n’aura cessé de réinventer sa pratique tout au long de ses plus de soixante-dix ans de pratique, dans une recherche constante d’embrasser la modernité, comme il aura été rappelé dans l’éloge funèbre prononcé dans la Cour carrée du Louvre le 2 novembre : « Soulages est un classique ayant choisi le noir comme éditorial de la modernité, il débordait son époque car il avait d’emblée décidé d’habiter l’histoire de la peinture de ses origines les plus lointaines à son avant-garde la plus contemporaine ».
“To reach the quintessence of black. (...) Light is necessary for the painting to appear —not only so that it can be contemplated, but so that it exists, that it is. Thus, the painting is transformed, like the Buddhist garden of Ryôan-ji, into a cosmic surface of combed sand, this time interspersed with rectilinear and systematized beams that catch the light. Cancellation of space —and the entire painting becomes an area of black night.” - Antonio Saura
« J’aime l’autorité du noir, sa gravité, son évidence, sa radicalité. Son puissant pouvoir de contraste donne une présence intense à toutes les couleurs et lorsqu’il illumine les plus obscures, il leur confère une grande sombre. Le noir a des possibilités insoupçonnées et, attentif à ce que j’ignore, je vais à leur rencontre ». - Pierre Soulages
Œuvre à la fois puissante et délicate, Peinture 130 x 92 cm, 9 janvier 1989 donne à voir un exemple emblématique des outrenoirs de Pierre Soulages, décédé le 25 octobre dernier alors qu’il s’apprêtait à fêter ses 103 ans en fin d’année. Ici, la surface est balayée de part en part d’une infinie richesse des fins sillons qui se déploient en diagonale, et qui créent tous ensemble comme un drapé sombre sur la toile. Il y a, dans l’onctuosité épaisse de la peinture à l’huile utilisé par l’artiste, quelque chose de particulièrement sensuel, donnant naissance à une écorce voluptueuse contre laquelle la lumière vient s’accrocher. En fonction de l’endroit d’où elle est regardée et de la façon dont elle est éclairée, l’œuvre révèle alors tantôt des gris anthracites aux reflets brillants, tantôt des noirs profonds et mats.
Voici le spectateur introduit dans ce « champ mental » dont a tant parlé Soulages, ce lieu entre l’œuvre et celui qui la regarde, où le noir n’est plus une couleur, mais une lumière. Car depuis 1979, c’est autant à un travail de peintre que de sculpteur de lumière que s’adonne l’artiste, imprimant à ses toiles une matérialité, des crêtes, des profondeurs et des sillons, qui viennent moduler la lumière, l’accrochant ou la refusant au gré des regards qui s’y projettent. Dès lors, le tableau n’est plus pour Soulages une fenêtre, mais un mur, où le regard n’est plus entraîné derrière l’œuvre, mais retenu à sa surface. « J’ai trouvé ces toiles, d’une certaine façon, hermétiques. On ne rentre pas dedans. Celui qui les regarde y rebondit comme s’il venait toucher un mur », décrit ainsi Catherine Millet (« Pierre Soulages, la peinture au présent », Art Press, février 1980, No. 34, p. 10).
Les influences de Pierre Soulages se situent moins dans les courants qui lui sont contemporains, mais bien davantage aux origines de l’art – celles des réalisations rupestres de la Préhistoire – et aux classiques de la peinture européenne, à l’instar des œuvres au noir de Zurbaran. Et pourtant, l’artiste n’aura cessé de réinventer sa pratique tout au long de ses plus de soixante-dix ans de pratique, dans une recherche constante d’embrasser la modernité, comme il aura été rappelé dans l’éloge funèbre prononcé dans la Cour carrée du Louvre le 2 novembre : « Soulages est un classique ayant choisi le noir comme éditorial de la modernité, il débordait son époque car il avait d’emblée décidé d’habiter l’histoire de la peinture de ses origines les plus lointaines à son avant-garde la plus contemporaine ».