Lot Essay
« Dans les quarante ou cinquante tableaux que j’ai peints entre avril 1950 et février 1951 sous la rubrique “Corps de dames”, il y a lieu de ne pas prendre à la lettre le dessin, toujours outrageusement grossier et négligé, dans lequel est enfermée la figure de femme nue et qui, pris au mot, impliquerait des personnes abominablement obèses et déformées. (…) Mon intention était que ce dessin ne confère à la figure aucune forme définie. (…)Du même ordre sont aussi les très apparentes fautes, que je me sens enclin (trop, sans doute) à laisser dans les tableaux, (…) toutes choses qui doivent probablement paraître insupportables… Mais c’est un malaise que je maintiens volontiers, qu’en effet il rend très présente dans le tableau la main du peintre, il empêche l’objectif de dominer. » - Jean Dubuffet
“In the forty or fifty paintings I produced between April 1950 and February 1951 under the heading “Corps de dames”, one should not take literally the drawing, always outrageously coarse and scruffy, in which the figure of a naked woman is enclosed and if taken literally, would imply abominably obese and deformed persons (...) My intention was that this drawing should not confer any definite shape to the figure. (...) In the same vein, there are also very obvious faults, which I feel inclined (too much, no doubt) to leave in the paintings, (...) all things that most probably seem unbearable... But it is a discomfort that I willingly maintain—indeed it makes the painter's hand very present in the painting— it prevents the objective from dominating.” - Jean Dubuffet
Les Petits Yeux Jaunes appartient à la série des Intermèdes, incluse au début de la série Corps de Dames, l’une des plus connus et des plus emblématiques de Jean Dubuffet. Créés entre avril 1950 et février 1951, certaines œuvres de ces séries sont présentes dans des institutions telles que le Museum of Modern Art de New York, le Philadelphia Museum of Art, la Tate de Londres et la Fondation Beyeler de Bâle. Les Petits Yeux Jaunes quant à lui a été exposé lors de deux rétrospectives consacrées à Jean Dubuffet à Dallas et à Minneapolis en 1966 mais également à Washington en 1993 lors d’une exposition intitulée Jean Dubuffet 1943-1963 : paintings, sculptures, assemblages. Les Petis Yeux Jaunes n’est pas un tableau parmi d’autres dans cette sous-série des Intermèdes. Il est en précisément le dernier, annonciateur des Corps de Dames, qui fera tout autant scandale à l’époque qu’il participera au triomphe de Dubuffet.
Les Corps de Dames ne sont rien sans les Intermèdes. Ces derniers sont un levain qui aiguillent la représentation de ces nouveaux corps. Souvent passés sous silence, à tort très certainement, les Intermèdes ont pourtant polarisé une bonne partie de l’activité du peintre durant les années 1950 et 1951. Et pour cause : au-delà des nus soi-disant scandaleux qu’ils annoncent, les Intermèdes sont au cœur d’un genre de recherche qui depuis toujours a joué un rôle de premier plan dans l'entreprise de Dubuffet. Cette recherche, ou plutôt la prédilection du peintre pour l’expérimentation des matériaux, Les Petits Yeux Jaunes en est le véritable témoin. Grâce à différentes peintures émulsionnées, place au jeu des nouvelles substances et à la naissance des Intermèdes. Le personnage des Paysages grotesques n’a plus de membres, il n’est désormais que visage. Les têtes ainsi créées, dépossédées de tout paysage et de tout corps environnants offrent alors un champ des possibles immense : tout est intériorisé, la pensée éclot puis peut enfin s’exprimer, hallucinante et visionnaire tout en étant consciente et intérieure. Ces énormes têtes, où la plupart n’y verront que la recherche constante des travaux de Dubuffet, atteignent, pour la première fois peut être, le degré d'existence le plus fruste et le plus flamboyant : celui du triomphe de la pensée et de la conscience, expressions mêmes de la nature humaine. Pourquoi s’étonner alors de l’aspect et de la taille de ces visages et de ces têtes ? Cherchant une énergie nécessaire à l’éclat de leur imagination, les Intermèdes s’enracinent profondément dans la matière, ce terreau indispensable afin de les faire rayonner intensément. Par la suite, ce sera en ce terreau que viendront planter racine les Corps de Dames. Mais de façon plus délicate aussi, et plus sinueuse, cherchant des voies d’ancrage multiples dans les veines profondes de ces matériaux. Les Petits Yeux Jaunes, perçants et malicieux, semblent d’ailleurs annoncer cette évolution. Une bouche aussi importante qu’un cou presque trop frêle pour soutenir une si grosse tête et une paire d’yeux étincelants : c’est l’apothéose de ce dernier Intermède, où la vue, la parole et la pensée sont à eux seuls les premiers spectateurs et témoins de ces Corps de Dames qui naîtront bientôt. Avec ironie aussi peut être, comme semblant déjouer d’avance un pseudo-scandale que beaucoup n’auraient pas vu arriver. Œuvre de clôture certes, mais surtout œuvre de passage annonciatrice d’un nouveau commencement, Les Petits Yeux Jaunes ne peut être autrement considéré comme l’expression même et l’affirmation retentissante du génie de Dubuffet.
“In the forty or fifty paintings I produced between April 1950 and February 1951 under the heading “Corps de dames”, one should not take literally the drawing, always outrageously coarse and scruffy, in which the figure of a naked woman is enclosed and if taken literally, would imply abominably obese and deformed persons (...) My intention was that this drawing should not confer any definite shape to the figure. (...) In the same vein, there are also very obvious faults, which I feel inclined (too much, no doubt) to leave in the paintings, (...) all things that most probably seem unbearable... But it is a discomfort that I willingly maintain—indeed it makes the painter's hand very present in the painting— it prevents the objective from dominating.” - Jean Dubuffet
Les Petits Yeux Jaunes appartient à la série des Intermèdes, incluse au début de la série Corps de Dames, l’une des plus connus et des plus emblématiques de Jean Dubuffet. Créés entre avril 1950 et février 1951, certaines œuvres de ces séries sont présentes dans des institutions telles que le Museum of Modern Art de New York, le Philadelphia Museum of Art, la Tate de Londres et la Fondation Beyeler de Bâle. Les Petits Yeux Jaunes quant à lui a été exposé lors de deux rétrospectives consacrées à Jean Dubuffet à Dallas et à Minneapolis en 1966 mais également à Washington en 1993 lors d’une exposition intitulée Jean Dubuffet 1943-1963 : paintings, sculptures, assemblages. Les Petis Yeux Jaunes n’est pas un tableau parmi d’autres dans cette sous-série des Intermèdes. Il est en précisément le dernier, annonciateur des Corps de Dames, qui fera tout autant scandale à l’époque qu’il participera au triomphe de Dubuffet.
Les Corps de Dames ne sont rien sans les Intermèdes. Ces derniers sont un levain qui aiguillent la représentation de ces nouveaux corps. Souvent passés sous silence, à tort très certainement, les Intermèdes ont pourtant polarisé une bonne partie de l’activité du peintre durant les années 1950 et 1951. Et pour cause : au-delà des nus soi-disant scandaleux qu’ils annoncent, les Intermèdes sont au cœur d’un genre de recherche qui depuis toujours a joué un rôle de premier plan dans l'entreprise de Dubuffet. Cette recherche, ou plutôt la prédilection du peintre pour l’expérimentation des matériaux, Les Petits Yeux Jaunes en est le véritable témoin. Grâce à différentes peintures émulsionnées, place au jeu des nouvelles substances et à la naissance des Intermèdes. Le personnage des Paysages grotesques n’a plus de membres, il n’est désormais que visage. Les têtes ainsi créées, dépossédées de tout paysage et de tout corps environnants offrent alors un champ des possibles immense : tout est intériorisé, la pensée éclot puis peut enfin s’exprimer, hallucinante et visionnaire tout en étant consciente et intérieure. Ces énormes têtes, où la plupart n’y verront que la recherche constante des travaux de Dubuffet, atteignent, pour la première fois peut être, le degré d'existence le plus fruste et le plus flamboyant : celui du triomphe de la pensée et de la conscience, expressions mêmes de la nature humaine. Pourquoi s’étonner alors de l’aspect et de la taille de ces visages et de ces têtes ? Cherchant une énergie nécessaire à l’éclat de leur imagination, les Intermèdes s’enracinent profondément dans la matière, ce terreau indispensable afin de les faire rayonner intensément. Par la suite, ce sera en ce terreau que viendront planter racine les Corps de Dames. Mais de façon plus délicate aussi, et plus sinueuse, cherchant des voies d’ancrage multiples dans les veines profondes de ces matériaux. Les Petits Yeux Jaunes, perçants et malicieux, semblent d’ailleurs annoncer cette évolution. Une bouche aussi importante qu’un cou presque trop frêle pour soutenir une si grosse tête et une paire d’yeux étincelants : c’est l’apothéose de ce dernier Intermède, où la vue, la parole et la pensée sont à eux seuls les premiers spectateurs et témoins de ces Corps de Dames qui naîtront bientôt. Avec ironie aussi peut être, comme semblant déjouer d’avance un pseudo-scandale que beaucoup n’auraient pas vu arriver. Œuvre de clôture certes, mais surtout œuvre de passage annonciatrice d’un nouveau commencement, Les Petits Yeux Jaunes ne peut être autrement considéré comme l’expression même et l’affirmation retentissante du génie de Dubuffet.