Lot Essay
Contrairement à des artistes comme Rembrandt, Rubens était un dessinateur extrêmement fonctionnel. Une grande partie de son œuvre dessiné est constitué d’esquisses de composition à la plume, exécutées dans un style quasiment sténographique, et de grandes études élaborées à la craie noire, parfois rehaussées subtilement de blanc. Ces dernières sont des études monumentales de la pose, de l’anatomie ou des draperies des hommes et des femmes qui peuplent les compositions souvent complexes que l’artiste développait pour ses œuvres achevées. Aucun artiste au nord des Alpes avant lui ne semble avoir intégré de telles études à cette échelle dans sa méthode de travail, et peu d’artistes après lui ont égalé leur puissance expressive et la simplicité des moyens avec lesquels il évoquait la vie et le volume dans ces feuilles. ‘Il y a dans ces dessins une merveilleuse concrétude, mais rien de pédestre,’ écrivait Julius Held dans son étude classique sur Rubens en tant que dessinateur ; ‘le véritable secret de leur beauté réside dans le fait que chaque forme semble être animée d’un esprit proportionnel à sa forme majestueuse. [...] ces formes et ces figures ont en commun une dignité intérieure, une grandeur qui tient moins de la taille que de l’allure’ (Rubens. Selected Drawings, Oxford, 1986, p. 30). Admirées et copiées très tôt, les études de figures de Rubens ont été convoitées par les grands collectionneurs du passé et par les institutions publiques, et il n’en reste pratiquement aucune en mains privées. À l’exception notable d’une étude de figure pour le triptyque de l’Érection de de la Croix de la cathédrale d’Anvers (vendue chez Sotheby’s, New York, 30 janvier 2019, lot 15), aucun dessin de ce type n’a été vendu aux enchères depuis plus de vingt ans. L’œuvre proposée ici, publiée à plusieurs reprises mais jamais exposée, est restée dans la famille de l’acheteur qui l’a acquise lors de la vente de la collection d’Herman de Kat en 1867 (voir l’introduction et Provenance).
Il ne fait guère de doute que le dessin a été réalisé en tant qu’étude pour un tableau ou une autre composition achevée, mais aucun lien définitif n’a pu être établi. Il a d’abord été mis en relation avec la Pêche miraculeuse de l’église Notre-Dame-au-delà-de-la-Dyle à Malines, tant sur l’ancien montage du dessin que dans le catalogue de la vente De Kat (pour le tableau, voir K. Bulckens, Rubens. The Ministry of Christ, London et Turnhout, 2017, no 18, fig. 80). Le lien suggéré est probablement avec le jeune homme portant du bleu en haut à droite dans le panneau central, mais sa pose et sa draperie sont entièrement différentes de celles du dessin. Ludwig Burchard et R.-A. d’Hulst, qui ont introduit le dessin dans la littérature sur Rubens en 1963, ont souligné la similitude avec une figure en haut à gauche dans une esquisse à la plume dont le sujet est généralement identifié comme Tobie faisant enterrer les morts (fig. 1 ; vendu chez Christie’s, New York, 28 janvier 1999, lot 94 ; voir D’Hulst et Vandenven, op. cit., no 49, fig. 108 ; et A.-M. Logan, avec K. Lohse Belkin, The Drawings of Peter Paul Rubens. A Critical Catalogue. Volume One. 1590-1608, Turnhout, 2021, no 199, II, fig. 255). Les plis des vêtements des personnages et même leurs barbes pointues correspondent étroitement, mais les deux dessins ont été datés à des périodes différentes : alors qu’une esquisse au verso du dessin à la plume est liée à un tableau réalisé par Rubens à Rome en 1606-1607, l’étude de figure proposée ici est d’un type généralement associé aux œuvres de Rubens des années 1610 (voir ci-dessous). La suggestion faite par Burchard et D’Hulst, selon laquelle Rubens se serait souvenu de sa précédente esquisse à la plume dans la seconde moitié des années 1610, lors de la conception du retable de Saint-Étienne actuellement conservé au Musée des Beaux-Arts de Valenciennes (inv. P.46 .1.10), ne résout pas le problème, car le personnage assistant à la mise au tombeau du saint dans l’aile droite du retable n’a qu’une pose à peu près comparable (pour le tableau, voir H. Vlieghe, Saints, II, Bruxelles, 1973, no 148, fig. 117).
Si le dessin est avant tout une étude de draperie, fixant la lumière et les ombres sur l’ample manteau d’un jeune homme agenouillé, il est ennobli par la représentation sensible de son visage pensif. Il ne fait guère de doute que Rubens travaillait d’après un modèle vivant, probablement un assistant d’atelier à qui le maître avait demandé de prendre une pose déterminée au préalable dans une esquisse de composition à la plume ou à l’huile. On pourrait imaginer que le personnage serve de berger, de mage, ou même de saint Joseph dans une Adoration. On peut comparer une étude pour une femme agenouillée à l’Albertina, inv. 17652 (fig. 2), réalisée comme modèle pour une bergère dans l’Adoration des bergers, aujourd’hui au Musée des Beaux-Arts de Rouen, inv. D.803-6 (H. Devisscher et H. Vlieghe, Rubens. The Life of Christ before the Passion. The Youth of Christ, Londres et Turnhout, 2014, no 15, II, fig. 47 ; pour le dessin, voir ibid., I, no 15a, II, fig. 49). Exécutés par Rubens et son atelier en 1616-1617, le tableau et l’étude connexe fournissent une date approximative pour le dessin discuté ici, confirmée par d’autres comparaisons, par exemple avec deux études au Fitzwilliam Museum, Cambridge (voir A.-M. Logan, avec M.C. Plomp, Peter Paul Rubens. The Drawings, cat. exp., New York, The Metropolitan Museum of Art, 2005, nos 61, 62, ill.), ou une autre au Victoria and Albert Museum, Londres (inv. Dyce.519 ; voir White, op. cit., no 520, ill.). Elles démontrent brillamment que Rubens, même dans les études de personnages aux poses moins héroïques, a toujours réussi à insuffler à ses dessins une forme robuste et des sentiments intérieurs – ‘une grandeur moins de taille que d’allure’.
Fig. 1. Pierre Paul Rubens, Tobie faisant enterrer les morts (?). Collection privée.
Fig. 2. Peter Paul Rubens, Étude d’une femme agenouillée vue de profil, Albertina, Vienne.
Il ne fait guère de doute que le dessin a été réalisé en tant qu’étude pour un tableau ou une autre composition achevée, mais aucun lien définitif n’a pu être établi. Il a d’abord été mis en relation avec la Pêche miraculeuse de l’église Notre-Dame-au-delà-de-la-Dyle à Malines, tant sur l’ancien montage du dessin que dans le catalogue de la vente De Kat (pour le tableau, voir K. Bulckens, Rubens. The Ministry of Christ, London et Turnhout, 2017, no 18, fig. 80). Le lien suggéré est probablement avec le jeune homme portant du bleu en haut à droite dans le panneau central, mais sa pose et sa draperie sont entièrement différentes de celles du dessin. Ludwig Burchard et R.-A. d’Hulst, qui ont introduit le dessin dans la littérature sur Rubens en 1963, ont souligné la similitude avec une figure en haut à gauche dans une esquisse à la plume dont le sujet est généralement identifié comme Tobie faisant enterrer les morts (fig. 1 ; vendu chez Christie’s, New York, 28 janvier 1999, lot 94 ; voir D’Hulst et Vandenven, op. cit., no 49, fig. 108 ; et A.-M. Logan, avec K. Lohse Belkin, The Drawings of Peter Paul Rubens. A Critical Catalogue. Volume One. 1590-1608, Turnhout, 2021, no 199, II, fig. 255). Les plis des vêtements des personnages et même leurs barbes pointues correspondent étroitement, mais les deux dessins ont été datés à des périodes différentes : alors qu’une esquisse au verso du dessin à la plume est liée à un tableau réalisé par Rubens à Rome en 1606-1607, l’étude de figure proposée ici est d’un type généralement associé aux œuvres de Rubens des années 1610 (voir ci-dessous). La suggestion faite par Burchard et D’Hulst, selon laquelle Rubens se serait souvenu de sa précédente esquisse à la plume dans la seconde moitié des années 1610, lors de la conception du retable de Saint-Étienne actuellement conservé au Musée des Beaux-Arts de Valenciennes (inv. P.46 .1.10), ne résout pas le problème, car le personnage assistant à la mise au tombeau du saint dans l’aile droite du retable n’a qu’une pose à peu près comparable (pour le tableau, voir H. Vlieghe, Saints, II, Bruxelles, 1973, no 148, fig. 117).
Si le dessin est avant tout une étude de draperie, fixant la lumière et les ombres sur l’ample manteau d’un jeune homme agenouillé, il est ennobli par la représentation sensible de son visage pensif. Il ne fait guère de doute que Rubens travaillait d’après un modèle vivant, probablement un assistant d’atelier à qui le maître avait demandé de prendre une pose déterminée au préalable dans une esquisse de composition à la plume ou à l’huile. On pourrait imaginer que le personnage serve de berger, de mage, ou même de saint Joseph dans une Adoration. On peut comparer une étude pour une femme agenouillée à l’Albertina, inv. 17652 (fig. 2), réalisée comme modèle pour une bergère dans l’Adoration des bergers, aujourd’hui au Musée des Beaux-Arts de Rouen, inv. D.803-6 (H. Devisscher et H. Vlieghe, Rubens. The Life of Christ before the Passion. The Youth of Christ, Londres et Turnhout, 2014, no 15, II, fig. 47 ; pour le dessin, voir ibid., I, no 15a, II, fig. 49). Exécutés par Rubens et son atelier en 1616-1617, le tableau et l’étude connexe fournissent une date approximative pour le dessin discuté ici, confirmée par d’autres comparaisons, par exemple avec deux études au Fitzwilliam Museum, Cambridge (voir A.-M. Logan, avec M.C. Plomp, Peter Paul Rubens. The Drawings, cat. exp., New York, The Metropolitan Museum of Art, 2005, nos 61, 62, ill.), ou une autre au Victoria and Albert Museum, Londres (inv. Dyce.519 ; voir White, op. cit., no 520, ill.). Elles démontrent brillamment que Rubens, même dans les études de personnages aux poses moins héroïques, a toujours réussi à insuffler à ses dessins une forme robuste et des sentiments intérieurs – ‘une grandeur moins de taille que d’allure’.
Fig. 1. Pierre Paul Rubens, Tobie faisant enterrer les morts (?). Collection privée.
Fig. 2. Peter Paul Rubens, Étude d’une femme agenouillée vue de profil, Albertina, Vienne.