Lot Essay
« J’ai appris à aimer les ruines », affirme Anselm Kiefer. « Comme dans le livre d’Isaïe, dans l’Ancien Testament, tout finira en poussière. J’aime cela. Les ruines, la poussière, c’est de là que je pars ». [1] La Seconde Guerre mondiale et les ruines de l’Allemagne hantent ainsi l’artiste né en 1945, dans les derniers jours du conflit. Il se souvient d’avoir joué dans les décombres lorsqu’il était enfant.
Voyage au bout de la nuit (2001) mesure plus de trois mètres de long et tient davantage de la sculpture que de la peinture. Un bateau rouillé traverse le ciel nocturne et mouvementé, qui apparaît ondulé comme de la terre craquelée. Des éclaboussures de peinture blanche forment des étoiles et des galaxies. Les coordonnées et les noms des étoiles sont éparpillés sur la surface de l’œuvre, tandis que des lignes blanches dessinent les constellations.
Dans l’esprit de Joseph Beuys, l’art de Kiefer est une réflexion profonde et continue sur le passé de l’Allemagne. Son œuvre est vaste, ambitieuse, parfois brutale. Pour créer, l’artiste utilise des cendres, des branches, du béton, du plomb, du tissu, du sable, des graines, de la gomme-laque, du plâtre et de la peinture.
En 1992, Kiefer fait l’acquisition d’un gigantesque complexe d’ateliers à Barjac, dans le sud de la France. Cette ancienne usine de soie abrite désormais des installations artistiques en plein air, des chambres souterraines et un amphithéâtre en béton de cinq niveaux. Le site a ainsi été comparé à une « fourmilière humaine». [2]
Kiefer trouve son inspiration dans les événements historiques, mais aussi dans l’alchimie, l’astronomie, la chimie, la religion et la littérature. Voyage au bout de la nuit est l’une de ses nombreuses œuvres faisant référence au roman éponyme de Louis-Ferdinand Céline, paru en 1932. Kiefer est un fervent admirateur de cette œuvre, célèbre pour sa vision sombre de la condition humaine. Le personnage principal, Ferdinand Bardamu, l’alter ego de Céline, est traumatisé par son expérience de la Première Guerre mondiale. Son histoire peut être lue comme un cri contre la folie des conflits et la décadence morale du xxe siècle.
« Il n'existe pas d'autres véritables réalisations de nos profonds tempéraments que la guerre et la maladie, ces deux infinis du cauchemar », déclare Bardamu. [3] L’art de Kiefer aborde lui aussi des dualités universelles : la vie et la mort, le ciel et la terre, l’humain et le divin, la création et la destruction.
[1] A. Kiefer, cité dans S. O’Hagan, ‘’When I was four I wanted to be Jesus. Il n’y avait qu’un pas à franchir pour devenir un artiste’’, dans The Observer, Londres, 27 avril 2008.
[2] C. Carrillo, cité dans ‘’Interview with Anselm Kiefer : ‘Expectations are always unfulfilled’", dans The Art Newspaper, New York, 1er mai 2007.
[3] L-F. Céline, cité dans Voyage au bout de la nuit (1932), traduction de R. Manheim, New York, 1983, p. 359.
“I have grown to like the ruins,’’ says Anselm Kiefer. “It is like Isaiah in the Old Testament. All will crumble into dust. I like this. The ruins, the dust, this is where I begin from.‘’ [1] World War II and the ruins of Germany haunt Kiefer, who was born in 1945, in the last days of the war. He recalls playing in the rubble as a child.
Voyage au bout de la nuit (2001) is over three meters across, and more sculpture than painting. A rusted ship travels across the dark, swirling night sky, which is rippled like cracked earth. Splattered white paint creates stars and galaxies. Coordinates and the names of stars are strewn across the surface. White lines map the constellations.
In the spirit of Joseph Beuys, Kiefer’s art is a deep, ongoing reflection on Germany’s past. His work is vast, ambitious, and sometimes brutal. He uses ashes, branches, concrete, lead, fabric, sand, seeds, shellac, plaster and paint. In 1992, he acquired a gigantic studio complex in Barjac in southern France. It has expanded from an old silk factory to include outdoor art installations, subterranean chambers and a five-level concrete amphitheatre. The site has been likened to a “human ant-hill.’’ [2]
Kiefer finds inspiration in historical events, alchemy, astronomy, chemistry, religion and literature. Voyage au bout de la nuit is one of a number of works that refer to the 1932 novel of the same name by Louis-Ferdinand Céline. Kiefer greatly admires the book, which is famous for its bleak vision of the human condition. The protagonist, Ferdinand Bardamu, Céline’s alter ego, is traumatised by his experiences in the First World War. His story can be read as a cry against the madness of twentieth-century conflict and moral decay.
“I can’t help suspecting that the only true manifestations of our innermost being are war and insanity, those two absolute nightmares,” says Bardamu. [3] Kiefer’s art, too, addresses universal dualities. Life and death; heaven and earth; the human and the divine; creation and destruction.
[1] A. Kiefer, quoted in S. O’Hagan, ‘’When I was four I wanted to be Jesus. It was only a short step to becoming an artist’’, in The Observer, London, 27 April 2008.
[2] C. Carrillo, quoted in ‘’Interview with Anselm Kiefer: ‘Expectations are always unfulfilled’’’, in The Art Newspaper, New York, 1 May 2007.
[3] L-F. Céline, quoted in Journey to the End of the Night (1932), translation by R. Manheim, New York, 1983, p. 359.
Voyage au bout de la nuit (2001) mesure plus de trois mètres de long et tient davantage de la sculpture que de la peinture. Un bateau rouillé traverse le ciel nocturne et mouvementé, qui apparaît ondulé comme de la terre craquelée. Des éclaboussures de peinture blanche forment des étoiles et des galaxies. Les coordonnées et les noms des étoiles sont éparpillés sur la surface de l’œuvre, tandis que des lignes blanches dessinent les constellations.
Dans l’esprit de Joseph Beuys, l’art de Kiefer est une réflexion profonde et continue sur le passé de l’Allemagne. Son œuvre est vaste, ambitieuse, parfois brutale. Pour créer, l’artiste utilise des cendres, des branches, du béton, du plomb, du tissu, du sable, des graines, de la gomme-laque, du plâtre et de la peinture.
En 1992, Kiefer fait l’acquisition d’un gigantesque complexe d’ateliers à Barjac, dans le sud de la France. Cette ancienne usine de soie abrite désormais des installations artistiques en plein air, des chambres souterraines et un amphithéâtre en béton de cinq niveaux. Le site a ainsi été comparé à une « fourmilière humaine». [2]
Kiefer trouve son inspiration dans les événements historiques, mais aussi dans l’alchimie, l’astronomie, la chimie, la religion et la littérature. Voyage au bout de la nuit est l’une de ses nombreuses œuvres faisant référence au roman éponyme de Louis-Ferdinand Céline, paru en 1932. Kiefer est un fervent admirateur de cette œuvre, célèbre pour sa vision sombre de la condition humaine. Le personnage principal, Ferdinand Bardamu, l’alter ego de Céline, est traumatisé par son expérience de la Première Guerre mondiale. Son histoire peut être lue comme un cri contre la folie des conflits et la décadence morale du xxe siècle.
« Il n'existe pas d'autres véritables réalisations de nos profonds tempéraments que la guerre et la maladie, ces deux infinis du cauchemar », déclare Bardamu. [3] L’art de Kiefer aborde lui aussi des dualités universelles : la vie et la mort, le ciel et la terre, l’humain et le divin, la création et la destruction.
[1] A. Kiefer, cité dans S. O’Hagan, ‘’When I was four I wanted to be Jesus. Il n’y avait qu’un pas à franchir pour devenir un artiste’’, dans The Observer, Londres, 27 avril 2008.
[2] C. Carrillo, cité dans ‘’Interview with Anselm Kiefer : ‘Expectations are always unfulfilled’", dans The Art Newspaper, New York, 1er mai 2007.
[3] L-F. Céline, cité dans Voyage au bout de la nuit (1932), traduction de R. Manheim, New York, 1983, p. 359.
“I have grown to like the ruins,’’ says Anselm Kiefer. “It is like Isaiah in the Old Testament. All will crumble into dust. I like this. The ruins, the dust, this is where I begin from.‘’ [1] World War II and the ruins of Germany haunt Kiefer, who was born in 1945, in the last days of the war. He recalls playing in the rubble as a child.
Voyage au bout de la nuit (2001) is over three meters across, and more sculpture than painting. A rusted ship travels across the dark, swirling night sky, which is rippled like cracked earth. Splattered white paint creates stars and galaxies. Coordinates and the names of stars are strewn across the surface. White lines map the constellations.
In the spirit of Joseph Beuys, Kiefer’s art is a deep, ongoing reflection on Germany’s past. His work is vast, ambitious, and sometimes brutal. He uses ashes, branches, concrete, lead, fabric, sand, seeds, shellac, plaster and paint. In 1992, he acquired a gigantic studio complex in Barjac in southern France. It has expanded from an old silk factory to include outdoor art installations, subterranean chambers and a five-level concrete amphitheatre. The site has been likened to a “human ant-hill.’’ [2]
Kiefer finds inspiration in historical events, alchemy, astronomy, chemistry, religion and literature. Voyage au bout de la nuit is one of a number of works that refer to the 1932 novel of the same name by Louis-Ferdinand Céline. Kiefer greatly admires the book, which is famous for its bleak vision of the human condition. The protagonist, Ferdinand Bardamu, Céline’s alter ego, is traumatised by his experiences in the First World War. His story can be read as a cry against the madness of twentieth-century conflict and moral decay.
“I can’t help suspecting that the only true manifestations of our innermost being are war and insanity, those two absolute nightmares,” says Bardamu. [3] Kiefer’s art, too, addresses universal dualities. Life and death; heaven and earth; the human and the divine; creation and destruction.
[1] A. Kiefer, quoted in S. O’Hagan, ‘’When I was four I wanted to be Jesus. It was only a short step to becoming an artist’’, in The Observer, London, 27 April 2008.
[2] C. Carrillo, quoted in ‘’Interview with Anselm Kiefer: ‘Expectations are always unfulfilled’’’, in The Art Newspaper, New York, 1 May 2007.
[3] L-F. Céline, quoted in Journey to the End of the Night (1932), translation by R. Manheim, New York, 1983, p. 359.