Lot Essay
Blue Magic (2007) est une œuvre emblématique des peintures abstraites de Julie Mehretu, explorant la géopolitique, les migrations et les conflits. Des lignes rappelant le graphisme des cartes, des grilles architecturales ainsi que toute une constellation de signes forment une surface stratifiée et complexe. Des traînées rouge vif ponctuent les aplats monochromes. L’œuvre évoque l’espace urbain et les forces complexes d’une société mondiale désormais structurée en réseau.
Les premières années de Mehretu ont été marquées par la représentation du mouvement. Née à Addis-Abeba, fille d’un professeur d’université éthiopien et d’une enseignante américaine, elle a fui avec sa famille son pays en 1977, à l’époque de la guerre de l’Ogaden. L’artiste a fait ses études à Dakar, au Sénégal, à Kalamazoo, dans le Michigan, puis à Providence, dans la région de Rhode Island. Au tournant du millénaire, elle s’est installée à New York. Son travail s’est peu à peu transformé en ce qu’elle a appelé un projet « auto-ethnographique », démêlant les « nombreux récits conflictuels, les histoires et les cultures disparates qui, à travers le temps et le lieu, se sont rassemblés pour [la] constituer ». 1]
Les œuvres de Mehretu commencent généralement par un plan ou une photographie projetée sur une toile préparée au gesso. Puis, l’artiste trace et efface différents éléments. La peinture est ensuite appliquée en couches successives, chacune d’entre elles étant séparée par une couche transparente d’acrylique. Des fragments de plans de ville, de systèmes météorologiques et de graffiti se trouvent superposés. Outre le marquage intuitif, Mehretu utilise des images réalisées à l’aide de technologies de cartographie informatique, de conception graphique et de jeux vidéo.
Ses vastes toiles reflètent l’expansion de l’ère de l’information. Leurs couches apparaissent comme enchevêtrées. Elles juxtaposent des interculturalités, qui se déplacent dans le temps et l’espace. Les échos de la calligraphie chinoise, des utopies futuristes et des gestes de l’expressionnisme abstrait s’entrechoquent, s’effondrent et se combinent.
Mehretu travaille sur une bande sonore. « Tout comme les formes prennent vie, elles produisent également des sons, explique-t-elle. Certaines piétinent, d’autres nagent ou soufflent dans le vent, beaucoup marchent debout en mode staccato, mais toujours avec un certain rythme. Elles fonctionnent comme des notations, mais aussi comme des battements, de longs sons de cornes, des notes de musique ». [2] Blue Magic est le nom d’un single de Jay-Z sorti en 2007. Les paroles évoquent la formation de l’identité du rappeur dans l’Amérique des années 1980, faisant référence à l’économie reaganienne et au scandale de l’Iran-Contra.
Tout en suggérant des environnements construits, des données fourmillantes et des populations changeantes, la peinture de Mehretu ne révèle jamais d’image tout à fait claire. Son abstraction exige une attention lente et prolongée. Pour Mehretu, c’est une façon de négocier le monde. « La vitesse est le moteur de la structure dans laquelle nous sommes tous pris, explique-t-elle, à la fois comme réalité sociale, réalité médiatisée et réalité esthétique. L’une des dimensions les plus essentielles du métier d’artiste consiste à créer des œuvres d’art qui opposent la puissance de la lenteur au déploiement de la vitesse ». [3]
[1] J. Mehretu, citée dans O. Ilesanmi, ‘’Looking Back: Email Interview Between Julie Mehretu and Olukemi Ilesanmi, avril 2003’’, dans Julie Mehretu: Drawing into Painting, catalogue d’exposition, Walker Art Center, Minneapolis, 2003, p. 11.
[2] J. Mehretu en conversation avec P. H. Bui, dans The Brooklyn Rail, New York, juin 2021.
[3] J. Mehretu, Ibid.
Blue Magic (2007) is a dynamic example of Julie Mehretu’s abstract paintings, which explore geopolitics, migration and conflict. Map-like lines, architectural grids and crowded dashes build a layered, intricate surface. Bright red streaks shoot through the monochrome marks. The work evokes urban space and the complex forces of a global, networked society.
Mehretu spent her formative years in motion. She was born in Addis Ababa to an Ethiopian college professor and an American teacher. The family fled the country in 1977, at the time of the Ogaden War. She attended college in Dakar, Senegal; Kalamazoo, Michigan; and Providence, Rhode Island. She settled in New York at the turn of the millennium. Her work developed into what she has called a “self-ethnographic” project, unravelling the “numerous conflicting stories, histories, and disparate cultures that, through time and place, came together to make me.” [1]
Mehretu’s works usually begin with a blueprint or photograph projected onto a gessoed canvas. She traces and erases different elements. The painting is then built in successive layers, each separated by a clear coat of acrylic medium. Fragments of city plans, weather systems and graffiti-like notations are superimposed. As well as intuitive mark-making, Mehretu involves images made with computer-mapping, graphic design, and video-game technologies.
The expansive webs of Mehretu’s paintings reflect the sprawl of the information age. Their layers are tangled. They juxtapose cross-cultural ideas, moving through time and space. Echoes of Chinese calligraphy, Futurist utopias and the gestures of Abstract Expressionism clash, collapse and combine.
Mehretu works to a soundtrack. “Just as the marks behave, they also make sound,” she says. “Some stomp, some swim or blow in the wind, many march upright in staccato formation, but always with some kind of rhythm. They operate as notations, but also as beats, long horns, notes.” [2] Blue Magic is the name of a 2007 single by Jay-Z. The lyrics discuss the formation of the rapper’s identity in 1980s America, referring to Reaganomics and the Iran-Contra scandal.
While suggesting built environments, swarming data and shifting populations, Mehretu’s painting does not reveal a clear picture. Its abstraction asks for slow, extended attention. For Mehretu, this is a way of negotiating the world. “Speed is driving the momentum of the structure in which we’re all caught,” she says, “as both a social reality, mediated reality, and an aesthetic reality. One of the most essential parts of being an artist is to make works of art that have the power of slowness against the deployment of speed.” [3]
[1] J. Mehretu, quoted in O. Ilesanmi, ‘‘Looking Back: Email Interview Between Julie Mehretu and Olukemi Ilesanmi, April 2003’’, in Julie Mehretu: Drawing into Painting, exhibition catalog. Walker Art Center, Minneapolis, 2003, p. 11.
[2] J. Mehretu in conversation with P. H. Bui, in The Brooklyn Rail, June 2021.
[3] J. Mehretu, Ibid.
Les premières années de Mehretu ont été marquées par la représentation du mouvement. Née à Addis-Abeba, fille d’un professeur d’université éthiopien et d’une enseignante américaine, elle a fui avec sa famille son pays en 1977, à l’époque de la guerre de l’Ogaden. L’artiste a fait ses études à Dakar, au Sénégal, à Kalamazoo, dans le Michigan, puis à Providence, dans la région de Rhode Island. Au tournant du millénaire, elle s’est installée à New York. Son travail s’est peu à peu transformé en ce qu’elle a appelé un projet « auto-ethnographique », démêlant les « nombreux récits conflictuels, les histoires et les cultures disparates qui, à travers le temps et le lieu, se sont rassemblés pour [la] constituer ». 1]
Les œuvres de Mehretu commencent généralement par un plan ou une photographie projetée sur une toile préparée au gesso. Puis, l’artiste trace et efface différents éléments. La peinture est ensuite appliquée en couches successives, chacune d’entre elles étant séparée par une couche transparente d’acrylique. Des fragments de plans de ville, de systèmes météorologiques et de graffiti se trouvent superposés. Outre le marquage intuitif, Mehretu utilise des images réalisées à l’aide de technologies de cartographie informatique, de conception graphique et de jeux vidéo.
Ses vastes toiles reflètent l’expansion de l’ère de l’information. Leurs couches apparaissent comme enchevêtrées. Elles juxtaposent des interculturalités, qui se déplacent dans le temps et l’espace. Les échos de la calligraphie chinoise, des utopies futuristes et des gestes de l’expressionnisme abstrait s’entrechoquent, s’effondrent et se combinent.
Mehretu travaille sur une bande sonore. « Tout comme les formes prennent vie, elles produisent également des sons, explique-t-elle. Certaines piétinent, d’autres nagent ou soufflent dans le vent, beaucoup marchent debout en mode staccato, mais toujours avec un certain rythme. Elles fonctionnent comme des notations, mais aussi comme des battements, de longs sons de cornes, des notes de musique ». [2] Blue Magic est le nom d’un single de Jay-Z sorti en 2007. Les paroles évoquent la formation de l’identité du rappeur dans l’Amérique des années 1980, faisant référence à l’économie reaganienne et au scandale de l’Iran-Contra.
Tout en suggérant des environnements construits, des données fourmillantes et des populations changeantes, la peinture de Mehretu ne révèle jamais d’image tout à fait claire. Son abstraction exige une attention lente et prolongée. Pour Mehretu, c’est une façon de négocier le monde. « La vitesse est le moteur de la structure dans laquelle nous sommes tous pris, explique-t-elle, à la fois comme réalité sociale, réalité médiatisée et réalité esthétique. L’une des dimensions les plus essentielles du métier d’artiste consiste à créer des œuvres d’art qui opposent la puissance de la lenteur au déploiement de la vitesse ». [3]
[1] J. Mehretu, citée dans O. Ilesanmi, ‘’Looking Back: Email Interview Between Julie Mehretu and Olukemi Ilesanmi, avril 2003’’, dans Julie Mehretu: Drawing into Painting, catalogue d’exposition, Walker Art Center, Minneapolis, 2003, p. 11.
[2] J. Mehretu en conversation avec P. H. Bui, dans The Brooklyn Rail, New York, juin 2021.
[3] J. Mehretu, Ibid.
Blue Magic (2007) is a dynamic example of Julie Mehretu’s abstract paintings, which explore geopolitics, migration and conflict. Map-like lines, architectural grids and crowded dashes build a layered, intricate surface. Bright red streaks shoot through the monochrome marks. The work evokes urban space and the complex forces of a global, networked society.
Mehretu spent her formative years in motion. She was born in Addis Ababa to an Ethiopian college professor and an American teacher. The family fled the country in 1977, at the time of the Ogaden War. She attended college in Dakar, Senegal; Kalamazoo, Michigan; and Providence, Rhode Island. She settled in New York at the turn of the millennium. Her work developed into what she has called a “self-ethnographic” project, unravelling the “numerous conflicting stories, histories, and disparate cultures that, through time and place, came together to make me.” [1]
Mehretu’s works usually begin with a blueprint or photograph projected onto a gessoed canvas. She traces and erases different elements. The painting is then built in successive layers, each separated by a clear coat of acrylic medium. Fragments of city plans, weather systems and graffiti-like notations are superimposed. As well as intuitive mark-making, Mehretu involves images made with computer-mapping, graphic design, and video-game technologies.
The expansive webs of Mehretu’s paintings reflect the sprawl of the information age. Their layers are tangled. They juxtapose cross-cultural ideas, moving through time and space. Echoes of Chinese calligraphy, Futurist utopias and the gestures of Abstract Expressionism clash, collapse and combine.
Mehretu works to a soundtrack. “Just as the marks behave, they also make sound,” she says. “Some stomp, some swim or blow in the wind, many march upright in staccato formation, but always with some kind of rhythm. They operate as notations, but also as beats, long horns, notes.” [2] Blue Magic is the name of a 2007 single by Jay-Z. The lyrics discuss the formation of the rapper’s identity in 1980s America, referring to Reaganomics and the Iran-Contra scandal.
While suggesting built environments, swarming data and shifting populations, Mehretu’s painting does not reveal a clear picture. Its abstraction asks for slow, extended attention. For Mehretu, this is a way of negotiating the world. “Speed is driving the momentum of the structure in which we’re all caught,” she says, “as both a social reality, mediated reality, and an aesthetic reality. One of the most essential parts of being an artist is to make works of art that have the power of slowness against the deployment of speed.” [3]
[1] J. Mehretu, quoted in O. Ilesanmi, ‘‘Looking Back: Email Interview Between Julie Mehretu and Olukemi Ilesanmi, April 2003’’, in Julie Mehretu: Drawing into Painting, exhibition catalog. Walker Art Center, Minneapolis, 2003, p. 11.
[2] J. Mehretu in conversation with P. H. Bui, in The Brooklyn Rail, June 2021.
[3] J. Mehretu, Ibid.