EDGAR DEGAS (1834-1917)
No VAT will be charged on the hammer price, but VA… Read more Parmi les innombrables représentations de baigneuse nue que Degas produisit au cours de sa longue carrière, les scènes au bidet sont sans doute celles qui produisent la plus forte impression en terme de violation de l'intimité, celles qui justifient le mieux les métaphores brutales dont usait le peintre pour décrire les baigneuses en général: "l'animal humain prenant soin de lui; un chat faisant sa toilette; c'est comme épier par le trou d'une serrure" (R.H. Ives Gammell, The Shop-Talk of Edgar Degas, Boston, 1961, p. 31). Pourtant, et peut-être pour cette raison précise, seules six de ces images sont connues; toutes sont des monotypes, ce support fluide et rapide que Degas semblait affectionner pour ses sujets les moins conventionnels. Deux d'entre eux sont de petit format et monochromes (Janis, nos. 155 et 193); deux sont plus grands et également monochromes (Janis, nos. 110 et 111); et deux autres seulement, dont celui présenté ici, forment des compositions plus ambitieuses, qui ont été par la suite abondamment retravaillées au pastel (Janis, nos. 153 et 154). Quoique le sujet ait une évidente connotation sexuelle, seules deux de ces impressions sont explicitement érotiques. Elles dépeignent une prostituée, identifiable à sa longue chevelure ébouriffée, penchée sur un bidet dans un cabinet de toilette. Par la porte entrebâillée, on aperçoit, dans la chambre attenante, le client allongé sur le lit, apparemment plongé dans la lecture de son journal. Dans toutes les autres impressions, l'absence de contexte narratif, et le fait que les cheveux de la jeune femme sont pudiquement coiffés d'un bonnet de nuit laissent à penser qu'elle est, comme la plupart des baigneuses de Degas, ce qu'il qualifiait lui-même de "petites gens, honnêtes, n'ayant pour autre préoccupation que les questions touchant à leur condition physique". (ibid., p. 31). Identifié par Eugenia Janis, autorité en la matière, comme étant le premier de deux monotypes (tirés à partir d'une même planche), l'oeuvre présentée ici est plus probablement le second des deux exemplaires, celui dont Degas a amélioré la composition en fonction du premier (Janis, no. 154; fig. 1). En supprimant une bande de 2 à 3 cm., par le biais de laquelle il avait tout d'abord envisagé d'agrandir le haut de l'image (la bordure supérieure, à l'origine, effleurait la tête de la femme, comme on le voit dans Janis, no. 153), Degas repositionne son sujet dans l'espace de manière à produire un contraste plus fort avec le fond. Il renforce cette impression en atténuant et en arrondissant le contour anguleux de son épaule, et en agrandissant la tête et le bonnet de nuit. Puis, en appuyant le trait du profil, il lui confère une personnalité plus marquée. Il rend en outre plus crédible ce geste emprunté au rituel intime et, ce faisant, le rend humainement plus touchant. En déplaçant le broc sur la table de toilette, il crée davantage d'unité, avec le sujet, et parmi les objets; il redresse également le bord de la table de toilette de manière à obtenir un angle plus harmonieux avec la silhouette de la femme, effaçant le petit triangle d'espace vide causé par le positionnement improbable des bords. Il est clair que l'exemplaire que nous identifions aujourd'hui comme le second est un pastel sur monotype; la trace du pinceau de Degas, utilisé pour passer et travailler à l'encre le corps et le bidet, est visible. Savoir si le premier exemplaire a été produit de la même façon est moins évident. Lemoisne (no. 622) et Janis (no. 154) en parlent comme d'un pastel sur monotype, mais il n'est pas certain que les deux spécialistes aient vu l'original. Lemoisne le mentionne dans la collection de Gustave Pellet, qui mourut en 1919, plus de vingt ans avant la parution du catalogue des oeuvres par Lemoisne, et Janis indique la mention "localisation actuelle inconnue". Dans le catalogue publié pour la première vente aux enchères de l'atelier de Degas en 1918, l'oeuvre est mentionnée à la rubrique Pastels (lot 244). Aucune rubrique n'était alors consacrée au pastel sur monotype. Mais, dans le catalogue publié à l'occasion de la troisième vente aux enchères de l'atelier de Degas, en 1919, c'est dans cette rubrique qu'apparaît la seconde version (lot 408). Le tampon signature figurant sur cette version est à l'encre noire, comme c'était l'usage pour ce type d'oeuvres; on ne peut toutefois déterminer, à partir des reproductions monochromes disponibles, si le tampon figurant sur la première version était rouge, comme il aurait dû l'être pour un véritable pastel attesté. L'explication la plus probable est que Degas, selon son habitude, tira deux exemplaires à partir de la même planche et les retravailla considérablement au pastel, le premier exemplaire ayant dû subir les importantes transformations mentionnées précédemment, et le second incorporant ses modifications dans une composition plus cohérente, harmonieuse, et émouvante. Le regard franc et honnête que Degas pose sur cette femme penchée sur un bidet, ce regard neutre et terre-à-terre, ne dispose d'aucun exemple dans les oeuvres produites en Europe au cours des siècles précédents, alors qu'il servit de modèle à Forain, Toulouse-Lautrec, Rouault, Picasso et bien d'autres peintres après eux. Il faudrait remonter jusqu'à Rembrandt, et en particulier à ses gravures de baigneuses toutes en nuances obscures, très travaillées, des années 1650 (fig. 2) pour trouver des équivalents, tant thématiques que stylistiques. Dépeignant le corps lourd, flétri, de la femme d'âge mûr émergeant de l'ombre à la lumière, il construit d'infinies graduations à l'aide d'une trame densément gravée. Rembrandt, comme Degas, donne intensément vie à un sujet banal, et l'imprègne de mystère. Le peintre hollandais ne disposait pas des techniques modernes du monotype ou de la lithographie, toutes deux engendrées par le XIXe siècle, mais Degas aimait à imaginer ce que cela aurait pu donner la rencontre entre le maître et ces procédés: "Si Rembrandt avait connu la lithographie, Dieu sait ce qu'il en aurait fait" (P. Valéry, Degas Danse Dessin, Paris, 1938, p. 171). Dans une certaine mesure, les gravures, lithographies et monotypes de Degas nous apportent la réponse. Par Theodore Reff, novembre 2008. Ce texte a été traduit de l'anglais. (fig. 1) Edgar Degas, Femme à sa toilette, vers 1880-85. Collection particulière. © Tous droits réservés (fig. 2) Rembrandt Harmenszoon van Rijn, Woman Bathing Her Feet in a Brook, 1658. © Tous droits réservés
EDGAR DEGAS (1834-1917)

Femme à sa toilette

Details
EDGAR DEGAS (1834-1917)
Femme à sa toilette
avec le cachet de l'atelier 'Degas' (en bas à gauche; Lugt 658)
pastel sur monotype
feuille: 31.6 x 41.5 cm. (12½ x 16 3/8 in.)
planche: 27.8 x 38 cm. (10 7/8 x 15 in.)
Exécuté vers 1880-85; le deuxième de deux impressions
Provenance
Atelier de l'artiste.
René de Gas, Paris (par descendance).
Paul Brame, Paris.
Jean Davray, Paris.
Galerie Tarica, Paris (acquis auprès de celui-ci).
Acquis auprès de celle-ci par Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, 18 mai 1987.
Literature
E.P. Janis, Degas Monotypes: Essay, Catalogue & Checklist, catalogue d'exposition, Cambridge, The Fogg Art Museum, 1968, no. 153 (illustré; indiqué comme le premier de deux impressions).
P.-A. Lemoisne, Degas et son oeuvre, New York, 1984, vol. II, p. 352, no. 623 (illustré, p. 353; indiqué comme le premier de deux impressions).
Special Notice
No VAT will be charged on the hammer price, but VAT payable at 19.6% (5.5% for books) will be added to the buyer’s premium which is invoiced on a VAT inclusive basis
Further Details
'WOMAN BATHING'; WITH THE ATELIER STAMP LOWER LEFT; PASTEL OVER MONOTYPE.

Among the hundreds of representations of a nude woman bathing that Degas made throughout his long career, those that show her crouching over a bidet are perhaps the most aggressive in their violation of her privacy, the ones that most fully justify the brusque metaphors he used to describe his bathers in general: "The human animal taking care of itself; a cat licking herself; it is as if you looked through a keyhole." (R.H. Ives Gammell, The Shop-Talk of Edgar Degas, Boston, 1961, p. 31). Yet perhaps for that very reason, onlyhalf a dozen such images are known, all in monotype, the rapid, fluid medium Degas seems to have preferred for his most unconventional subjects. Two are small and monochromatic (Janis, nos. 155 and 193); two are larger but also monochromatic (Janis, nos. 110-111); and only two, the present work and its cognate, are more ambitious compositions, extensively reworked in pastel (Janis, nos. 153-154). Although the subject has an inherently sexual connotation, only two of the prints are explicitly erotic; they show a prostitute, recognizable by her long, dishevelled hair, half-crouching over a bidet in a dressing-room and, through the half-open doors to the adjacent bedroom, her client reclining on a bed, apparently reading a newspaper. In all the other prints, the absence of a narrative context and the woman's hair modestly enclosed in a nightcap suggest that she is, like most of Degas's bathers, what he himself called honest, simple folk, unconcerned by any other interests than those involved in their physical condition. (R.H. Ives Gammell, ibid., p. 31).

Described by Eugenia Janis, the leading authority on the monotypes, as the first of two cognates (impressions made from the same plate), the present work is more likely the second of the two, in which Degas incorporates improvements in the composition he has worked out on the first one (Janis, no. 154; fig. 1). By eliminating the 2-3 cm. band by which he had first thought of extending the image at the top (the top edge was originally just above the woman's head, as it is in Janis, no. 153), Degas fits her figure better into the space and makes it stand out more impressively from the background. He strengthens this effect by making her angular shoulder a more harmonious, rounded form and enlarging her head and nightcap, and by sharpening her profile, giving her a clearer personal identity. He also makes her action in this intimate ritual more convincing physically and at the same time more humanly moving. By changing the place of the pitcher on the washstand, he creates greater coherence with the figure and among the objects grouped there; he also makes the edge of the washstand more horizontal, so that it intersects the figures back more felicitously, without the narrow triangular space between the two irreconcilable positions of the edge.

What we now recognize as the second version was clearly executed in pastel over monotype; the strokes of the brush with which Degas applied and manipulated the ink to define and model the body and the bidet are visible. Whether the first version was made the same way is less clear. Paul-André Lemoisne (no. 622) and Engenia Janis (no. 154) describe it as pastel over monotype, but it is not certain that either scholar ever saw the original: Lemoisne lists it as in the collection of Gustave Pellet, who died in 1919, more than twenty years before Lemoisne's oeuvre catalogue appeared; and Janis lists it as present whereabouts unknown. In the catalogue of the first sale of Degas's studio in 1918, the work appears in the section devoted to pastels (lot 244); there was in fact none devoted to pastels over monotype. But in the catalogue of the third studio sale in 1919, that section is where the second version appears (lot 408). The signature stamp on that version is in black, as it normally was for such works; but whether the stamp on the first version is in red, as it would have been if it were accepted as a pure pastel, cannot be determined from the monochromatic reproductions available. The most likely explanation is that Degas, following his usual practice, pulled both impressions from the same plate and reworked them extensively in pastel, the first impression providing an image that could be significantly changed in the ways discussed previously, the second one incorporating these changes into a more coherent, harmonious, and moving composition.

The directness and honesty of Degas's vision of this woman crouching over a bidet, its matter-of-factness and down-to-earthness, has no obvious models in European art for centuries beforehand, though it in turn provided a model for Forain, Toulouse-Lautrec, Rouault, Picasso, and many later artists. One would have to go back to Rembrandt, and especially to his dark, intensely worked etchings of nude bathers in the 1650s, like the one illustrated here (fig. 2), to find real equivalents, both thematic and stylistic. Describing the heavy, sagging body of the middle-aged woman as it emerges from dark shadow into brilliant light, building up infinite gradations with dense networks of etched lines, Rembrandt like Degas transforms a banal subject into one of imposing presence and deep mystery. The Dutch artist had at his disposal neither the modern monotype nor the lithograph, both products of the nineteenth century, but Degas liked to imagine what he would done with them. "Si Rembrandt avait connu la lithographie, Dieu sait ce qu'il en aurait fait," he often said (P. Valéry, Degas Danse Dessin, Paris, 1938, p. 171, from Ernest Rouart). To some extent, Degas's own etchings, lithographs, and monotypes provide the answer.

By Theodore Reff, october 2008.

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