Lot Essay
Intégrant des panneaux de laque asiatique et l'intérieur d'un cabinet chinois du début du XVIIIème siècle, ce cabinet s'inscrit dans la tradition de ceux fournis à une clientèle d'amateurs par des ébénistes comme William Linnell (vers 1703 - 1764) ou Thomas Chippendale (1718 - 1779). Les ébénistes William et John Linnell, installés sur Berkeley Square, fournirent la célèbre "chambre Chinoise" pour le quatrième duc de Beaufort à Badminton House, dans le Gloucestershire, entre 1752 et 1754. Le mobilier comprenait un lit à baldaquin avec un spectaculaire dais en pagode, huit fauteuils, une commode et deux paires d'étagères. La commode de cet ensemble est étroitement liée à une table à écrire également fournie par William Linnell en 1752, pour Montagu House à Mayfair, où Elisabeth Montagu fit installer sa propre chambre "chinoise". Tant le duc de Beaufort qu'Elisabeth Montagu suivaient la mode en vigueur pour les chinoiseries. En 1749 Elisabeth Montagu décrivait ce "goût pour la Chine comme une réaction à l'élégance grecque et à la symétrie, ou à la grandeur et la magnificence gothique" (Arthur Oswald, "Mme Montagu et le goût chinois", Country Life, 30 Avril 1953, pp.1328-9.). Notre cabinet est comparable dans une certaine mesure à ces commodes, bien qu'elles fussent en vernis européen, une technique développée en Europe à l'imitation de laque de Chine, et qui a fait l'objet du Traité de John Stalker et George Parker sur le japonisme et le vernissage, publié en 1688. L'utilisation de véritable laque chinoise dans le mobilier anglais est visible dans le travail du célèbre ébéniste anglais, Thomas Chippendale, qui fournit un secrétaire de dame en laque à Edwin Lascelles d'Harewood House, dans le Yorkshire, en 1773. Celui-ci est décrit dans une facture datée du 12 Novembre, comme vernis avec sa propre laque japonaise, avec des ajouts d'ornements sculptés et dorés, et de vernis à imitation japonaise, allant avec une commode décrite de façon similaire. Alors que la commode est restée à Harewood durant tout le XXème siècle, le secrétaire ne fait désormais plus partie des collections. A la même période, une paire de commodes en laque et traditionnellement attribuée à Chippendale fut livrée au banquier Robert Child (mort 1782) pour Osterley, Middlesex (où les Linnells ont été engagés pendant vingt-quatre ans à compter de 1760). En 1993, un secrétaire George III en laque et bois doré apparu sur le marché comme étant attribué à Chippendale, et en suite avec les commodes d'Osterley. C'est alors qu'un hasard remarquable fit surgir sur le marché un second secrétaire, identifié comme la pièce perdue d'Harewood, et vendu de manière anonyme chez Christie's, Londres le 3 Juillet 1997. Les parallèles stylistiques et de construction entre ces cinq pièces permettent de reconnaître l'oeuvre de Chippendale, les événements entourant leurs réapparitions étant exposés par Anthony Coleridge dans "A Tale of Two Secrétaires", Christie's International Magazine, Juin 1997, pp. 44 à 47. Le laque utilisé pour les deux secrétaires et les deux commodes à Osterley provient du même paravent Chinois, sans doute celui mentionné par Chippendale dans la facture d'Harewood. Les panneaux de laque furent coupés et taillés afin d'être incorporés aux meubles de structure traditionnelle mais de facture spectaculaire. Le présent cabinet est ainsi composé d'un entier cabinet de laque chinois du XVIIIe siècle, avec un intérieur en gradins à niches et écrans coulissants, des supports de colonnes élancées "déconstruit" afin d'y adjoindre une porte centrale exécutée en vernis européen. Comme les secrétaires fournis à Harewood et Osterley, le laque est embelli avec du bois sculpté et doré à décor guilloché et entrelacé. Loin de s'opposer à l'élégance grecque, comme le suggérait Elizabeth Montagu, ces meubles sont une combinaison harmonieuse entre l'exotisme chinois, qui continuait à amuser et fasciner tout comme vingt ans plus tôt, et le style néoclassique dominant.