Lot Essay
'De mon désordre naturel, je veux toujours recréer un ordre possible dans mon tableau, un ordre vivant, parce que l'ordre mort n'est pas intéressant." (Maria Helena Vieira da Silva citée in J.-J. Lafaye, "Vieira da Silva, la contemporaine capitale', Connaissance des Arts, Paris, septembre 1988)
À l'issue de la Seconde Guerre mondiale, lorsqu'elle revient en Europe après son exil brésilien, Vieira da Silva commence à manifester un vif intérêt - qui ne la quittera pas - pour les scènes et paysages urbains. Rues, métros, ponts, tours et gares envahissent les toiles de l'artiste; autant d'objets et d'architectures géométriques qui structurent la vie moderne. Si la ville intéresse tant Vieira da Silva, c'est en raison de la dualité qu'elle porte en elle: à la fois cadre statique et rigoureusement agencé, et lieu où vivent et transitent des milliers d'hommes et de femmes en mouvement. Elle incarne en cela la tension intrinsèque du monde entre ordre et chaos, et offre par ailleurs à l'artiste un terrain d'expérimentation idéal pour mener ses recherches sur le renouvellement du regard, affranchi des règles de la perspective et de la frontière entre figuration et abstraction.
Cité obscure est emblématique du vocabulaire pictural extrêmement rigoureux que Vieira da Silva utilise dans ses peintures: grilles, découpages verticaux et horizontaux, trames et encastrements rectilignes charpentent l'espace du tableau. Pourtant, par un subtil jeu de couleurs et de lumières, l'oeuvre parvient à s'affranchir de cette rigueur: quelques points violacés émergent des interstices sombres, ici et là jaillissent de brèves luminescences jaunes, orange ou vertes, tandis qu'ailleurs ce sont de plus larges bandes de lumière bleue qui s'étalent et infusent l'espace. Autant de points de couleurs qui surgissent de part et d'autre de l'enchevêtrement complexe de la cité et qui sont les mille éclats d'une ville la nuit. Cette multitude de petites touches engendre un scintillement dynamique sur la toile, tandis que les formes, découpées en une maille étroite et striées par quelques rais de lumière blanche, avancent et s'éloignent dans la profondeur du tableau.
C'est au coeur de cette tension entre contrainte et liberté que s'épanouit l'art de Vieira da Silva: s'imposer une règle du jeu pour mieux s'en amuser, jouer avec elle, la contourner. Se laisser dicter un ordre extérieur pour finalement l'utiliser à son profit et le mettre au service de sa propre intériorité. Comme le résume Michel Seuphor, chez Vieira da Silva 'ce qui surprend, c'est que cette règle, cet art si fermement tenu en bride, permette en même temps, une expression aussi intense, médiumnique, du monde intérieur. Rigueur et liberté font ici un exaltant mariage.' Ce traitement novateur et singulier de la ville et de ses perspectives, dont Cité obscure offre un exemple saisissant, trouve des échos sensibles dans l'oeuvre de nombre d'artistes contemporains - des photographies de Los Angeles la nuit par Andreas Gursky aux collages urbains de Mark Bradford - qui sont autant de témoins de la très vive modernité de l'oeuvre de Vieira da Silva.
'Out of my natural disorder, I always want to create a possible order in my painting, a living order, because dead order is not interesting.' (Maria-Helena Vieira da Silva quoted in Jean-Jacques Lafaye, 'Vieira da Silva, La Contemporaine Capitale', Connaissance des Arts, Paris, September 1988)
At the end of the Second World War, when she returned to France from exile in Brazil, Vieira da Silva began to show a strong interest - which would remain with her - in urban scenes and landscapes. Streets, metros, bridges, tower blocks and stations invade the artist's canvas - all the geometric objects and architecture which structure modern life. The reason the city interested Vieira da Silva so much was because of its dual nature - at once a static and painstaking arranged scene, and a bustling place, lived in and passed through by thousands of men and women. It therefore embodies the intrinsic tension of the world, balanced between order and chaos, and also offers the artist fertile ground for experimentation, to carry out research into new ways of looking at the world, freed from the rules of perspective and the boundary between figuration and abstraction.
Cité Obscure is symbolic of the extremely rigorous pictorial vocabulary used by Vieira da Silva in her paintings: grids, vertical and horizontal slices, cross-hatching and rectilinear recesses structure the space of the painting. However, through a subtle interplay of colour and light, the work manages to free itself from this rigor: a few purple-blue points emerge from the dark cracks, here and there a few patches of yellow, orange or green light shine out, while elsewhere broad strips of blue light stretch out and infuse the space. These scattered specks of colour burst forth from the complex urban sprawl, representing the thousands of sparkling lights of a city at night. This multitude if tiny strokes creates a dynamic sparkling on the canvas, while the shapes, divided up by a narrow mesh and streaked with a few rays of white light, advance and withdraw in the depths of the canvas.
It is at the heart of this tension between constraint and freedom that Vieira da Silva's art flourishes. She imposes rules in order to make the most of this tension, playing with it, shaping it. She allows an external order to impose itself before eventually using it to her advantage and adapting it to her own internal requirements. As Michel Seuphor says, with Vieira da Silva 'what is surprising is that this rule, this art so firmly reined in, at the same time allows such intense, channelled expression of the internal world. Rigour and freedom come together here in an exhilarating marriage.' This novel and unusual treatment of the city and its perspectives, of which Cité Obscure offers a striking example, is clearly echoed in the work of a number of contemporary artists - from photographs of Los Angeles at night by Andreas Gursky to Mark Bradford's urban collages - all evidence of the vibrant modernity of Vieira da Silva's work.
À l'issue de la Seconde Guerre mondiale, lorsqu'elle revient en Europe après son exil brésilien, Vieira da Silva commence à manifester un vif intérêt - qui ne la quittera pas - pour les scènes et paysages urbains. Rues, métros, ponts, tours et gares envahissent les toiles de l'artiste; autant d'objets et d'architectures géométriques qui structurent la vie moderne. Si la ville intéresse tant Vieira da Silva, c'est en raison de la dualité qu'elle porte en elle: à la fois cadre statique et rigoureusement agencé, et lieu où vivent et transitent des milliers d'hommes et de femmes en mouvement. Elle incarne en cela la tension intrinsèque du monde entre ordre et chaos, et offre par ailleurs à l'artiste un terrain d'expérimentation idéal pour mener ses recherches sur le renouvellement du regard, affranchi des règles de la perspective et de la frontière entre figuration et abstraction.
Cité obscure est emblématique du vocabulaire pictural extrêmement rigoureux que Vieira da Silva utilise dans ses peintures: grilles, découpages verticaux et horizontaux, trames et encastrements rectilignes charpentent l'espace du tableau. Pourtant, par un subtil jeu de couleurs et de lumières, l'oeuvre parvient à s'affranchir de cette rigueur: quelques points violacés émergent des interstices sombres, ici et là jaillissent de brèves luminescences jaunes, orange ou vertes, tandis qu'ailleurs ce sont de plus larges bandes de lumière bleue qui s'étalent et infusent l'espace. Autant de points de couleurs qui surgissent de part et d'autre de l'enchevêtrement complexe de la cité et qui sont les mille éclats d'une ville la nuit. Cette multitude de petites touches engendre un scintillement dynamique sur la toile, tandis que les formes, découpées en une maille étroite et striées par quelques rais de lumière blanche, avancent et s'éloignent dans la profondeur du tableau.
C'est au coeur de cette tension entre contrainte et liberté que s'épanouit l'art de Vieira da Silva: s'imposer une règle du jeu pour mieux s'en amuser, jouer avec elle, la contourner. Se laisser dicter un ordre extérieur pour finalement l'utiliser à son profit et le mettre au service de sa propre intériorité. Comme le résume Michel Seuphor, chez Vieira da Silva 'ce qui surprend, c'est que cette règle, cet art si fermement tenu en bride, permette en même temps, une expression aussi intense, médiumnique, du monde intérieur. Rigueur et liberté font ici un exaltant mariage.' Ce traitement novateur et singulier de la ville et de ses perspectives, dont Cité obscure offre un exemple saisissant, trouve des échos sensibles dans l'oeuvre de nombre d'artistes contemporains - des photographies de Los Angeles la nuit par Andreas Gursky aux collages urbains de Mark Bradford - qui sont autant de témoins de la très vive modernité de l'oeuvre de Vieira da Silva.
'Out of my natural disorder, I always want to create a possible order in my painting, a living order, because dead order is not interesting.' (Maria-Helena Vieira da Silva quoted in Jean-Jacques Lafaye, 'Vieira da Silva, La Contemporaine Capitale', Connaissance des Arts, Paris, September 1988)
At the end of the Second World War, when she returned to France from exile in Brazil, Vieira da Silva began to show a strong interest - which would remain with her - in urban scenes and landscapes. Streets, metros, bridges, tower blocks and stations invade the artist's canvas - all the geometric objects and architecture which structure modern life. The reason the city interested Vieira da Silva so much was because of its dual nature - at once a static and painstaking arranged scene, and a bustling place, lived in and passed through by thousands of men and women. It therefore embodies the intrinsic tension of the world, balanced between order and chaos, and also offers the artist fertile ground for experimentation, to carry out research into new ways of looking at the world, freed from the rules of perspective and the boundary between figuration and abstraction.
Cité Obscure is symbolic of the extremely rigorous pictorial vocabulary used by Vieira da Silva in her paintings: grids, vertical and horizontal slices, cross-hatching and rectilinear recesses structure the space of the painting. However, through a subtle interplay of colour and light, the work manages to free itself from this rigor: a few purple-blue points emerge from the dark cracks, here and there a few patches of yellow, orange or green light shine out, while elsewhere broad strips of blue light stretch out and infuse the space. These scattered specks of colour burst forth from the complex urban sprawl, representing the thousands of sparkling lights of a city at night. This multitude if tiny strokes creates a dynamic sparkling on the canvas, while the shapes, divided up by a narrow mesh and streaked with a few rays of white light, advance and withdraw in the depths of the canvas.
It is at the heart of this tension between constraint and freedom that Vieira da Silva's art flourishes. She imposes rules in order to make the most of this tension, playing with it, shaping it. She allows an external order to impose itself before eventually using it to her advantage and adapting it to her own internal requirements. As Michel Seuphor says, with Vieira da Silva 'what is surprising is that this rule, this art so firmly reined in, at the same time allows such intense, channelled expression of the internal world. Rigour and freedom come together here in an exhilarating marriage.' This novel and unusual treatment of the city and its perspectives, of which Cité Obscure offers a striking example, is clearly echoed in the work of a number of contemporary artists - from photographs of Los Angeles at night by Andreas Gursky to Mark Bradford's urban collages - all evidence of the vibrant modernity of Vieira da Silva's work.